mardi 28 décembre 2021

De la conscience historique à l'âge de l'Anus Mundi (1860-1945)

 

Charnier des camps d'extermination nazis


DE LA CONSCIENCE HISTORIQUE À L'ÂGE DE L'ANUS MUNDI

(1860-1945)

 

5-IX-1942. J’ai assisté cet après midi à une action spéciale

appliquée à des détenues du camp féminin, des “Musulmanes”,

les pires que j’ai jamais vues. Le docteur

Thilo avait raison ce matin en me disant que

nous nous trouvions dans l’anus du monde.


Dr. Kremer, 

médecin à Auschwitz


Il est indubitable qu'entre 1860 et 1945, les Occidentaux ont vécu avec l'obscure certitude que leur civilisation s'était engagée sur une pente déclinante. Les preuves du progrès général avaient beau démentir ce pressentiment, mais la conscience occidentale s'éprouvait, attirée par un sentiment d'attraction fatal. Tous les Occidentaux, indépendamment de leur nationalité, acceptèrent l'idée qu'exprimait le titre du livre d'Oswald Spengler : l'Occident était bien en déclin.

Bataille de Gettysburd, 1er-3 juillet 1863

Déclin démographique à un moment où la surpopulation européenne se déversait dans les colonies comme sur les côtes atlantiques des Amériques; succession de crises économiques dont le paroxysme de 1929 suivait pourtant une longue période de croissance dans tous les secteurs de la productivité associés à la seconde Révolution industrielle; accroissement des soulèvements populaires, idée fausse inspirée par la violence de la Commune de Paris ou de la révolution berlinoise. Enfin et surtout, dégénérescence et décadence morale, thèmes qui seront abordés dans la seconde et la troisième partie de cet ouvrage. Deux événements majeurs : la guerre de Sécession américaine et la guerre franco-allemande de 1870 donnèrent le la à ce sentiment d'attraction fatale. Vainqueurs comme vaincus pressentaient que l'ampleur des massacres liés aux combats ou les conséquences civiles de la défaite ouvraient sur une pente déclinante. Au lieu de regarder l'évolutionnisme comme un perfectionnement des caractères physiques et moraux de l'être humain, les romanciers cherchèrent à identifier des tares congénitales fatidiques. Pensons à l'usage que fit Zola de l'hérédo-syphilis dans ses Rougon-Macquart, ou comment Thomas Mann utilisa le sanatorium de tuberculeux comme allégorie de l'Allemagne de Weimar.

Egon Schiele, autoportrait.

Après les expériences lumineuses des impressionnistes et le travail sur les formes géométriques des cubistes, les artistes s'engagèrent dans l'exploration des formes morbides avec l'expressionnisme et le surréalisme. Si l'angoisse de la mort ne dominait pas toutes les œuvres – pensons à la richesse des coloris des fauvistes -, les productions que les nazis devaient qualifier de dégénérés ne cessaient d'ajouter des déformations visuelles chargées d'inquiétudes et de désemparement. Les systèmes religieux traditionnels cédaient devant la montée d'ésotérismes frôlant la psychose. L'épistémologie n'était plus qu'une fausse garantie de certitudes justifiées par des méthodes et des protocoles qui plaçaient la réalité et la connaissance scientifique au pinacle de la raison humaine. Pendant ce temps, toutes les formes de déraison infiltraient l'anthropologie, la biologie, l'orientalisme et même la connaissance historique. Le relativisme livrait au subjectivisme tous les domaines de la connaissance. Les Occidentaux avaient perdu la capacité de réconcilier leur subjectivité intime avec l'objectivité du monde extérieur. La philosophie existentielle véhiculait nombre de principes vitalistes, ne se refusant ni l'illogisme (dans les paralogismes par exemple), ni l'irrationnel. Tous ces délires entraînèrent a posteriori des événements tragiques qui en firent reposer la responsabilité sur les sciences, les techniques et le progrès : «Mais est-ce vraiment Rousseau qui est responsable du Goulag, Gobineau d’Auschwitz, Lavoisier et Boyle de la fabrication des gaz asphyxiants, Einstein de la fabrication de la bombe H? Est-ce que les auteurs de romans policiers sont les responsables des crimes réels que commettent les lecteurs? On l’a dit, on l’a trop dit, et cela suffit. Cessons d’accabler ceux dont des malfaisants, des tyrans et des techniciens ont accaparé les idées pour en faire mauvais usage. À ce compte-là ce serait la faute de Gutenberg, si on a imprimé et diffusé Mein Kampf».1


 

