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Usine de la Singer à Saint-Jean-de-Québec
PRÉFACE, 2017
Si
je remets aujourd'hui les textes d'Une
histoire de Saint-Jean-sur-Richelieu, ce n'est sûrement
pas pour rendre hommage à une population dont l'absence de dignité
et d'honneur est tout à mon avantage.
Ce
texte, je le remets pour les historiens, les anthropologues de
l'avenir, tous ceux qui s'intéresseront à une ville dont le nom
aurait pu (et dû) être fictif. Depuis 50 ans, les édiles de
Saint-Jean-sur-Richelieu sont le pire ramassis de corrompus
politiques qui phagocytent les budgets municipaux ou entourent les
députations, tant au provincial qu'au fédéral. Totalement vidés
de toute intelligence, de tout projet pour ressourcer leur patelin
endormi au gaz, plutôt que de faire une édition livre de ce texte,
ont gaspillé les fonds publics à une murale sans intérêt qu'ils
n'entretiendront pas plus qu'ils n'ont entretenu jusqu'ici leur
patrimoine historique.
On
pourra dire que personne ne m'a rien demandé. Et c'est vrai. Qu'on
ne m'a jamais promis ni salaire, ni emploi, ni quelques fonctions
pour profiter de mes mérites. Et c'est vrai. On pourra dire qu'on a
préféré piller ces ouvrages plutôt que de les valoriser. Et c'est
vrai. On pourra dire également que toute la population de la ville
ne doit pas souffrir de la négligence douteuse de ses édiles tant
elle a, par certains, manifester une bonne volonté aussi
ostentatoire que vaine. Et c'est encore vrai. Mais cela ne change
rien à ce que je viens d'écrire. Cinquante ans de saloperies
municipales témoignent en ma faveur.
Aussi,
restera-t-il aux historiens et aux anthropologues de l'avenir un
modèle afin de réfléchir et comprendre comment une ville
québécoise naît, se développe, dépérit et meurt. Car
Saint-Jean-sur-Richelieu est une ville sans attrait, morte, vieillie
dans ses façades gelées. Les citoyens les plus riches s'amusent à
jouer aux personnages historiques en faisant des soupers fins sur le
Pont Gouin ou en faisant du radicalisme péquiste au nom d'une
identité qu'ils n'ont même pas su conserver pour leur ville et
prétendent défendre pour l'ensemble du Québec. Autant d'hypocrisie
et de mauvaise volonté me font plaindre ceux qui demeurent encore
dans ce trou noir ou pour respirer, vaut mieux s'expatrier et faire
ce que l'on a à faire en s'adaptant une identité autre qui, au
moins, aura un écho respectable.
Quoi
qu'il en soit, et je ne m'étendrai pas sur des ressentiments vains.
La ville de Saint-Jean-sur-Richelieu m'écoeure et à la manière de
Gide, je terminerai sur ces mots : Johannais, je vous hais.
Jean-Paul
Coupal
17
mars 2017
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Sommaire:
Présentation
L’Âge du
prestige (1840-1940)
L’ÂGE DU PRESTIGE § 3.
LES TRÈS RICHES HEURES DE LA SINGER
1905-1945
L'implantation de l'usine Singer à Saint-Jean. Ce n’est donc pas pour rien
que la troisième phase de l’Âge du prestige de Saint-Jean commence avec
l’installation de cette mégamanufacture de machines à coudre qui détourne
l’attention des fraudes de la Banque. L’invention d’Isaac Singer et la
compagnie à laquelle elle donna naissance, The Singer Manufacturing Company,
dont la maison-mère était au New-Jersey, ne touchait pas seulement le
milieu industriel, mais aussi celui de la consommation de masse. La première
succursale de vente Singer au Canada est ouverte à Toronto en 1857 et en
1883 la Singer commençait à manufacturer dans son usine de Montréal. Son
succès contraignit la maison-mère à trouver un nouvel endroit où produire ses
machines à coudre destinées à l’exportation en Amérique du Sud. En 1903,
toujours sur sa lancée, Singer poussa son regard vers Saint-Jean, située
au cœur des voies de communications fluviales et ferroviaires. La compagnie
fait promesse à la Ville d’employer 2 000 personnes dès ses débuts et près d’un
millier juste pour la construction de l’usine, appelée à devenir la plus grosse
du Canada. Le Conseil municipal pense aux retombées qu’une telle entreprise
peut générer. En retour, la compagnie se protège en faisant inscrire dans le
contrat l’octroi de terrains et de privilèges, ainsi que l’exemption de taxes
et la concession de droits que la Ville lui fait.
Il y a bien quelques réticences au début, mais Le Courrier de Saint-Jean, journal
de Jacques-Émery Molleur, se charge de faire la propagande pour faire accepter
la venue de la Singer. Cette propagande ira au-delà de toutes
espérances. On discute beaucoup des concessions qu’exige la compagnie :
«
Or, ces concessions : c’était la livraison
franche et nette de toute charge d’un terrain de 26 acres, une exemption de
taxes et de contribution foncières pour une période de 20 ans, la ville
s’engageait de plus à fournir et à ses frais pour l’usage exclusif de la
compagnie une voie ferrée pour relier le terrain de l’usine à celui du
Grand-Tronc; un quai sur le bord de la rivière Richelieu avec des hangars
appropriés, lequel sera relié à l’usine par un tramway construit par la
municipalité sur la rue Saint-Paul, enfin fournir toute la quantité d’eau dont
la compagnie aura besoin. Mais cette dernière mesure allait coûter cher à la
corporation de la Ville de Saint-Jean».
La Ville accepte les conditions, et si la Ville s’est montrée généreuse
envers la Singer, le gouvernement provincial l’est tout autant : il
autorise d’importantes coupes de bois à Thurso (bois qui sera utilisé pour la
fabrication des cabinets) et octroie une subvention de $ 20 000 pour la
construction de l’aqueduc privé et la construction du quai sur les berges du
canal. On entreprend alors le creusage
d’un canal de 2 pieds de diamètre qui passe sous la rue Saint-Paul et se rend
jusqu’à la rivière afin d’alimenter en eau l’usine :
«Le Courrier de Saint-Jean
reprochera les
dépenses occasionnées pour la construction de ce canal en 1909, lorsque la
situation à Saint-Jean sera critique (crise économique) et qu’on s’apercevra
que la Singer
ne remplit pas ses promesses, n’employant que 500 hommes.
Le journal profitera de la tenue d’élections municipales pour remettre en
question le rôle du conseiller Alphonse Gervais, qui se présentait maintenant
comment maire, et qui avait agi comme président du comité des finances lors du
règlement 92…»
De plus, l’Aqueduc de Saint-Jean intente une action en dommages de $
100 000 pour infraction aux droits qui lui sont conférés par sa nature. Les
coûts du canal s’élèvent à $ 30 000. Sans compter le boni versé par la ville au
montant de $ 29 972.30 à la maison-mère du New Jersey et ainsi, selon le
conseiller Gervais, il en coûtera en tout $ 50 000 à la ville pour l’installation
de la Singer : «La seule chose que la ville retirait, c’était un
intérêt annuel de $ 2 500 dollars mais en vertu du règlement 92, cette source
de revenu s’éclipsait rapidement car la cité devait payer environ $ 3 000
dollars par année pour les taxes scolaires de la Singer».
Malgré cela, Gervais est élu maire le 22 février 1909. Non échaudé par
l’expérience, le Conseil municipal redoublera d’efforts pour s’attirer la venue
de d’autres multinationales.
Ainsi donc, à l’été 1904, la Compagnie dispose de 3 ans pour ériger sa
nouvelle usine, sinon le terrain retourne à la municipalité. Le contrat pour la
construction est accordé à une compagnie de New York, la James Stuart and
Co., qui embauche 1 000 hommes pour les travaux. On se met aussitôt à l’ouvrage
et l’ampleur des travaux ne cesse de fasciner la petite population de
Saint-Jean dont la plus grosse usine était alors la Corticelli. Située à
la limite de la ville, elle est la plus vaste, la plus étendue et la plus
impressionnante des installations industrielles de la place :
«
Rien qu’en surface de planchers, la nouvelle
manufacture était 25 fois plus grande que l’usine originale de Montréal. Outre
la machinerie, de production ordinaire, elle possédait sa propre fonderie et sa
centrale de force motrice ainsi qu’un réseau étendu de voies ferrées. Au cours
de sa première année d’opérations, elle produisait plus de 50 000 machines à
coudre. Aujourd’hui, elle est capable de produire plusieurs fois ce nombre
annuellement».
Le coût d’une telle construction s’élève à $ 1 500 000 et comme la
compagnie est pressée d’entrer en opération, elle demande à la James Stuart
and Co. de terminer les travaux dès la fin de 1904. Le contracteur doit
donc presser le rendement des ouvriers au maximum. Des troubles ne tardent
guère à survenir :
«Les ouvriers de Saint-Jean furent les
premiers à se plaindre des mauvaises conditions de travail et de l’exploitation
dont ils se sentaient les victimes par la firme de New York. Il faut cependant
ajouter que les ouvriers johannais recevaient des gages inférieurs à ceux de
Montréal et des environs; et inférieurs à ce que l’union ouvrière de Saint-Jean
recommandait pour les employés de la construction.
C’est ainsi que les travailleurs de Saint-Jean
déclencheront une grève spontanée afin d’obtenir justice; c’est-à-dire une
augmentation de salaire et le même nombre d’heures que les autres employés. La
compagnie américaine se montrera intransigeante face à ses employés
inorganisés, elle se mit tout simplement en lockout.
Lors de cette grève on essaiera de dénigrer le
mouvement ouvrier en mettant sur le dos de l’Union ouvrière de Saint-Jean la
responsabilité du conflit.
Les leaders ouvriers locaux : Dionne,
Lamoureux et Lasnier durent apporter un démenti formel dans les journaux
locaux…
Les leaders syndicaux condamnaient les petits
entrepreneurs mais en même temps l’action des grévistes, ces derniers non
syndiqués, se voyaient abandonnés à leur sort.
On peut se demander si ce manque d’appui de
l’Union ouvrière de Saint-Jean n’a pas contribué à étouffer le mouvement de
protestation spontanée des ouvriers johannais? Toujours est-il qu’on entendit
plus parler de ce conflit dans les journaux locaux. Il est difficile de parler
ici de victoire patronale ou ouvrière car les sources se font discrètes à ce
sujet».
Du moins, la grève aura-t-elle retardé la fin des travaux de
construction prévue pour l’hiver 1904. De fait, l’usine n’ouvrira ses portes
que le 2 mars 1906. Le maire Cousins, M. Bennet, vice-président de la compagnie
et le consul des États-Unis, M. Deal, assistent à l’inauguration. Le 1er avril
suivant, les employés commencent à travailler. La section de la fonderie est la
première en opération, puis celle de la menuiserie car c’est seulement dans
l’usine de Saint-Jean que Singer construit les parties en bois et en fer
de ses moulins à coudre. En décembre 1906, la production quotidienne s’élève à
1 200 machines. Les dimensions de l’usine font qu’à ses débuts, Singer apparaît
véritablement comme une ville dans une ville, fonctionnant de manière autonome.
Sa voie ferrée occupe le centre de la rue Saint-Paul et s'étire sur une
distance de 8 kilomètres. La locomotive Singer, aussi surnommée le «p'tit char», est alimentée par un courant de 240 volts. En fonction depuis les
débuts de l'usine, il semblerait que le «p'tit char» aurait cessé de
fonctionner à l'hiver 1918. Selon les souvenirs, le «p'tit char», de
couleur rouge, était conduit par un employé qui faisait sonner la cloche pour
avertir les gens de son passage :
«
Son "petit train" faisait la navette
du quai à l’usine, transportant la glaise, le sable et la fonte en gueuse dont
on se servait dans la fonderie. La compagnie générait sa propre force motrice
et possédait son réseau ferroviaire ainsi que sa brigade de pompiers. Les
pompiers étaient des volontaires, travaillant dans la sous-division du
département de l’entretien de l’usine…
Elle pensait même construire des logements
pour ses ouvriers sur son terrain étant donné la pénurie qui subsistait en la
matière à Saint-Jean, au début du siècle. Ce projet n’aura pas de suite car
sinon on aurait pu dire que Singer
formait véritablement une petite
ville».
Encouragées par les opportunités d'emploi offertes par la compagnie, de
nombreuses personnes, toutefois, construisirent leur maison à proximité de
l'usine. Très vite le quartier se développera et deviendra la paroisse
Notre-Dame-Auxiliatrice. De plus, durant les années 1920, une vingtaine de
cadres et d'employés de bureau s’établiront sur le terrain de 26 acres concédé
par la ville à la Singer (à l'extrémité ouest, terrain borné par la rue Chénier
et au nord par la rue Saint-Jacques, à l'est par la rue Cousins et au sud par
le boulevard Gouin).
Dès l’époque, 80% des produits manufacturés à l'usine de Saint-Jean
sont exportés vers les pays d’Amérique latine ainsi que certains autres pays
d’Europe et d’Afrique. Ce véritable Moloch s’abattit sur la petite ville comme
s’il avait été parachuté des airs. En 2 ans, sa construction avait soulevé une
poussière qui mit du temps à retomber. Avec elle, de nouvelles usines
étrangères vinrent s’établir à Saint-Jean. Le 1er avril 1906, lorsque le
sifflet bien connu des usines appela ses employés au travail, répétant à tous
les jours, pendant des décennies, le même sifflement, et surtout à tous les 11
novembre, à 11 heures (rappel de l'armistice de 1918), cette voix du
progrès, comme l’appelait Le Canada-Français rythmait comme le
battement d’un cœur la petite ville qui était soudainement devenue grande.
Affluence d’entreprises industrielles étrangères et création d’industries
locales. La
Singer, en effet, montra la voie. Au cours des 30 années
suivantes, Saint-Jean se mérite le titre de Centre industriel. Des
industries appartenant à d’autres réseaux multinationaux s’ajoutent. Les
Américains comprennent l’avantage de la situation géographique de Saint-Jean.
Entre 1904 et 1912, ils investiront $ 2 000 000 à Saint-Jean.
D’abord, au tournant du siècle, s’établit la manufacture de la Vandeweghe
Limited, compagnie anglaise employant 150 ouvriers et dont la spécialisation
est le nettoyage et la teinture des peaux de phoques canadiens (Canadian
Seal). Elle occupe un terrain de 5 acres (50 000 pieds² de planchers) situé à l’angle des actuelles
rues Saint-Jacques et le Boulevard du Séminaire :
«
Jusqu’à l’incendie qui détruisit ses édifices
en 1927, la manufacture de Saint-Jean de la Vandeweghe Limited était la
plus vaste "dans son genre" de tout l’Empire britannique. Le siège
social et l’entrepôt de distribution, de la rue Saint-Paul à Montréal,
approvisionnait les salles de montre et entrepôts de la Vandeweghe Limited
à
Londres (Angleterre), Toronto et Winnipeg (Canada)».
En 1911, face à la Singer, s’installe un second grand
investissement américain : la Cluett Peabody & Cie, fabricant des
collets de chemise de marque Arrow ainsi que les chemises Arrow,
Cluett et Monarch, là où était la Columbia Matches, l'usine
d'allumettes. C’est un bâtiment de 5 étages, aux dimensions de 200 pieds
par 80 et suffisamment équipé pour fournir de l’emploi à 1 000 travailleurs.
L’édifice subsiste toujours. Après avoir abrité la compagnie Mantex, il est
devenu un édifice à condos. Cette même année 1911, des industriels locaux,
Armand et Édouard Ménard ouvrent une distillerie à Iberville spécialisée dans
la production des boisseaux gazeuses Ménard, distribuées en bouteille et dont
le format suggère l’étiquette commerciale la pochette à Ménard. En 1921,
la technique est renouvelée et l’entreprise emménage sur le site de l’ancienne
poterie des Industriels Farrar, à Saint-Jean. En 1924, la franchise d’embouteillage
et de distribution des produits Coca-Cola lui est acquise. La compagnie
porte le nom de Monarch Bottling Works au cours des années 30 et
deviendra plus tard Les Breuvages Ménard. À la fin des années 1970, elle
fournissait encore 850 postes de vente dans la région.
En 1913, Vernon Longtin (1896-1986) fonde l’Insuladuct Manufacturing Company Ltd qui devient en 1920
la L & N Company Ltd. Le seul article qui y est produit s’appelle Loonduct.
Fabriquants de boîtes de sortie, de câbles et fils électriques ainsi que
des garnitures pour conduits, Bill Northy et Vernon Longtin, en 1929, entrent
en pourparler avec Jack McAuliffe afin de fusionner la L & N avec la
Cables Conduits and Fittings Ltd, établie depuis 1912 dans l’ancien
édifice des pompes de l’Aqueduc de Saint-Jean. L’entente échoue. En 1953, la
multinationale italienne Pirelli se porte acquéreur de la Cable Conduits and
Fittings tandis que Longtin s’occupe de la production des articles restants
sous le nom d’Iberville Fittings Ltd.
Une entreprise éphémère
dirigée par Henderson Black père, la Richelieu Cordage fabrique des
cordes, mais bientôt elle est éliminée par la concurrence. En 1917 est fondée
la Dominion Blank Book par George Arthur Savoy (1873-1951). La Compagnie offre le service de papeterie commerciale de haute
qualité aujourd’hui connue sous le nom de Blue Line. Plus tard, une
filiale se détache, les Formules Commerciales Savoy Limitée, spécialisée
dans la production de papeterie destinée au commerce et à l’industrie.
En 1928, dans le même domaine,
s’établit la Kraft Paper Products Limited sur la rue Richelieu où elle
résidera jusque vers la fin du siècle. Cette entreprise, affiliée avec les
intérêts Longtin, se spécialise dans la fabrication de ficelles et cordes de
papier destinées aux industries de fils électriques, de rembourrage et
d’empaquetage. Les Longtin et les Savoy vont devenir les premiers grands
industriels régionaux et atteindre les sommets d’une nouvelle bourgeoisie
locale au cours des années qui suivront la Grande Dépression de 1929,
survivants heureux de la crise économique. Cette même année, Hervé Gaudette se
détache de la Cluett Peabody :
«La
St. Jeau Forsyth Co. Limitée fut fondée par Hervé Gaudette en 1928 dans
des circonstances bien particulières à une époque où la situation économique
affichait des signes avant-coureurs de la crise.
M. Hervé Gaudette travaillait à la Cluett Peabody, usine spécialisée dans la
confection des chemises pour hommes et enfants depuis 15 ans, quand la Cluett
Peabody dont le bureau-chef était en Ontario, décida de centraliser sa
production à Kitchener et du coup, fermer les portes de sa succursale de
Saint-Jean.
M. Gaudette résolu donc d’étudier la situation avec un compagnon de
travail F.-L. Pratt. Assisté d’un noyau d’une trentaine d’employés de milieux
qualifiés, ils fondèrent la St. John’s Shirt Manufacturing (1928) qui se prolonge aujourd’hui
dans la Saint-Jean Forsyth Co. Ltd. et dont le président actuel, M.
Gilles Gaudette est le fils du fondateur.
Cette entreprise locale engagea plusieurs milliers d’ouvriers et
d’ouvrières de la région depuis sa fondation, soit ici même à Saint-Jean ou
dans sa succursale de Napierville. Elle embauche actuellement plus de 200
travailleurs [1978]».
Enfin, parmi les entreprises
d’importance, en 1933-1934 s’établit à Saint-Jean J. B. Martin Limitée,
première manufacture de velours au Canada et affiliée à des intérêts français.
Toutes ces entreprises qui
se multiplient dans notre ville ont un caractère enclin au gigantisme et
les fait apparaître profondément étrangères à la vie économique traditionnelle.
Les capitaux étrangers forcent les portes de la ville comme jamais par le
passé. Il n’y a pas jusqu’au secteur agricole qui ne soit perturbé par la venue
de ces nouveaux géants de la production de masse. La nouvelle Manufacture de
laine de M. Coote, secrétaire de la compagnie, revêt des allures de
production industrielle. En 1937 :
«L’outillage
se compose d’un assortiment complet : 12 machines à carder, 6 à filer et 10
métiers à tisser; en outre tout l’appareil nécessaire pour laver, dégraisser,
teindre, fouler et finir la flanelle. Une machine à vapeur, puissante et
économique, fournit toute l’énergie voulue.
Le nombre des employés s’élève déjà à 45 et bientôt montera à 60. La
somme des salaires payés par la Compagnie se monte à $ 850 par mois. Il se
livrera cette année 400 000 verges de flanelle. Les bâtisses et machineries ont
coûté $ 31 000; elles sont louées à la Compagnie par M. Coote, elles lui seront
vendues, bientôt à raison de $ 80 000».
La mutation des usines de poteries sanitaires. Tout commença par un
incendie, celle de la vieille poterie de Farrar rachetée par les MacDonald en
1893. Ce fut probablement le plus grand incendie que connut la ville depuis
1876. En même temps, c'était la disparition d'une tradition du savoir-faire de
l'industrie de la poterie. Le bâtiment et l'équipement étaient une perte
totale. C'est alors qu'on construisit la nouvelle poterie MacDonald une fois
que les dernières ruines de l'ancienne usine furent balayées.
«C’est
aux environs de 1893, que la première pièce de céramique sanitaire jamais
utilisée au Canada, fut importée par Thomas Robertson & Co. Limited, de Montréal, de leurs associés
à Glasgow. Cette pièce de faïence était appelée bol à couronne et elle était
simplement un bol rond, avec un rebord de submersion ouvert, qui pouvait être
raccordé à une trappe sinueuse visible, soit en grès, soit en métal. Feu
monsieur J. M. Wilson, gérant de la Maison Thomas Robertson & Cie se
mit en rapports avec feu M. Henderson Black qui s’était toujours intéressé aux
diverses poteries de St-Jean, en ce qui concernait les possibilités d’y
manufacturer ces bols à couronne. Le résultat de leurs pourparlers fut que la
fabrication de la céramique sanitaire commença à St-Jean et la vaste entreprise
moderne actuelle se développa de ce modeste départ.
Il
était normal que plus d’un individu se soit rendu compte des possibilités
relatives à cette industrie, et en 1898, il existait trois manufactures de
céramique sanitaire à St-Jean. Entre temps, M. Bowler était mort et M. Knight
avait réorganisé son entreprise sous la raison sociale: The Dominion Pottery Company. La Canada
Stone China Ware Company Limited avait cessé son exploitation; mais une
partie de sa poterie, à l’angle des rues Longueuil et St-Georges, était
exploitée sous le nom : The Richelieu Pottery. Feu monsieur W. A.
Campbell qui, pendant sa jeunessse avait émigré d’Écosse à Philadelphie, était
parvenu à St-Jean dans la suite et avait été employé par le Canada Stone
China Ware Company, s’était associé avec feu M. Purvis; ils exploitaient une
poterie qui leur appartenait, sur la rue St-Pierre ouest, sous la raison
sociale: Caledonia Pottery. Vers cette époque, ces trois poteries
s’entendirent avec M. Henderson Black, à l’effet qu’il devait être chargé
exclusivement de faire leurs ventes pendant un certain nombre d’années à venir,
sous le nom de: The Potters Manufacturing Association. Cette entente
était sage et elle eut du succès; il en résulta que les affaires se
développèrent très rapidement.
Cependant, pendant cette
période, on s’aperçut que la manufacture de la céramique sanitaire avait fait
de tels progrès aux États-Unis, que les méthodes canadiennes devenaient
désuètes et afin de se maintenir au niveau des derniers progrès, on procéda à
une réorganisation en 1905, lorsque la Trenton Potteres Co., de Trenton, N. J., qui était alors la plus
importante manufacture de céramique sanitaire au monde, s’assura d’un intérêt
prédominant dans une compagnie qui fut fondée sous le nom de Canadian
Trenton Potteries Company Limited. Cette compagnie acquit la Richelieu
Pottery comme manufacture active et simultanément l’exploitation de la Caledonia
cessa. La Dominion Sanitary Pottery Company continue à fonctionner
comme entreprise indépendante; dans la suite, elle fut réorganisée sur la base
d’une capitalisation en actions, limitée, et elle fonctionne encore avec
succès, comme unité spécialisée dans une catégorie d’accessoires sanitaires
types.
De
1905 à 1910, la Canadian
Trenton Potteries Company Limited se développa continuellement et fit des
progrès incessants; de la catégorie limitée de produits qu’elle fabriquait à
ses débuts, elle passa rapidement à la série beaucoup plus étendue des articles
reconnus comme types aux États-Unis et depuis ce moment, elle s’est maintenue
intégralement au niveau des derniers progrès de l’hygiène qui ont été accomplis
sur ce continent.
En
1909, feu Mr Henderson Black acquit de la Trenton Potteries Limited, la part prédominante qu’elle avait dans
la Canadian Trenton Poteries Company Limited. L’année suivante, il céda
sa part à la Maison Crane Limited, qui en 1914 avait été organisée comme
branche canadienne de la Crane Company de Chicago.
Ce
transfert de parts a permis à la Canadian Potteries Limited de s’agrandir suivant les meilleures
méthodes de progrès. En 1910, elle acquit une étendue de terrain de deux acres
dans la partie nord ouest de la ville et sur ce terrain, on construisit une
usine de fabrication très moderne, qui est reconnue posséder le matériel le
plus récent et appliquer les plus nouvelles méthodes d’exploitation si
essentielles à la production de la plus belle céramique sanitaire en quantité
suffisante pour répondre aux besoins du pays.
Depuis qu’elle a pris possession de sa nouvelle usine, la compagnie a
augmenté continuellement le nombre des articles particuliers qu’elle fabriquait
précédemment; de plus, elle a remodelé une grande quantité de ses produits
types, de telle façon que le cachet artistique est venu s’ajouter à la qualité
pour obtenir des produits de la meilleure qualité.
La
céramique fabriquée par la Canadian
Potteries Limited est exclusivement en porcelaine vitrifiée massive et
comprend actuellement une série complète de bois pour vespasiennes, de lavabos,
d’urinoirs, de cloisons d’urinoires, d’éviers de laboratoires, d’accessoires de
salles de bain et autres spécialités diverses pour l’aménagement complet des
hôtels, des appartements, des résidences, des écoles, hôpitaux, des prisons,
des wagons de chemin de fer, ou des navires».
Il demeure significatif que l’industrie de la poterie, celle où le
capital régional fut le plus actif à la fin du siècle, passe aux mains
d’intérêts multinationaux. Crane est la seule de toutes ces entreprises
à avoir subsisté jusqu’à nos jours. Durant tous le XIXe siècles, les
industriels de la poterie de Saint-Jean avaient cherché à se distinguer par la
qualité, la finesse, les particularités dans le dessin ou l’estampille; avec la
poterie sanitaire succédait la standardisation des produits et de l’art de la
porcelaine. C’est à ce prix, on le constate, que les vieilles usines
centenaires de poteries ont dû de périr ou de survivre. La conversion à la
standardisation tuait l’originalité, et c’est là un mal qui appartient en
propre à l’industrie capitaliste de masse. Lorsque la crise majeure de 1929
frappera la plupart des petites entreprises industrielles locales, ce sont aux
capitaux étrangers que nous devrons l’organisation de l’économie régionale et
permettre au prestige de la ville de subsister encore quelques temps.
Dur éveil du mouvement ouvrier. Toutes ces usines qui viennent s'établir en
périphérie de la ville en un bref laps de temps d'environ 10 ans après
l'implantation de la Singer auront un impact décisif sur la courbe
démographique de la ville de Saint-Jean. En 1901, la population était de 4 030
habitants. Dix ans plus tard, ce chiffre monte à 5 903. La courbe s'engage dans
une ascension rapide : 7 734 en 1921; 11 256 en 1931; 13 646 en 1947 et 19 305
en 1951. Plus que jamais, la ville attire les gens de la campagne qui pense y
faire fortune et avoir une vie un peu plus «moderne» en tant que salariés. La
crise agricole a aussi aidé à orienter la jeunesse rurale à tenter son sort en
ville.
De plus la paix sociale règne. Aucun syndicat ne semble venir troubler
sinon l'expérience de la Singer ou l'Union ouvrière de Saint-Jean a agi
plutôt comme modérateur, condamnant la grève, les actions violentes de la part
des ouvriers (et non celles des patrons) et très proche du clergé. Aussi,
faudra-t-il attendre la crise de 1929 pour voir les syndicats devenir plus
combatifs. En 1935, à Saint-Jean, les ouvriers de la fourrure font une longue
grève, premiers contre-coup de l'industrialisation et de la lutte des classes.
En mai 1936, le syndicat catholique des imprimeurs est fondé : désormais on
rompt avec les grandes centrales américaines auxquels les syndicats québécois
étaient affiliés, ce qui donnera malheureusement des syndicats de boutique
souvent gérés par des aumôniers. En juin 1936, le syndicat des ouvriers de la
construction est organisé à son tour. Tous ces syndicats souffriront d'un
manque chronique de coordination lors des crises sociales.
En juillet 1936, les employés de la Canadian Potteries (Crane)
s'organisent en syndicat afin de mettre un frein à l'exploitation dont ils se
jugent victimes. Après leur syndicalisation, la compagnie tente de baisser les
salaires; un employé qui gagnait .65 ¢
de l'heure passe à .50 ¢, puis à .35 ¢. Les ouvriers travaillent 7 jours par
semaine pour $ 18.00 au lieu de $ 35.00. Devant les protestations ouvrières, la
compagnie effectue des renvois et la grève est déclenchée : «Les ouvriers
ont résisté farouchement aux attaques combinées de la police et des scabs,
envoyant même à l'hôpital un des voyous engagés comme constables spéciaux.
Après un mois de résistance, les ouvriers remportent la victoire, soit une
augmentation de .15 ¢ et le réengagement de tous les employés».
Passée la Seconde Guerre mondiale viendront le temps des grandes heures de
l'histoire du mouvement ouvrier johannais.
Le trauma Singer. La prolétarisation d'une masse urbaine n'est qu'un effet d’un rapide
développement industriel. À Saint-Jean, l'espace urbain déborde les deux voies
ferrées qui marquaient jusqu’alors les limites de la ville. Tandis que
disparaissent le commerce maritime et les vieilles usines de poteries, le
nouveau type de développement industriel ne va pas sans ébranler les valeurs
traditionnelles. Jusqu'où la libéralité des mœurs
johannaises est-elle prête à s’adapter à l’américanité que véhicule ce type
d’entreprises venues de l’étranger? La confrontation patronale/syndicale n’est
qu’une de ces nouveautés hirsutes. Mais le trauma le plus sévère fut reçu par
le monde des affaires johannais habitué à être sous la coupe des commerçants et
des édiles professionnels. L’arrivée de tels citoyens corporatifs dans la Ville
ne peut que changer les façons de faire d’une routine bien établie depuis la
fondation de la Municipalité de village voilà plus d’un demi-siècle. Mais il y
a un effet traumatique encore plus grave, et il concerne la façon dont les
hommes d’affaires locaux apparaissent dans cette rencontre comme le pot de
terre de la fable.
La problématique pourrait se
formuler ainsi : comment, pendant près d’un siècle et demie; depuis Sabrevois
de Bleury jusqu'aux entreprises commerciales ressuscitées après le Grand Feu
de 1876, les hommes d'affaires de Saint-Jean - armateurs, hôteliers,
commerçants en gros et détail, potiers, banquiers, etc. -, comment ces artisans
de la ville de Saint-Jean ont-ils pu se montrer si dynamiques au point de faire
de la ville un centre économique non seulement viable mais prospère pour se
retrouver, après 1906, dans une position attentiste, passive, réactionnaire qui
s'exprimera si souvent dans ce type de commentaire que l'on retrouvera régulièrement
dans Le Canada-Français : «la ville doit se faire belle pour attirer
les étrangers». En ayant bien en tête que nous attendons par les
«étrangers», les capitaux de développement. Ce qu'on appelle aujourd'hui l'immigration
économique?
C'est ici un sacrifice assez
sérieux; celui de l'auto-détermination. Comment des hommes audacieux,
aventuriers, défiant les sorts et promouvant les expériences, se font-ils
frileux, timorés, pusillanimes et pantouflards jusqu'à l'impuissance? Telle est
la source du déclin qui s'étiolera tout au long du XXe siècle.
Il est difficile d'expliquer
la chose autrement que par un événement majeur qui s'est produit au tournant du
XXe siècle, et le seul qui ait pu avoir un impact psychologique majeur, c'est
l'arrivée de la Singer. Qu'on se le dise : une manufacture - un plant
- s'élève de terre en 2 ans et d'une dimension jamais rencontrée dans la région
devant les regards à la fois émerveillés et inquiets des Johannais. Comment ces
hommes d'affaires auraient-ils pu penser qu'avec leurs finances défaillantes
malgré leurs activités, ils auraient pu donner naissance à un projet semblable?
Toutes les entreprises qui s'étaient établies dans la région depuis un siècle
et demi vivaient essentiellement des ressources de la région : le goudron de
Sabrevois de Bleury venait de la résine des conifères; le commerce maritime
s'activait sur le Richelieu et le lac Champlain; les hôtels profitaient du site
pivot entre Montréal et New York; l'industrie de la poterie du grès et du
gravier déposés jadis par les alluvions de la Mer de Champlain; il n'y a pas
même jusqu'à la Banque de Saint-Jean qui spéculait sur les terres agricoles et
le besoin des voies ferrées pour les cultivateurs de la région. Bref,
Saint-Jean prospérait parce qu'elle s'auto-déterminait - pour le meilleur comme
pour le pire -, mais puisait son énergie, ses forces, de ses ressources
naturelles et humaines.
Avec la Singer, c'est
autre chose. L'entreprise ne vit pas des ressources naturelles, tout au plus,
de la proximité entre Montréal et New York. Comme la plupart des autres
manufactures, elle aurait tout aussi bien pu s'établir ailleurs, mais les
offres présentées par la ville et le gouvernement l'ont satisfaite au point
qu'elle a choisi de s'établir à Saint-Jean. Elle profita sans doute des
ressources humaines de la place, non pour les placer en tête de l'entreprise,
mais uniquement comme ouvriers et fournisseurs. Déjà existe une certaine
indépendance entre l'usine et la ville. La Singer, comme le Collège
Militaire Royal plus tard, était une ville dans la ville. À un certain point,
étrangère à la ville. C'est ce gigantisme même qui en vint à agir comme un
bloquage de l'esprit d'entreprise traditionnel des capitalistes johannais. Du
coup est né un sentiment d'impuissance qui s'est transmis de génération en
génération jusqu'à nos jours, oubliant que la vie de la cité résidait dans ses
capacités à déterminer pour elle-même son développement plutôt que se
développer en fonction des intérêts extérieurs. Le sort de milliers de villes, partout
en Amérique du Nord, se trouva soudainement lié à une mono-industrie qui
elle-même était engagée dans une concurrence internationale. Dès que le destin
fatidique heurtait cette mono-industrie, l'entreprise fermait ses portes et
laissait les anciennes ressources humaines livrées à elle-même, sans filet de
retenu. Et quand la chose arrive, la bourgeoisie locale se révèle impuissante à
relever le défi, devenu impossible à ses yeux, et essaie de redonner un reluit
à un visage depuis longtemps défait afin de séduire de nouveaux investisseurs.
Le traumatisme n'est pas perçu sur le coup comme une blessure, pourtant il en
s'agit bien d'une. Elle se révélera le jour où les activités industrielles
s'épuiseront; lorsque l'une après l'autre, les shops fermeront leurs
portes, et lorsque les administrateurs de la Singer décampèrent en
emportant avec eux le fonds de pension des employés, l'insulte s’ajoutait à
l'outrage. En attendant, restait à quêter de nouveaux capitaux étrangers plutôt
que penser à s'organiser soi-même avec les ressources du milieu comme le
faisaient les vénérables ancêtres des XVIIIe et XIXe siècles. La pensée était
formatée sur l’impuissance liée à l’autonomie; que l'économie mondiale dicte
ses lois au marché et que nous n’avons plus qu’à nous y soumettre, car nous
n'avons pas le choix. En fait, nous ne pensons même pas à nous demander si
nous avons la capacité de choisir; le déni est plus facile que se donner le
courage de se ressaisir.
Voilà pourquoi le prestige
du dernier tiers du Siècle d'Or de Saint-Jean; de son Âge de Prestige
est un prestige factice. Le passage du développement régional est manqué. La
région se développera, mais sous la tutelle d'entreprises extérieures. Et,
pourquoi blâmerait-on les Johannais puisqu'en ce début de XXIe siècle les
gouvernements du Canada et du Québec ne pensent pas mieux qu'à régresser au
stade du staple system reposant quasi-exclusivement sur le prélèvement
des ressources naturelles? Il ne faut donc pas hésiter à constater que
l'intrusion étrangère, avec la Singer, appelle l'intrusion étrangère
dans les services de finances de la Ville et dans les prêts aux entreprises
commerciales. Des boutiquiers indépendants accepteront bientôt des franchises
pour une marque dont le rayonnement est provincial, sinon international dans
le but précisément de sauver leur commerce.
Fermeture de la Banque de Saint-Jean. En avril 1908, la Banque de
Saint-Jean cessa ses activités. La presse crut d’abord que c’était parce
qu’elle ne pouvait plus soutenir la concurrence des grandes banques et que
l'insolvabilité du chemin de fer de la Vallée-Est du Richelieu, qui avait coûté
$ 350 000 - la moitié de l'actif de la banque! - suffisaient à expliquer la
faillite. On ne pensait pas que ses administrateurs avaient commis des gestes
irresponsables. Mais bientôt, Philippe-Honoré Roy, qui était également député
provincial du comté, fut soumis à une enquête, puis un procès, condamné et
emprisonné. Au bout du compte, une fois les créanciers privilégiés remboursés,
il restait peu d’argent à répartir entre les petits épargnants. Au-delà de la
faillite financière, le procès causa un choc sans précédent parmi la
population. Était-il possible que le successeur du probe Félix-Gabriel
Marchand; que l’ancien Président de l’Assemblée législative, soit arrêté puis
condamné avec deux fripouilles? Il y avait eu d’autres faillites bancaires au
Québec, telle celle de la Banque Ville-Marie, mais l’ampleur des circonstances
qui entouraient la fermeture de la Banque de Saint-Jean donna naissance à des
rumeurs exceptionnelles sur la probité douteuse des institutions financières
québécoises. «Le 11 juin 1908, a eu lieu l’appréhension (note de Grand
Québec : ce terme a été utilisé à l’époque au sens d’arrestation) de
l’honorable P.-H. Roy, président de la banque défunte, de maître P.-L.
L’Heureux, gérant général de la Banque de Saint-Jean et de Philibert Beaudoin,
son assistent. C’est à l’intervention du ministre de la Justice lui-même que
cette arrestation est due. La plainte avait été faite au ministre par l’Association
des Banques. L’honorable P. H. Roy, l’ex-président de l’Assemblée législative
et ses deux collègues ont reçu signification des mandats d’arrestation à leur
domicile respectif. Malgré le mandat d’amener, ils ne furent pas conduits en
prison, mais gardés à vue jusqu’à ce matin, alors qu’ils ont comparu devant le
magistrat».
L’acte d’accusation comportait que les trois accusés ont sciemment
fourni de faux rapports financiers au gouvernement du Québec sur l’état
d’affaires de l’institution qu’ils dirigeaient. La faillite affecta
profondément Roy, qui dut garder la chambre tant l’affaissement nerveux l’avait
épuisé à la suite de l’éventuelle liquidation judiciaire. Il savait d’ailleurs
que l’Association des Banques et le gouvernement avaient mené une enquête
minutieuse sur les transactions de l’institution faillie, alors il reçut le
coup avec froideur, apparemment, comprenant bien que la commission de révision
devait nécessairement poursuivre, après avoir soigneusement examiné les
affaires de l’établissement. Tancrède Bienvenu a été nommé liquidateur de la
faillite. Ce gérant de la Banque Provinciale fit rapport de la faillite à
l’Association des Banques. Après ce rapport, la corporation soumit la question
au Ministre de la Justice. Trouvé coupable d'avoir sciemment fourni de faux
rapports au Gouvernement sur l'état des affaires de la banque qu'il dirigeait,
Roy est condamné à 5 ans de prison en 1909 et mourra un an plus tard, à
Montréal. Il était le beau-père du jeune nationaliste Armand Lavergne.
Arrivée des grandes banques
étrangères. L'industrialisation ne peut s'opérer sans le
mouvement parallèle d'urbanisation et l'urbanisation de masse entraîne
une plus grande consommation de produits de différentes provenances. Et cela, à
commencer avec le produit le plus important de tous : l'argent.
À la fermeture de la Banque
de Saint-Jean, il ne reste plus dans notre ville que la Banque des Marchands.
En 1922, son actif est de $ 139 500 000, ce qui n'empêche pas qu'elle se voit
obligée de fusionner avec la grande Banque de Montréal. Cette fusion provient
de l'état sévère dans lequel l'avait laissée la faillite d'un courtier, Thomas-Davidson
& Company de Montréal. L'édifice où logeait la banque et qui avait été
reconstruit en 1876 sur le site de l'ancien hôtel Mott est démoli en 1939 pour
être remplacé par le bureau des douanes. La Banque de Montréal construit cette
même année son édifice au coin nord-ouest des rues Saint-Jacques et Champlain.
Cet édifice est jeté à son tour par terre en 1979 pour faire place à une succursale
plus moderne.
La Banque des Cantons de
l'Est, dont le bureau-chef est à Sherbrooke et dont la succursale de Saint-Jean
est en opération depuis le 1er octobre 1902, à l'angle nord-ouest des rues
Saint-Jacques et Richelieu, fusionne à son tour avec la Banque Canadienne de
Commerce alors que son actif est de $ 27 600 000, et qu'elle est dans une
excellente situation financière. En 1975, la succursale de cette banque aménage
dans un nouvel édifice situé à l'endroit où s'élevait jadis l'Hôtel Saint-Jean,
sur la rue Richelieu.
La Banque Nationale, fondée
en 1860 avec son siège social à Québec, ouvre un bureau dans notre ville dès
1898, sur la rue Saint-Jacques, dans l'immeuble Black, occupé en 1978 par le
magasin Vogue. Quatre à cinq ans plus tard, elle aménage dans son
présent immeuble, au coin sud-est des rues Saint-Jacques et Richelieu. En 1924,
elle fusionne avec la Banque d'Hochelaga alors que son actif est de $ 52 000
000; en 1925, le nom est changé pour celui de Banque Canadienne Nationale.
La Banque Royale du Canada
ouvre son bureau en juillet 1913, dans l'ancien immeuble de la Banque de
Saint-Jean qu'elle modernisera en 1951.
Toutes ces banques offrent
des possibilités de financement nouvelles et propres au développement de
grandes entreprises commerciales et industrielles, mais elles rognent
l'autonomie économique de la région. Désormais, le capital étranger et
extra-régional peut participer au développement et à l'exploitation de la
région tout en déplaçant les profits réalisés ici pour être investis ailleurs.
Les tenants du régime peuvent toujours répliquer que ces banques permettent de
transférer des profits de l'extérieur pour être réinvestis dans la région, mais
l'argument perd de sa valeur lorsque nous sommes appelés à constater que cet
échange est éthiquement inégal.
Des commerces. Gros et
Petits. En 1911, un Américain du nom de Earle P.
Charlton, qui a fondé une chaîne de magasins populairement appelés quinze-cents,
ouvre une succursale à Saint-Jean. Cette même année, Charlton fusionne avec
F.-W. Woolworth, firme multinationale américaine. En 1930, c'est encore un
modeste magasin, mais après la Deuxième Guerre mondiale, il prend de
l'expansion et s'étend sur tout le rez-de-chaussée de l'édifice situé angle
sud-ouest des rues Saint-Jacques et Richelieu. La Compagnie prend tellement
d'envergure au sein du marché régional qu'elle pourra ouvrir, en 1974, un super
Woolco au centre d'achat des Galeries Richelieu, ce qui
condamnera éventuellement le Woolworth du centre-ville.
Nous sommes pourtant encore
loin du grand déferlement. Entre 1904 et 1929, beaucoup d'entreprises locales
vivront une ère de prospérité. Profitant de l'expansion urbaine consécutive aux
besoins de l'industrie, le marché local prendra des proportions propres à
satisfaire la clientèle accrue. Comme les Longtin et les Savoy parviennent à se
hisser au niveau du Grand Capital industriel, l'entreprise qui réussit le mieux
dans le commerce en gros est la firme Stewart-Denault, fondée en 1910 et qui
s'établit dans un entrepôt situé au coin des rues Richelieu et Foch, entrepôt
aujourd'hui disparu. Entreprise à caractère familial, épiciers en gros et
distributeurs aux détaillants, le fondateur en est D.-O.-E. Denault. En 1928, à
l'époque où la firme est en pleine croissance, elle possède un personnel de
livraison de 9 membres et un camion de livraison desservant la région. À cette
époque, Stewart & Denault se spécialisent dans le commerce des grains, de
la moulée et de la farine. Une immense publicité de la Quaker Flour orne
le mur du bâtiment de l'entrepôt situé tout à côté de la voie ferrée du
Canadien Pacifique, sur Laurier. Stewart & Denault desservira encore, vers
la fin des années 1970, un territoire de 60 milles de rayon et quelques 200
clients répartis en Marché S/D Alimentation, Chanteclerc magasin
d’accommodation et IND 500. Stewart & Denault sera également
distributeur exclusif de la marque privée GRAD dans la région.
Une entreprise établie bien
avant le Grand Feu de 1876, C.-O. Gervais, prospère toujours sous
l’habile direction d’Élisée Gervais. À cette époque, Gervais n’est pas
seulement une quincaillerie, c’est également une épicerie et une mercerie.
Durant le temps de la crise, les employés travaillent des semaines de 80 heures
payés au prix de $ 7.00/semaine. La Place du Marché verra s'agrandir l'Hôtel National
en 1906 pour répondre à la forte demande créée principalement par
l’implantation des usines Singer. Avec le siècle, la fréquentation du
marché aura tendance à diminuer pour ne reprendre qu’à la fin, avec un regain
pour les produits frais et biologiques de la terre.
Une autre entreprise
familiale croît sans cesse : la boulangerie Bissonnette, située sur la rue
Champlain. Durant cette période, c’est Oswald Bissonnette qui a hérité de
l’entreprise de son père, axée sur le commerce de fabrication et de
distribution du pain. La livraison se fait d’abord par une petite voiture tirée
par un cheval, puis par 3 voitures plus stylisées, tirées toujours par
des chevaux et une petite camionnette Mercury. À la fin des années 1970,
12 voitures-camions assureront la distribution quotidienne du pain Bissonnette
sur 5 parcours indépendants dans la région.
Les fondations d’entreprises
familiales se succèdent durant ce temps. En 1918, Louis O. Régnier ouvre une
petite pharmacie dans laquelle, plus tard, sera établi le magasin J.-Adrien
Boivin. Louis-Philippe Granger, ancien ouvrier de Bell téléphone et
propagandiste de la Société de colonisation dans l’Ouest, ouvre sa laiterie en
1921. Il achète la run de lait et les 6 vaches de Léandre Brault pour $
150.00. Vingt-huit laitiers desservent les 4 000 habitants de Saint-Jean en
1920. L’entreprise ne cesse de prendre de l’expansion, vend la crème, le beurre
et est la première de la région à pasteuriser le lait. Granger établit sa
laiterie sur l’actuelle rue Bouthillier. Il pourvoit ses employés d’une
assurance-salaire dont patron et employés paient chacun 50% de la prime. En
1935 est fondée une autre entreprise laitière, Samoisette, fondée par Georges
Samoisette. Elle a été acquise depuis par Granger.
Ancien vendeur d’assurances,
marchand de bois, Charles LeSieur (1884-1964) et son frère Maurice se lancent,
en juillet 1920, dans la vente de meubles et des services funéraires,
concurrençant ainsi Ovila Langlois en affaires depuis 1880 et dont le magasin fut
longtemps situé angle nord-est du carrefour Saint-Jacques et Richelieu dans
l’édifice que la raison commerciale Greenberg’s tiendra pendant
longtemps. Charles LeSieur achètera un salon funéraire à Grandby en 1944 pour
l'administrer avec son fils, laissant à Maurice le salon de la rue
Saint-Jacques.
En société avec Armand
Dussault, Eugène Dolbec fonde le restaurant Chez Dussault & Dolbec, aux
limites des villes de Saint-Jean et de Saint-Luc, juste devant la rivière. En
janvier 1955, à la mort des fondateurs, M. et Mme Alix reprennent le restaurant
à leur compte sous le nom de Alix et Dolbec. En 1969, le restaurant des
routiers deviendra Aux Délices et existe toujours au même endroit. À
l’autre extrémité de la ville, au coin sud-ouest des rues Saint-Georges et
Richelieu, le garage Lasnier & Galipeau, fondé par Moïse Lasnier et son beau-frère, s’occupe de l’entretien et de la réparation des automobiles. Le garage
distribue également de l’essence et on y vend des voitures de marque Chevrolet.
Le commerce des garagistes et distributeurs d’essence ne cessera de prendre
un essor considérable avec la prolifération des automobiles et des camions. La
plupart de ces petits commerces obtiendront des franchises des grandes
multinationales pétrolière. Mais nous y reviendrons. En 1938, devant la
multiplication des automobiles, la maison St. Johns Auto Parts est créée
sur la rue Champlain.
Autant de petits commerces qui ont pu traverser la sombre période de la
crise de 1929. Ils représentent l’investissement local le plus fidèle à la
tradition. Mais pour quelques commerces qui ont pu franchir les années
difficiles, combien ont été emportés? Pourtant, la rue Richelieu maintient
toujours une activité fébrile dans les affaires commerciales. La
diversification s'accentue. On y retrouve les magasins Silverman et Sedawey
(linge), Harris Zelser, les fleuristes Patenaude, le modéliste de chapeaux
Perras, la lunetterie Meunier, la quincaillerie C.-O. Gervais & Cie Frère,
les meubles Langlois, les meubles Roy et Goyette, LeSieur, l'épicerie E. M.
Store (l'épicerie Bilodeau), la librairie Bernard, la Commission des liqueurs,
Lanctot habits pour hommes, Adrien Boivin Haute couture pour dames, Georges
St-Germain chaussures, le restaurant Gavaris, le restaurant Thomas, la
charbonnerie Martel, Payette vêtements pour hommes, United Store, Woolworth (1911),
Photo Pinsonneault, American Spaghetti, New-York Café, la pharmacie Régnier,
les taxis Pépin, Lamoureux, les banques Nationale et Toronto Dominion, les deux
cinémas Capitol et Impérial, l'édifice des Chevaliers de Colomb avec au
sous-sol la salle de quilles Baillargeon, la Building Corticelli qui
confectionnait des bobines de fil à tisser. Sur Saint-Jacques, nous retrouvons
les meubles Milot, la librairie Choquette, les magasins de coupons Lerey et Harnois…
Toute la vie commerciale de Saint-Jean se poursuit entre les anciens types de
commerce privés et les nouvelles chaînes avec franchises. Les rues sont
sillonnées par Bourada et son superbe poney, vendeur itinérant qui, parmi un
bric-à-brac, vend le journal La Patrie. Il y a également d'autres
vendeurs itinérants portés par des charrettes tirées par des chevaux : le
laitier Samoisette par exemple.
En 1930, le centre-ville offre donc l’aspect qu’il gardera jusqu’à la
fin du siècle, les enseignes au néon en moins. Les trottoirs sont de ciment
depuis 1904. De magnifiques lampadaires, aujourd’hui disparus, et de grands
arbres bordent les rues, faisant tomber un voile de paix et de sérénité sur la
ville, en dépit des bordées de neige le long de la grand-rue.
Crise dans le monde agricole. La période entre 1904 et 1937 subit une crise
agricole majeure. La culture des terres a toujours permis l’aisance du monde
rural. Les terres fertiles du voisinage sont depuis longtemps renommées pour
leur richesse. La culture et l’exportation du foin faisaient une partie de
cette richesse régionale. Mais lorsque les grandes villes comme Boston et New
York d’abord, puis Montréal se convertirent à la traction électrique des
tramways, la chute des prix du foin fut catastrophique pour nos cultivateurs.
De tout cela, la région ne s’était pas entièrement relevée. On continua
certes à produire du foin, mais sur une plus petite échelle et pour les
fermiers locaux. D’autres parts, la nouvelle agriculture intensive ne réussit
pas à tous. On tente ainsi de cultiver, sur une base
industrielle, la betterave à sucre, expérience qui se termine de façon
désastreuse. On
pense à l’industrie laitière, aux entreprises qui mirent du temps à se délester
de leurs chevaux, mais qui réussiront à mieux s’implanter dans le monde urbain.
La culture maraîchère demeure le produit essentiel du domaine agricole régional
et continue à approvisionner la Place du Marché. La production, là aussi, est
forcée de s’engager dans le mode du développement industriel : l’industrie
laitière, l’élevage pour le grand commerce, les couvoirs pour approvisionner
les villes en volailles, des villes où se diffusent des épiceries toujours de
plus en plus grandes et qui ne doivent jamais se montrer en rupture de stock.
La modernité obligea les fermiers à investir dans leurs propres entreprises
pour survivre, c’est-à-dire emprunter aux banques, hypothéquer leurs biens
meubles et immeubles, survivre d’abord, profiter si possible. Hélas! tous n’y
parviendront pas.
La Fée Électricité. L'installation de toutes ces usines ne pouvait se
faire sans que la ville elle-même ne s'électrifie. Déjà, en décembre 1903, le
shérif Mayrand avait écrit au gouvernement du Québec, lui demandant
d'électrifier le Palais de Justice, ce qui se fit dès l'été suivant. Mais on
était encore loin d'une distribution domestique de la Fée Électricité. C'est en
1922 que la compagnie d'électricité Southern Canada Power fit un blitz
publicitaire pour vanter les avantages de l'électricité au détriment de
l'éclairage au pétrole : «Pressez un bouton et à l'instant votre maison a un
éclat radieux. Que c'est commode! Que c'est propre et hygiénique!».
Pourtant, dès 1889, deux entreprises d'électricité concurrentes s'installaient à
Saint-Jean, la compagnie Beauchemin qui mettait en place le système Thomson
& Houston de «la compagnie de lumière électrique La «Royale» de Montréal, et
la Craig et Fils, aussi de Montréal, qui possédait son propre système
d'éclairage :
«Le conseil de ville de Saint-Jean accorde à
la compagnie Royal Electric le privilège de fournir, pour une période de
5 ans, de l’électricité à la ville. Il approuve en même temps le transfert du
privilège de la Royal Electric à la compagnie Beauchemin.
Le contrat contient les clauses suivantes : la
lumière sera fournie à la ville aux prix indiqués. À savoir pour tous les soirs
de l’année, une lampe de la capacité de 20 chandelles coûtera $ 9.00, une de 40
chandelles $ 20 00, une de 125 chandelles $ 60 00. Le renouvellement des lampes
se fera aux frais de la ville. quant aux lampes à arc, pour les utiliser la
ville paiera $ 0.25 par soir. Ces lampes seront d’une force de 1 200
chandelles. Les charbons seront remplacés par la compagnie.
La compagnie jouit aussi du privilège de
vendre de l’électricité aux particuliers. Ceux-ci paieront par année, pour une
lampe de 16 chandelles, la somme de $ 9 00. Pour une de 32 chandelles $ 20 00
et pour une de 125 chandelles $ 60 00.
La ville se réserve la faculté d’acheter
l’usine électrique de la compagnie à l’expiration du contrat, qui a une durée
de 5 ans. Enfin la compagnie s’engage à fournir de l’électricité en quantité et
qualité voulues».
Chacune s'activait à mettre en place une petite centrale thermique avec
l'équipement indispensable : machine à vapeur, dynamo, etc. De nombreux poteaux
et fils apparurent dans les rues. En avril 1889, la compagnie Beauchemin
obtenait le lucratif contrat de l'éclairage des rues au moyen de lampes à arc.
Mais Beauchemin semble avoir été englouti par son adversaire Craig et Fils
puisque dès l'été 1889, on n'entend plus parler que d'elle. Beauchemin aurait
été nommé gérant de la compagnie adverse. La journée du 1er juillet 1889 «a
été chômée avec un éclat inaccoutumé dans notre ville». Il faut dire que la
lumière était vive et exempte des fluctuations de l'éclairage des anciens
fanaux. Certains commerces passèrent rapidement à l'éclairage électrique. Une
nouvelle entreprise fut formée : la Saint Johns Electric Light Company,
composée d'associés anglophones de Montréal et de Boston!
Étrange contrat que celui passé entre la Ville et la Saint Johns
Electric Light Company :
«
Elle doit fournir l'éclairage de la voie
publique du crépuscule jusqu'à au moins cinq heures du matin. Il ne semble pas
que les habitations aient bénéficié du service d'électricité avant l'automne de
1893, car c'est alors que la compagnie publie l'annonce suivante :
"Lumière électrique. La compagnie de Lumière Électrique de St-Jean, ayant
fait l'achat d'un des célèbres dynamos Thomson & Houston, de la capacité de
1 000 lampes, est maintenant en état de fournir la lumière électrique dans les
maisons privées tant à St-Jean qu'à Iberville". Les machines de la
compagnie ne tournaient que le soir et la nuit, produisant de l'électricité à
courant continu à seule fin d'éclairage. À ses débuts, l'entreprise n'était pas
tenue d'éclairer les rues lorsque la lune offrait une clarté suffisante. Les
prix sont d'abord fixés selon le nombre et la puissance des lampes utilisées,
mais, dès l'automne 1894, "la compagnie de lumière électrique de cette ville
a décidé d'établir des compteurs à ses lampes incandescentes…»
À l’automne de 1902, la Saint Johns Electric Light Company se
raccorde au réseau de la Montreal Light Heat & Power pour conduire
l’électricité jusqu’à Chambly. Le seul barrage hydro-électrique jamais
construit sur la rivière Richelieu l’a été en 1899 avec une capacité de 15 000
C.V.. Propriété de la Montreal Light Heat & Power, il sera démoli en
1963 pour être remplacé par un nouveau barrage. Un concurrent de petite taille,
la Pouvoir hydraulique de Saint-Césaire, alimentée par la Yamaska, s’établit à
Saint-Jean. Elle s’implante en 1903 avec bâtiment sur la rue principale,
machine à vapeur, génératrice, poteaux et fils. Elle charge au taux de 7½ ¢ par
1 000 Watts, ce qui équivaut à ⅜ ¢ par heure pour une lampe de 16 chandelles.