Félicien-Rops, Le Calvaire
Certes, derrière les pressentiments se manifestaient bien des indices que quelque chose n'allait pas dans la civilisation. Ces malaises, comme devait les appeler Freud, affectaient tous les domaines de l'activité humaine au sein de la civilisation occidentale. On sentait que la loi de l'entropie énoncée par les physiciens du XIXe siècle était entrée en action. Que le monde s'approchait de sa fin, une mort inéluctable et tragique. Un néo-paganisme justifiait tout cela contre la tradition chrétienne érigée sur les trois vertus cardinales : la foi, l'espérance et la charité. Le monde occidental se dissolvait. Il s'altérait de lui-même, poussé jusqu'au suicide moral avant le suicide physique, à l'exemple de bien de ses principaux poètes, dramaturges ou penseurs. Il ne faudrait pourtant pas se laisser étourdir par ces transgressions répétées en matière morale, sexuelle, littéraires ou artistiques qui préludèrent aux grands massacres du XXe siècle. L'Occident anticipait à la divinité et non à la destruction. On peut, si on veut, souscrire à l'enthousiasme du catholique Michel Carrouges devant la posture magistrale du surhomme nietzschéen : «Ce n’est donc pas l’espoir de la déification qui est faux et mauvais, bien au contraire, mais la façon dont on l’attend. Une immense espérance anime toute la grande poésie moderne, elle en rend magnifiquement témoignage dans toute sa symbolique de la déification, il lui appartient de ne pas céder à l’excès d’impatience, de ne pas croire en ses seules forces, mais d’attendre avec patience et amour que Dieu lui-même réalise ses rêves ou plutôt de collaborer avec Dieu pour cette réalisation, car s’il est vrai que l’homme seul ne peut rien, Dieu seul ne peut rien non plus, parce qu’il a voulu lui-même s’imposer le respect de la liberté humaine. C’est là le mystère de la vie humaine et du destin de l’humanité toute entière».2 Or quels étaient les noms derrière cette poésie moderne? Baudelaire? Lautréamont? Verlaine? Rimbaud? Swinburne? d'Annunzio? Apollinaire? Ce ne furent peut-être pas tous des poètes les mieux inspirés par l'amour chrétien, mais ils étaient tous des ténors de la déification de l'homme. Et la preuve de cette déification résidait précisément dans leur capacité à la transgression; de se présenter généralement comme des êtres vaincus, perclus de vices et adonnés au satanisme. Entre l'Imaginaire malsain et la morale défectueuse, des médecins, parfois fous, se cachèrent derrière les thèses de la dégénérescence – fatalité absolue! - de Max Nordau ou du criminaliste Cesare Lombroso pour plonger encore plus profondément dans le désespoir. Contre ces élucubrations, Sigmund Freud tenta de ramener le thème vers la névrose et ses thérapies. Ainsi, comme le rappelle Michel Foucault, «la position singulière de la psychanalyse

Cola di Rienzi, Marat, Louis Riel, Louise Michel, Carrier...

se comprendrait mal, à la fin du XIXe siècle, si on ne voyait la rupture qu’elle a opéré par rapport au grand système de la dégénérescence : elle a repris le projet d’une technologie médicale propre à l’instinct sexuel; mais elle a cherché à l’affranchir de ses corrélations avec l’hérédité, et donc avec tous les racismes et tous les eugénismes».3 Léon Poliakov non plus, ne s'est pas montré dupe de cette démiurgie du Mal. L'homme, incapable de se substituer ni même de vraiment s'associer avec Dieu, ne peut passer qu'un pacte avec les démons : «Ainsi, on pourrait admettre qu’aussi étonnants que puissent être les pouvoirs des démiurges modernes, certaines limites resteront toujours posées à la perversion et à la robotisation des foules les plus dociles. Incapables de créer “un homme nouveau”, ils disposent toutefois, pour la destruction pure, de possibilités presque illimitées. Ce n’est que dans une société d’hommes voués à la mort que de nouveaux comportements à l’état pur ont pu se développer; par une ironie sordide, ce n’est que dans l’enfer concentrationnaire que cette ablation totale du sens moral à laquelle rêvait le Führer a pu s’accomplir à vaste échelle. Mais l’ombre des camps de concentration plane encore sur le monde; et le dernier message d’Adolf Hitler semble retenir encore à travers un monde en désarroi, faisant écho aux grondements des haines dont les relents stagnent dans les esprits».4 Autant dire que, depuis que le Mal s'est emparé de la démiurgie, l'humanité occidentale n'aspire plus qu'à la médiocrité et à la passivité. Sur ce point, Nietzsche a été bon prophète!

 