Cette compagnie déclarera faillite à l’automne 1907 et sera absorbée par sa
rivale qui détient maintenant le monopole et peut augmenter fortement ses prix.
C’est la Saint Johns Electric Light Company qui sera finalement racheté
par la Southern Canada Power, de sorte qu’en 1922 elle dessert
l’ensemble de la Rive-Sud, de Saint-Jean à Drummondville.
La folie s’empare de tout électrifier. Les édifices publics,
gouvernementaux, de l’hôtellerie s’éclairent à l’électricité. Des panneaux
publicitaires éclairés à l’électricité sont suspendus au-dessus de la tête des
piétons qui arpentent la rue Richelieu. Le nombre des abonnés se multiplie.
Avec l’hydroélectricité, c’est la capacité d’employer plus d’énergie pour les
entreprises. Charles Cousins, commerçant et meunier avise les cultivateurs
qu’il est prêt à moudre leur grain avec une meule électrique. La vie domestique
est bouleversée par la Fée Électricité. Un magasin d’objets électriques s’ouvre
à Saint-Jean. MM Beddoes et Lane vendent des appareils électriques
ultra-modernes. Les maisons multiplient le nombre de prises de courant. On
utilise des adaptateurs. La Southern Canada Power prend elle-même les
devant en vendant des poêles électriques, des machines à laver, des fers à
repasser, des grille-pain, des percolateurs, des samovars, des balayeuses
vacuum, des fers à friser, des machines à coudre et bientôt d’indispensables
réfrigérateurs…
«
Dans les journaux de Saint-Jean, on trouve en
l’année 1908 une première mention claire de réfrigération artificielle par un
appareil électrique. Elle concerne la beurrerie Copping, située sur la rue
Saint-Charles : "Dorénavant tout fonctionne à l’électricité et on
emmagasinera le beurre […] dans une immense glacière au moyen d’un procédé
électrique nouveau". Mais la réfrigération domestique ne commencera à se
répandre - timidement - que vers la fin des années 1920. Le 29 janvier 1929,
une foule d’environ cinq cents personnes se réunit dans une salle de Saint-Jean
pour entendre un conférencier présenter d’abord le nouveau "char"
Chevrolet, puis expliquer les avantages du "Frigidaire, cette invention
moderne, économique et sanitaire". Fini l’achat de blocs de glace du
vendeur ambulant! Finie la vidange du récipient d’eau de fonte des anciennes
glacières! On peut maintenant produire sa propre glace (pour rafraîchir les
boissons, etc.) avec de l’eau potable; "Avec un réfrigérateur électrique,
vous passerez un été bien plus agréable. Plus à s’inquiéter de la fraîcheur des
aliments - ils restent sains et délicieux pendant longtemps. Vous économiserez
par les gros achats de provisions à des prix spéciaux […] il y aura toujours
des cubes de glace […]. Les surplus se conservent frais».
Bref, Saint-Jean entrait progressivement dans l’ère de la culture
électro-ménagère qui subira une explosion après la Seconde Guerre mondiale.
Toutes ces modernisations qui défilent en rafales entraînent des
réactions parfois négatives. Il ne s’agit pas tant d’un grégarisme, comme
l’affirme Jean Gaudette, qu’une insatisfaction devant les moyens pris par les
entrepreneurs pour implanter - et profiter - de cet engouement pour les
nouveautés. L’engouement pour l’éclairage à l’électricité retombe assez vite
parce que le monopole de la Saint Johns Electric Light est onéreux et le
service pourri. Un accident mortel s’ensuit :
«
Un soir de septembre 1896, Cyrille Patenaude,
éclusier du canal de Chambly, tomba par accident dans l’écluse. Son compagnon
accourut pour lui lancer une bouée de sauvetage, mais, "au moment où M.
Patenaude tombait à l’eau, la lumière électrique qui éclairait l’écluse jusque
là s’éteignit tout à coup". Du fond du sas on pouvait entendre le
remuement de l’eau et les appels à l’aide du malheureux, mais l’obscurité empêcha
qu’on lui porte un secours effectif. On repêcha son corps quelques heures plus
tard. Le coroner conclut à une mort accidentelle, mais en jetant un blâme sur
la compagnie d’éclairage électrique, car les charbons de la lampe (à arc)
étaient entièrement consumés. D’un point de vue plus général, une voie publique
bien éclairée s’avère évidemment plus sécuritaire. Elle favorise une diminution
du nombre d’accidents de toutes sortes et une meilleure protection contre la
criminalité, les malfaiteurs préférant agir dans l’ombre. Aucun visiteur
arrivant dans une ville à la nuit tombée n’ira chercher un gîte dans une rue
sombre, et le citadin qui doit aller faire des courses le soir préférera
fréquenter les magasins situés sur les rues bien éclairés».
En effet, sous l’impulsion du journal conservateur de Jacques-Émery
Molleur, bientôt élu maire, Le Courrier de Saint-Jean lance un mouvement
visant à créer un réseau d’électricité publique, une «urbanisation de
l’électricité» propriété de la Ville, car depuis l’installation des
compteurs, les prix avaient triplé. Pourquoi ces profits iraient dans la poche
des entrepreneurs étrangers et non pas dans les goussets de la Ville qui en
aurait bien besoin. Le maire Molleur et son conseil mirent au point un
règlement autorisant la ville à établir un nouveau réseau électrique, mais le
projet n’obtint pas la majorité des votes des propriétaires. Des commerçants
préférèrent se munir de générateur à partir d’une lampe à générateur
d’acétylène, efficace et peu coûteuse. Le principe est simple : de l’eau tombe
goutte à goutte sur du carbure de calcium, produisant du gaz acétylène qui,
allumé, offre une belle flamme éclairante. En décembre 1898, Jules Audet,
propriétaire du Théâtre Royal, éclaire son domicile et son théâtre avec ce gaz.
Le mois suivant, une telle lampe illumine les bureaux du Canada-Français. En
juin 1899, c’est au tour des marchands de la rue Richelieu, Isaïe Hévey et
Ulric Normandin, de faire l’acquisition de cette lampe magique. Mais la plupart
des citoyens trop pauvres pour se payer les services de la nouvelle Fée
reviendront à leurs lampes au pétrole.
Reprise des activités militaires avec la Grande Guerre. En 1911, avec la croissance
des usines Singer, la population passe à 5 903 habitants. Trois ans plus
tard, c’est le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Sur le site
actuel, on trouve encore cinq bâtiments dont la construction remonte à 1839.
Communément appelés les Barracks, nous avons vu les différents sorts qui
atteignirent ce qui restait du Fort Saint-Jean. Accompagnés d'un édifice plus
récent, trois d'entre eux forment le quadrilatère historique. Placés à angle
droit, ces monuments délimitent un square ouvert aux quatre coins. De plan
allongé, ils comportent deux étages de briques de couleur ocre posées sur un soubassement
de pierre de taille et sont couverts d'un toit à croupes percé de cheminées
placées à intervalles réguliers. Le bâtiment qui fait dos à la rivière,
aujourd'hui le mess des officiers, est le plus imposant. Il se distingue par
deux avancées latérales plus basses et par un porche central. Les autres
constructions lui ressemblent par leur gabarit et leurs matériaux; toutefois,
leur composition et la distribution des trois portes au rez-de-chaussée
rappellent leur fonction première de casernes. Lorsqu'en 1952, les casernes
serviront de lieu à l'édification du nouveau Collège militaire royal de
Saint-Jean, ces édifices seront récupérés afin de servir à leurs nouvelles
fonctions de formation civile et militaire.
Les maires de Saint-Jean de la première moitié du XXe siècle. Il faudra attendre 1914 pour
voir la population urbaine dépasser en nombre la population rurale. La venue de
la Singer et des autres usines y a été pour beaucoup dans cette mutation
démographique. Dans ce contexte, la Municipalité de paroisse conserve quand
même son importance puisqu’elle agit comme l’administration municipale de la
périphérie rurale des villes. Alexis Dubois succède comme maire de paroisse à
Lévi Simard de 1906 à 1912, puis de 1912 à 1914 c’est au tour de Jean-Baptiste Granger
fils, puis Charles Fabien Lord de 1914 à 1919. De 1919 à 1924, Delphis Hébert
devient maire, puis Isaïe Lemieux de 1924 à 1935. Henri Roman est maire de 1935
à 1937, puis Isaïe Lemieux pour un second mandat de 1937 à 1939. Tous ces
maires de paroisse sont impliqués dans une production agricole qui s’oriente
vers de nouveaux horizons commerciaux. Des préfets assurent toujours la
direction de la municipalité du comté de Saint-Jean, regroupement des localités
rurales du comté.
En ce qui concerne la Municipalité de ville de Saint-Jean, de février
1903 à février 1907, Charles-Robert Cousins est maire de la ville. Marchand de
farine et de grains établi depuis 1881, il possède un immense entrepôt à
l’endroit où s’installera le magasin de meubles d’Ovila Langlois. Cousins est
un maire progressiste. Membre du Conseil municipal depuis 15 ans, Cousins œuvre
pour les améliorations pratiques des voies publiques. Saint-Jean, qui possède
déjà un système d’éclairage de rues, dispose à remplacer les files de madriers de
bois pour des trottoirs de ciment. Des pressions sont exercées de part et
d’autres, surtout de la part du Canada-Français, pour que le Conseil
municipal commence à couler ses premiers trottoirs de ciment sur la rue
Richelieu à partir de Saint-Georges. Des querelles s’élèvent entre les
partisans des trottoirs de ciment et ceux des trottoirs de pierres pour des
raisons de coûts. Le Canada-Français publie dans son numéro du 1er
juillet les calculs établis à propos du tronçon de trottoir qui mène de
l’actuelle Banque Canadienne Nationale au coin de la rue Saint-Jacques jusqu’à
la rue Saint-Georges : $ 1.48, soit 0.18 ¢ de plus que la pierre.
La question est importante, car il faut fournir une infrastructure
solide à toutes ces nouvelles autos qui soulèvent autant de poussière que les
voitures tirées par des chevaux. Il faut macadamiser ou utiliser l'asphalte
pour revêtir ces rues. Là encore, il s'agit d'épater l'œil de l’étranger
investisseur :
«
L’amélioration
de la voirie contenterait les Johannais, mais, "quand St-Jean aura des
rues bien entretenues, des trottoirs convenables, son coquet aspect charmera
davantage l’œil de l’étranger et l’invitera à venir s’établir au milieu de
nous. C’est ainsi que nous attirerons les capitalistes qui fonderont ici de
nouvelles industries dont tout le monde bénéficiera".[…] En attendant le
pavage permanent de la voie publique, la ville achète, en juin 1907, de
l’Austin Sprinkler Compagny de Montréal, une nouvelle arroseuses (qu’on
appelait "arrosoir"), d’une capacité de 600 gallons et tirée par deux
chevaux, dans le but de rabattre la poussière des rues. De plus, en octobre
1910, elle acquiert, de l’entreprise Moody & Sons de Terrebonne, une
dameuse hippomobile, sous la forme d’un rouleau de cinq pieds de diamètre, pour
l’entretien hivernal des rues».
En fait, les rues seront plus propres et praticables l’hiver que
l’été, lorsque la boue se mêle aux déjections des chevaux et des animaux de
fermes qui se baladent encore en ville, souvent en toute liberté.
De février 1907 à février 1909, Joseph Messier est maire. En mai 1907,
on entreprend la construction d’un nouveau bureau de poste. Après avoir partagé
avec la douane un immeuble, rue Richelieu, le bureau de postes s'installe en
1909 dans un édifice neuf à l’angle des rues Jacques-Cartier et Saint-Jacques.
Conçu par l'architecte J.E.H. Benoit de Saint-Jean, l'édifice d'inspiration
néo-romane caractérisé par ses arcs cintrés, est surmonté d'une tour carrée qui
affiche une horloge monumentale : «En brique pressée avec corniche, balustrade
et ornementations en pierre, de style classique dans la composition, l’édifice
mesure 45 pieds 7 pouces de largeur et 66 pieds de longueur surmonté de 2
tours; l’une avec cadrans, mesurant 75 pieds de hauteur, et l’autre 55 pieds.
Le maître de poste devait occuper le haut du bureau».
L’édifice ne sera terminé qu’en automne 1908. Lorsque le bureau de poste sera
déménagé rue Champlain, dans l’édifice Côté, du nom du député de Saint-Jean et
Ministre des postes dans le cabinet Saint-Laurent, l'immeuble sera converti en
bibliothèque municipale en 1963. Malheureusement, un incendie détruit le 3
janvier 1968 l'étage supérieur de l'édifice qui ne sera pas reconstruit. La
bibliothèque ira s'établir dans des locaux plus modernes, rue Laurier, tandis
que l'édifice servira à loger la Société historique. Notons qu'en face de
l'ancien bureau de poste, subsiste toujours la façade de la première église
Saint-Jean-l'Evangéliste qui date de 1828 (à l’arrière de l’église
cathédrale).Alphonse F. Gervais succède à Messier en février 1909. Il est un
ardent artisan de la venue de la Singer à Saint-Jean. Puis c’est au tour
de Luc Papineau élu maire en février 1913 et Joseph Pinsonneault en février 1916
jusqu’en février 1917. Sous ces mandats a lieu l’inauguration du pont Gouin, le
14 septembre 1916 et la Ville devient la Cité de Saint-Jean le 22 décembre
suivant. Le puissant homme d’affaires Henderson Black est maire à son tour de
février 1917 à février 1919, une photo-montage publiée sur la première page du
journal La Presse annonce son élection. Il devait être le dernier maire
anglophone de Saint-Jean.
Durant l’hiver 1916-1917 un nouvel épisode de fièvre typhoïde et de
rougeole frappe la population de Saint-Jean et cause la mort de plusieurs
personnes. Les autorités médicales blâment les eaux malsaines comme étant la
principale cause de ces fièvres malignes. Le Conseil de Ville décide alors de
prendre mesures pour éviter que de telles épidémies se reproduisent. En 1905
Auglore Molleur et son époux, Philippe-Honoré Roy, avaient fait installer la
station de pompage dans un nouveau local, à côté de l'ancien; mais plus
important encore, ils avaient mis en place de nouvelles prises d'eau tout juste
en amont de la ville, un peu au nord du pont ferroviaire du Central Vermont.
L'amélioration s’avérait toutefois insuffisante :
«
En effet, sur la berge, au sud et au nord du
pont, près de l'endroit où l'on puise l'eau, des commerçants, artisans,
entrepreneurs, particuliers… ont pris l’habitude de venir déposer des déchets qui contiennent beaucoup
de matières organiques d’origine animale et végétale, et dont l’amas se
prolonge sous l’eau sur une grande distance. De plus, les barges, attendant
leur tour de s’engager dans le canal de Chambly, peuvent rester stationnées des
heures, parfois un jour entier, notamment le dimanche, vis-à-vis de cet
endroit; l’eau est alors souillée par les différentes ordures et déjections que
les mariniers jettent par-dessus bord. Finalement, les casernes de l’école
militaire et leurs égouts sont situés en amont du site de la prise d’eau. La
meilleure solution serait donc de déplacer la prise d’eau en haut des casernes».
Un rapport accablant du Dr
Joseph A. Beaudry, inspecteur du Conseil d’hygiène de la province de Québec,
confirme que «l’eau de l’aqueduc est polluée ou gravement exposée à l’être».
En octobre 1907, on dénombrait encore une quarantaine de cas atteints de la
fièvre typhoïde. Par contre, une puissance politique comme Roy peut facilement
convaincre les journalistes de vanter la salubrité et la pureté de l’eau de la
rivière puisée par l’aqueduc. Au printemps de 1908, la saleté de l’eau
distribuée par l’aqueduc apparaît tellement évidente que le Ministère de la
Milice fait relier les égouts de l’école militaire avec l’égout collecteur de
la rue Richelieu, ce qui élimine une des sources de pollution de l’eau, mais
les déchets demeurent sur la rive et l’effet de ce transfert reste tout à fait
relatif. Pour rendre l’eau du Richelieu consommable, il faudra installer un
système de filtration.
«En
mars 1914, on installe temporairement, à l’usine de l’aqueduc un appareil pour
traiter l’eau à l’hypochlorite de chaux, appareil qui, plus ou moins bien
utilisé, s’avérera peu efficace. À cette époque, le Dr Charles F. Dalton de
Burlington, au Vermont, secrétaire du State Board of Health de cet État,
rencontre le Dr Narcisse-A. Sabourin, président du comité d’hygiène de la ville
de Saint-Jean, et lui affirme que le consulat américain de Saint-Jean a reçu
instruction de tenir les autorités de Washington au courant de la situation
sanitaire de Saint-Jean et que si, à l’ouverture de la navigation, cette
situation ne s’est pas améliorée d’une façon satisfaisante, le port de
Saint-Jean sera mis en quarantaine pour les navigateurs américains". Le
journaliste ajoute : "On exagère évidemment, en certains milieux, la
gravité de la situation, cependant cette situation est assez sérieuse pour que
nos autorités municipale […] prennent toutes les mesures possibles pour faire
cesser cet état de choses qui, non seulement menace la santé et la vie des
citoyens, mais encore fait du tort au commerce et à la réputation de la ville
de Saint-Jean à l’étranger».
Une fois de plus, c’était la
réputation de la ville… à l’étranger qui dut servir de levier pour faire
agir les autorités. Alors que Philippe-Honoré Roy tentait d’obtenir de la cour
le prolongement de son monopole, la Ville essayait de négocier, sans y
parvenir, une entente à l’amiable. Nous sommes alors en pleine guerre et
l’hiver 1917 s’avère tragique. Le Courrier de Saint-Jean annonce qu’«à
cause de l’épidémie de typhoïde et de fièvre intestinale qui sévit en notre
ville, deux élèves de cette excellente maison d’éducation [il s’agit du
séminaire qui doit fermer ses portes pour trois semaines en mars] sont morts
de la typhoïde et une trentaine d’autres ont été renvoyés malades dans leur
famille». Au printemps, la Ville
commande, d’une entreprise new-yorkaise une «machine automatique de
distribution de chlore liquide». Et J. Gaudette de poursuivre :
«En
mai, la Ville prend possession des installations de l’aqueduc et demande en
même temps des soumissions pour la construction d’un nouveau système de
distribution d’eau, comprenant une nouvelle station de pompage et de
filtration, de nouvelles canalisations sous les rues et un château d’eau, le
tout selon les plans préparés par l’ingénieur Royal Lepage de Montréal. La
firme Laurin & Leitch, aussi de Montréal, obtient le contrat de
construction pour la somme de 109 775 $. Notons que ce montant s’ajoutait au
dédommagement de 112 750 $ que la Ville avait dû payer aux propriétaires de
l’aqueduc, le total devant se financer par l’émission d’obligations
municipales. Les travaux débutent en août 1917 sur une portion du terrain du
parc Laurier située près de la rivière. Le gouvernement fédéral, propriétaire
de ce terrain, et qui le garde comme réserve militaire à côté des casernes,
accorde à la Ville un bail de 90 ans pour un dollar de loyer par année. En
1918, la construction d’une tour d’eau de 110 pieds de hauteur est terminée en
retrait de la rue Longueuil, sur le site le plus élevé de la ville, afin de
profiter au maximum de la gravité, et juste en arrière de l’endroit où se
trouvait le bureau et le réservoir (d’un type moins élevé) de l’ancien aqueduc.
Il s’agit donc d’un énorme réservoir, de la forme d’un cylindre vertical
couvert d’un toit conique, monté sur un pylône, et pouvant contenir 250 000
gallons d’eau. Son rôle est d’assurer une pression d’eau suffisante et uniforme
dans les canalisations, et il sera aussi utile en cas d’incendie ou de panne
d’aqueduc. On pourra voir sa silhouette se découper dans le ciel de Saint-Jean
pendant une soixantaine d’années, soit jusqu’à son démantèlement au printemps
de 1979».
Ne restera donc du vieil aqueduc que la maison de la rue Longueuil qui
abritait le réservoir de bois. C’est entre 1915 et 1918 qu’on élèvera le
château-d’eau, le réservoir démoli au début de juin 1979. Cette immense
structure métallique pesant environ 200 tonnes avait une capacité de quelques
175 000 gallons d’eau, donc plus petit que celui qui était prévu. Élevé en
hauteur, il assurait une pression qui permettait à une plus grande quantité
d’eau d’approvisionner demeures, commerces et petites usines de la ville de
Saint-Jean. Au début, le métal de revêtement du réservoir est noir et les
caractères de SAINT-JEAN sont en blancs. Plus tard, le métal sera gris et les
caractères noirs. Le contrat d’achat du terrain est daté de 1929. Le réservoir
nouveau servait également en cas d’incendie ou d’un manque à l’usine de
filtration jusqu’en 1971. Sa masse d’eau compensait la perte de pression dans
le réseau d’aqueduc et à cette date, une pompe sera installée à l’usine de
filtration pour relever cette fonction, rendant le réservoir désormais inutile. L’eau de la rivière est
maintenant traitée au «sulfate d’alun», filtrée au moyen de bains de sable,
puis chlorée. Enfin, les maladies d’ordre hydrique disparaissent de la vie
quotidienne des Johannais.
De février 1919 à février 1923, le docteur Alexis Bouthillier est maire
de Saint-Jean. Né à Saint-Constant le 29 juillet 1870, il s’établissait médecin
à Saint-Jean en 1904 après avoir pratiqué 8 ans à Saint-Blaise et 2 ans à
Montréal. Il aménage dans l’ancienne maison du maire Joseph Delagrave et du
courtier Charles Arpin, maison qui sera plus tard le pavillon des infirmières
et un centre au Département de Santé Communautaire de l’Hôpital du
Haut-Richelieu. Aujourd’hui cette demeure est laissée dans un abandon pitoyable
afin d’être éventuellement démolie pour permettre à un promoteur de couler un
stationnement. Échevin de la ville de 1915 à 1917, il est élu maire de 1919 à
1923 au moment même où il est élu député à la Législative.
De février 1923 à février 1927, Pierre Trahan, contracteur et
entrepreneur de la ville, patriarche des entreprises Trahan, est élu maire. De
février 1927 à juin 1936 - plus de 9 ans ce qui exceptionnel comme durée -,
Georges Saint-Germain est maire à son tour. Sous son mandat, le 2 décembre
1929, le Conseil de Ville passe une résolution dans laquelle il déclare «avoir
vu et étudié le nouveau sceau municipal et les armoiries de la Cité préparées
sur la suggestions de M. l’abbé Armand Chaussé, Supérieur du Collège de
Saint-Jean». Il s’agit du blason comportant les armoiries de Saint-Jean : «la
partie inférieure du blason de teinte verte symbolise les sols, le centre
argenté représente les eaux du Richelieu et la partie supérieure sur fond bleu
figure l’azur. L’aigle, tenant dans son bec un laurier, symbolise Saint-Jean
l’Évangéliste. Les ailes de l’aigle sont déployées en guise d’envol et
corroborent la devise de Saint-Jean : in alta».
La Cité offre ses remerciements à l’abbé Chaussé et vote une somme de $ 25. -
somme énorme pour ce temps de crise généralisée -, qui est remise à Mère
Sainte-Jeanne de la Visitation pour «le travail des préparation et
confection du sceau et des armoiries» Il faudra attendre 1966 pour que la
Cité enlève le drapeau Union Jack sis au-dessus de l’aigle et qui confère au
blason la forme d’un écu anglais. Aujourd’hui, tel qu’il se présente, le blason
a la forme d’un écu français.
Joseph P. Maynard succède au maire Saint-Germain en février 1939.
Durant toute cette période, le siège de l’Hôtel de Ville est situé dans un
édifice sis à l’angle nord-ouest des rues Jacques-Cartier et Place du Marché.
Beaucoup plus modeste que l’actuel Hôtel de Ville, c’est un édifice de 2 étages
plus une mansarde. Un grand mur de pierres longe la rue de la Place du Marché,
à l’arrière de l’Hôtel de Ville. L’édifice sera démoli en 1955. Le service des pompiers réside toujours à l’édifice de la pompe, derrière la Place du Marché.
Le personnel est toujours aussi nombreux. En 1906, 22 hommes assurent la
protection contre les incendies et 3 voitures tirées par les chevaux le
déplacement du matériel et le transport des hommes. Les incendies, pour leur
part, demeurent un fléau craint par tous. En 1925, un incendie ravage tout
l’édifice situé à l’angle nord-ouest des rues Champlain et Place du Marché. Les
pompiers n’eurent pas loin à faire pour se rendre, de sorte que les fondations
sont à peu près restées intactes, grâce à la vigilance du chef de la police et
des pompiers de l’époque, M. Philias Meunier.
En février 1939, Georges Fortin est élu maire de la Cité de Saint-Jean,
c’est lui qui accompagne Maurice LeSieur lors de la célèbre visite guidée du
Parlement fédéral par le député Martial Rhéaume afin d’obtenir l’École
d’Aviation à Saint-Jean dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale. Moïse
Lebeau lui succède en mai 1942 jusqu’en février 1945. C’est l’époque cruciale
de la guerre pendant laquelle Louis-O. Régnier est président régional pour les
différentes campagnes d’emprunt pour la victoire. Le 18 octobre 1943, le maire
Lebeau lui donne la souscription de la Cité :
Joseph
Solyme Messier (1907-1909)
Alphonse
Frédéric Gervais (1909-1913)
Luc
Papineau (1913-1916)
Joseph-Laurent
Pinsonneault (1916-1917)
Henderson
Black (1917-1919)
Alexis
Bouthillier (1919-1923)
Pierre
Trahan (1923-1927)
Georges
Saint-Germain (1927-1936)
Joseph-Frédéric
Mayrand (1936-1939)
Georges
Fortin (1939-1942)
Moïse
Lebeau (1942-1945)
À partir de 1911, les noms de rues de Saint-Jean commencent enfin à se
franciser. Les noms anglais, encore abondants, cèdent devant des noms français.
Des rues même sont rebaptisées. Un plan de Town of
Saint-Johns de cette année présente aussi bien les rues existantes que
celles projetées par les ingénieurs de la Cité. On a la curiosité d’y voir des
noms de rue plutôt étranges : une rue Jackwood qui n’a jamais existé et des
rues Drolet et West qui apparaîtront bien plus tard. La rue Saint-Thomas, le
terme ancien qui a subsisté le plus longtemps, est rebaptisée Foch après le
passage par Saint-Jean du maréchal français qui a mené les troupes alliées
durant la Grande Guerre. Saint-James devient naturellement Saint-Jacques de
même Market Place du Marché. Lemoine se transforme en Frontenac; Factory ou
Glass Factory en Boulevard Gouin; Park, qui va jusqu’aux cours de tennis à
l’arrière du Cégep actuel et qui existe encore à sa largeur initiale à cet
endroit, devient Montcalm; Grant devient Laurier; Duchesne en Notre-Dame;
Saint-John, appelé le rang des amoureux en ce temps-là, prend le nom de
Mercier; Albert devient Collin du nom du curé; Queen passe à Bouthillier, du
nom du maire et député, Saint-Peter se traduit par Saint-Pierre; Allen en
Cousin en l’honneur du maire Cousins; West deviendra MacKenzie King du nom du
Premier ministre libéral du Canada; Drolet se fera Papineau; Alexandre sera
Lafontaine; Hermine deviendra Dollard et enfin Henry en Black. Des traductions
littérales de noms de saints, on change parfois complètement le nom de la rue
pour honorer une personnalité locale, tradition qui se poursuit de nos jours.
Des rues percées à travers des champs abandonnés ou cultivés par des petits
fermiers s’étirent jusqu’au boulevard Saint-Joseph. Si le centre-ville est
parfaitement dessiné, les paroisses Saint-Edmond et Notre-Dame-Auxiliatrice
vivent encore entre la campagne et la ville.
Députation fédérale au
milieu du XXe siècle. Les députés que Saint-Jean
envoie à la Chambre des Communes à partir du début du siècle se feront moins
visibles que leurs prédécesseurs Bourassa et Béchard. À partir de 1900, le
Parti Libéral est assuré de conserver le comté de Saint-Jean-Iberville pour les
65 prochaines années. La dynastie des Demers occupe les 20 premières années de
l’histoire du comté fédéral au XXe siècle.
Louis-Philippe Demers est
élu député à la Chambre des Communes en 1900. Sa première sortie importante, de
concert avec le député provincial du comté, Philippe-Honoré Roy, se porte
contre le Cour Suprême qui a osé briser un jugement rendu par un tribunal de
première instance dans un procès contre le Canadien Pacifique et reconfirmé par
la suite par la Cour d’appel. Roy propose un bill qui restreint le droit
d’appel - de le limiter aux tribunaux de la province -, en matière de droits
civils et de propriété. Louis-Philippe Demers présente un bill analogue aux
Communes afin de limiter la juridiction de la Cour Suprême aux causes fédérales
et interprovinciales. Toutes ces mesures contribuent au mouvement anti-impérialiste
qui déchire la politique fédérale. Demers participe également à une cabale
contre son prédécesseur, Israël Tarte, qui est redevenu candidat conservateur
et tente de se faire élire dans le comté de Sainte-Marie à Montréal.
L’animosité envers le transfuge est particulièrement féroce. Le 28 mars 1905,
Demers prononce un discours aux Communes, en anglais, en faveur des Écoles du
Nord-Ouest, après Rodolphe Lemieux et Henri Bourassa… avant Armand Lavergne,
nationaliste et gendre de Roy. En 1905, Louis-Philippe Demers est nommé juge à
la Cour Supérieure du district de Saint-François, ce qui lui laisse quand même
le temps de participer à la fameuse campagne du comté de Drummond-Athabaska où
se présente un candidat du Parti Nationaliste d’Henri Bourassa, définitivement
séparé du Parti Libéral. Son candidat est élu. Les Libéraux décident de prendre
leur revanche dans l’élection provinciale du comté de Saint-Jean à la mort de
Gabriel Marchand. Cette campagne, qui verra l’élection de Marcellin Robert,
permet à Demers, le 26 novembre 1910, libéral respecté de son parti, de prendre
la parole dans son propre comté, entouré des plus grandes figures du parti,
dont Raoul Dandurand et Ernest Lapointe. L’élection de Robert est assurée et
l’affront de Drummond-Arthabaska vengé.
Dans cet affrontement entre
Libéraux de Laurier et Nationalistes de Bourassa, Demers participe encore à une
assemblée tenue par le libéral Rodolphe Lemieux à Saint-Constant le 18 juin
1911. Les problèmes entre la langue française et la langue anglaise
s’accentuent dans les luttes qui précèdent le déclenchement de la Première
Guerre mondiale. Demers se veut le défenseur des droits des francophones :
«La
Province de Québec ne lâchait pas. En Cour Supérieure de Montréal, dans une
affaire entre plaideurs anglais, un témoin demanda s’il pouvait déposer en
français. - "Certes, monsieur, dit le juge Demers, ce n,est pas au moment
où nos voisins d’Ontario contestent les droits de notre langue que nous en
abandonnerons une parcelle chez nous". Et il dut réprimer les
applaudissements. Le juge Louis-Philippe Demers était l’ancien député de
Saint-Jean et Iberville, qu’il avait en quelque sorte concédé à son frère en
montant sur le banc. Érudit et très distingué, il enseignait le droit à
l’Université. À son cours suivant, les étudiants lui firent une ovation»
À partir de 1906, en effet,
Marie-Joseph Demers avait remplacé son frère comme député libéral du comté aux
Communes. Il participe donc aux frictions opposant impérialistes et
nationalistes canadiens-français, Parti Libéral et Parti Conservateur. La
division du Parti Libéral est la cause de la défaite de Laurier devant le
Conservateur Borden. Le problème des Écoles du Keewatin prolonge la crise des
Écoles du Manitoba, et Marie-Joseph Demers vote dans le même sens que ses pairs
libéraux. Aux Communes, il ne cesse d’attaquer les ministres conservateurs
alors que nous sommes en pleine guerre mondiale. Marie-Joseph Demers est réélu
en 1911 puis en 1917. De plus, il participe à la défense de la langue française
ouvertement attaquée par les Ontariens qui refusent son expansion dans leur
province (l’affaire du Règlement XVII).
Les libéraux critiquent la
conscription, mais non la participation à la guerre. Les conservateurs,
soutenus par les impérialistes, reprochent aux Canadiens-français de ne pas se
porter volontaire au front. Demers et Lapointe défendent le patriotisme de ces
derniers. Comme son frère, Marie-Joseph Demers est nommé à son tour juge à la
Cour Supérieure. Cet honneur oblige donc le comté à se choisir un nouveau
député fédéral. L’élection partielle de 1922 porte au siège Aldéric-Joseph
Benoit qui restera député de Saint-Jean jusqu’en 1930. Élu avec 2 551 votes de
majorité sur son adversaire, l’avocat Stanislas Poulin, c’est lui qui inaugure
le monument du fort Saint-Jean en 1926. Le discours que Benoit prononce à cette
occasion laisse présager la politique que suivront les députés fédéraux jusqu’à
nos jours : la défense de l’agriculture et le développement de la base
militaire. Présidant une succession de fêtes patriotiques et nationales,
Aldéric-Joseph Benoit fera peu parler de lui, inaugurant l’ère des députés
fédéraux back benchers. Réélu en 1926, il ne se représente pas aux
élections fédérales de 1930 et cède la candidature à Martial Rhéaume «boucher et dépeceur de viandes» qui, jeune, faisait partie de l’équipe de hockey Les Canadiens de
Saint-Jean alors que Paul Beaulieu en était le capitaine durant la saison
d’hiver 1923-1924! qui est assuré de son siège aux Communes pour les 15
prochaines années. Le mandat de Rhéaume, coincé entre le gouvernement King, la
Seconde Guerre mondiale et la crise de la conscription. Le gouvernement King
s’était fait réélire avec la promesse faite aux Canadiens-Français du Québec
qu’il ne proclamerait pas la conscription. Mais les pressions du Canada-Anglais
sont trop fortes et King pense soulager sa conscience en portant la question en
référendum : «Consentez-vous à libérer le gouvernement de toute obligation
résultant d’engagement antérieurs restreignant les méthodes de mobilisation
pour le service militaire». À la question ainsi posée, le comté fédéral de
Saint-Jean-Iberville-Napierville, sur les 20 510 électeurs inscrits, 16 328
vont voter dans 92 bureaux de votation. Sur ce nombre, 164 votes sont rejetés,
2 362 répondent OUI mais 13 802 votent NON. Dans la Province de Québec, 376 188
répondent OUI et 993 633 répondent NON. Mais c’est le vote canadien qui
finalement est appelé à décider : 2 943 5143 sont en faveur du référendum
fédéral et 1 643 006 répondent non. La majorité des OUI est aussi écrasante au
Canada que celle des NON l’est au Québec. Aux élections de 1945, les Libéraux
fédéraux ne peuvent être certains de garder le comté avec Martial Rhéaume comme
candidat, il est donc remplacé par J. Alcide Côté.
Louis-Philippe Demers (1900-1906)
Marie-Joseph
Demers (1906-1922)
Aldéric-Joseph
Benoît (1922-1930)
Martial
Rhéaume (1930-1945)
Un député de Saint-Jean termine sa carrière en prison. Philippe-Honoré Roy, dont
nous avons beaucoup parlé, succéda à Félix-Gabriel Marchand à sa mort, en 1900.
Il restera député du comté provincial de Saint-Jean jusqu’en 1908. Cet avocat
et hommes d’affaires né à Sabrevois était, en 1894, secrétaire de l’Association
Saint-Jean-Baptiste. Il invitait les sociétaires à fréquenter les basars
organisés le jour de la fête de la Saint-Jean par un comité de dames
patronesses dirigé par madame Béique, épouse du député libéral de
Saint-Hyacinthe et conseiller de Laurier. La collecte avait pour but de «contribuer
au parachèvement d’un édifice destiné à la gloire et la forteresse de notre
nationalité canadienne-française», c’est-à-dire le Monument National, à
Montréal. À l’époque, Roy n’était pas encore inscrit au Parti Libéral. Comme
Tarte, il se fit transfuge du Parti Conservateur le soir du 24 avril 1896,
lorsque Laurier lança sa campagne électorale au Parc Sohmer, à Montréal, dans
une atmosphère de kermesse avec défilés patriotiques et feux d’artifices. Roy
se précipita alors, comme un nouveau Claudel politique, vers les bureaux du
journal Le Soir afin de répudier ouvertement le Parti Conservateur. À la
mort de Marchand, il sauta directement dans l’arène politique. Au cours des
élections du 25 novembre 1904, il est réélu contre ses adversaires, Me Antonin
D. Girard, avocat conservateur et James O’Cain, marchand de charbon et ancien
président du Parti Libéral du comté de Saint-Jean. La candidature de Roy ne
fait donc pas l’unanimité parmi les militants libéraux. C’est au moment où Roy
tient à lui seul les rennes de la Banque de Saint-Jean. Le Premier ministre
Simon-Napoléon Parent doit lui aussi affronter la tourmente : beaucoup de ses
stratèges, dont le plus important est Lomer Gouin, s’opposent à sa politique
entachée d’irrégularités. Roy se lie avec Gouin. Le 15 janvier 1907, à
l’ouverture de la session, Philippe-Honoré Roy est élu Orateur de l’Assemblée.
Réputé pour sa courtoisie, il devient en 1908 l’homme lige du puissant Trust
électrique Montreal Light, Heat and Power Company au moment même où il
décide de se porter candidat à la mairie de Montréal. L’électrification urbaine
est une excellente occasion de faire de l’argent et, on le sait, Roy n’a jamais
assez de sous en poche. Il apparaît donc comme le candidat du Trust. La
Presse et La Patrie lui opposent l’échevin Louis Paquette, important
entrepreneur de Montréal. Paquette est élu par 14 710 voix contre 11 914 pour
Roy.
Les élections à la mairie de Montréal ont lieu en février 1908, le 8
juin suivant, Roy abandonne son poste de député de Saint-Jean pour laisser la
place à Gabriel Marchand. Il n’a d’ailleurs pas le choix. Le scandale de la
Banque de Saint-Jean vient d’éclater et la fermeture décrétée. Le procès
s’ensuit et Roy est reconnu coupable. Il décède le 17 décembre 1910 dans sa
cellule à la prison de Saint-Vincent-de-Paul. Une telle disgrâce n’est pas
courante. Avoir brigué de si hautes fonctions (le Président est le personnage
le plus important de l’Assemblée législative) et manipulé tant d’argent, la
Fortune s’était retournée contre lui d’une manière impitoyable qu’on n’ose plus
imaginer aujourd’hui. Pour le comté, ce n’était là que la première d’une série
d’impromptus.
Impromptus dans le comté provincial de Saint-Jean. Chaque fois qu’un député de
Saint-Jean meurt en fonction, c’est l’occasion de grands bouleversements au
sein du gouvernement provincial et du Parti Libéral. Non pas que le premier
fait soit la cause du second, mais que le premier se déroule toujours au moment
même où ce bouleversement ajoute à une crise partisane interne. Ce fut le cas à
la mort de Félix-Gabriel Marchand; ce sera le cas à la mort de son fils,
Gabriel, comme ce le sera à la mort du docteur Bouthillier. En 1910, à la mort
de Gabriel Marchand, le parti est menacé par le rayonnement du Parti
Nationaliste d’Henri Bourassa, qui débauche beaucoup parmi les rangs libéraux,
tandis qu’en 1942, le décès accidentel du député libéral sera l’occasion pour
l’équipe de l’Union Nationale de Maurice Duplessis de prendre, pour la première
fois, le comté aux Libéraux.
Gabriel Marchand est élu en juin 1908. Né à Saint-Jean le 29 janvier
1859, il étudia le droit et fut reçu avocat en 1884. Son bureau était situé à
l’angle des rues Saint-Jacques et Longueuil. Tout comme son père, il était
devenu rédacteur en chef du Canada-Français. Tout aussi intéressé à la
politique que son père, il fut son secrétaire alors qu’il était Président de
l’Assemblée. Ce travail fut toutefois de courte durée puisque Gabriel Marchand
fut nommé protonotaire à la Cour Supérieure pour le district d’iberville en
novembre 1887. Le 8 juin 1908, Gabriel Marchand se présente pour succéder à Roy
et rassurer ainsi les électeurs après un mandat qui a laissé beaucoup
d’amertume parmi les citoyens. Cet homme, dont l’éducation fut suivie de près
par son père, touchait lui aussi à la littérature et on lui doit la composition
d’une pièce de théâtre qui semble assez bien le refléter : Le Timide, qu’il
fait représenter, avec grand succès, au Théâtre des Nouveautés à Montréal.
Durant cette période troublée, la présence de Marchand dans le comté de
Saint-Jean est un atout certain pour le Parti Libéral, et ce jusqu’à ce que la
mort le saisisse subitement, le 16 septembre 1910, à sa résidence de
Saint-Jean.
Le Parti Libéral du Québec sort alors d’une défaite humiliante. Henri
Bourassa vient de faire élire son candidat dans le comté de
Drummond-Arthabaska. Le cheval de bataille que monte Bourassa est la Marine
canadienne dont il voudrait qu’elle ne serve que les intérêts immédiats du
Canada et non de l’Empire britannique. Le mot conscription flotte déjà
dans l’air alors que les tensions sont énormes en Europe. Le 26 novembre 1910,
lors de l’élection partielle, les ministériels libéraux-fédéraux Brodeur,
Béland et le sénateur Raoul Dandurand entourent Louis-Philippe Demers, député
de Saint-Jean aux Communes et Ernest Lapointe qui prennent la parole à
Saint-Jean dans le but d’expliquer que les Lois de la Marine ne signifient
nullement la conscription. Le 3 décembre suivant, Conservateurs et
Nationalistes répliquent, toujours dans le comté de Saint-Jean. Neuf orateurs
se succèdent en démontrant que si les Lois de la Marine ne signifient pas la
conscription, elles en préparent le terrain. Pendant ce temps, les Libéraux
provinciaux ont porté leur choix sur le candidat Marcellin Robert, cultivateur
à l’aise de Saint-Blaise, pour être le prochain député du comté de Saint-Jean.
L’opposition conservatrice lui oppose un cultivateur instruit, Henri Hébert.
Lomer Gouin est chef du Parti et Premier ministre. Le Canada-Français proclame
le mot d’ordre : Il faut que Saint-Jean soit la revanche de
Drummond-Arthabaska!
L’absence de Bourassa cause un sérieux handicap à l’organisation des
Nationalistes provinciaux. Le chef est en effet parti mener sa propre
enquête sur la situation internationale en Europe. Les Libéraux, de leur
côté, décident de ne pas renouveler l’erreur de la campagne fédérale de
Drummond-Arthabaska en ne négligeant pas la propagande dans le comté. Ainsi,
ils envoient leurs meilleurs orateurs supporter le candidat Robert - qui
disparaît bien vite derrière les grandes figures du parti -, tandis que les
Nationalistes ne trouvent aucun orateur qui puisse faire aussi bien que
Bourassa lui-même. Les résultats ne se font pas attendre et le 29 décembre, le
candidat du gouvernement l’emporte par une majorité de 600 voix, sensiblement
plus forte que celle de Gabriel Marchand en 1908.
Marcellin Robert est ainsi élu quatrième député du comté de Saint-Jean et
complète le mandat de Gabriel Marchand (1910-1912).
Une fois élu, on relègue bien vite le nouveau député aux oubliettes.
L’important, après tout, n’était-ce pas de venger le coup de
Drummond-Arthabaska? Pis encore. À la convention libérale pour l’élection de
1912, la candidature de Robert est contestée! Cette fois-ci, c’est le comté qui
vit un schisme et non le Parti. En effet, le Parti Libéral du comté est divisé
par la fameuse querelle qui oppose alors le Collège Sainte-Marie-de-Monnoir au
nouveau Collège de Saint-Jean, sous la direction de l’abbé Papineau et consacré
par l’archevêque, Mgr Bruchési. Aux grands maux, les grands remèdes pour sauver
le comté du schisme : c’est Lomer Gouin lui-même qui se portera candidat dans
Saint-Jean. Gouin est allié à Mgr Bruchési dans la querelle du Collège et un
interdit romain vient confirmer la décision de l’Archevêque de Montréal. Le
Collège Sainte-Marie-de-Monnoir sera obligé de fermer ses portes et de
disperser ses frères enseignants. Devant cette décision, l’opinion publique est
montée à la fois contre Bruchési et Gouin. Qu’importe, il faut obstruer la
césure qui menace de faire passer le conservateur :
«
… aux élections du 15 mai, le Premier
ministre s’était fait élire à la fois dans Portneuf et dans Saint-Jean, fief
libéral. Bien qu’il eût l’intention d’opter pour Portneuf, son comté natal, il
n’en restait pas moins, jusqu’à nouvel ordre, député de Saint-Jean à la
Législative. Et l’opinion était assez montée pour que Sir Lomer Gouin et le
député fédéral Joseph Demers fissent une démarche auprès de Mgr Bruchési le
priant d’autoriser les prêtres à rouvrir le collège (Sainte-Marie-de-Monnoir)
après leur soumission. L’archevêque, courtois mais inflexible, se retranche
derrière la décision romaine».
Une fois la tempête passée, Gouin peut démissionner du siège de
Saint-Jean pour déclencher des élections partielles où Marcellin Robert pourra
se présenter à nouveau. Il est élu le 10 novembre 1913. C’est sous son second
mandat que sera construit, entre 1914 et 1916, en pleine guerre, le pont Gouin,
prétexte à de somptueuses cérémonies où les 2 alliés de la veille dans
l’affaire du Collège de Saint-Jean, Sir Lomer Gouin et Mgr Bruchési, sont
rassemblés. Marcellin Robert reste député jusqu’en 1919.
Lorsque Marcellin Robert se retire de la vie politique, le docteur
Alexis Bouthillier se porte candidat libéral aux élections générales du 23 juin
1919 afin de représenter le comté de Saint-Jean à la Législative. Il est élu,
puis réélu sans interruption en 1923, 1927, 1931, 1935, 1936 enfin en 1939
(pour le nouveau comté de Saint-Jean-Napierville). Imbattable dans son comté,
le médecin rallie derrière lui une bonne partie de la population, restant ainsi
21 années consécutives député du comté.
Le Dr Bouthillier est un député différent de ses prédécesseurs.
Politiquement, son mandat est terne. Il n’a pas l’activité fébrile d’un
Marchand ni les ambitions de Roy. Il semble même que le seul rôle politique
important qu’on puisse lui attribuer serait sa mort tragique! Cela tient sans
doute à sa personnalité. Âme généreuse disponible pour soigner les pauvres
gratuitement, il n’en demeure pas moins un homme doté d’une humeur acariâtre.
Il n’hésite pas à blasphémer en présence des religieuses qui administrent
l’hôpital de Saint-Jean. L’engagement politique est pour lui un moyen
d’améliorer les soins de santé dans la Province et surtout son comté. Ainsi,
obtient-il du gouvernement provincial $ 250 000 pour l’agrandissement de
l’hôpital de Saint-Jean. Il obtient un montant identique pour le réaménagement
du pont Gouin, dont le tablier est déjà trop étroit pour les automobiles qui
circulent maintenant dessus. C’est d’ailleurs la quote part du gouvernement
provincial sur une somme de $ 500 000 attribuée pour ce pont. De nombreux
travaux routiers sont entrepris, surtout sur les routes Saint-Jean-Montréal et
Saint-Jean-Rouse’s Point. Après l’incendie du Collège de Saint-Jean, il faudra
contribuer à la construction du nouveau Séminaire. Pendant les heures sombres
de la Grande Crise de 1929, le Dr Bouthillier réussira à obtenir de Québec la
somme de $ 234 385 en octroi pour travaux de chômage et une somme de $ 37 000
en secours direct.
Le 1er mars 1932, le Dr Bouthillier vend sa résidence de la rue
Jacques-Cartier à la Communauté des Sœurs Grises. Les religieuses s’en servent
alors pour donner des cours et y loger les infirmières de l’hôpital voisin. Le
prix de vente est de $ 19 300. Le Dr Bouthillier déménage dans sa splendide
demeure de Saint-Blaise, le Château Beau Castel. Sa réputation est telle
qu’il pourra soustraire le comté à la vague bleue de 1936 qui porte,
pour un premier mandat Maurice Duplessis de l’Union Nationale au pouvoir. Les
choses auraient sans doute continué ainsi si le destin n'avait frappé une nouvelle
fois un député de Saint-Jean à la Législative.
Dans l'après-midi du lundi 2 décembre 1940, une automobile contenant 2
passagers est violemment heurtée par un train à la hauteur du passage à niveau
de la rue Champlain, non loin de la gare du Canadien Pacifique. Le conducteur
du véhicule, le maire Wilfrid Girard de la paroisse Notre-Dame-du-Mont-Carmel
de Lacolle n'a pas aperçu le train. Celui-ci happe la voiture qui reste
accrochée à ses flancs et la traine sur une certaine distance, jusqu'au viaduc
qui enjambe la rue Richelieu. L'auto reste suspendue dans le vide, attachée au
chasse-pierres de la locomotive. Une foule se précipite sur les lieux du
spectaculaire accident. Le conducteur, placé à la gauche du véhicule, le maire
Girard, s'en sort indemne à l'exception de quelques égratignures. Mais qu'elle
n'est pas la stupeur des citoyens de reconnaître en l'autre passager le député
Bouthillier.
Les gens s'empressent de sortir le docteur de l'automobile. On parvient
à arracher une porte arrière, à basculer le siège avant de façon à avoir le
blessé dans la position horizontale. Le docteur, assis à la droite du
conducteur, a reçu le coup de la collision. Il n'a pas perdu connaissance et on
s'empresse de le conduire à l'hôpital où les radiographies révèlent qu'il a
subi une fracture du bassin et du thorax. Le matin du mercredi 4 décembre 1940,
le Dr Bouthillier décède à l'âge respectable de 70 ans. La peine est grande à
Saint-Jean et le deuil est général dans tout le comté. La dépouille mortelle
est exposée en chapelle ardente dans le salon des médecins de l'hôpital de
Saint-Jean où 10 000 personnes défilent de manière ininterrompue devant le
corps. Des imposantes funérailles sont présidées par Mgr Forget et le corps est
inhumé dans le Nouveau cimetière de Saint-Jean. Avec lui disparaît aussi le
dernier Âge de Prestige de la Ville de Saint-Jean. Une relève de génération
vient de sonner.
C’est ainsi que le jeune Paul Beaulieu peut être élu député de l’Union
Nationale dans le comté de Saint-Jean. La constance libérale est définitivement
rompue, mais Saint-Jean se dote d’une nouvelle réputation, celle d’être comté
baromètre; c’est-à-dire que le député du parti élu à Saint-Jean annonce le
parti qui formera le prochain gouvernement.
Gabriel
Marchand (1908-1910)
Marcellin
Robert (1910-1912)
Lomer
Gouin (1912)
Marcellin
Robert (1912-1919)
Alexis
Bouthillier (1919-1941)
J.-Paul
Beaulieu (1941-1960)
Deux nouvelles paroisses. Devant l'afflux de nouvelles populations dans le
quartier nord (entre les voies du Canadien Pacifique et les nouvelles
résidences proches de la Singer et les limites de la paroisse de
Saint-Luc), le 5 octobre 1906 est fondée la paroisse Notre-Dame-Auxiliatrice et
l'abbé Pierre-Déziel Labrèche, alors vicaire de la paroisse-mère
Saint-Jean-l'Évangéliste, en est nommé curé. Bien qu'il n'y ait pas encore
d'église, les célébrations religieuses se déroulent dans une maison privée
appartenant à Mme D.-E. Langlois, sur la rue Saint-Paul. C'est là que le curé
Labrèche célèbre le premier baptême (22 octobre 1906) et le premier décès (25
octobre 1906), ainsi que 2 mariages la même journée, le 26 novembre 1906.
L'année suivante, et jusqu'en 1924, l'église aménage dans une chapelle
dont la pierre angulaire est bénite le 28 avril 1907 par Mgr Armand Racicot,
évêque-auxiliaire de Montréal. Il s'agit d'une construction de brique dotée
d'une double volée d'escaliers et 2 rangées de lucarnes au toit. Cette chapelle
sert également d'école et de presbytère. Une façade de l'édifice donnait du
côté de la rue Salaberry et servait de résidence aux religieuses de la
congrégation de Notre-Dame qui enseignaient dans la paroisse. Cette bâtisse
s'élevait au milieu de l'actuelle cour de l'école J.-Amédée-Bélanger. La
bénédiction de la paroisse est prononcée par Mgr Paul Bruchési, le 15 décembre
1907.
Dès 1920, les paroissiens parlent de construire une véritable église,
et le 4 décembre 1921, un terrain situé entre les rues Saint-Louis et
Saint-Joseph est choisi comme site. Le 19 septembre 1926, Georges Gauthier,
administrateur apostolique bénit solennellement le soubassement de la future
église. Le 8 décembre suivant, on inaugure l'église par un grand concert et à
Noël, on y célèbre la messe. Depuis, ont succédé au chanoine Labrèche, décédé
en mars 1940, le chanoine Wilfrid Fernet (1940-1947), le chanoine J. Alcide
Gareau (1947), le curé Jean Lequin et puis Mgr Bernard Courville (1977).
L'église est fermée depuis le début du nouveau siècle. Cette église était faite
pour desservir une paroisse pauvre. L'intérieur de la nef est sombre et, même
si elle a conservé l'idée du banc seigneurial, l’ambiance intérieure est une
véritable métaphore de la shop qui était le lieu quotidien de ses
paroissiens.
En 1930, les résidents, qui habitent le territoire s'étendant de la
voie ferrée du Canadien National au nord et les limites sud de la ville, se
plaignant de la distance les séparant de l'église Saint-Jean-l'Évangéliste,
signent une requête demandant la création d'une nouvelle paroisse en se fondant
sur l'accroissement de la population catholique du quartier. Le 8 mars 1930,
l'érection de la nouvelle paroisse a lieu et le 20 mars suivant, Magr Georges
Gauthier, archevêque-administrateur de Montréal, érige canoniquement la
nouvelle paroisse Saint-Edmond. L'abbé Alphonse Forget, alors vicaire à Sacré-Cœur de Montréal, en sera le premier curé. Le 30 mars 1930, la première
messe est célébrée dans une très vieille remise située sur l’un des terrains de
l’Exposition régionale. Le premier baptême est célébré le 30 mars, la journée
même de l’inauguration, le premier mariage le 20 mai, et le premier décès le 15
septembre.
Le 18 mars 1930, la
construction d’une église est décidée et Albert Bernier est chargé d’en faire
les plans. Le dernier dimanche d’août de la même année, le curé Forget bénit la
pierre angulaire en présence d’un grand nombre de paroissiens, et le 25
décembre 1930 le curé Forget peut célébrer la première messe solennelle dans
l’église. Le curé Forget demeure alors dans un logis privé, non loin de là. Le
presbytère est construit par Pierre Trahan, entrepreneur et maire de la ville
et terminé pour le mois de février 1931. En 1930, une résidence privée sert
d’école et accueille 75 élèves. En 1933, un ouragan emporte le toit du
presbytère et il faut en refaire un nouveau. Le curé Forget meurt en 1950 et
est remplacé par Damase Roy, puis se succèdent les curés Jean-Louis Bourdon et
André Guillet.
L’église Saint-Edmond offre
une nef plus sompteuse que celle de la paroisse Notre-Dame-Auxiliatrice. La
décoration rococo de la grande nef convient pour une population aisée, alors
que le sous-bassement (aux vitres épaisses jaunes) sert de nef pour des
célébrations moins exceptionnelles que la grand’messe.
Harmonie de la vie religieuse à la paroisse de Saint-Jean. Le curé Charles Collin aura
été curé de la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste de 1894 à 1917. Quand en 1906
se sépare la paroisse Notre-Dame-Auxiliatrice, le langage populaire distingue la
petite de la grande paroisse. C’est vers 1910 qu’on effectue
l’exhumation des corps de l’ancien cimetière de la rue Laurier, le charnier
causant des problèmes désagréables au voisinage habité, les dépouilles purent
être transportées au Nouveau cimetière. Le 11 août 1911, le Conseil de Ville
adresse au gouvernement du Québec une demande d’abolition des rentes
seigneuriales. Cette résolution est appuyée par les marguilliers de la paroisse,
mais il faudra attendre 1916 pour voir s’accomplir le dernier paiement
d’arrérages des rentes au baron de Longueuil ($ 111.71). Charles-Antonelli Lamarche sera curé de la paroisse-mère de 1917 à 1922, alors qu’il est consacré
évêque de Chicoutimi. J.-Edmond Coursol lui succède et participe à la relève
économique de la paroisse.
La vie religieuse à Saint-Jean perpétue des rites de cohabitation des
confessions catholiques et réformées. Ainsi, le curé Coursol, au premier tiers
du siècle, maintient cette vieille tradition de se faire un devoir, avant la
messe de minuit, de sortir sur le parvis de l'église pour aller serrer la main
des deux ministres protestants et de les conduire à des prie-Dieu d'honneur à
l'avant de l'allée centrale, un pour l'anglican et l'autre pour le pasteur
méthodiste. Lors de la proclamation de l'évêché (qui réside dans l'ancien presbytère) cette tradition sera
abandonnée. Seule exception : lors d’un incident passé durant les années de
guerre, un avion école s'écrase près de la ville, les deux élèves-pilotes, bien
que de croyances différentes, ont des funérailles communes à la cathédrale.