Albert Daenens, L'en dehors, 1922
L'écrasante subjectivité derrière ce sentiment négatif travaillait à la faillite de l'auto-détermination de la civilisation. Ses minorités dominantes bourgeoises échouaient à maintenir le cap fixé par les humanistes de la Renaissance. La fascination des philosophes du Siècle des Lumières pour l'anthropologie confirmait le réductionnisme rationaliste du XVIIe siècle. À l'Homme-Machine dont la physiologie avait été exposée par La Mettrie, la réaction kantienne d'un Sujet rassuré par un ensemble de paradigmes impératifs (la liberté, la dignité, l'égalité (de droits), l'éducation, l'intangibilité de son corps et de son esprit) se présentaient comme les deux opposants fracturés par la Révolution industrielle et surtout le capitalisme et sa morale sadienne : «On ne saurait trop le redire, répète Péguy. Tout le mal est venu de la bourgeoisie. Toute l’aberration, tout le crime. C’est la bourgeoisie capitaliste qui a infecté le peuple. Et elle l’a précisément infecté d’esprit bourgeois et capitaliste…”».5 Parallèlement et simultanément, le monde occidental se ressentait toujours de l'opposition dressée au sein de la Révolution française entre le Propriétaire et le Citoyen. Plus que la simple propriété privée des moyens de production, le terme désignant les caractères essentialistes de l'individu, corps et esprit, sacralisés par les nouvelles constitutions nationales (aux États-Unis, en France, voire même en Angleterre), le Propriétaire s'établissait au faîte de la société en formant la classe bourgeoise. Par ces mêmes propriétés, d'autres membres de la société en appelèrent à l'égalité des droits et à la protection des majorités dominées au nom du droit de citoyenneté. Le Citoyen était présenté comme un sujet ontologique, et non plus un sujet politique soumis aux aléas de fortune des États. Cette schzie X opposant diamétralement l'un à l'autre, Propriétaire/Citoyen et Homme-Machine/Sujet kantien fut la double faille sous lesquelles s'élaboraient toutes les crises psychologiques et sociales qui minèrent l'auto-détermination de la civilisation et la précipita dans un état d'anarchie qu'une longue guerre de Trente ans (la deuxième en trois siècles) faillit accomplir par le suicide complet de l'Occident : «À la fin de cette période un problème restait sans solution : comment les individus pouvaient-ils échapper à leurs inquiétudes personnelles, dépasser la spécialisation exigée par l’industrialisation et la technocratie et acquérir un certain détachement par rapport aux pressions qui s’exerçaient sur eux? Ils ne pourraient dominer leur environnement, comme le leur avaient promis les savants, ni même régler leur propre destinée, en dépit du suffrage universel qui aurait dû selon les politiciens avoir cet effet, aussi longtemps qu’ils seraient esclaves de leur histoire, de leurs inquiétudes. C’est en ce sens que convergent les fils politiques, économiques, sociaux et moraux de l’histoire... : chacun d’eux a forcé l’individu à se définir dans ses allégeances, ses spécialisations et ses goûts. J’ai montré comment les gens ont tourné ces inconvénients, mais aux pressions exercées sur eux pour qu’ils soient cohérents et prévisibles, ils n’ont trouvé que des palliatifs. La recherche de la prospérité était nécessaire et inévitable, mais le souci qu’ils en ont eu a permis aux gens d’oublier quels étaient leurs objectifs ou même de ne pas se poser la question. À la fin de cette période, les Français ne savaient toujours pas où résidaient leurs priorités».6 Ceci résume assez bien ce qu'il faut entendre par faillite occidentale de l'auto-détermination.

Camp de détenus nordistes
Si nous considérons l'historicité de cette période de 1860 à 1945, comme tout historicité, la dynamique s'est engagée entre l'articulation de deux logiques, l'une de nécessité et l'autre de contingences. Les contingences spécifiques de cette période qui contribuèrent à accélérer le déclin de la civilisation sont nombreuses. Où était la nécessité de créer des lieux obsidionaux comme les camps de concentration? Du camp d'Andersonville à ceux d'Auschwitz, il y eut une continuité qui s'est maintenue à travers des formes d'enfermement, tels les hôpitaux où l'on se mit à rassembler comme jamais malades physiques et mentaux; usines ou complexes industriels ramassant quotidiennement dans ses murs des centaines de milliers de travailleurs; des prisons dites à sécurité maximale; des premiers camps de prisonniers de guerre durant la guerre hispano-américaine et celle des Boers aussi bien que durant les guerres mondiales; des camps de prisonniers politiques, en Russie comme en Allemagne... Le grand renfermement, que Michel Foucault situait au XVIIe siècle, n'était rien en comparaison de ce qui se passa à partir du second XIXe siècle. Il découlait d'une obsession particulière : l'hygiénisme, qui transposait en matière sociale les données de la médecine. Rappelons, avec Jacques Attali, que la propriété nécessite la propreté. La machine sociale n'est jamais assez propre selon ses dominants, aussi le maintien de l'ordre représentait-il, pour la bourgeoisie, la santé sociale :

[Le] «développement de l’hygiène publique révèle un double visage, au tournant du siècle, deux visions de la santé collective, différentes, presque opposées et pourtant indissolublement liées : celle de la mobilisation autoritaire, une défense d’autant plus pesante qu’elle se réfère à l’absolu de la nation, à son avenir, son “sang”, sinon à sa survie. L’hygiène publique obéit ici, assure Léon Bourgeois dans un discours de 1889, “aux nécessités du patriotisme, car elle a pour but et pour effet de conserver et d’accroître ce capital humain dont la moindre parcelle ne peut être perdue, sans une atteinte à la sécurité nationale et la grandeur de la patrie”. Cette hygiène pèse alors comme une force extérieure, surplombant les individus, poursuivant un sens en dehors d’eux : l’accomplissement d’un destin collectif où dominent la nation et le sang, le “grandissement de la patrie, de la race et de l’humanité”.

Campagne d'anti-vaccination
L’autre vision mêle à l’assainissement l’idée d’une participation très particulière au collectif. Elle fait de l’État un immense prestataire de services médiateur chargé en priorité de mieux protéger l’individu, prolonger sa vie, prévenir ses maux. Une façon d’engager un intérêt quasi égoïste dans la mutualité en bornant la visée sociale au seul développement de la vie. L’objectif de cet État redistributeur, répartiteur des avantages et des charges, est alors la sauvegarde et l’entretien de ses membres, l’achèvement de la santé publique devenue le “fondement où repose le bonheur du peuple”; ambition non plus transcendante mais immanente, celle qui légitime le social à la défense de chacun, un sens issu des individus et non plus de quelque force surplombante. Le mot même de “santé publique” insensiblement substitué à celui d’“hygiène publique” au début du XXe siècle souligne le changement : l’insistance sur le capital physique individuel et collectif. C’est bien le destin des sociétés démocratiques qu’illustrent ces projets de solidarité, ces formules sociales où certains ont pu voir “la disparition constante et progressive de la notion de souveraineté” : la santé et la protection de chacun projetées au centre des objectifs collectifs, à défaut d’ambition affirmées en dehors des individus. Assurances maladie, assurances contre les accidents dessinent à la fin du XIXe siècle des dispositifs quasi actuels, ceux qui renouvellent le projet politique en renouvelant les attentes de santé».7

Le fantasme de la fécalité, en particulier, se retrouvait dans tout. L'invention du tout-à-l'égout et la désinfection appelaient l'usage de gaz et la crémation des corps plutôt que l'enfouissement dans des nécropoles surpeuplées; la chasse au péril vénérien, le confinement des tuberculeux dans des sanatoria isolés; le besoin d'aération urbaine devant la promiscuité des foules, appelaient la mobilisation de l'État. Il n'y eut pas jusqu'à l'usage des barbelés, tirés des grands ranchs américains, qui furent tricotés autour des camps, voire des usines. Les grands abattoirs, enfin. Ces lieux où les bestiaux étaient exterminés en masse pour nourrir les bien nantis des villes, massacres accomplis dans une asepsie quasi complète et à l'écart du regard des consommateurs, préparaient l'indifférence occidentale devant ces camps où la mort d'êtres humains était administrée d'une manière digne de la division technique du travail qui dominait alors la production industrielle. Partout ne voyait-on

Buveurs de sang
que saleté, partout. aussi, fit-on en sorte que la propreté régnât! «…le danger est toujours aux encrassements. Ce qu’indiquent les innombrables conseils formulés dans les magazines de santé pour “épurer votre foie”, “dissoudre les graisses”, choisir des huiles “encrassant moins les artères que d’autres”. Les vieilles références à l’épurement du corps n’ont pas disparu, bien au contraire. Elles sont seulement plus travaillées, sinon euphémisées : déplaçant les mots, les images, évoquant les graisses et non les déchets, dénonçant les “stockages” et non les pourrissements. Dépôts divers, circuits embarrassés, demeurent les indices intuitifs du corps malsain. C’est la graisse qui focalise les nouveaux dégoûts, matière plus noble que les déchets, plus insidieuse aussi, infiltrant les moindres espaces et gagnant chaque enveloppe».8 On n'en n'était pourtant pas encore à l'ère de la mal-bouffe et de l'obésité morbide! Quoi qu'il en soit, toutes ces avenues allaient chacune dans sa direction, mais la volonté de pallier à un déclin menaçant les firent converger vers un hygiénisme obsessionnel.

 

1er mai sanglant à Fourmies, 1891
Ces conjonctures coiffèrent des structures découlant de la double schize mentionnée plus haut. Les sociétés occidentales étaient structurées à la guerre civile qui se prolongea en guerres internationales à partir de la seconde décennie du XXe siècle. La guerre de Sécession américaine; la Commune de Paris; la multiplication des grèves et des soulèvements sociaux où s'affirmaient différentes idéologies de combat tels le marxisme et l'anarchisme; l'apothéose marquée par la Révolution russe en bordure de l'Occident, avec des résonances dans tous les États d'Europe et d'Amérique du Nord, accrurent les angoisses qui cherchèrent des réconforts dans les institutions tels l'école, l'armée, les partis politiques, les rassemblements de jeunesse, etc. pour contrer ces glissements vers la violence. Le paradoxe fut que ces solutions semèrent elles-mêmes encore plus de violence. Plus les structures usaient du rejet, de la haine, de la ségrégation et du contrôle absolu, plus les schizes se creusaient : Propriétaires et Citoyens s'affrontaient dans des révolutions politiques; Hommes Machines et Sujets kantiens dans des luttes sociales, voire raciales ou idéologiques. Pour sortir de ce surenchérissement de confrontations, on n'anticipa plus que l'État universel comme solution pour écarter la civilisation du fatal déclin. Cette solution engendra autant de palliatifs qui s'avérèrent plus dommageables que le mal lui-même. La quête d'un État universel capable de consolider le marché par l'impérialisme des grandes puissances mena aux exactions coloniales et aux guerres mondiales. Ce serait à qui parviendrait à établir un nouvel État dominant, un État de masses populaires menées par leurs édiles bourgeois. L'Empire britannique sur lequel, après celui de Charles Quint, le soleil ne se couchait jamais; l'Empire colonial français palliatif à la perte de l'Alsace-Lorraine; enfin les régimes fascistes, concoururent à la prédominance étatique avec des prétentions autoritaristes inégalées. Plutôt que de ramener l'ordre social, ces empires cultivèrent le déclin même de la civilisation tout en avilissant le reste de l'humanité. L'enchaînement des contingences et de la nécessité – entre les conjonctures et les structures si l'on préfère -, permet de saisir la nature profonde de l'historicité occidentale aux yeux de ses membres durant cette période où la régression sadique-anale marqua la première révolution culturelle entièrement négative.