Les choses vont si bien pour la paroisse qu’en 1923 et 1924, on rénove
l’église. Des travaux sont effectués sur les escaliers des jubés, les
planchers, les bancs, mais surtout la façade est complètement refaite. On
remplace le clocher par un nouveau, moins élancé. On construit également une
cheminée. Le système de chauffage est changé et des travaux de peinture
considérable donnent de nouvelles couleurs à l’intérieur de la nef. Le Délégué
Apostolique, Mgr Pietro di Maria, inaugure la bâtisse rénovée et le 23 novembre
1924 a lieu la bénédiction de 5 nouvelles cloches qui sonnent toujours les
offices du dimanche et les grandes cérémonies. Auparavant, le 18 décembre 1853
avaient été béni un carillon formé des deux premières cloches de l’église. Puis
une troisième s’était rajoutée en 1867. Le curé Coursol offre la plus petite
des cloches du vieux carillon au St-John’s High School, situé en face de
l’église Saint-James. Il y eut bien quelques murmures, mais le curé Coursol,
comme le curé LaRocque jadis, ne s’en laisse pas imposer.
Chacune de ces nouvelles cloches a un nom et une inscription.
LA dièse -
3 795 kgs (8 385 lbs), Saint-Jean (évangéliste). Les Armes de Mgr Gauthier
(alors évêque du diocèse de Montréal), le Sacré-Cœur, une Croix, le pape Pie
XI, George V Roi, Mgr Georges Gauthier, Archevêque et Messire Jos. Ed. Coursol,
Curé. Sa devise est prise hors de l’évangile de Jean : Aimez-vous les uns les
autres A.D. 1924.
RÉ dièse 1
589 kgs (3 508 lbs). Saint-Paul. Effigie de l’apôtre Paul, de l’Immaculée Conception,
les Armes de Mgr Bruchési, une Croix et les noms des marguilliers de 1923-1924
: Isaïe Hevey, Paul Labelle, Willie Bourgeois et F.-X. Archambault, N.P.. Sa
devise est J’ai combattu le bon combat.
A.D. 1924.
FA 1
145 (2 528 lbs). Joseph-Edmond. Effigie de Saint-Joseph et de Jeanne d’Arc
(récemment canonisée), ainsi que des anciens curés de la Paroisse : Mgr M.
Gaulin (1828), J.-F. Morisset 1831, Mgr Chas Larocque 1844, F. Aubry 1866, Chs
Collin 1894, Chs Lamarche 1917 et J.-E. Coursol 1922. Sa devise : Allez à
Joseph A.D. 1924.
SOL 779
kgs (1 720 lbs) Saint Jean-Baptiste. Effigie du Précurseur, de Pierre Trahan
(maire), de A.-J. Benoît (député fédéral) et du Dr Alexis Bouthillier (député
provincial). Sa devise : Tu es le prophète du Très Haut A. D. 1924.
LA dièse 473
kgs (1 044 lbs) Sainte-Anne. Effigie Sainte-Anne et Saint-François. Sa devise :
Bonne Sainte-Anne, priez pour nous A.D. 1924.
En 1934, Wilfrid Charbonneau succède au curé Coursol. Depuis un an, le
Diocèse a été érigé et la paroisse ne porte plus désormais que le nom de la
Cathédrale.
De 1904 à 1937, la paroisse de Saint-Jean a été le siège de nombreuses
cérémonies à caractères religieux. À la Saint-Jean-Baptiste, la mode est au
défilé avec chars allégoriques. Ceux de la compagnie Singer remportent
toujours les premiers prix. Le cortège descend une rue Saint-Paul plus large,
les chevaux piétinant les rails du petit chemin de fer qui conduit au canal de
Chambly. La brigade des pompiers de la Singer, dont le chef est un
certain Albert Wilcock, a son propre char. Le 24 juin 1924, le personnel cadre
de l’usine reçoit le trophée pour le plus beau char de la parade. La parade
emprunte parfois la rue Richelieu, parfois la Place du Marché. Les gens se
massent sur les balcons ou se tiennent aux fenêtres et même sur les toits pour
assister à une procession comme la Fête-Dieu. Ces cérémonies ont, outre un
versant strictement religieux, un autre beaucoup plus patriotique. En 1936, la
Fête-Dieu est célébrée dans Saint-Edmond à la résidence de Joseph Meunier, sur
la rue Mackinzie-King, où le curé Forget se prend pour célébrer les prières.
Souvent, le cortège de la paroisse-mère descend la rue Saint-Jacques pour
s’achever au portique de la cathédrale.
En 1928, une cérémonie particulière, la célébration d’un Congrès eucharistique, attire une foule de monde à l’édifice des Chevaliers de Colomb,
rue Richelieu. Les groupes sociaux à caractères religieux se développent
surtout durant cette période : Chevaliers de Colomb, Dames de Saint-Anne,
Filles d’Isabelle, Enfants de Marie, nous les retrouvons à la grandeur de la
Province, aussi est-il normal qu’ils s’établissent à Saint-Jean. Leurs membres
se dévouent, souvent bénévolement, à la préparation des célébrations
paroissiales, organisant tombolas et bingos dans le but de rapporter du
financement à la Fabrique et aux œuvres pies.
Création du diocèse de Saint-Jean (1933) et vie diocésaine. L’événement religieux majeur
de l’époque reste la proclamation, le 19 décembre 1933, de la création du
diocèse de Saint-Jean-de-Québec :
«
Elle fut prise, cette décision, par le Pape
Pie XI, le 9 juin 1933, déterminant ainsi : que le diocèse de Saint-Jean serait
limité, à l’ouest, par le fleuve Saint-Laurent; au nord et à l’est, par les
limites adjacentes du diocèse de Saint-Hyacinthe; au Sud, par les frontières
entre la Puissance du Canada et les États-Unis d’Amérique du Nord; enfin, au
sud-ouest, par les limites du diocèse de Valleyfield».
Depuis longtemps, la demande avait été faite d’ériger Saint-Jean en
diocèse. L’accroissement de la population au cours du premier tiers du siècle
impose ce choix, mais l’affaire du Collège n’a pas aidé et même, au contraire,
retardé la proclamation tant attendue :
«Puis le Saint-Siège écrige le diocèse de
Saint-Jean, demandé depuis longtemps - depuis l’époque où les prêtres de
Sainte-Marie-de-Monnoir transportèrent leur institution dans cette ville, avec
l’espoir d’en faire un séminaire diocésain - et recommandé par Mgr Gauthier
depuis 1925. Le Saint-Siège avait attendu l’apaisement de l’affaire
. Le
nouveau diocèse comptait un collège, 41 paroisses et plus de 65 000
catholiques. Son premier évêque est Mgr Anastase Forget, un an plus tôt
Supérieur du Collège de l’Assomption, devenu vicaire général du diocèse de
Montréal».
Le 16 mai 1934, Anastase Forget en est nommé le premier évêque. C’est
un homme cultivé, doté d’un doctorat en philosophie de Rome et c’est le délégué
apostolique, Mgr Andrea Cassulo, assisté des pontifes co-consécrateurs Mgr
Deschamps, auxiliaire de Montréal, et Mgr Papineau, ancien Supérieur du Collège
de Saint-Jean et maintenant évêque de Joliette qui consacrent le nouvel évêque
du diocèse de Saint-Jean.
Durant les années qui suivent les œuvres diocésaines concernent surtout
la jeunesse. Anastase Forget sait faire face à la crise de 1929. À une époque
où des familles vivent de la Saint-Vincent-de-Paul et du Secours direct,
l'évêque de Saint-Jean obtient un joint venture, un partenariat avec le
nouveau gouvernement de l'Union Nationale afin de bâtir ce qui deviendra la
Centrale Catholique (devenue depuis le Centre culturel). Le diocèse paie les
matériaux et le gouvernement les salaires. Cet édifice, rue Laurier, fait face
à la maison du futur Ministre des postes, Alcide Côté. C'est un centre
d'activités de loisirs, un centre culturel ouvert aux représentations
théâtrales, aux concerts des Jeunesses musicales, à des réunions syndicales.
Patronnée par le chanoine Armand Racicot, les abbés Laurent Brault et Yves
Tremblay et pour les syndicats catholiques, l'abbé Léopold Gauthier, la Centrale
sert surtout aux réunions des mouvements de jeunesse : la J.O.C. (Jeunesse
Ouvrière Catholique) (fondée en 1938), la J.E.C. (Jeunesse Étudiante
Catholique) (fondée en 1937), la J.I.C. (Jeunesse Indépendante Catholique)
(fondée en 1941), les Scouts catholiques et une coop d'habitation. En 1935, Mgr
Forget fonde le mouvement des Guides dans le diocèse de même que l’Œuvre des
Terrains de Jeux (O.T.J.) où allait s’illustrer le chanoine Armand Racicot. La
même année est fondée la maison de retraite Sainte-Bernadette à Saint-Jean, de
même qu’une société de colonisation pour venir en aide aux victimes de la crise
économique. En 1936, c’est le tour de la fondation de l’École Normale de
Saint-Jean, ainsi que de la Jeunesse Agricole Catholique (J.A.C.) (fondée en
1936). Un an plus tard, le journal Le Richelieu, essentiellement
conservateur, est déclaré l’organe officiel de l’Action Catholique diocésaine.
Parallèlement, Mgr Forget établit les bases du syndicalisme catholique dans le
diocèse. Les années de la Seconde Guerre mondiale ne ralentissent pas les
activités diocésaines. En 1940, c’est l’inauguration de la Centrale catholique
à Saint-Jean ainsi que des premières cellules de la LOC qui promeuvent les
coopératives d’habitation et de consommation. En 1941, c’est la fondation de la
fédération diocésaine du Cercle des Fermières du diocèse. En 1945, c’est la
fondation des Cercles Lacordaire et Jeanne-d’Arc, cercles de tempérance pour
lutter contre l’alcoolisme. C’est cette même année qu’arrivent les premières vagues
d’immigration sur la rive sud du fleuve, qui vont faire balancer la population
du diocèse de la ville de Saint-Jean vers Longueuil. En 1946 est fondé le
Centre Mgr Forget pour délinquants.
Cette création du diocèse et des œuvres diocésaines de même que celles
de nouvelles paroisses aux deux extrémités, montrent que la ville de Saint-Jean
tend à dépasser le triangle contenu entre les deux voies ferrées et le
prolongement de la rue Saint-Jacques jusqu’au cimetière passé le boulevard du
Séminaire. Ainsi, en 1931, la canalisation du ruisseau Jackwood, l’ancien
ruisseau Jourdonnais, du nom d’un pionnier de Saint-Jean établi dès 1753,
entraîne finalement sa disparition sous la rue Loyola, tout près de la Villa de
retraite des Pères Jésuites et le boulevard du Séminaire. Cette année-là, la
population est de 11 256 habitants.
Nouvelles écoles. De 1892 à 1910, James O’Cain remplace Félix-Gabriel
Marchand au poste de président de la Commission scolaire de Saint-Jean. De 1910
à 1917, il est remplacé par Alfred N. Deland, puis en 1917-1918 par Marius
Grothé. Le Dr N.-A. Sabourin remplit cette fonction de 1918 à 1928. Durant
toute cette période, les écoles de rang et les écoles de ville se sont
multipliées. Avec la fondation de nouvelles paroisses, chacune tient à avoir
son école de garçons et son école de filles. En 1929, l’Académie commerciale
Notre-Dame Auxiliatrice fait déjà partie des institutions scolaire, 3
années seulement après l’achèvement de l’église paroissiale.
Le 21 septembre 1906, 340 petits garçons d’âge scolaire sont inscrits à
l’Académie commerciale catholique de Saint-Jean, seule institution à
être totalement sous la direction laïque du principal L.-J.-O. Doré, le même
nombre qu’en octobre 1905. Le nombre des professeurs se maintient. L’Académie
se dresse au coin des rues Saint-Jacques et Mercier. C’est un édifice massif
dans la mode du temps avec 2 étages et un rez-de-chaussée, un clocheton, 3
lucarnes au toit, des cheminées, des volets aux fenêtres et un long escalier
extérieur. Annuellement, environ 8 étudiants sortent gradués de l’Académie, et
vont encadrer le professeur et principal de l’école, M. Alexandre-Josaphat
Beaulieu, pour la photographie officielle. C’est ainsi, en 1913 - où le futur
notaire Yvan Sabourin est gradué -, en 1931-1932, en 1933… en 1937, le vieux
J.-A. Beaulieu pose encore une fois avec ses anciens élèves lors d’un
conventum. C’est dire que l’Académie commerciale catholique de Saint-Jean est
la principale école pour garçons de Saint-Jean durant cette première partie du
XXe siècle. À partir de 1932, l’Académie a un nouveau concurrent. Alcide
Marcoux (1908-1948) fonde le Collège commercial situé aux 242-244 de la rue
Champlain. Mort à l’âge de 40 ans, il a également été vice-président et
trésorier de la Chambre de commerce de Saint-Jean.
En 1915, au couvent Notre-Dame pour les filles, désormais sur la rue
Laurier, afin de remédier aux attaques de la fièvre typhoïde qui attaquent
régulièrement l’institution, la Supérieure fait installer un filtre, mais ce
procédé s’avère malheureusement insuffisant. La même année, les religieuses
inaugurent les cours d’enseignement ménager à la demande de l’abbé J.-A.
Papineau, Supérieur du Collège de Saint-Jean mais aussi aumônier au Couvent,
ainsi que des commissaires. Les élèves, pour les remercier, offrent un souper
en leur honneur. En 1922, le Surintendant de l’Instruction publique, le notaire
Cyrille Delâge de Québec, rend visite au Couvent où il est dignement reçu.
Mais tous les jours ne sont pas fêtes. La vie des couventines redevient
banale. Au dortoir, chaque pensionnaire a son lit, sa table de chevet, sa
chaise de même que son pot à eau et sa bassine. Une petite cloison sépare
chacune des tables permettant une intimité relative aux demoiselles
lorsqu’elles font leur toilette. On s’y couche le soir, vers 9 heures, pour se
lever vers 6 heures du matin (pour la messe). La nuit, les surveillantes font
leur ronde à intervalles réguliers. Le crucifix domine la pièce. Qui sont les
jeunes filles qui fréquentent l’enseignement du Couvent? La photographie des
finissantes de 1910-1911 nous les présente : la fille du notaire Alfred Deland,
la première fille du Dr Alexis Bouthillier, la fille d’Alphonse Gervais, le
maire, la sœur de l’abbé J.-A. Papineau, la fille du Dr Samuel-Hector Brosseau
et la sœur du chanoine Armand Racicot.
Tout ne va pas toujours pour le meilleur des mondes au Couvent de la
rue Laurier. Au début des années 1930, plusieurs personnes «n’aimaient pas
l’enseignement donné par les Sœurs», ce qui explique la nomination d’un
Surintendant des écoles par la Commission scolaire doté du pouvoir de visiter
toutes les écoles de la ville. Au moment où ces insatisfactions se font
entendre, la présidence de la Commission scolaire subit une ère d’instabilité
et chaque président se succède en moyenne à tous les ans : le photographe J.-L.
Pinsonneault de 1928 à 1931, Léonel Desmarais en 1931-1932, puis J.-L.
Pinsonneault à nouveau en 1932-1933, Charles-E. Rameau en 1933-1934 et Ivan
Sabourin de 1934 à 1937. C’est alors qu’éclate l’affaire de l’école Lasalle.
En 1932, les Sœurs de la Congrégation sont engagées pour enseigner à
l’école Lasalle dans la paroisse Saint-Edmond (plus tard école Félix-Gabriel
Marchand). Lorsqu’elles se présentent aux portes de l’école, elles les trouvent
scellées et sont obligées de revenir au couvent. Un procès s’engage à
l’issu duquel les religieuses l’emportent sur les membres du Conseil municipal
qui subissaient une forte pression de la part de la population de la paroisse.
Quelques années plus tard, Mgr Forget récompensera la ténacité des Dames de la
Congrégation en ajoutant une École Normale au Couvent dans un édifice moderne.
De plus, il ne faut pas oublier l'école Notre-Dame-du-Sacré-Cœur,
établie en 1923 entre Saint-Jacques et Saint-Charles, sur le site du Vieux
cimetière.
En 1925, l’Orphelinat de Saint-Jean est fondé sous la direction des
Sœurs de la Communauté des Petites Franciscaines de Marie. Elles viennent de
Baie Saint-Paul, dans le comté de Charlevoix. Elles occupent un local situé au
60 rue Champlain, plus tard emplacement de l’épicerie Spot. À la fin de
1925, il y a déjà 12 pensionnaires. Le 18 novembre suivant, 18 Dames offrent
leurs services et fondent l’ouvroir où elles vont coudre chaque mois pour les
enfants. Le 9 décembre, l’Orphéon de Saint-Jean, sous la direction de L.-O.
Perrier, présente une comédie-musicale au profit de l’orphelinat. C’est
la première organisation charitable au profit de l’établissement. Le 17 mai
1926, l’orphelinat ou Centre des Œuvres Saint-Thérèse, déménage au 170 rue Longueuil, le curé Coursol y célèbre la
première messe. Les classes de l’Orphelinat ouvrent leurs portes le 6 septembre
1926. Il y a 61 inscriptions, y compris 14 externes. De mai 1927 à 1950, les
dames patronnesses organisent chaque année des fêtes champêtres, des parties de
cartes, des tirages et une quête annuelle de légumes à l’automne, une quête des
œufs à l’occasion de Pâques. Chaque année des excursons et des fêtes sont
organisées soit par les Chevaliers de Colomb, soit par la Chambre de Commerce,
soit les clubs sociaux ou même le Collège militaire. L’orphelinat profite
également des largesses de certaines maisons de commerce qui souscrivent pour
éteindre les dettes de l’institution.
L’orphelinat de la rue Longueuil devient vite trop étroit pour contenir
70 enfants qui se partagent 2 bains : un pour garçons et un pour fillettes.
Aussi, le 19 avril 1928 marque le début de la construction d’une annexe de 8
par 35 pieds commandée par le maire Trahan. Le 4 septembre 1928, on ouvre un
jardin d’enfance où 213 enfants sont inscrits. Le jardin fermera ses portes 9
ans plus tard, en 1937. À partir de cette date, l’orphelinat ne peut accepter
que des pensionnaires. Les temps de crises n’épargnent personne, surtout pas
les orphelins. À cette époque, le gouvernement verse 0.25 ¢ par jour par
enfant; les familles dans la misère abandonnant leurs enfants pensent qu’ils
seront mieux à l’orphelinat que dans une famille appauvrie et sans ressources :
«
La conversation s’est poursuivie durant de
longs moments, les anecdotes se succédant les unes aux autres : par exemple les
5 enfants d’une même famille, abandonnés par leurs parents et que la police
avait conduits au Service Social. Comme il arrivait dans ces cas-là, en
désespoir de cause, on allait frapper à la porte de l’orphelinat pour demander
un placement de "quelques jours" qui s’étirait quelquefois sur
plusieurs mois, comme ce fut le cas pour ces 5 enfants…»
La querelle du Collège de Saint-Jean. Depuis 1847, l’idée d’un
Collège classique à Saint-Jean avait fait son chemin. L’idée fut reprise de
nombreuses fois, mais toujours elle se voyait entravée par des difficultés
d’ordre pratique et peut-être aussi par les luttes que menaient certains
journaux contre la pléthore de petits collèges. Seulement, en
1905, Mgr Bruchési, archevêque de Montréal, est bien décidé à reprendre l’idée
avortée de Mgr Bourget et le concrétiser pour 1909. Éclate alors la querelle du
Collège de Sainte-Marie-de-Monnoir qui va devenir celle du Collège de
Saint-Jean.
Les professeurs de Sainte-Marie-de-Monnoir, établie à Marieville dans
le diocèse de Saint-Hyacinthe, offraient le meilleur enseignement desservi par
un personnel qualifié. Leurs élèves pouvaient rivaliser avec ceux issus des
meilleurs collèges de Montréal et un certain nombre de politiciens influents
avaient fait leurs études dans cette institution. Pourtant, Mgr Bernard, évêque
de Saint-Hyacinthe, anticipait la création d’un collège diocésain et écartait
Monnoir de ses faveurs. En 1907, un incendie détruit le Collège et, comme il se
trouvait mal situé à Marieville, les prêtres songèrent à l’installer ailleurs.
Ils reçurent des invitations des citoyens de Sorel qui ambitionnaient, eux
aussi, le statut de diocèse et posséder un collège de grande réputation.
Malheureusement pour eux, la requête des Johannais les avait devancés. Les
professeurs de Marieville savaient que tôt ou tard, en restant dans cette
localité, ils seraient étouffés par deux collèges rivaux. Un à Saint-Jean, à 12
milles de distance, et celui de Saint-Hyacinthe à 22 milles. Pendant les
vacances de 1908, ils tentèrent un déménagement subreptice à Saint-Jean. Rome d’ailleurs était intervenu pour fermer le collège en 1908-1909. À l’été
1909, les prêtres aménagèrent à Saint-Jean mais perdirent leur juridiction et
même le droit de célébrer la messe durant cent jours. Le Collège rouvrit
néanmoins ses classes de 1909 à 1911.
Car la ville de Saint-Jean est toujours sous la juridiction du diocèse
de Montréal. Lors de l’incendie de 1907, Mgr Bruchési, bien avant Mgr Bernard,
en visite de condoléances, laisse échapper une phrase troublante : «Je n’ai
pas la clef pour vous faire sortir du diocèse de Saint-Hyacinthe, mais j’ai la
clef pour vous ouvrir le diocèse de Montréal, où je vous recevrais volontiers».
Le Supérieur de Monnoir, l’abbé J.-A. Lemieux, y entend l’invitation de venir
s’établir dans le diocèse de Montréal! Voici donc le nouveau Collège situé sur
la rue De Salaberry sans avoir reçu l’exeat de Mgr Bernard. Celui-ci rappelle
les religieux. L’abbé Lemieux se rend à Saint-Hyacinthe pour s’expliquer avec
l’évêque. Ce dernier ne veut rien entendre et impose son autorité. Mgr
Bruchési, pour sa part, désavoue l’interprétation faite par l’abbé Lemieux, et
ce dernier accuse l’archevêque de Montréal de renier sa parole et menace
d’ouvrir définitivement son collège à Saint-Jean. D’où l’interdit, les prêtres
de Monnoir ne peuvent célébrer la messe et doivent se contenter d’y assister
comme de simples fidèles, le missel sous le bras. Ils sont considérés comme des
rebelles à l’autorité diocésaine.
«Les prêtres de Sainte-Marie-de-Monnoir sont maintenant dans le
diocèse de Montréal, et leur attitude côtoie la révolte. Ils possèdent l’appui
de la population locale - l’affaire agite toute la région - et celui de leurs
anciens élèves…».
Diverses suggestions sont proposées pour mettre fin à cette querelle
disgracieuse, comme celle de transférer Saint-Jean dans le diocèse de
Saint-Hyacinthe, ce qui était inacceptable pour les paroissiens qui
travaillaient à obtenir leur propre diocèse. Mgr Bruchési et son chpaitre sont
d’ailleurs contre l’idée. Pour sa part, Mgr Bernard repousse l’idée d’acquérir
un tel endroit sans perdre en retour des paroisses prospères le long du
Richelieu entre Belœil et Sorel. Les Sorelois reviennent à la charge et
proposent d’adopter Monnoir. Mgr Bernard refuse cette solution. L’abbé Lemieux
persiste. La conséquence prend des porportions démesurées puisqu’en
désobéissant à leur évêque et supérieur, les prêtres de Monnoir risquent de
provoquer un schisme à l’intérieur du monde clérical et même politique :
«
Les prêtres ouvrent leur collège à
Saint-Jean. Mgr Bernard, conformément à des instructions reçues de Rome,
destitue le Supérieur et l’économe, et envoie un nouveau Supérieur - l’abbé
Houle - et un nouvel économe. Ceux-ci sont proprement éconduits. Les prêtres
répondent qu’ils ont fait appel "au Pape mieux informé". La
population les soutient. L’ancien député Monet, devenu protonotaire à Montréal,
puis juge de la Cour Supérieure pour le district d’Iberville, prend leur cause
en main…»
De ces anciens élèves, la plupart appuient l’abbé Lemieux. Un créancier
anglo-canadien du Collège intente un procès devant la Cour Supérieure de
Montréal pour empêcher l’exécution des décisions romaines et épiscopales
susceptibles de léser ses droits. Derrière cette tactique, on retrouve des
membres du Parti Libéral : «Les prêtres pourront, à la rigueur, dire à leur
évêque : "Nous sommes prêts à exécuter le décret de dissolution, mais les
tribunaux civils nous en empêchent».
Les prêtres de Monnoir supplient le juge Mathieu, ultramontain, de plaider leur
cause à Rome. Vaine démarche. Rome s’est prononcée. Entre temps, Mgr Bruchési,
qui se conforme aux directives romaines, ordonne la fondation d’un Collège
indépendant à Saint-Jean. Le préfet des études au Séminaire de Sainte-Thérèse,
originaire lui-même de Saint-Jean où réside toujours sa famille, l’abbé
Joseph-Arthur Papineau, se voit nommé premier Supérieur du Collège de
Saint-Jean.
Les débuts du Collège de Saint-Jean ne sont pas faciles, promis à des
rancunes féroces et aux difficultés matérielles. La création du nouveau collège
ne résoud pas la querelle de Monnoir. Bruchési peut compter sur l’assistance du
Premier ministre Gouin en promettant «de résister à Perron, à Monet et aux
électeurs de Saint-Jean, et de faire "incorporer" le nouveau collège».
Pendant ces tractations aux hauts niveaux, aidé de l’abbé Zénon Thérien, l’abbé
Papineau se met en quête d’un établissement, car l’argent manque et il n’est
pas question de construire un nouvel édifice. Un vicaire de la paroisse, M.
Robert, lui mentionne une manufacture désaffectée depuis une quinzaine
d’années. Le Supérieur la visite, le 30 juillet - à un mois du début des cours
-, inspecte les lieux dont l’aspect délabré est décourageant. Mais le Supérieur
n’a pas le choix. Il se rend auprès de Mgr Martin, qui se charge d’acheter du Royal
Trust l’ancienne poterie Macdonald (coin Saint-Georges et Laurier).
«Dès
la première semaine d’août, les travaux commencent: démolition d’une haute
bouteille de brique à l’entrée de la cour, et surtout transformation prestigieuse
d’une poterie en maison d’éducation. M. le procureur dirige la besogne avec
entrain et diligence : une porte centrale est percée, une longue galerie est
ajoutée… Le 13 août, il salue l’arrivée de son “compagnon d’infortune”: M.
l’abbé Armand Chaussé; mais le jeune et enthousiaste collaborateur doit
aussitôt retourner à Montréal, pour endosser une soutane de “surveillant de
construction”. Entre deux
visites au “collège”, M. l’abbé Papineau élabore des plans d’avenir, dans sa
chambre de presbytère. Car toute l’organisation morale, intellectuelle et même
matérielle repose sur lui, et il faut, en peu de temps, préparer à l’œuvre une
impulsion forte et durable. Au début de septembre, la maison peut
recevoir ses premiers professeurs. Sans doute, les ouvriers continuent leur
tintamarre; de plus, les portes manquent aux chambres, et les couvertures aux
lits. Mais on ne fonde pas sans héroïsme, et d’ailleurs, nos pionniers savent
sourire aux difficultés. Les petites Sœurs de la Sainte-Famille durent
d’abord loger à l’Hôpital, en attendant leur couvent neuf, auquel fut bientôt
ajouté un étage-dortoir. Enfin, le 6 septembre, première rentrée! Une
pluie abondante et des incidents variés rendirent la journée plus émouvante.
Mgr l’Archevêque s’empressa de téléphoner : “Combien d’élèves? - 90,
Monseigneur - Deo gratias”! Peu après, ce nombre s’éleva à 100, et dès
cette première année, le Collège reçut 137 enfants. Fait presque unique dans
l’histoire de nos collèges: les cours classique et commercial sont déjà complets».
Le R.P. Brosseau a le miracle facile. Les enjeux politiques sont trop
grands pour que les choses se soient passées de manière merveilleuse :
«
L’abbé Papineau ouvrira le collège dans une
poterie désaffectée, sans assistance, au milieu d’une population hostile. Deux
amis laïcs de l’abbé Papineau, le député Joseph Demers et le magistrat
Saint-Cyr, l’avertissent de l’état des esprits et des difficultés énormes -
peut-être insurmontables - qui l’attendent. "J’agis par obéissance",
répond l’abbé Papineau, très attaché à Sainte-Thérèse. Demers et Saint-Cyr
décident alors de l’aider et lui envoient leurs enfants, pour donner l’exemple.
Mais Monet reste hostile, violent; la majorité de la population le suit; et
Léonide Perron, avocat de Sainte-Marie-de-Monnoir, tentera d’empêcher l’octroi
d’une charte provinciale au nouveau collège».
Quoi qu’il en soit, le 9 novembre 1911, Mgr Bruchési vient bénir le
nouveau collège. À Saint-Jean, les esprits sont toujours échauffés par ce coup
de force de l’archevêque de Montréal, eux qui auraient préféré accueillir les
enseignants de Monnoir. Une véritable vendetta oppose les élèves des
deux collèges : celui de la rue De Salaberry et celui de la rue Grant :
«Entre les élèves des deux maisons, les
relations étaient loin d’être harmonieuses, pour ne pas dire plus. À cette
époque-là, les étudiants, les jours de congé, faisaient des promenades en
groupe à travers les rues de la ville sous la surveillance d’un ou deux
professeurs pour éviter les fugues de leurs jeunes protégés. Ces sages
précautions n’empêchaient pas cependant les élèves des deux institutions d’en
venir à des coups, alors que les deux bataillons se croisaient à l’occasion de
ces sages sorties.
Alos que le surveillant du Collège regardait
bien calmement les deux camps s’échanger des coups, au grand scandale de son
vis-à-vis. Probablement que les gens de Monnoir avaient le meilleur dans la
bagare».
Cette situation ne pouvait durer. L’un des deux collèges devait être
dissous. L’élection de Lomer Gouin, député de Saint-Jean, signifiait que la
population ne pouvait plus compter sur le Premier ministre pour sauver les
enseignants de Monnoir. C’est donc avec confiance qu’en 1912, on peut
construire l’aile de la rue Saint-Georges avec double service assigné aux
salles d’études et de récréation. Mais, au cours de l’été, la crise prend des
proportions inattendues :
«Le juge Monet, toujours rouge et patriote à
la mode de 37, convoque une grande assemblée à Saint-Jean, le 16 juillet, et
prononce des paroles violentes visiblement goûtées par la foule. On trouverait
pas cent, peut-être pas cinquante partisans de la soumission (des prêtres
de Monnoir à l'intégrité romaine) dans toute la ville de Saint-Jean. Le
collège officiel est boycotté, malgré l'urbanité de l'abbé Papineau et l'appui
d'un ou deux notables. Des volontaires s'offrent à monter la garde, s'il le
faut, devant Sainte-Marie-de-Monnir. Ainsi, de temps à autre, sur quelque point
de la province, en raison d'une situation locale ou d'intérêts particuliers,
l'épiscopat subissait une résistance, étendue, non pas aux seuls anticléricaux,
mais à une fraction importante de la population.
Tandis que Monet haranguait les citoyens de
Saint-Jean, la Sacrée Congrégation Consistoriale rejetait le recours des
professeurs. Lecture du document romain, daté du 18 juillet, fut donnée le 11
août dans les églises des diocèses de Montréal et de Saint-Hyacinthe. Interdits
par l'archevêque, les prêtres durent céder. Ils fermèrent leur collège… Les prêtres condamnés se
dispersèrent; le Supérieur Lemieux alla mourir en Floride, le bréviaire à la
main. L’abbé Papineau, bon administrateur et enfant de Saint-Jean, apprivoisa
peu à peu ces farouches concitoyens».
À l’entrée de septembre
1912, de
nouveaux professeurs s’ajoutèrent aux premiers :
«
Pendant ce temps, le nombre des élèves
suivait le rythme des événements extérieurs. Monté à 246 en 1914, il devait
subir une légère régression pendant la Grande-Guerre et les terribles épidémies
de 1917 et 1918. En 1919, 266 élèves; en 1922, 288; de 1926 à 1931, au delà de
300! Mais ensuite la crise
le ramène à 275, puis à 250 et même moins…
Cependant, le Collège a reçu plus de 2 300 enfants, venus de notre région, de
la métropole ou d’ailleurs. À l’Église, il a fourni une centaine de prêtres,
religieux ou séminaristes; dans toutes les classes de la société, de nombreux
Anciens exercent une salutaire influence, et l’avenir s’ouvre à plusieurs,
pleins de promesses».
En 1922, c’est l’abbé Papineau qui demanda au Gouvernement provincial
une subvention pour les collèges classiques de la province. Il gagna d’autres
supérieurs de collèges à son idée et obtint l’autorisation des évêques
d’organiser une délégation dont il prit la tête. Le Premier ministre
Taschereau, à la demande d’une subvention de $ 5 000 par année aux Collèges
classique, alla jusqu’à offrir le double : $ 10 000! Seul l’avocat Perron,
défenseur des prêtres de Monnoir promit d’opposer une résistance à la demande
des supérieurs. Opposition vaine. Le 3 juillet 1928, l’abbé Papineau fut nommé
évêque de Joliette. L’abbé Armand Chaussé, son collaborateur de la première
heure lui succéda au poste de Supérieur du Collège de Saint-Jean, poste qu’il
conserva jusqu’en 1941. Fait chanoine titulaire du chapitre de la Cathédrale,
il devait périr dans un accident le 24 novembre 1947.
C’est l’abbé Chaussé qui dut gérer la catastrophe de 1939, l’année où
l’édifice du Collège de Saint-Jean est rasé par le feu. Pour septembre, 265
étudiants s’étaient inscrits au Collège quand, dans la nuit du 19 octobre, vers
3 h 30 du matin, par grand vent, le feu se déclare dans un vieux hangar de bois
sis le long de la voie ferrée du Canadien National longeant la rue
Saint-Georges et appartenant à la Canadian Potteries. Les élèves et les
professeurs, réveillés par la fumée et le crépitement, se précipitent hors du
collège. C’est alors la course aux valises, aux livres, aux vêtements et aux
objets personnels. Même si on ne le croyait pas au début, tout l’édifice est
détuit par le feu. À 8 h 30 du matin, l’incendie est sous contrôle, mais l’édifice
qui avait abrité successivement la poterie MacDonald et le Collège de
Saint-Jean est réduit en ruines. À mauvaise fortune bon cœur, le 2 novembre,
les prêtres prévoient reprendre les cours. Seuls sont acceptés les externes de
Saint-Jean et Iberville après entente avec le directeur. Plusieurs familles
s’offrent à recevoir les externes. Le journal Le Richelieu relate ainsi
la reprise des cours :
«
Les cours devaient effectivement reprendre le
7 novembre à 8 heures. Deux cents élèves sont présents, dont une centaine de
pensionnaires logés dans les familles de la ville. Tout le jour c’était un và
et vient continuel; la messe a lieu à la salle de l’Académie du Sacré-Cœur, rue
Laurier, c’est là aussi que se prennent les récréations pour les classes, les
élèves se rendent les uns à l’ancienne "université", sur
Saint-Jacques, les autres à la vieille Centrale Catholique, à l’édifice du
journal Le Richelieu,
où à la maison Henderon Black à l’emplacement du
nouveau bureau de poste. C’était le genre université».
Ce n’est qu’en 1942 que sera construit le nouveau Séminaire.
L'architecte Félix Racicot, disciple de Dom Belleau, donna au nouveau bâtiment
une allure monastique dans le style des voûtes et la grande chapelle. Les
terrains constituaient auparavant la ferme du collège, qui devait alimenter la
table des prêtres. Il a fallu ouvrir un chemin vers le nouveau site qui devait
donner son nom au nouveau boulevard périphérique de la ville. Dès lors, l'essor
de cette partie de la ville allait être rapide.
La Villa des Pères Jésuites à Saint-Jean. Dans les années 1910, le
juge Amédée Monette, de la Cour Supérieure du Canada, fait construire une
spacieuse résidence à la limite nord-est de la ville, en face de la rivière. Il
s’agit d’une demeure flanquée de 2 tours latérales. Les alentours sont boisés
et marécageux. Le juge y pratique d’ailleurs la chasse dans ses temjps libres,
et ni la rue Latour, ni le boulevard du Séminaire n’existent à l’époque. Tout
près se trouve la petite rivière Saint-Jean (anciennement ruisseau Jourdonnais
puis Jackwood) qui se jette dans le Richelieu, un ruisseau à vrai dire sur
lequel on a construit la rue Loyola.
Après la mort du juge, son épouse vend la maison à un certain Dixon,
frère de la première garde-malade de Saint-Jean, qui en fait le Towers
Hotel, un véritable centre de luxure où, dit-on, les filles vont jusqu’à
danser nues sur les tables… en 1920! C’est de Dixon que Mgr Forget, afin d’en
finir avec le scandale probablement, décide d’acheter l’édifice. La
construction de la Villa est financée par la Maison Provinciale des Jésuites et
de certains particuliers désirant souscrire au financement, de sorte que le 1er
juillet 1933, après avoir pressé les dernières filles à sortir par la porte
arrière du Towers Hotel, les premiers Pères Jésuites entraient par la
porte avant de leur nouvelle maison de retraites fermées. Ils aménagent une
salle et une chapelle au premier étage et 50 chambres au deuxième et au
troisième étage. Ils font construire également 4 garages aux deux extrémités de
la bâtisse. Ils érigent une plaque au-dessus de la grande porte avec
l’inscription : Retraite fermée. Le 13 janvier 1936, la Villa Saint-Jean
ouvre ses portes pour le premier exercice de retraite fermée. Bientôt, tous les
laïcs - surtout parmi les notables de la ville - pourront venir au
recueillement avec les Pères Jésuites ou suivre une désincure d’alcoolisme.
Le Père Desjardins est le fondateur de la Villa. Tout au long des
années qui suivent, de nombreux groupes viendront en retraite fermée à la Villa
: le personnel de l’usine Châtelaine y vient régulièrement à tous les ans; des
groupes d’étudiants; des frères enseignants; des prêtres séculiers du diocèse;
les J.O.C. (Jeunesses Ouvrières Catholiques) et les J.A.C. (Jeunesses Agricoles
Catholiques), etc. Dans les années 1960, les ministres du gouvernement
provincial viennent y tenir une réunion qui fit grand bruit. On s’attend à ce
que la Province achète l’immense bâtiment. Fausse alerte. En 1970, les Jésuites
vendent la Villa Saint-Jean à la Cité de Saint-Jean pour la somme de $ 210 000.
Le dernier Père de la Villa fut le Père Antonio Poulin. Nombre de groupes
sociaux viennent installer leurs bureaux dans la Villa désaffectée. L’endroit
est enchanteur, un des plus beaux espaces verts de Saint-Jean. Mais
bientôt, une société provinciale, la Société d’Habitation du Québec lorgne le
vieil édifice et propose au Conseil municipal de l’acheter. L’opinion des
conseillers est partagée. Il y a ceux qui espèrent conserver la Villa qui
pensent convaincre la S.H.Q. de se porter sur un terrain plus au nord, et ceux
qui ne peuvent résister à l’offre de $ 2 000 000 offert par l’organisme
provincial comprenant la Villa et son terrain. Les choses en sont ainsi
lorsque, dans la nuit du 31 décembre 1974, à l’heure du Réveillon du Jour de
l’An, un violent incendie ravage, miraculeusement, la Villa. Devant le
désastre, le Conseil s’incline et vend les 75 000 pieds carrés à la S.H.Q.
L’édifice est rasé et une imense construction de logements pour personnes âgées
s’élève aujourd’hui sur l’emplacement paradisiaque de la Villa Saint-Jean.
Développement des services de santé. Cette troisième époque de
l'Âge de Prestige de Saint-Jean correspond à celui où on fit les plus grands
efforts afin d’organiser les services de santé. Jusqu'en 1911, le nombre des
patients de l'hôpital des Sœurs Grises reste à peu près
stable dans l’édifice inauguré en 1889. Le troisième étage est inachevé tandis
que l’étage principal reste affecté à l’enseignement poursuivi jusqu’à la
troisième année du programme scolaire. Le jardin d’enfance, malgré la
satisfaction des parents, doit fermer ses portes en juin 1922, alors qu’a lieu
la dernière distribution des prix et les adieux des élèves. C’est à ce moment
qu’on décide de compléter l’étage supérieur, ce qui permet d’ajouter 25 lits.
Le nombre des médecins ne cesse de s’accroître en vue de desservir une
population de 7 734 habitants, selon le recensement de 1921. Le premier bureau médical est formé en 1923 par les docteurs Arsène
Godin, président; Alexis Bouthillier, G. Tassé, G. Phœnix, J. Lafleur, E.
Phaneuf, O. Laberge, H. Maynard, H. Brosseau, J.-A. Daigneault et H. Éthier de
Saint-Valentin. Deux de ces médecins ont eu une importance particulière à une
époque où n'existent pas de plan universel d'assurance-maladie (ou assurance-santé).
Deux de ces médecins ont ainsi œuvré dans l’esprit du Serment d’Hippocrate,
disponibles aux indigents, dévoués au prix de dures fatigues à leurs patients.
Le Dr Alexis Bouthillier que nous connaissons déjà et le Dr Samuel-Hector
Brosseau. Les témoignages sont nombreux pour nous parler de l’acharnement au
travail du Dr Bouthillier :
«Il
faisait souvent du bureau tard la nuit, parfois jusqu’à 2 heures du matin. Il
rentrait chez lui épuisé et à peine était-il couché et endormi que,
quelquefois, le téléphone sonnait, et il devait repartir à nouveau pour aller
soigner des malades, malgré sa fatigue. Il lui arriva à maintes occasions de
dispenser ses soins tout en sachant que ses patients ne pouvaient le payer.
Cette bonté que le docteur manifesta toujours envers les défavorisés lui
valut d’être appelé "le médecin des pauvres" ou mieux encore,
"l’ami du peuple"».
Moins connu, mais tout aussi
typique est le docteur Samuel-Hector Brosseau (1857-1937), fils de L’Acadie, il
fit ses études au Collège de l’Assomption et sa médecine à l’Université Laval,
d’où le Dr Bouthillier avait également obtenu son diplôme en 1894. Pendant à
peu près 50 ans, il exerce sa profession à Saint-Jean et dans les environs. Il
réside dans la maison à l’angle sud-ouest des rues Saint-Jacques et Longueuil.
Sa légende dit qu’il fut un «homme sévère, pas toujours commode, mais
courageux et droit». Outre les patients que le Dr Brosseau reçoit
régulièrement à son bureau, il est également médecin au Collège de Saint-Jean,
à la prison locale ainsi qu’aux casernes militaires. On prétend qu’à lui seul,
il a fait accoucher quelques 5 à 6 000 femmes dans Saint-Jean et les campagnes
et villages environnants, se déplaçant à pied ou en voiture à cheval, la nuit
comme le jour. Lui-même est père de 12 enfants. Il décède à l’âge de 80 ans,
l’année même où son frère, le Dominicain Jean-Dominique Brosseau publie son Saint-Jean-de-Québec
(1937). Bouthilier et Brosseau figurent donc en tête de liste des premiers
médecins à établir leur cabinet à même leur résidence privée, généralement sur
la rue Longueuil, en face du nouvel hôpital de 1933.
En février 1922, Sœur
Marie-Rose Lacroix fonde l’École d’infirmières à l’hôpital de Saint-Jean. Les
cours de gardes-malades sont ouverts le 10 mars 1923 et en octobre 1925, Mlles
Louise Guillet, Yvonne Couillard et Amanda Forgues sont les premières graduées.
Mais les
bâtiments de l'hôpital ne cessent d'apparaître inhospitalier! Une première
amélioration du bâtiment, inauguré le 27 mai 1923, compte 50 lits pour les malades,
au lieu des 20 précédents. Le nombre des malades admis
annuellement, lui, ne cesse de croître. La même année, on en reçoit 237, nombre
qui passe à 780 en 1926. Il faut donc, à nouveau, agrandir l’hôpital. On y a ajouté des services :
la chirurgie (inaugurée par le Dr Georges Phaneuf en 1924) et pathologie
interne, la gynécologie et l'obstétrique, les maladies des enfants, les
maladies des yeux, des oreilles et du nez, l'électricité et la radiographie
enfin un laboratoire de chimie et biologie. Toujours sous l'administration des
Sœurs Grises, le taux d’occupation des lits déborde les
capacités, même renouvelées :
«Les
activités de l’hôpital s’intensifient rapidement : de 232 patients hospitalisés
et de 136 opérations chirurgicales pratiquées au cours de l’année terminée le
1er juillet 1923, on passe, trois ans plus tard, à 649 patients hospitalisés et
à 384 opérations. On se sent déjà à l’étroit et l’on recommence à parler
d’agrandissement, par une construction nouvelle cette fois, à côté du bâtiment de
1889, qui lui-même prolonge celui qui était occupé depuis 1868. […] La
construction d’un nouveau bâtiment débute en 1931, le gouvernement de Québec y
ayant consenti une subvention de 200 000 $, une véritable manne pour les
ouvriers en chômage en cette période de crise économique. Le projet est d’une
ampleur telle qu’on pourra se permettre de démolir la partie occupée depuis
1868, tout en augmentant le nombre total de lits disponibles. La disparition de
ce bâtiment permettra l’aménagement d’un îlot de verdure à côté de l’église.
Quant à l’édifice de 1889, il sera entièrement consacré à l’hébergement des
personnes âgées, offrant une capacité de 75 lits après les rénovations, alors
que l’immeuble nouvellement construit à côté du précédent mettera, lui, 100 lits
à la disposition des malades. Terminé en 1933, le nouvel édifice, à l’aspect
monumental, va répondre aux besoins de la population pendant une quarantaine
d’années, jusqu’à l’ouverture, en 1972, de l’hôpital actuel sur le boulevard du
Séminaire».
De 1927 à 1929, le curé
Coursol a mis beaucoup de pression auprès de la ville même en vue de faire
construire ce nouvel hôpital :
«En
1931, on convint de construire un hôpital moderne sur le terrain s’étendant de
la rue Longueil à la rue Jacques-Cartier, d’améliorer l’hospice et de démolir
la vieille maison de pierre, moyennant la contribution de $ 25 000 versée par
la Fabrique.
Le gouvernement provincial s’engagea à fournir $ 200 000 et le public
souscrivit à $ 6 153. Avec des emprunts et d’autres contributions, on commença
les travaux de construction (qui dépassèrent de beaucoup les privisions). En
avril 1933, on peut recevoir les premiers malades dans la nouvelle
construction…».
La maison portant le
numéro 240 de la rue Jacques-Cartier Nord, connue sous le nom de maison
Bouthillier, est étroitement liée à l'histoire de l'hôpital. Construite vers
1850 par l'avocat Joseph Delagrave, maire de Saint-Jean en 1858 et 1859, elle
est habitée, à partir de 1913, par le docteur Alexis Bouthillier, surnommé «le
médecin des pauvres», également maire de Saint-Jean de 1919 à 1923 et député à
la Législative de Québec de 1919 à 1940. En 1932, la maison sera achetée par
les sœurs Grises et servira de résidence pour les infirmières de l'hôpital. La
maison Bouthillier, qui a aussi abrité les locaux du département de santé
communautaire de l'hôpital du Haut-Richelieu, forme, avec l'église, le
presbytère et l'hôpital, un bel ensemble architectural. À côté de l’hôpital et
des bureaux de médecins s’établissent des pharmaciens, qui tiennent également
des comptoirs de friandises! Louis-Olivier Régnier (1894-1979) est sans doute
le plus connu, ayant ouvert son officine en 1921. La pharmacie Sagala ouvrira
un comptoir, juste en face de la cathédrale, sur Saint-Jacques. Puis viendront
les Rexall’s, les chaînes de produits pharmaceutiques étrangères.
Également rue Longueuil, datant de 1841 (ou 1857), la résidence du 170
appartenait à l’origine à M.B. McGinnis. Son architecture nous donne l'aspect
des plus vieux bâtiments de Saint-Jean, avant le Grand Feu de 1876.
Construite entre 1828 et 1841, elle appartenait alors aux deux sœurs Sarah et Elisabeth McGinnis qui n’y résidèrent pas. Leurs frères,
Richard (pour le baron Grant) et William (pour le seigneur Christie) jouèrent
le rôle de chiens de garde des propriétés durant les Troubles de 37-38. Depuis,
cette maison portait le nom de Thibodeau. Des transformations majeures en 1920 ont
considérablement modifié son apparence. Cette maison a logé le Centre des
œuvres Sainte-Thérèse de 1926 à 1965 puis l'Unité sanitaire.
Arsène Bessette et son roman, Le Débutant. Politiquement, Saint-Jean
demeure fidèle à elle-même. Son organe de presse reste Le Canada-Français
de Félix-Gabriel Marchand. L’empreinte du fondateur y est restée longtemps
après sa mort. Grâce au journal, de jeunes auteurs ont pu transiter du
journalisme au roman ou à la poésie. Yvonne Labelle, la future auteure de la Monographie
d’Iberville y fit ses débuts. Le jeune Arsène Bessette (1873-1921),
journaliste au Canada-Français, publia à la Compagnie de Publications
«Le Canada-Français», en 1914, son «roman de mœurs du journalisme et de
la politique dans la province de Québec», Le Débutant (1914). Cette
Compagnie de Publications avait obtenu ses lettres patentes du Gouvernement
fédéral le 29 mai 1908 suite aux démarches de Gabriel Marchand. Le 19 août suivant, elle devenait
propriétaire de l'hebdomadaire, des droits d'imprimerie, des machines à
composer, des presses et des accessoires. Louis Aldeï Gosselin et Gabriel
Marchand assument respectivement la présidence et la gérence de la Compagnie.
Le 13 décembre 1910, la Compagnie se porte acquéreur du terrain et de l'édifice
situé au numéro civique 16 rue Richelieu. Le bureau et l'imprimerie du Canada-Français
y élisent domicile en janvier 1911. C'est à cette époque que Bessette en
est rédacteur en chef.
«Né à Saint-Hilaire, comté de
Rouville, le 20 décembre 1873, Arsène Bessette avait fréquenté le Collège
Sainte-Marie-de-Monnoir. Ses études terminées il se dirigea vers le
journalisme. Il fut courrieriste parlementaire à Québec, deux ans rédacteur à La
Patrie et au Canada de Montréal. En 1900, il devenait rédacteur en
chef du journal Le Canada-Français de Saint-Jean. Il le sera jusqu'en
1917. Arsène Bessette signait ses articles sous différents pseudonymes : Grain
d'orge, Billet public, Muscadin, Causerie. Son épouse collabora également à ses
écrits sous la signature de Berthe d'Iberville, Patronette, Margot, Luce.
Arsène Bessette fut l'auteur
d'un roman Le Débutant,
imprimé en 1914 par la Compagnie de Publication
Le Canada-Français à Saint-Jean. Ce roman fut subséquemment mis à l'index par
le clergé à cause de ses idées avant-gardistes. Bessette y faisait
"souvent allusion à la vie simple et saine dans nos campagnes; la vie dure
et truquée dans le journalisme, la vie rusée et paternaliste dans la politique
où l’intérêt du parti dominait tout. Il fait allusion à l'influence du clergé
sur les politiciens, croyant que la vie spirituelle aurait dû occuper tout leur
temps.
"Il désirait que dans nos
maisons d'enseignement l'on apprit moins le latin et le grec mais plus
d'anglais, de mathématiques. Il voulait voir les siens dans le génie, les
affaires et l'industrie. Il a souvent servi de forts avertisments à ses
compatriotes qui, à cause de leur manque de préparation et leur indifférence
voient passer nos industries et notre commerce entre les mains
étrangères".
"Il a fait œuvre de précurseur. On dit qu’il
était 50 ans avant son temps. Son avertissement et préssentiment nous en
ressentons les effets aujourd’hui".
"Arsène Bessette a voulu rendre service
aux siens. S’il a appartenu à la loge l’Émancipation des Francs-Maçons de
Montréal comme tant d’autres canadiens-français importants, c’était pour mieux
nous avertir de ne pas vouloir lutter efficacement pour notre survie et jouer
le rôle qui nous appartient comme premiers colonisateurs en ce pays".
Arsène Bessette mourut subitement à Montréal le
21 juin 1921 âgé de 48 ans».
Ce roman commence par un épigrame : «Ce livre n’a
pas été écrit pour les petites filles», ceci servant un peu comme servent
aujourd’hui les cartons de surveillance parentale affichés au début d’un film,
comme un clin-d’œil ironique sur ce qui y est raconté des mœurs, plutôt
douteuses, du monde politico-journalistique. Illustré de vignettes tracées par
le jeune français Théophile Busnel - le livre est dédié à sa mémoire après
qu’une maladie l’eut terrassé -, le roman se veut appartenir à l’univers
réaliste des Zola et des Mirbeau, mais sans l’aspect tragique ou trop sordide.
À la fin, le jeune héros, désabusé par ce dont il a été témoin dans les
coulisses du grand monde, s’achète un billet et part en exil aux États-Unis. Dans
le train qui l’emmène vers New York, il s’arrête à Saint-Jean :
«
Mais le train filait toujours
et, après avoir passé Brosseau et Lacadie, on arriva à Saint-Jean. Un arrêt de
cinq minutes. Il eut envie de descendre, mais il n’en fit rien, redoutant une défaillance
de sa volonté, sous le coup d’une émotion qu’il avait peine à contenir. Devant
la gare, des officiers de cavalerie mêlaient dans le soir tombant, le rouge de
leurs uniformes aux robes blanches des femmes. Il y avait là toute une joyeuse
jeunesse, venue à la rencontre de quelques amis, qui, tantôt, irait valser au Yacht
Club
dont on apercevait la façade illuminée, sur le bord de la rivière,
entre les arbres du parc public, voisin de l’école militaire. Cette petite
ville où il n’était jamais venu, avait l’air d’un immense bosquet mystérieux,
troué seulement par des clochers d’églises et quelques cheminées d’usines, qui
seuls enlevaient l’illusion que ce ne fut un véritable paradis terrestre. Le
train reparti, le jeune homme ne vit plus rien».
En fait, ce n’est pas pour les États-Unis qu’allait
partir Bessette mais pour Montréal. Bessette est resté dix-sept ans le
rédacteur en chef du Canada Français, soutenu par son propriétaire,
Gabriel Marchand. En 1906, il envisagea même de «rassembler les “petites
peintures de formes et de sujets variés” qu’il donne chaque semaine aux abonnés
de son journal en un volume qu’il intitulerait Modernités - Modern Style, mêlant
volontairement l’anglais au français dans ce titre pour donner “une
signification adéquate” au genre adopté».
Elles ne seront jamais publiées.
«
À la fin de 1917, la
situation ne sera plus tenable pour Arsène Bessette, au Canada Français
et à Saint-Jean. Depuis la mort de Gabriel Marchand qui soutenait Arsène
Bessette, les tirages du Canada Français
avaient baissé : de 4,579 en
1900, ils étaient tombés à 4 200 en 1913, malgré l’organisation en 1901, d’un
grand concours littéraire, et des offres, à plusieurs reprises,
d’abonnements-prime qui rapportaient à ceux qui les souscrivaient des reproductions
d’œuvres d’art (peintures, sculptures). Les idées et la personnalité du
rédacteur en chef sont de plus en plus contestées; Le Débutant
a marqué
d’infamie son auteur. Arsène Bessette quitte Saint-Jean définitivement. À
Montréal, il se trouve un petit emploi de journaliste à La Presse
où il
ne signera pas - comme c’était la règle dans ce journal - les échos qu’il y
rapportera. En 1920, pour améliorer ses revenus, il accepte une place
d’inspecteur à la Compagnie des Tramways de Montréal».
La franchise de Bessette le désigne pour devenir la
cible des journaux ultramontains, dont La Vérité de l’acerbe Jules-Paul
Tardivel. Bessette, en effet, n’hésite pas à attaquer le Clergé, à qui il «n’a
jamais pardonné… d’avoir excommuné les Patriotes de 1837». Il y a donc en
lui une colère qu’il canalise dans ses écrits et qui le rattachent à un
libéralisme authentique et sain qui se retourne même contre ses amis du Parti
Libéral, d’où ces descriptions de la corruption journalistique par la
politique, la vie dégentée parmi les artistes et les prostituées d’une
petite-bourgeoisie de professionnels peu scrupuleuse. Tous ces sujets tabous
font frissonner d’horreur les esprits bien-pensants. Le Clergé le premier en
interdit la lecture à ses ouailles. Bessette, dont le nom figurait déjà sur une
liste des membres de la loge maçonnique L’Émancipation, volée et publiée
dans Le Devoir en 1910, est mis au ban de l’Église. Sans doute pour
cette raison, l’ostracisme frappe l'auteur dont Roger Le Moine dit que le roman
est la «seule œuvre romanesque d’inspiration maçonnique de la littérature
québécoise», ce qui est plutôt insignifiant. Bessette, qui vit en plus une
relation amoureuse hors mariage, n’a donc rien pour s’attirer des sympathies.
Une véritable «conspiration du silence» enveloppe le roman qui sera pilonné
avant d’être réédité soixante ans plus tard. Après Marie Calumet de
Rodolphe Girard (1904) et Les Foins d’Albert Laberge (1909), Le
Débutant d’Arsène Bessette subit à son tour les foudres de la censure.