 Enfin, cette période fut celle où le temps l'emporta sur l'espace. Alors que les limites de la planète étaient reportées aux extrémités du globe, le temps devenait la conquête du temps, nouvelle préoccupation des Occidentaux. Ils partirent à la conquête du temps comme deux siècles plus tôt ils étaient partis à la conquête de l'espace. Quelles formes prendrait ce temps? Avec Bergson, ils apprirent à classer en termes de durées et d'intervalles; avec Proust, ils éprouvèrent l'expérience intimiste de la mémoire et du rappel mental des souvenirs; avec Einstein, ils refermèrent l'univers ouvert au temps de Copernic et de Galilée sur la relation espace-temps; avec la génération de 1914, ils découvrirent un phénomène humain relativement nouveau : l'adolescence, caractérisée par un même Zeitgeist. Avec le néo-paganisme fin-de-siècle, les Occidentaux redécouvrirent le mythe de l'éternel-retour, moins celui des cycles astrobiologiques des civilisations anciennes que celui de la correspondance des temps, des durées significatives, ce qui invitât les esprits les plus superficiels à considérer que les temps se répétant, l'histoire ne pouvait être qu'une série de répétitions événementielles, source d'une phénoménologie de l'histoire.

 Le mythe de l'éternel retour ne fut que l'un des nombreux mythes que les Occidentaux s'inventèrent durant cette époque troublée. Georges Sorel inventa le mythe de la Grève générale, exemplum de la violence révolutionnaire; des Juifs les nationaux récupérèrent le mythe du Peuple-élu instaurant une véritable rivalité d'orgueils : la Manifest Destiny des américains; le jingoïsme britannique, le surhomme aryen, la mission civilisatrice française, la

La vieille chapelle de Betsiamites
vocation évangélique canadienne-française, etc. Ces mythes fondamentaux entraînèrent la prolifération de mythistoires qui servirent à constituer des représentations sociales nationalistes qui, de l'école à l'État, structurèrent les grands débats du siècle. Ces mythes suscitèrent également la floraison de philosophies de l'histoire ou d'historiosophies qui reprenaient l'héritage de Vico, de Herder, de Hegel auxquels s'ajoutèrent le néo-kantisme de Max Weber et de Wilhelm Dilthey; la sociologie de Pareto, puis le relativisme crocéen. La philosophie de l'histoire sans doute la plus originale, la plus exceptionnelle par son ontologie, fut l'existentialisme allemand qui l'élabora; de Nietzsche jusqu'à Jaspers avec, chez Heidegger, un système où l'historicité s'absorbait dans l'historialité de l'Être. Après la correspondance des époques que l'on trouvait chez Nietzsche et chez Spengler, l'assimilation de l'expérience historique dans le vécu du Dasein finissait par faire de l'histoire une expérience non plus sociale mais strictement individuelle, ouverte chez Heidegger à la métaphysique, chez Jaspers à la foi chrétienne,

Leopold von Ranke


Jamais les philosophies de l'histoire semblèrent autant s'éloigner de la connaissance historique, elle-même en proie à des révolutions scientifiques et dramaturgiques. Ce fut la grande époque du positivisme inspiré des enseignements du médecin français Claude Bernard. On en retrouva des échantillons – bien incomplets – chez des historiens de grande audition tels Ernest Renan, Hippolyte Taine et Numa Fustel de Coulanges. En Allemagne, le positivisme s'était manifesté comme méthode chez von Ranke; en Angleterre chez Buckle; aux États-Unis chez Bancroft. En face de ce positivisme qui associait désormais le progrès à l'évolutionnisme darwinien, se dressait une tendance relativiste qui se manifesta, de manière pratique chez Jacob Burckhardt et théorique chez Benedetto Croce et l'Américain Carl Becker. Dans cette veine, le fameux Déclin de l'Occident jumelait de larges considérations philosophiques avec des interprétations purement subjectives de certains phénomènes historiques. Ce qui sortit toutefois de cette crise de la pensée historienne, ce ne fut pas ce vaste système philosophique proposé par Spengler, mais la prolifération des histoires nationales. Issues de la formation des nations à partir de la fin du siècle, ces histoires nationales partaient de soucis actuels propres aux nationalités pour remonter vers la genèse originelle, confirmant ainsi l'essentialité des peuples contre une humanité généralisée mais artificielle. Remontant de façon récurrente les différentes temporalités, d'aujourd'hui aux origines des nations, le travail d'écriture, lui, reprenait à l'inverse la démarche intellectuelle, s'accordant avec le fil chronologique une continuité des origines à nos jours. Non seulement obtenait-on une théorie de l'histoire nationale – l'essentialité de la nation -, mais aussi une pratique à travers la production de synthèses et surtout de manuels scolaires chargés d'introjecter dans les esprits ce schéma né de la pensée d'historiens et de vulgarisateurs producteurs de mythistoires nationaux plutôt que d'un authentique travail heuristique érigé avec les méthodes de la connaissance historique. Ces histoires nationales eurent la vertu de se transformer très vite en histoires nationalistes, exclusivement idéologiques et politiques.