Bessette est mort sans avoir eu le sort qu’il
méritait :
«
Le 21 juin 1921, s’étant
rendu rue Clark, chez Monsieur Fournier (que l’on a dit tantôt notaire, tantôt
manufacturier de matelots), Arsène Bessette meurt subitement, dans sa
quarante-huitième année, n’ayant pas accompli l’œuvre littéraire qu’il aurait
dû écrire. Mais il en avait eu la prémonition. Lui, qui aimait si peu à parler
de sa vie privée, avait répondu en 1902 à un ami qui lui disait "Il faut
que vous soyez célèbre un jour, il faut que vous accomplissiez des œuvres
immortelles" : "Je me sens trop petit pour exécuter ce commandement,
je sens que l’hiver de ma vie viendra trop tôt
pour me permettre de
réaliser l’espérance qu’on a mise en moi". Il est parti - sans plainte et
sans murmure - comme il le désirait mais injustement méconnu. Le Canada
Français
se contenta de signaler son décès dans un bref entrefilet en page 5».
C’était bien injuste. La Compagnie du journal, qui
avait publié le roman, devait être tenue aussi responsable que l’auteur des
condamnations religieuses et politiques. Dans le texte de l’édition du 23 juin
1921, la rédaction ne fait preuve d’aucune honnêteté en annonçant la mort de
son ancien rédacteur :
«
Monsieur Arsène Bessette,
ancien journaliste, domicilié au n° 80, rue Clark, Montréal, est mort
subitement à 10 h.30, mardi matin, chez Monsieur Édouard Fournier,
manufacturier de matelots à Montréal. Il était allé régler certaines affaires
quand tout à coup il s’affaissa. On manda immédiatement l’ambulance, mais on
constata sa mort. Il était âgé de quarante-huit ans. Il fut pendant dix-sept
ans rédacteur au Canada français.
- Et l’article ajoutait que l’enquête
ouverte au sujet de ce décès subit avait conclu à une mort naturelle. (Cet
article nécrologique, inspiré de très près de celui paru dans La Patrie,
quarante-huit
heures plus tôt, contient une erreur : Arsène Bessette n’habitait pas rue
Clark, mais s’était rendu chez Monsieur Fournier, qui habitait au 80 de cette
rue)»
Bessette suit son personnage de journaliste de ses débuts marqués par l’innocence et la sincérité d’un Tintin jusqu’à ce que la réalité se révèle à lui et brise, l’une après l’autre, ses illusions : le journalisme, la politique, les femmes, tout le mène à une déconvenue blasée, Paul Mirot,
n'exprimait que la pensée profonde de l’auteur que l’expérience du journalisme lui avait
apportée, et il avait bien raison : Saint-Jean n’était pas ce paradis qu’elle
semblait être à première vue.
Louis-Omer Perrier à la barre du Canada-Français. C’est un an après le départ
de Bessette que l’orientation du Canada Français allait changer. Car
suivant cette pente, son destin aurait été sans doute tragique s’il n’y avait
eu la réorientation du journal qu'allait lui insuffler un journaliste entêté et
déterminé. Louis-Omer Perrier (1883-1958) prend la barre du Canada Français en
1918. En janvier de cette année, Perrier devient, en effet, directeur général
de la Compagnie de Publication Le Canada-Français et le journal paraît
maintenant tous les jeudis. Le 14 avril 1920, Perrier en devient le
propriétaire pour la somme de $ 18 000. Il fait ainsi l’acquisition de tout ce
que possède la compagnie : terrain, immeuble, titre du journal, atelier ainsi
que la liste des abonnés. Durant les 38 prochaines années, il en sera l’âme
dirigeante :
«Au moment où il devint
propriétaire, le journal comptait 8 pages et il en coûtait $ 1.50 par année
pour s’y abonner. Quant au contenu, il avait très peu évolué. Trois pages
étaient consacrées aux nouvelles nationales et internationales, une autre
traitait de problèmes tels que l’agriculture ou le commerce, tandis que
seulement 2 pages étaient consacrées aux nouvelles locales. Notons cependant
que l’on réservait 2 pages entières aux annonces».
Avec Perrier, l’orientation littéraire donnée jadis
par les Marchand va se transformer en celui d’un hebdomadaire totalement
nord-américain. Il accordera progressivement une place prépondérante à la
nouvelle locale. Pendant quarante ans, les qualités d’administrateur de Perrier
permettent au journal de traverser la Grande Dépression. Dès le début de son
administration, Le Canada Français commence à paraître le jeudi au lieu
de vendredi. Il sera publié cette journée de la semaine jusqu’en 1968. Son coût
: 5 cents la copie. Maï Robert, qui le distribue dans les rues de la ville,
attelle son chien berger allemand qui s'annonce au son d'une grosse cloche. En
1935, le nombre de pages a doublé, passant de huit à seize. Au décès de
Perrier, en 1958, le volume du journal atteindra 48 pages. Le journal change
peu d’apparence durant l’administration de Perrier. Le 25 novembre 1937, un
nouveau bandeau de page frontispice fait son apparition, remplaçant le bandeau
de 1895. Ce nouveau bandeau restera inchangé jusqu’en 1964. Changement à
caractère plus fondamental en cette année 1937, le journal s’affranchit de son
allégeance libérale. Désormais, affirme Perrier, Le Canada-Français est «un
hebdomadaire dévoué aux intérêts de toute la région». Mais il ne faut pas
prendre tout cela à la lettre. Perrier sera l’adversaire de Paul Beaulieu aux
élections contestées de 1941 (Élu député provincial, le soir du 6 octobre 1941,
à la faveur d’une élection partielle à la mort du Dr Bouthillier, il doit céder
sa place à Paul Beaulieu après un recomptage judiciaire), il siègera au Conseil
municipal de la ville et restera organisateur libéral. Ce que cela signifiait?
Que Le Canada-Français ne serait plus tant un journal d’opinions mais un
journal d’informations locales.
À chaque semaine reviennent les rubriques plutôt que
la mise en valeur de la nouvelle importante consacrée par la manchette. Les
employés sont peu nombreux et doivent se montrer polyvalents. Le patron tient à
ce que le journal paraisse à l’heure. Ses colères sont légendaires, mais malgré
tous les obstacles qui se dressent devant lui, le nombre de pages du Canada-Français
ne cesse d’augmenter avec les années : 20 en 1940, 28 à 32 en 1947, 40 en
1953 et 48 en 1958, année de la mort de Perrier et de la première augmentation
substantielle du prix de l’abonnement annuel qui passe de $ 2.50 (depuis 1947)
à $ 3.50. Ce n’est plus un journal pour une mince couche de lettrés,
professionnels ou clercs, mais un journal qui se veut populaire.
Apparition de l'hebdomadaire Le Richelieu. Outre Le Canada-Français,
journal francophone et dévoué entièrement au Parti Libéral, il existait
toujours The News, le vieux journal anglophone fondé quelques années
avant la publication de Félix-Gabriel Marchand. En cette époque de
contestations politiques, sociales et relgieuses, le temps était venu pour un
nouveau journal de faire son apparition : Le Richelieu.
C'est à la demande de Mgr Chaussé, alors Supérieur
du Collège de Saint-Jean que le journaliste Dominique Beaudin quitte son poste
de rédacteur en chef du Progrès du Saguenay pour venir lancer, le 26
septembre 1935, le premier numéro du nouvel hebdomadaire. Dès le premier
numéro, la politique de la nouvelle feuille est clairement exposée : Le
Richelieu est un journal régionaliste, catholique et à tendance
conservatrice-unioniste : «Pour M. (Rodolphe) Fournier, il ne fait aucun
doute que Le Richelieu fut d'abord une entreprise purement laïque et
surtout politique. Le journal devait servir de contre-poids conservateur au
véhicule d'allégeance carrément libérale que représentait Le
Canada-Français de l'époque. Par la suite, le clergé aurait pris le journal
en main par le biais des Éditions Richelieu inc (propriété diocésaine…»
Paul
L’Écuyer prend la relève du journal un an après sa fondation, quand Beaudin se
voit obligé d’abandonner la direction. L’Écuyer mène l’entreprise pour les 30
prochaines années à venir. Le journal vivotte jusqu’à la fin de la Seconde
Guerre mondiale, éprouvant de constantes difficultés financières :
«Contrairement
à la croyance populaire, le soutien financier du journal n’était pas
automatiquement et encore moins "grassement" assuré par le diocèse.
Malgré la grande confusion qui règne autour de cette question, il semble que
l’apport de plusieurs citoyens de la ville ait été prépondérant. Signalons
notamment la contribution de l’imprimeur Georges Payette. En effet, celui-ci
aurait largement contribué à la survie du journal par le biais de son
entreprise (au début à tout le moins)».
Il
est probable que l’impact de la venue du Richelieu sur Le
Canada-Français fut de l’orienter à se porter davantage vers les nouvelles
locales plutôt que nationales et internationales. L’information locale, en
prenant plus de visibilité, suscitait un plus grand intérêt des Johannais aux
affaires qui les touchaient plus particulièrement.
La Radio. Mais la grande nouveauté de
l’époque - un autre don de la Fée Électricité, est la radio. La ruée sur
les postes de diffusion ne cesse de s’amplifier à partir des années vingt et,
bien que Saint-Jean ne possède pas encore son poste émetteur, cela n’empêche
pas le maire Pierre Trahan de se rendre à la station C.K.A.C. et d’y prononcer
un discours vantant les avantages économiques de sa ville, le 4 janvier 1925.
La radio n’amène pas que des discours politiques ou des bulletins
d’information. Elle amène surtout la musique, et en particulier la musique
populaire. Les rues habituées aux bruits de la vie quotidienne seront désormais
bouleversées par un bruit constant de musique et de chants, au point que
certains citoyens se plaindront de cette pollution auditive.
Centres d’informations. Le Canada Français ne
fut pas le seul journal à ouvrir des carrières littéraires. Rappelons que la
poétesse Rina Lasnier (1915-1997), la fille du fortuné garagiste Moïse Lasnier,
a été journaliste à l'hebdomadaire Le Richelieu, où elle a dirigé une
section pendant 7 ans, avant de s’engager dans une vie littéraire active dans
la poésie québécoise. Étant fille survivante d'un père fortuné, elle a
fréquenté le Couvent des Dames de la Congrégation Notre-Dame de Saint-Jean.
Elle partira faire ses études secondaires en Angleterre, au Couvent d’Exeter et
à Montréal, au Collège Marguerite-Bourgeoys :
«
Elle songe à étudier la
médecine, mais une assez longue maladie modifie ses projets : elle suit des
cours de littérature française à la faculté des Lettres de l’Université de
Montréal.
Après avoir fait un peu de
journalisme au Canada-Français et au Richelieu, elle s’inscrit
aux cours de bibliothéconomie; elle rédige une thèse bio-bibliographique sur M.
Victor Barbeau. Ce dernier jouera ensuite auprès de Rina Lasnier le rôle d’un
clairvoyant Mécène; sur ses instances, elle refusera un poste important dans le
fonctionnarisme pour se lancer dans la carrière des Lettres…
Rina Lasnier est membre
fondateur de l’Académie canadienne-française. Elle a reçu plusieurs prix
littéraires : le prix David, en 1943; le prix Duvernay, en 1957».
À partir de 1939, elle publie, année après année,
des œuvres de poésie imbues dit-on de mysticisme. Laurent Mailhot écrit ainsi :
«
Les débuts de Rina Lasnier sont
didactiques, voués aux vierges indiennes, aux voyagères et autres madones.
L’inspiration biblique du Chant de la montée
(1947), la nostalgie d’Escales
sont déjà mieux incarnées. Avec Présence de l’absence
(1956) et Mémoires
sans jours,
titres-duels, le poète arrive à l’essentiel. Un obscurcissement
se manifeste, mais aussi une exigence, une passion, comme dans cette grande ode
qui est moins un cnatique qu’un art poétique : La Malemer.
Poésie
marine, a-t-on dit de ces vastes courbes, de ce mouvement maîtrisé et soumis.
Mais la mer est souvent tempête, paroxysme; la paix est armée. Poésie lapidaire
et savante dans Les Gisants
(1963), où la mort est comme saisie au piège
des mots. Poésie arborescente et neigeuse dans L’arbre blanc,
où
"la parole, friable comme la mort, se désagrège et retombe tandis que
l’élément spirituel poursuit son sascension" (N. Audet). Partout, et
récemment dans La Salle des rêves,
Rina Lasnier cherche à composer le
nocturne et le diurne, la hauteur et la profondeur, dans une sorte de
"combustion poreuse", d’ouverture du temps».
Rina Lasnier a pu vivre une vie qui n'était pas
celle commune aux femmes de l'époque. Ni épouse, ni religieuse, voyageant dans
une Europe d'entre les deux guerres comme son ami Alain Grandbois, elle étudia
dans de grandes universités. Elle vécut une longue partie de sa vie à Joliette
avant de revenir finir ses jours à Saint-Jean.
Depuis les premiers temps de Dorchester, la ville
avait toujours été le centre de distribution de la presse internationale. Le
fait d'être une capitale régionale accueillant des voyageurs de Montréal et de
New York, toujours assoiffés d'informations puisées à même les Gazettes en
faisant les cent pas en attente dans une gare; le fait de posséder également un
grand nombre d'hôtels pour voyageurs, tout cela attirait à Saint-Jean les
journaux du Canada entier, voire même des États-Unis et de l'Europe. La tabagie
Boulais, sur la rue Saint-Jacques - un commerce tout en longueur où l'on
marchait sur un plancher de bois vermoulu qui craquait sous nos pas -, pendant
des décennies, fut le centre de distribution de la presse de toutes provenances
au cœur de Saint-Jean. Le même Boulais était propriétaire des autobus scolaires
qui servaient à véhiculer les enfants aux écoles. Il assurait aussi un service
local. Pas très loin, à côté de la Centrale Catholique, on y trouvait la
librairie Richelieu, associée à une maison d'édition depuis le milieu du
siècle. On y trouvait des manuels scolaires et des récentes parutions. Son
principal concurrent était la librairie Claude Payette, sur la rue Richelieu.
Je me souviens de l'incendie qui avait ravagé le vieil immeuble au milieu des
années soixante, à cause de la vente de feu qui avait suivi et où l'on trouvait
des livres scolaires et des éditions aussi bien françaises que québécoises à
bas prix. Payette était une chaîne de librairies et de papeteries dont on
trouvait un dépositaire à Iberville et un autre à Granby. Entre les deux, il y
avait la librairie Choquette, qui perdura jusque dans les années 70, toujours
avec le même type de marchandises durant des décennies axées sur les objets de
culte commerciaux. Située face à la cathédrale et proche de l'hôpital, on y
trouvait cartes de souhaits, statues et objets de piété, livres pour jeunes
enfants et articles de papeterie fine. On trouvait aussi des livres dans les
tabagies et les pharmacies, des comics books français et américains, les
bandes dessinées d'Hergé, etc. Comme il n'y avait pas d'entrepôts jumelés à ces
magasins, il arrivait plus souvent qu'autrement qu'il faille commander des
livres de l'étranger, de Montréal ou même de France, ce qui mettait entre 4
semaines et 3 mois. avant de parvenir à destination. Enfin, ce serait négliger
sa propre auberge si je ne mentionnais pas la publication, aux éditions Le
Richelieu, de la monographie du R.P. Jean-Dominique Brosseau, dominicain, Saint-Jean-de-Québe
: origine et développement dont nous avons déjà fait la critique
historiographique.
L'apparition de l'automobile à Saint-Jean. Toute cette activité se
déroulait au moment où la traction du moteur à pétrole s’apprête à remplacer
les bêtes de somme. Un nouveau moyen de transport apparaît ce mercredi 30 mai
1900 dans les rues de Saint-Jean : une automobile, conduite par un
manufacturier de chapeaux de Marieville, Edmond Guillet. Cette nouveauté,
coûteuse, provient des États-Unis. Mais dès 1907, l'automobile semble en voie
de gagner la partie. Un premier «garage d'automobiles» est ouvert cette
année-là. Des commerçants installent des réservoirs à gazoline afin de vendre
de l'essence. Le tailleur d'habits, Isaïe Hévey, en installe un derrière son
magasin de la rue Richelieu afin de fournir aux bateaux ancrés au port comme
aux automobiles. Des jeunes passionnés de nouvelles techniques ouvrent des
ateliers de réparation qu'ils agrandissent en en faisant des stations services.
«En 1928, le garagiste J.-A. Viens, de la rue Richelieu, achète l'édifice de
l'ancienne salle de spectacle Black's Opera House qu'il convertit en un
"garage très moderne". Il annonce en décembre de cette année-là qu'il
dispose maintenant de l'espace de remisage pour une vingtaine de
"chars" de plus».
De tels engins n'auraient pu circuler sur le pont Jones.
Pourtant, encore en 1904, les gens distingués de la bourgeoisie
johannaise se déplaçaient en bogey, légère voiture montée sur 4 grandes
roues et tirée par un seul cheval. C’est en pensant encore à ces voitures qu’on
érigea le pont Gouin en 1916, ce qui était clairement un manque de prévoyance.
La journée de l’inauguration du pont est d’ailleurs symbolique en ce sens.
Pendant que le vieux George Farrar traverse le pont en bogey, le jeune
Rosario Thuot le franchit au volant de sa rapide automobile. En moins de 10
ans, il devra être refait pour supporter l’affluence constante des automobiles.
Pour les gens, l’échange entre solipèdes pour tractions avant s’impose : une
demi-journée pour se rendre à Montréal via Chambly en 1905! De plus, les gens
peuvent apporter leur dîner dans un grand panier d’osier qu’ils n’ont qu’à
suspendre au-dessus de la roue arrière de la Torpedo de marque Ford, modèle le
plus en vogue.
Tout n’est pas parfait avec ce nouveau mode de locomotion. L’hiver,
avec ses grandes bordées de neige, se montre impitoyable pour les carrosseries
et la nécessité de déblayer rapidement les rues à une époque où le service de
voirie n’est pas encore organisé devient un casse-tête supplémentaire pour les
conseillers municipaux. En 1925, la compagnie funéraire Langlois conduit encore
les dépouilles dans un corbillard monté sur des traineaux tirés par 2 chevaux.
Tous ne se modernisent donc pas au même rythme. D’autres appareils motorisés -
dont les fameux ski-doo de Bombardier -, ne tardent pas à se moquer de
l’hiver. Ainsi, durant les hivers de 1930, Léopold Ménard peut effectuer ses
livraisons de liqueurs douces Coca Cola à travers toute la région, monté
dans une auto-chenille!
À la suite des automobiles légères, pratiques pour le transport
individuel ou familial, apparaissent les camions légers, puis lourds pour le
transport de marchandises. Dans les années 1930, les camions Reo sont
très courants : «On n’y mettait pas un gros volume de cargaison, mais les
chauffeurs, toujours coiffés de la casquette, en étaient très fiers. C’était
l’époque où les roues doubles à l’arrière faisaient leurs premières apparitions.
À remarquer que le chauffeur portait des guêtres de cuir pour éviter de
s’accrocher dans les pédales».
Une photographie d’époque nous montre le camion de la Cables, Conduits and
Fittings Limited qui fait la navette entre Montréal et Saint-Jean. Ce camion
fait partie de l’écurie de la Compagnie C. Lemaire Express, toujours en service
à la fin du siècle. Le numéro de téléphone du temps est le 867 et la compagnie
à pignon rue Saint-Jacques.
En janvier 1937, les clients de la firme Taxi Pépin de Saint-Jean
peuvent se balader dans des autos proprement astiquées que l’on étale devant
l’édifice des Chevaliers de Colomb pour le photographe : une Cadillac 1930, une
autre de 1931, une Packard 1930, une Chevrolet 1937 et une autre toute neuve.
La jeunesse des années folles est la génération qui découvre l’automobile, la
vitesse, les courses effrénées en pleine rue.
Une nouvelle forme de pollution. Si, depuis la fondation de Saint-Jean, les
animaux furent les principaux agents de pollution par leurs excréments et leurs
carcasses qui se mélangeaient à la boue et à la neige, l'apparition des
automobiles à essence, l'accroissement des déchets urbains, souvent dus à la
consommation de produits manufacturés, la malpropreté ambiante des rues
principales ont commencé, au début du siècle, à être perçus comme des
inconvénients pour une bonne partie de la population. Passer de l'odeur du
crottin (sensé ouvrir l'appétit) à celle du carbone des autos et des fumées
toxiques issues des longs tuyaux de la Corticelli ou de la Singer était
un passage obligé du progrès nouveau. Comment la Ville pouvait-elle résoudre ce
nouveau problème des déchets industriels et domestiques?
Fumée de trains, gaz d’échappement d’automobiles à essence, nuées
noires remplies de suie dégagées par les hautes cheminées d’usine, la pollution
jette un fard sombre aux traits de la ville. La neige se salit et devient vite
boueuse; l’abondance du fer et de l’acier concurrence le bois et la brique. Il
suffit de voir cette vieille photo jaunie de la petite manufacture G.-C.
Poulin, fabriquant de portes et châssis, photo prise vers 1905 - une cabane de
2 étages dominée par une haute cheminée… un tapis de neige toute blanche
couvrant encore le sol, devant le bâtiment et une longue traînée noire qui
s’échappe. La rivière est également menacée. En 1908, des travaux de grande
envergure sont effectués au canal de Chambly. Il s’agit de creuser le lit afin
d’accueillir des navires de plus gros tonnages. Le mazout viendra remplacer la
voile et la vapeur.
En juillet 1906, quelqu'un se plaint de la malpropreté de la rue
Richelieu. Ce ne sont alors que des papiers, des cartons, des enveloppes… Le pire moment, ce n’est
pourtant pas l’été, mais au printemps, à la fonte des neiges. Tous les déchets
accumulés au cours de l’hiver et gelés se répandent en détritus et en odeurs
nauséabondes. Chaque citoyen, comme c’est la mode à l’américaine, doit
nettoyer le pas de sa porte. Une lourde amende de $ 20 est donnée à qui jette
un déchet dans la rue. Mais ce n’est pas suffisant : «En 1916, le conseil
municipal envisage d’installer des poubelles à divers endroits de la ville,
mais il lui faudra bien des années, et bien des déchets ramassés par terre par
ses ouvriers, avant de se décider. Deux ans plus tard, on fait justement
remarquer à la Mairie que l’attente d’un niveau de propreté convenable de la
voie publique est irréalisable sans l’installation de poubelles».
Ce n’est qu’à l’été 1923 que la ville achètera et disposera d’une douzaine de
poubelles publiques.
Si la Ville peut assurer une
certaine propreté des rues, il n’en va pas de même des cours des résidences.
Entre le jardin urbain, quelques petits élevages de lapins ou de volailles, les
objets désuets qui s’accumulent, les pourritures de toutes sortes qui s’y
décomposent, des odeurs pestilenciels se dégagent qui offusquent les narines
des bourgeois de Saint-Jean. Ces cours attirent des insectes qui prolifèrent et
transmettent des maladies dont les enfants sont le plus souvent les victimes,
parfois fatales. De plus, le premier terrain vague venu peut rapidement servir
de dépotoir public. Ainsi, sur la rue de Salaberry au nord de la voie du
Canadien Pacifique, en 1896; aux abords du vieux pont Jones en 1899; au coin
des rues Saint-Georges et Richelieu en 1911… Des gens y viennent, plus souvent
la nuit, à la dérobée, y porter «à pleins tombereaux» les ordures domestiques :
«Mais
l’emplacement le plus utilisé se situait aux abords du pont ferroviaire du
Vermont Central, juste au nord de l’actuelle marina, pont qui enjamba la
rivière de 1859 jusqu’à sa démolition en 1967 : "[…] tout le long du
rivage sur une distance d’environ 600 pieds en haut du pont du chemin de fer et
sur une distance de près de 400 pieds en bas de ce pont, on a fait un dépotoir
de vidanges de toutes espèces". Située à quelques centaines de pieds
seulement des maisons de l’extrémité sud de la rue Richelieu, cette
accumulation de déchets se trouve également près de la prise d’eau de
l’aqueduc, et en bordure d’un espace vert censément plaisant et sain, le parc
Richelieu (Laurier); "On y voit un amoncellement de déchets de toutes
sortes d’où se dégagent, sous les rayons du soleil, des émanations qui ne
sentent pas la rose […]. Lors de la débâcle de la semaine dernière, quantité de
déchets de même espèce apparaissaient sur les "bordages" pour
disparaître peu à peu à mesure que la glace se brisait". En avril 1907,
les "autorités sanitaires" de la Ville donnent avis "qu’elles
poursuivront quiconque ira déverser des vidanges en haut du pont du Central
Vermont. La Corporation a un terrain spécial pour recevoir les vidanges et le
public est requis de n’en charroyer qu’à cet endroit". Ces menaces ne
feront pas disparaître l’habitude bien ancrée du déversement d’ordures en ce
lieu. En mai 1910, des rôdeurs mettent le feu dans ce dépotoir illégal, que les
employés de l’aqueduc, situé tout près, parviennent heureusement à éteindre. Ce
problème fut enfin réglé en 1911, quand la Ville fit dresser une clôture de
"broche" pour empêcher physiquement l’accès au terrain, et l’on menaça
d’amende et même de prison les malfaiteurs tenaces qui s’aviseraient d’y percer
une brèche».
Ce terrain, acquis en 1905
et servant de dépotoir municipal est assez loin du centre-ville puisqu’il se
situe à l’extrémité ouest de la rue Saint-Louis, tout près du croisement des
lignes de chemin de fer du Grand-Tronc et du Canadien Pacifique. En 1914, un
second terrain est acheté, toujours à l’ouest, mais cette fois au bout de la
rue Glass Factory (Gouin). En avril 1915, la Ville fait construire un chalet à
l’usage d’un gardien du dépotoir pour qu’il écarte les gens qui viendraient y
fouiller. Un avis est adressé spécifiquement aux femmes et aux enfants. En
cette période d’austérité de guerre, il faut comprendre que beaucoup de gens
devaient essayer de «recycler» des déchets. «Le gardien même de ce dépotoir
tire un revenu d’appoint de la récupération d’objets et de matières
recyclables. Il se plaint, en décembre 1936, "du fait que certaines
personnes prennent dans les vidanges tout ce qui a une valeur marchande; il
perd de ce fait $ 8 à $ 10 par semaine". Compte tenu de son maigre
salaire, il ajoute que, si la Ville ne met pas fin à cette pratique, il devra
donner sa démission».
Là encore, le temps de la Grande Crise et l’austérité de la Seconde Guerre
mondiale étaient en grand partie, par l’état de pauvreté ambiant, la source de
ce maraudage nocturne.
Afin de mieux contrôler la
propreté urbaine, la Ville finit par se laisser convaincre d’organiser une
première récolte des déchets. Nous sommes en 1922. Deux charretiers équipés
d’une voiture à attelage double aura pour mission d’arpenter les rues de la
ville et de recueillir les déchets déposés dans des récipients à cet effet -
les premières poubelles. Jean Gaudette rapporte qu’au cours des six premières
semaines du nouveau service, l’équipe d’éboueurs a recueilli et transporté au
dépotoir 242 chargements de déchets en 260 heures! Cela n’empêche pas les
amoncellements d’ordures au fond des cours, surtout l’hiver, de se poursuivre.
On dispute au Conseil municipal quels types de déchets les éboueurs sont tenus
de ramasser : déchets de cours, objets usés, détritus domestiques, de ceux
qu’ils sont tenus de ne pas ramasser : tas de fumier, cendres, pierres,
déblais, gravats et ferrailles, les liquides non contenus dans des récipients
étanches, des objets trop volumineux (comme les gros meubles) et les objets
trop lourds pour être soulevés par deux hommes. On le conçoit, ce nouveau
produit colatéral de l’augmentation de la consommation : le déchet, est une
invention typiquement urbaine.
Le pont Gouin. En 1902, un accident se produit sur le pont Jones, dont le tapis
défonce sous le poids d’une voiture lourdement chargée de grains de la maison
Cousins. Du coup, voiture, chevaux et conducteur tombèrent dans la rivière, ce
qui force le gouvernement à penser à ériger un nouveau pont entre Iberville et
Saint-Jean. Ce sera le pont Gouin.
En 1905, 4 lignes de chemins de fer passent par Saint-Jean : le
Canadien Pacifique, le Grand-Tronc (devenu Canadien National), le Central
Vermont et le Delaware & Hudson. La gare du Grand-Tronc repose sur les
fondations de la première gare et la locomotive qui y stationne est toujours
mue à la vapeur. Proche de la gare du Canadien Pacifique, un silo a été érigé
de l’autre côté de la rue De Salaberry, silo disparu depuis longtemps,
propriété de la maison de grains Charles Cousins. En 1911, le comptoir du
Canadien Pacifique est situé sur la rue Richelieu, adjacent à l’édifice de la
Banque Nationale. Deux livreurs et leur voiture à chevaux assurent le service
du transport des colis. Des viaducs surplombent aux deux extrémités la rue
Richelieu. Une photographie de 1902 nous montre une locomotive arrêtée sur le
viaduc du Canadien Pacifique. Le 13 novembre 1913, la compagnie reçoit un
estimé pour la construction d’une cabine de contrôle qui permet à la partie du
pont qui surplombe le canal de Chambly de pivoter pour laisser passer les
navires. Le montant s’élève alors à $ 5 700. La cabine sera construite l’année
d’après, en 1914. Le pont a 2 voies et plus tard, l’une de ces voies sera
enlevée et la largeur du pont rétrécie. Si on observe bien le pont qui enjambe
le Richelieu, on aura tôt fait de remarquer la largeur des piliers et le tapis
du pont ne portant que sur le côté droit des piliers.