Emmanuel Mounier (1905-1950)
La civilisation occidentale régressait sur ses avancées antérieures depuis la Renaissance. Ces siècles avaient nécessité un long travail de mesures et de projections utopiques sans doutes, mais indispensables au raffinement de la vie et des mœurs. On a déconsidéré ce qu'écrivait le personnaliste Emmanuel Mounier sous l'Occupation allemande : «Si l’enjeu de cette guerre était de revenir sans plus, toute menace écartée, aux charmes d’un siècle proche, de refaire Vienne dansante, Naples pouilleuse, Munich baroque et Paris étincelant, nous aurions bien vite perdu la face. “Retourner le fascisme contre l’Italie et l’Allemagne”, la formule reste ambiguë, mal équilibrée. Mais retourner contre les monstruosités du fascisme les vertus du fascisme, et ce qu’il a, dans l’aberration et l’épouvante, accouché d’histoire vivante, oui, et il n’y aura pas de victoire durable, adaptée au monde tel qu’il est, sans cette intégration».9 Il est vrai qu'on aurait peine à trouver des vertus au fascisme. Comme le dit l'historien militaire canadien Desmond Morton : «La victoire refuse aux vainqueurs la nécessité de la réflexion».10 De leur côté, «les historiens ont... rempli leur mission, avec célérité. Tournant la loi désuète qui protège les secrets d’État pendant cinquante ans, ils ont exhumé avant l’heure les preuves et les documents qui accablent Adolf Hitler et Benito Mussolini, l’ogre et le pervers, coupables d’avoir déchaîné l’enfer. Leurs études confondent également les timorées, les veules, les incapables qui ne surent pas, quand ils le pouvaient encore, endiguer le désastre».11 Toutefois, rappelle Todorov, «il faut résister à la tentation d’établir une discontinuité radicale entre “eux” et “nous”, de diaboliser les coupables, de considérer les individus ou les groupes comme parfaitement homogènes et cohérents».12 Aussi, plutôt que s'abandonner à ces lieux communs qu'il ne s'agit plus de contester et encore moins de nier, faut-il accepter que le fascisme devait avoir au moins quelques vertus, sinon comment expliquer que des esprits diserts s'y soient ralliés? Churchill célébrant Mussolini? Le «Time» élisant le chancelier Hitler personnalité de l'année 1938 après la culbute de Munich? Encore après la guerre, «en mai 1951, un embryon d’organisation internationale fut mis sur pied lors du congrès qui regroupa à Malmö, en Suède, une centaine de délégués appartenant aux principaux mouvements européens : E. Massi pour l’Italie, Mosley pour l’Angleterre, Maurice Bardèche pour le Comité national français, etc.».13 Pour certains, c'étaient les rats qui ressortaient des égouts après s'y être cachés le temps de l'épuration, mais pour d'autres, c'était la réhabilitation du fascisme qui était en marche, et qui triomphe aujourd'hui à travers différentes formes de populisme.

 

Evacuations : Saïgon, 1975; Kaboul 2021
C'est que les vainqueurs de 1945 se sont vite empressés de résoudre les énigmes profondes de cette catastrophe en usant d'un manichéisme assez simpliste qui, après avoir été projeté sur l'Allemagne nazie et le Japon impérial, fut reporté sur la Russie soviétique puis la Chine communiste. C'est avec raison que l'historien américain Paul Fussell reconnaît non sans chagrin, que «les États-Unis n’ont toujours pas compris ce qu’a été la Seconde Guerre mondiale : ils ont donc été incapables d’user de ce savoir pour réinterpréter et redéfinir leur réalité nationale, et parvenir à quelque chose comme la maturité publique».14 Leurs défaites militaires et diplomatiques successives au Vietnam, en Irak puis en Afghanistan reposent sur cette incompréhension. D'un autre côté, il faut bien reconnaître que les révolutions communistes, de la première à la dernière en ce XXe siècle, n'ont pas aidé la civilisation à se relever. Jean Guéhenno disait que «les révolutions qui comptent sont celles qui ajoutent à la dignité des hommes».15 Durant les premières années de la Révolution russe, on aurait pu compter sur
Rassemblement à Harbin, 1966
cette élévation, mais la paranoïa des dirigeants et le fantasme de l'État universel héritier de l'État autoritariste tsariste renversèrent le tout en martyrologue soviétique. En Chine, bien avant la Révolution culturelle des années 60, la révolution avait perdue toute dignité humaine dès les commencements. Très vite, les régimes communistes ont pétrifié leurs civilisations respectives, ce qui faisait soupirer Curtius : «
C’est peut-être ce destin qui attend [notre civilisation]: un État universel, totalitaire, un despotisme planétaire avec prolifération de la technique et dépérissement de l’esprit».16 Ce pessimisme n'était plus le même que celui du pressentiment de l'entraînement fatal du début du siècle; c'était celui du second après-guerre; celui de Philippe Muray constatant que «sous l’éclairage de la bombe atomique... commence une nouvelle nomenclature du genre humain».17 Bref, ce n'était plus la régression sadique-anale des XIXe-XXe, mais celui de la régression sadique-orale des XXe-XXIe siècles.

 Le Mal, en effet, s'est présenté sous son jour le plus mauvais, si on peut dire, durant cet âge de l'Anus Mundi. Mais il peut aussi se présenter sous des jours heureux et prospères. Le Mal à travers le fascisme ou le communisme; à travers le totalitarisme et la dictature, reste le Mal tel que nous l'ont enseigné les religions depuis l'aube de l'humanité. Cette caricature morale dissimule toutefois une autre interprétation du Mal; celle de la vertu et de l'obligeance. Il peut tout aussi bien empoisonner sous les bons que sous les mauvais sentiments. Du politically correctness des années 80 du XXe siècle à la rhétorique woke qui s'affiche au nom des victimes de l'Histoire – des femmes, des LGBTQ2S+, des racisés (essentiellement des Noirs), des autochtones et autres orphelins de la cruauté humaine -, se pratique un nouveau totalitarisme exclusiviste de la pensée qui partage la même structure représentationnelle que le fascisme du XXe siècle. Comme l'écrit encore Tzvetan Todorov : «Je ne crois pas que le mal lui-même ait changé de nature : il consiste toujours à dénier à quelqu’un son droit d’être pleinement humain; ni que l’espèce humaine ait subi une mutation; ni enfin qu’un fanatisme nouveau, d’une puissance jamais vue, soit soudain apparu. Ce qui a rendu possible ce mal immense, ce sont des traits tout à fait communs et quotidiens de notre vie; la fragmentation du monde, la dépersonnalisation des relations humaines. Ces traits eux-mêmes, cependant, sont l’effet d’une transformation progressive, non exactement de l’homme, mais de ses sociétés : la fragmentation intérieure est l’effet de la spécialisation croissante qui règne dans le monde du travail, donc de sa compartimentation inévitable; la dépersonnalisation provient d’un transfert de la pensée instrumentale au domaine des relations humaines. Autrement dit, ce qui est approprié aux activités téléologiques (spécialisation, efficacité) s’empare aussi des activités intersubjectives, et c’est cela qui multiplie par mille un potentiel de mal probablement pas très différent de celui des siècles passés».18 C'est dire que le contenu idéologique pèse peu dans la balance, tout comme les anciens programmes fascistes pesaient peu dans la politique appliquée des régimes italien et hitlérien. Une rhétorique de gauche exprimée sous une forme de droite finit aujourd'hui par soulever la même répugnance que les fascismes jadis chez les esprits critiques, il y a un siècle maintenant. Le profil de l'historicité est le même.

Le fascisme, dans sa veine la plus totalitaire, dressait l'interpénétration de l'espace publique et de l'espace privé. Il y avait là une structure indéfectiblement schizophrénique. Le XXIe siècle a commencé sur les mêmes failles que le siècle précédent, sinon que les formes ont quelque peu évolué. L'Homme-Machine est devenu ce robot entièrement assimilé par son équipement informatique alors que le Sujet kantien n'est plus qu'un client du Marché et de l'État qui se réclame du droit de consommer librement et de l'impératif de sa sécurité, en particulier de sa santé. Cet hypocondriaque conditionné par les opérations de son instrument numérique est l'aboutissement du prolétaire du XIXe siècle. Il s'est haussé quelque peu socialement, mais il s'est appauvri des vertus viriles et stoïques qui l'éduquaient deux siècles plus tôt. En lui sommeillent aussi le Propriétaire et le Citoyen. C'est par ce dernier qu'il peut réclamer à cor et à cri son droit à la socialisation de son individualité, aux garanties de la santé et à sa sécurité (financière) que les États refusaient jusqu'à tout récemment de lui concéder, mais dont la crise de surproduction en société de consommation oblige de satisfaire. Le Propriétaire, de son côté, devient de moins en moins une individualité humaine qu'un consortium quelconque de grandes entreprises multinationales aussi bien que de petites coopératives locales, s'affichant d'un acronyme et d'un numéro quand il ne peut être plus anonyme! Dans l'ensemble, les luttes ne sont pas moins féroces, et les conjonctures se présentent toujours selon une suite d'enchaînements disparates. Derrière leur apparence de grande liberté, comme des huîtres, les sociétés occidentales se referment de plus en plus à l'image des sociétés totalitaires de jadis. Ils entretiennent des valeurs, non tant humanistes – c'est là que plusieurs se laissent prendre à gauche -, qu'anthropologiques dans le sens où l'entendent les impératifs catégoriques kantiens, aujourd'hui garantis par différentes versions de charte de droits, tous définis à l'intérieur de paradigmes de la mondialisation néo-libérale. Comme Todorov, nous pourrions rendre compte ainsi de nos sociétés : «Pour rendre compte des actions et des qualités humaines dans le cadre des camps, mais aussi en dehors d’eux, j’ai dû recourir à une série d’oppositions, dont je constate maintenant qu’elles s’englobent les unes les autres. Au niveau le plus abstrait, j’ai distingué entre activités téléologiques et intersubjectives; parmi celles-ci, j’ai été amené à séparer sphère publique et sphère privée, opposition conduisant à celle de la politique et de la morale (selon le principe de la “subjectivité” de toute action morale). Au sein même de la morale, j’ai dû opposer vertus héroïques et vertus quotidiennes (d’après le critère de “personnalisation”); et, pour ces dernières, j’ai eu recours à la distinction entre morale de principes et morale de sympathie. Or, à énumérer ainsi ces oppositions, plusieurs observations sautent aux yeux. On pourrait formuler la première comme une double exigence : alors qu’il s’agit de véritables oppositions qui n’admettent pas de synthèse, les deux termes sont aussi nécessaires l’un que l’autre à la vie de l’individu comme à celle de la société. Il faut que le travail soit efficace et que les relations humaines ne lui soient pas sacrifiées; il est préférable que la société soit juste et les individus bons; que les vertus héroïques se fassent jour dans les circonstances exceptionnelles et les vertus quotidiennes, dans la vie de tous les jours; et l’on a vu que l’action des sauveteurs exigeait à la fois une morale de principes et une morale de sympathie. Est-il possible de surmonter les tensions nées de ces couples d’exigences?».19 Certes, nous ne vivons plus dans des camps, nous vivons à l'air libre, avec notre entourage affectif et nos lieux de fréquentation. Personne ne remarque que nos barbelés ne sont plus à l'extérieur, mais dans nos têtes.

 À l'âge de l'Anus Mundi, les guerres contribuèrent à confondre pleinement sphère privée et sphère publique. Ernst Jünger, qui s'y connaissait pour avoir vu du côté allemand les deux guerres mondiales, écrivait dans les années 60 du XXe siècle : «Dans ces guerres mondiales, la chose nouvelle à vrai dire n'est pas l'ampleur, mais cette qualité sans précédent qui fait d'elles des opérations de la population terrestre et oblige par là à se demander si juridiquement, politiquement, éthiquement, on peut encore les concevoir comme des guerres au sens ancien. S'il n'y avait pas changement de qualité, seulement d'ampleur, de telles questions ne surgiraient même pas».20 Désormais, l'administration publique; la propagande; le conditionnement médiatique; la tyrannie de la majorité à son paroxysme, nous font payer le prix fort de la sécurité sociale et médicale en introduisant la sphère publique dans nos vies privées; d'un autre côté, par les réseaux sociaux et l'inventaire innombrable de ses modélisations, nous assistons à l'intrusion dans la vie publique de la sphère privée d'individus souvent pire que médiocres. Les ressentiments ponctués d'éructations obscènes se substituent progressivement à la démocratie et deviennent le socle de nos actuels populistes qui n'hésiteront pas à bouffer du woke pour récupérer l'entièreté de la pensée et de la forme de droite. Nous prenons à peine conscience de ce danger, et comme il ne reproduit pas le schéma de l'entre-deux-guerres. nous voyons nos socialistes bon teints, par leur enthousiasme écervelé, détruire l'œuvre des gauches du dernier demi-siècle. C'est ainsi, que reproduisant la formule (contingences/nécessité = l'historicité, qu'il m'apparaît que la logique de l'histoire, à la période de l'Anus Mundi, pourrait s'exprimer par cette formule :

                                             hygiénisme

                                                                > Déclin

                                            guerre civile

 


Jean-Paul Coupal 

Sherbrooke,

28 décembre 2021


Notes

1 G. Bechtel. Délires racistes et savants fous, Paris, Plon, réed. Press Pocket, Col. Agora, # 261, 2002, p. 228.

2 M. Carrouges. La mystique du surhomme, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des Idées, 1948, p. 422.

3 M. Foucault. Histoire de la sexualité, t. 1 : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des histoires, 1976, p. 157.

4 L. Poliakov. Bréviaire de la haine, Paris, Calmann-Lévy, rééd. Livre de poche, # 3834, 1951, p. 425.

5 Cité in R. Girardet. Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, Col. L’Univers historique, 1986, pp. 118-119.

6 T. Zeldin. Histoire des passions françaises, t. 5 : Anxiété et hypocrisie, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, # H55, 1981, p. 464.

7 G. Vigarello. Histoire des pratiques de santé, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, # H258, 1999, pp. 280-281.

8 G. Vigarello. ibid. pp. 306-307.

9 Cité in Z. Sternhell. Ni droite ni gauche, Paris, Seuil, Col. XXe siècle, 1983, p. 305.

10 D. Morton. Une histoire militaire du Canada, Sillery, Septentrion, 1992, p. 295.

11 P. Accoce & P. Bentchnick. Ces malades qui nous gouvernent, Paris, Stock, réed. Livre de poche # 5092, 1976, p. 124.

12T. Todorov. Face à l'extrême, Paris, Seuil, Col. La couleur des idées, 1991, p. 215.

13 P. Milza. Les Fascismes, Paris, Imprimerie Nationale, Col. Notre Siècle, 1985, p. 403.

14P. Fussell. À la guerre, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, # H331, 2003, p. 341.

15Cité in M. Martinet. Culture prolétarienne, Paris, Maspéro, Col. P.C.M. # 159, 1976, p. 37.

16E. R. Curtius. Essais sur la littérature européenne, Paris, Grasset, 1967, p. 305.

17Cité in P. Muray. Céline, Paris, Gallimard, Col. Tel, # 312, 2001, p. 158.

18T. Todorov. op. cit. pp. 324-325.

19T. Todorov. ibid. p. 328.

20E. Jünger. Le mur du temps, Paris, Gallimard, Col. Idées, # 434, 1963, p. 256.

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