Après l’accident sur le pont Jones, des citoyens de Saint-Jean avaient
entrepris une démarche auprès du Ministre des Travaux Publics, Lomer Gouin, en
vue de la construction d’un nouveau pont sur le Richelieu. Une délégation
constituée de notables se rend également à Ottawa pour y rencontre le Premier
ministre Laurier qui accepte l’idée d’un pont unique qui servirait à la fois
aux piétons, aux voitures et au chemin de fer et qui semble être le souhait des
notables de Saint-Jean et d’Iberville. Laurier termine l’entretien en promettant
un petit pont Victoria entre Saint-Jean et Iberville. Mais les notables
des deux villes ne parviennent pas à s’entendre avec les autorités du chemin de
fer et les 3 ponts resteront séparés. Au bout de 14 ans d’attente et de peur à
l’idée de voir à nouveau le tapis du pont Jones céder, une proposition est
adoptée au Conseil de Ville, le 16 novembre 1914, accordant un contrat pour la
construction d’un nouveau pont métallique à la société Laurin et Leight. Cette
nouvelle construction coûtera $ 147 000. À un tel prix, il n’est pas étonnant
que le jour de l’inauguration, le 4 septembre 1916, on assiste à une cérémonie
en présence de l’Archevêque de Montréal, Mgr Paul Bruchési, et le Premier
ministre du Québec, Sir Lomer Gouin, ancien député du comté et dont la nouvelle
structure porte le nom. Il aura fallu trois ans à la firme Laurin &
Leight Construction Co. pour ériger cette structure d'acier à deux travées
à bascule qui relie toujours les deux rives de la rivière Richelieu.
Après les somptueuses cérémonies célébrées dans les deux villes, le
pont Gouin reprend les vieilles règles de circulation du pont Jones, le péage
en moins. Il est tout aussi défendu de trotter sur le pont Gouin qu’il était
défendu de le faire sur le pont Blanc. Ceux qui ne respectent pas cet avis
l’apprennent à leurs dépens et plusieurs personnes sont arrêtées pour avoir
trotté sur le pont Gouin! La ville de Saint-Jean paye la somme de $ 16
666.67 - Iberville ne paie qu’un tiers, $ 8 333.33 -, alors que les coûts ne
doivent pas excéder $ 125 000. La valeur des ouvrages exécutés jusqu’au 8 mai
1915 s’élevait à la somme de $ 65 220, le 5 août 1915 à $ 54 920, et en
septembre à $ 26 768… Le total aboutira à $ 146 908 : $ 20 000 de plus que le
montant prévu initialement. Tout au long des prochaines années, il faudra sans
cesse ajouter de l’argent pour les modifications nécessaires à adapter la
structure métallique à la circulation automobile. En 1917-1918, on procéde à la
démolition du pont Jones.
La croissance des automobiles va montrer qu’à peine en service, le
tablier du pont Gouin apparaît déjà trop étroit pour la circulation automobile
à 2 travées. Car chevaux et automobiles doivent se partager la voie, ce qui
crée souvent des embouteillages quand les chevaux se mettent à paniquer devant
l'automobile. Un massif bloc de ciment sert de contre-poids permettant à une
partie du tablier de lever afin de laisser passer les bateaux sur le canal de
Chambly. C'est un fait avéré que les ingénieurs du pont Gouin l'avaient
construit en fonction de la circulation chevalière propre au transport des
produits agricoles. Il perfectionnait le pont Jones jusqu’à oublier d’innover
vers le futur.
Le canal de Chambly subit une activité ralentie. Des barges à voile se
laissent couler doucement sur les eaux de la rivière, transportant du bois de
pulpe et de construction aux États-Unis vers 1900-1905 et reviennent chargées
de charbon. Leur aspect est celui des drakkars vikings. C’est en 1908 qu’on
dresse la bande du canal, parallèle à la rive gauche du Richelieu.
Celle-ci n’a pas du tout l’aspect du parc de villégiature qu’on lui connaît.
Laissée en friches, des cabanes de bois construites sur l’eau de la rivière
jalonnent la bande, de vieux poteaux portant l’éclairage, la nuit jettent un
aspect lugubre. Ces cabanes sont construites sur pilotis pour la plupart bien
que quelques-unes soient plus solidement implantées en terres. Officiellement,
elles servent de remises à bateaux et s’échelonnent entre les 2 ponts, celui du
chemin de fer Canadien Pacifique et le nouveau pont Gouin. Là s’y implantent
également des barbottes (des parties de cartes avec paris illégaux) et
de la contre-bande (surtout lors de la prohibition américaine). Ces hangars de
bois disparaîtront à la fin des années 1960.
Visiteurs célèbres de passage à Saint-Jean. Entre New York et Montréal,
la gare de Saint-Jean a vu s’arrêter plusieurs célébrités : le Maréchal Joffre
et le Maréchal Foch, le roi George VI et sa famille… La première visite se
produit le 4 avril 1906 lorsque le commandant des forces armées canadiennes,
lord Aylmer, vient faire l’inspection de la garnison de Saint-Jean cantonnée
aux casernes militaires.
Le 14 mai 1917, en pleine Grande Guerre, le Maréchal Joffre, vainqueur
de la bataille de La Marne, passe par notre ville. Se rendant à New York au
moment où les Américains s’apprêtent à s’engager aux côtés des Alliés, Joffre
s’arrête à la gare du Canadien Pacifique et, devant les soldats fusils à
l’épaule, le Maréchal est chaudement acclamé par les notables de la ville. Une
volée de chapeaux le salut, et le maréchal rembarque dans son wagon qui le
conduira jusqu’à la prochaine station. Le Maréchal Foch vient également
s’arrêter à la gare du Canadien Pacifique en 1918. À l’occasion, la rue
Saint-Thomas sera rebaptisée en son honneur.
En mai 1939, le roi George VI d’Angleterre et son épouse, la reine
Elizabeth sont chaleureusement accueillis à Québec, à Trois-Rivières et surtout
à Montréal. La visite royale n’est pas sans intérêt. Elle aussi vise à
atteindre le cœur des Américains. Le couple royal passe 4 jours aux États-Unis
avant de repasser par la Province de Québec en franchissant la frontière à
Lacolle. Il faut prolonger l’arrêt à Saint-Jean, le lundi 12 juin 1939, lorsque
le roi George et son épouse sont reçus par une foule massée de 35 000 personnes.
Quelques jours plus tôt, Le Canada Français, en première page,
invitait la population de toute la région à venir accueillir le roi et la reine
avec enthousiasme. Les employeurs avaient été priés de permettre à leurs
salariés de se rendre sur les lieux de l'événement. Les commissions scolaires
étaient appelées à mobiliser 3 000 élèves : «…il convient que la
manifestation avec laquelle nous recevrons nos souverains en terre canadienne
soit la plus chaleureuse qui soit. C'est par la densité de la foule, la vigueur
de son enthousiasme qu'il nous sera donné de témoigner concrètement de notre
loyalisme», écrivait le journal libéral. Ce même journal célèbre le
patriotisme des Johannais :
«"
Contenue de chaque côté des voies par
un cordon de militaires des casernes et par une filée de scouts et de guides
[…], la foule présentait un coup d'œil vraiment typique. Cette double haie
humaine égayée par les toilettes féminines et nettement délimitée par les
lignes kaki des militaires s'animait des milliers de petits drapeaux qui
claquaient au vent; tandis qu'au centre, la fanfare de la ville et celle du
Collège, quelques hauts officiers en tenue de gala et le corps échevinal (sic)
en jaquette et haut-de-forme, donnaient la note décorative". Le couple
royal est reçu par tout le gratin de la ville : le maire, Georges Fortin;
l'évêque, Mgr Forget; le vicaire général Mgr J.-F. Coursol et les députés
locaux, le docteur Alexis Bouthiller (M.P.P.) et Martial Rhéaume (M.P.) et même
le Premier ministre du Canada, Mackenzie King. Le couple royal apparaît sur le
quai, reçoivent une gerbe de fleurs apportée par une enfant. Le roi sert la
main des vétérans de 14-18 qui constituent une garde d'honneur. La reine sourit
et salut de la main les milliers d'hôtes enthousiastes. Des enfants entonnent,
en français, le "Dieu protège le roi" et le "Ô Canada".
Dix-sept minutes après leur arrivée, les souverains saluent une dernière fois
et retournent dans leur train bleu royal. Trois mois plus tard, le
Canada suivait l'Angleterre dans sa déclaration de guerre au Troisième Reich».
Des activités sportives à Saint-Jean. Outre les régates annuelles
dont nous avons parlées, le hockey, la crosse, le baseball, le croquet sont
autant de disciplines sportives appréciées par la jeunesse johannaise durant les
Années folles. Bientôt, toute la population de Saint-Jean se passionne pour les
compétitions. Deux noms retiennent l'attention entre 1916 et 1925. Cyprien
"Bat" Latour est le premier joueur de hockey de Saint-Jean à
s'aligner de façon régulière dans une ligue organisée à Montréal, la ligue du
C.P.R. (Canadian Pacifi Railway). Latour brille également dans la crosse.
Durant 40 ans, il travaille au bureau du C.P.R. à Montréal. Plutôt petit (il ne
pèse que 145 livres), il se déplace avec aisance sur la glace. Partout où il
passe, il devient capitaine de son équipe. Philippe Brault, pour sa part, est
as lanceur alors que Saint-Jean ne fait pas encore partie d'une ligue de
baseball organisée. Cet agent d'assurance se met à la tête de son équipe de
Saint-Jean et affronte les adversaires pour en triompher généralement 2-0 ou
3-0; Brault retire sur 3 prises entre 10 et 15 frappeurs. Ces parties se
déroulent sur le vieux terrain d'Exposition, dont l'entrée se trouve à
l'endroit où s'est construit depuis l'église Saint-Edmond. Avant d'atteindre le
terrain de baseball, il faut marcher environ un quart de mille, car il y a une
piste de course de chevaux qui sépare l'entrée du losange.
Le baseball est sans contredit le sport d'été le plus en faveur auprès
des Johannais. Dès la fondation du Collège de Saint-Jean, une équipe collégiale
se forme, dont la jeune mascotte n'est nul autre que notre bootlegger local,
Conrad Labelle. L'abbé Boyer, plus tard curé de Chambly, en est l'aumônier. En
1925, nous retrouvons l'équipe de baseball du Richelieu dont le président est
René Payette et l'assistant-gérant, Armand Payette. Nous y retrouvons parmi les
joueurs, le gens de la petite bourgeoisie locale : Jean et Sarto Sagala, Armand
Ménard (futur maire et député fédéral), ainsi que plusieurs autres joueurs qui
sont les vedettes de l'époque.
Durant les années sombres de 1930, les joueurs de hockey se rassemblent
l'été dans un restaurant de la Place du Marché, Chez Pat. C'est alors
qu'ils décident de former un club de balle-molle, le Saint-Pat's qui
dispute des parties endiablées dans la cour du Séminaire de Saint-Jean
(coin des rues Laurier et Saint-Georges), pour ensuite déménager ses pénates
sur le boulevard Saint-Jean, à la Commonwealth, à proximité de l'actuel
centre commercial Canadian Tire.
Les Chevaliers de Colomb aussi organisent une ligue de croquet qui
participe et gagne le championnat en 1930. Les frères Gaston et Roméo Poutré
sont les organisateurs de différentes compétitions, dont les courses cyclistes
comprenant 4 épreuves sur route pour les coureurs de Saint-Jean. La première a
lieu le 16 juin 1935 :
«D'une distance de 12 milles le départ s'était
effectué de l'hôtel Saint-Paul pour se terminer à l'hôtel Poutré à Saint-Jean.
Maurice Lupien l'avait emporté en 30 minutes 33 secondes, suivi de près par
Guillaume Bernard en 30 minutes et 36 secondes. M. Bernard, un sympathique
Breton décédé depuis quelques années, a exploité un commerce de bicycles sur la
rue Saint-Charles.
De 1935 à 1938, les deux frères Poutré ont
organisé 3 autres courses, dont deux de 25 milles. La première entre
Saint-Jean, Chambly et Richelieu avec retour à Saint-Jean, et une autre entre
Saint-Jean, Napierville, Saint-Valentin et Saint-Paul, l'arrivée se faisant
toujours à Saint-Jean».
Les frères Poutré n'organisent pas que des courses pour cyclistes, ils
organisent match de lutte et de boxe. De 1926 à 1950, le Stade Poutré (à
l'angle des rues Jacques-Cartier et Saint-Georges) est l'hôte, tous les samedis
soirs, sauf les soirs de mauvaises températures, de 1 000 personnes venues
assister à ces combats. Le stade est rempli à pleine capacité. Les promotteurs
Sylvio et Jos Samson y amènent une fois un lutteur populaire, Yvon Robert, mais
la ville a également ses bons lutteurs : Willie Thériault, également excellent
plongeur et nageur, se pratiquant au Yacht Club, et Arthur Jauniaux. Durant
l'été 1930, 4 équipes de jeunes athlètes de Saint-Jean participent à un field
day sur la piste du terrain d'Exposition de Saint-Jean : les soldats des
casernes de Saint-Jean, l'équipe de Pat Nicholson, le Salon Littéraire et
Sportif de Saint-Jean et la Salle de quilles et billards Sam Langlois. C'est
dire toute l'étendue et la diversité des sports pratiqués à Saint-Jean durant
cette époque.
Soulignons l'importance des équipes liées à des entreprises
commerciales : la plus importante semble avoir été le club de quilles de la
compagnie Monarch Bottling Works (futurs Breuvages Ménard) au terme de
la saison des activités 1935-1936. Cette année-là, l'équipe se mérite le titre
de Champion des champions pour être la seule équipe dans l'histoire du
bowling à gagner tous les championnats la même année. Édouard Ménard, L. Ménard
et J. Armand Ménard sont les promotteurs de l'entreprise industrielle et du
club de quilles formé de leurs employés.
Mais le hockey reste le sport privilégié. Roger Gaudette, un joueur qui
s'illustre dans notre région est même revenu meilleur hockeyeur d'Europe en
1935-1940. Il commence dans l'équipe senior Saint-François-Xavier qui
fait partie de la ligue Mont-Royal. Comme "Bat" Latour, il passe à
l'emploi du C.P.R. et joue pour l'équipe de la ligue des chemins de fer. Dès
1926-1927, avant qu'il ne commence à jouer pour ces ligues majeures, Roger
Gaudette s'est illustré à la tête de l'équipe de la Singer, qui remporte
le championnat de Saint-Jean. Notre équipe de hockey, le club Champlain, envoie
2 de ses meilleurs joueurs, Charles Berger et René Granger, participer aux Jeux
Olympiques de Lac Placide en hiver 1932.
De 1916 à 1925, l'équipe de hockey des Chevaliers de Colomb l'emporte
généralement sur celle de l'Académie commerciale et catholique où Yvan Sabourin
et Paul Beaulieu se présentent excellents sportifs, surtout ce dernier. La
ligue locale compte 4 équipes : les Chevaliers de Colomb, le Champlain, le
Singer et la Garnison, une équipe de l'armée. Dans le club Champlain, outre
Gaston Poutré, Charles Berger et Roger Gaudette, nous retrouvons le jeune
Alcide Côté, futur député fédéral et ministre des Postes du Canada. Les parties
de hockey se disputent à la patinoire de l'Académie, en plein air. Au début,
les spectateurs doivent se masser le long de la bande, puis plus tard, on
érigera des gradins. Inutile de préciser qu'à l'époque, Saint-Jean ne disposait
pas d'aréna. Comme on peut le deviner, les clubs sportifs sont aussi des clubs
sociaux où la politique n'est sûrement pas absente.
Les activités culturelles se rapprochent beaucoup des activités
sportives. Le Salon littéraire et musical, par exemple, est fort apprécié. Le
Stade Poutré ne fait pas qu'accueillir des compétitions sportives. On y donne
également, tous les jeudis soirs, des soirées de variétés où les grands de la
scène viennent se produire : Henri Letondal, Fred Barry, Juliette Béliveau,
Albert Duquesne, Charles-Harbourg-Roberval. Le stade Poutré est démoli en 1950
et on érigera l'édifice du Stade Municiapal - un «cirque» supposément construit
à l'épreuve du feu au coin sud-est des rues Gouin et Laurier. L'édifice sera
emporté par les flammes en 1964.
La ville a vu passer d'autres genres de visiteurs : des fêtes foraines,
des cirques - on abreuvait les éléphants à même une borne fontaine proche du
Stade municipal! -, des vedettes de cinéma (Errol Flynn y avait un pied à terre
près de Saint-Paul de l’Île-aux-Noix), des tournées de troupes théâtrales. Un emplacement
commercial dit des Gaietées Françaises, appartenant à un français,
Édouard Wagnart, pouvait les recevoir en prestation. L'actuelle salle du cinéma
Capitol offrait sa scène aux troupes de comédiens et de bel canto, aux
pièces de théâtre et comédies musicales, opéras et opérettes, présentées au
public de Saint-Jean. Cette salle prend la relève du Saint-John's Opera
House appelé parfois Black's Opera House, parce que propriété de
John Black, et où on y présentait des vaudevilles et du burlesque. À la mort
de John Black, l'opéra ferme ses portes pour les ouvrir en tant que salle de
cinéma liée à la chaîne des Ouimetoscopes, salle qui défiait les suspicions du
clergé. Ce transfert de vocation d’une même salle montrait combien les classes
sociales se succédaient dans la hiérarchie. L’opéra allait aux bourgeois
prospères de Saint-Jean, contemporains de Félix-Gabriel Marchand et de Louis
Molleur; mais la poussée du prolétariat ouvrier, avec les nouvelles
mégamanufactures, accroissaît la ville d’une nouvelle quantité et d’une
nouvelle qualité d’individus. Pour ceux-ci, les divertissements qu’offrait le
cinéma convenaient mieux que les grands arias.
La pendaison d’Henry Frazer. L’épreuve de la Grande Guerre passée, les
gens essaient de recommencer à vivre. On cherche peut-être moins à oublier le stress
des années passées qu’à le reproduire sur des modes moins excessifs; montée
subite d’adrénaline que les courses d’automobiles peuvent facilement procurer
avec moins de violence que dans les tranchées. Quoi qu’il en soit, la jeunesse
d’après-guerre est pleine de fougue et de vitalité. Aux États-Unis, une guerre
d’un nouveau genre ne manque pas d’avoir des conséquences pour notre région. En
1919 est votée au Congrès la Loi Volstead interdisant «la fabrication, la
vente ou le transport de tout alcool de nature à intoxiquer ceux qui en
feraient usage, son importation et son exportation en tant que boisson sont
prohibés». La folie puritaine suscite bientôt le marché noir, occasion à
des gangs de trafiquants de s’affronter.
Pour les propriétaires de distilleries canadiennes, pour les
producteurs et les convoyeurs d’alcool, c’est l’occasion de se faire beaucoup
d’argent avec peu d’effort. Les gangs américains sont prêts à mettre le prix
dans une concurrence et une rivalité sauvage qui les opposent mutuellement. Dès
lors, un essaim de truands - grands et petits - bourdonne le long des routes
qui mènent à la frontière américaine par le lac Champlain en vue d’échanger,
pour une bonne somme, le nectar défendu qui se rendra dans les Speekeasy
de New York et de Boston. L’un d’entre eux, Conrad Labelle, s’est fait une
renommée tapageuse comme bootlegger local. Sans doute petit truand qui
aime se faire voir, il se vante d’avoir rencontré le Président Harding et Al
Capone, avec lequel il aurait conclu une affaire de routine profitable surtout…
pour Labelle. D’autres, par contre, se souviennent de lui sous un jour moins
flatteur. Sa sœur, Yvonne, historienne, en a tracé la biographie dont le récit
est loin d’atteindre la qualité de sa Monographie d’Iberville.
Il y a une autre forme de contrebande qui semble avoir prospéré dans la
région, celle de faire passer des immigrants chinois en fraude sur le
territoire américain. Une loi du pays limitait le nombre d’entrée des
immigrands chinois tant étaient nombreux ceux qui voulaient échapper à leur
malheureux pays décimé par la révolution, et rejoindre des membres de leurs
familles établis dans un ou l’autre des Chinatown américains. La légende
rapporte que les Chinois immigrants illégaux étaient cachés dans des caisses
transportées sur de petits remorqueurs. Qu’approche une vedette des douanes
américaines, et le coup de pied savamment lesté du contrebandier avait bientôt
fait de balancer caisse et contenu dans les eaux froides du lac Champlain.
Le crime déborde d’imagination! La formation des syndicats de
protection est un nouveau moyen de faire beaucoup d’argent Les truands
canadiens, sortis directement des écoles américaines, importent cette idée et
l’appliquent particulièrement dans différents secteurs du tourisme et du
commerce des liqueurs alcoolisées. La visite d’un gang avertit bien poliement
un commerçant de payer une «cotisation» au «syndicat» s’il ne veut pas voir un
concurrent venir «saccager et piller» son magasin ou son hôtel. Si le commerçant
ne veut pas «souscrire généreusement», des inconnus viennent saccager et piller
le commerce, avertissant ainsi ceux qui seraient tenter de résister de les
prendre très au sérieux. Ce genre de «syndicat» a longtemps subsisté dans la
région et de nombreuses (méchantes) langues ont rattaché l’explosion et
l’incendie de l’Hôtel Saint-Jean à des histoires du genre.
Tout est bon pour cette pègre. Une fois l’alcool légalisé après
l’élection du Président Roosevelt en 1933, la drogue prendra le relais du commerce
illicite. La prostitution, et il n’y a pas jusqu’aux machines à sous qui sont
la proie des rackets de nos truands locaux qui se déplacent, eux aussi,
en luxueuses Cadillac, en Packard, en Buick ou en fougueuse Studebaker afin de
franchir le plus vite possible la frontière et se mettre à l’abri des
poursuites policières. C’est dans ce contexte qu’il faut placer l’affaire
Frazer.
Saint-Jean a été témoins de sa dernière exécution, le 16 juin 1922
lorsqu’un dénommé Henry Frazer a été conduit à la potence, derrière le Palais
de Justice. Frazer faisait partie d’un gang qui, en janvier 1921, tente de
voler à un nommé Joseph Senécal, de Lacolle, un chargement de bouteilles
d’alcool. Dans la mêlée qui s’ensuit, des coups de feu sont tirés et Senécal,
qui conduit la voiture que l’on veut voler, est frappé d’une balle et meurt le
lendemain. Deux individus sont arrêtés : Laventure et Frazer. Laventure est
acquitté, mais Frazer est reconnu coupable du crime d’homicide. La sentence est
prononcée par le juge Philippe Monet et Frazer est pendu le 16 juin 1922 :
«Pendant que le glas funèbre sonnera à
l’église paroissiale de Saint-Jean, le cortège sortira de la prison, dans
l’ordre suivant : en tête le shérif en son uniforme officiel; puis le geôlier
de la prison; le major Séguin de la prison de Bordeaux, deux gardes et ensuite
le condamné, accompagné de l’aumônier récitant des prières. Un détachement des
Dragons Royaux montera la garde autour de la prison.
L’exécuteur Ellis est arrivé hier, et
procédera en présence de 6 jurés assermentés. Après la pendaison, le médecin de
la prison, et quelques confrères constateront la mort. Alors le shérif hissera
le drapeau noir à mi-mat sur la prison. Ce lugubre cérémonial terminé, le corps
du condamné sera enterré dans le cimetière de Saint-Jean, grâce aux soins pieux
du curé C.-A. Lamarche, l’aviseur spirituel et le consolateur de Frazer depuis
sa condamnation».
Par après, les accusés seront transférés à Bordeaux et ceux qui seront
reconnus coupables de meurtre y seront pendus à une potence permanente. Henry
Frazer a donc été le dernier à subir la peine capitale dans notre ville.
Une affaire scabreuse : le meurtre de Gratia Marcil. On a vu que Saint-Jean avait
également ses petites histoires criminelles. Jean Gaudette termine sa monographie
sur la ville de Saint-Jean entre 1880 et 1930 par le récit d’un crime sordide.
Ce récit mériterait de figurer à côté de certains grands romans canadiens comme
Kamouraska d’Anne Hébert, ou La lampe dans la fenêtre de Pauline
Cadieux, roman inspiré de la tragique histoire de Cordélia Viau et dont
l’adaptation cinématographique par Jean Beaudin avait été réalisée, en partie,
au Palais de Justice de Saint-Jean, dont la scène de la pendaison des deux
amants.
«Établissons d'abord quelques faits. À Saint-Jean,
le 31 décembre 1925, une dénommée Gratia Marcil, âgée de 36 ans, mourait
presque subitement, mais dans d'atroces souffrances, alors qu'elle était aux
prépartifs de la fête du jour de l'An. Ses funérailles eurent lieu le 4 janvier
suivant en l'église Saint-Jean-l'Évangéliste. Outre son époux, Charles
Desranleau, contremaître à l'emploi de la Ville, elle laissait, "pour
pleurer sa perte", trois filles et un fils. Dans le Canada Français du
14 janvier 1926, Charles Desranleau et Alexis Marcil (père de la défunte) font
paraître un message dans lequel ils "remercient sincèrement toutes les
personnes qui […] ont
donné des marques de sympathie dans la cruelle épreuve qu’ils ont subie par la
perte de Mme Charles Desranleau". Le 11 février suivant, le même journal
publia une copie de la lettre que Desranleau a fait parvenir à la compagnie
d’assurance Great West pour la remercier de la promptitude avec laquelle elle
lui a versé une indemnité de 5 000 $, conformément au contrat d’assurance qu’il
détenait sur la vie de son "épouse regrettée". Dans les lignes qui
suivent, nous pourrons constater toute l’hypocrisie, dans le contexte de cette
affaire, d’expressions telles que "épouse regrettée", "cruelle
épreuve" et "pleurer sa perte".
Un an plus tard, en mars 1927, deux charrettes se rendent à une
sablonnière située au pied du mont Johnson (Saint-Grégoire) pour aller prendre
un chargement de sable. En creusant, ils heurtent de leurs pioches deux
"poches à patates", qu’ils dégagent complètement. En les ouvrant, ils
découvrent avec horreur, dans l’une, deux jambes humaines, et, dans l’autre, le
corps et la tête d’une femme, le tout dans un état de décomposition avancée.
L’autopsie révèle que cette femme est morte de causes naturelles. Elle
était âgée d’environ 45 ans, portait les cheveux longs, avait une dent en or et
avait eu plusieurs enfants. Après sa mort elle avait été embaumée et revêtue
d’une robe mortuaire comme en vendent les entreprises de pompes funèbres. De
sorte qu’elle avait dû être exposée en chapelle ardente, puis enlevée de son
cercueil, avant ou après l’enterrement (ou le dépôt dans un charnier). On ne
voyait aucun motif de vol plausible. Le corps n’avait pas été pris par des
étudiants en médecine, car il n’avait pas été disséqué. La présence de la dent en
or attestait qu’il ne s’agissait pas d’un vol dans un but de lucre. Était-ce un
cas de nécrophilie?
Le chef de la Police provinciale demanda aux gardiens de cimetière et
aux curés de la province de communiquer avec lui s’ils avaient constaté la
disparition du cadavre d’une femme correspondant à la description donnée.
Une analyse plus poussée des viscères, effectuée par des médecins
légistes du laboratoire médico-légal de la province, démontra que la défunte
n’était pas décédée de mort naturelle, mais empoisonnée, après avoir absorbé
une quantité de strychnine assez puissante pour tuer quatre personnes. En
envisageant diverses explications, on en vint à émettre l’hypothèse que ce
corps pourrait être celui de Gratia Marcil; quelques vérifications simples suffirent
à la confirmer. D’abord le dentiste Wilfrid Monet attesta que la dentition du
cadavre correspondait exactement à la fiche dentaire de son ex-cliente Gratia
Marcil. Ensuite la belle-sœur de cette dernière reconnut la robe mortuaire,
dont le cadavre était vêtu, pour l’avoir elle-même confectionnée. Test final,
on fit creuser la tombe de Gratia Marcil au cimetière : le cercueil était vide…
L’enquête montra aussi que, la veille du décès de sa femme, Desranleau avait
signé un contrat d’assurance de 5 000 $ sur la vie de celle-ci.
L’histoire est donc la suivante. Charles Desranleau voulait éliminer sa
femme pour deux raisons, toucher l’indemnité de 5 000 $ d’assurance-vie, puis
épouser sa maîtresse. Il empoisonna donc sa femme à la strychnine. On crut à
une mort naturelle et, après les funérailles, on enterra la dépouille. Mais
Desranleau craignait que les autorités policières et judiciaires n’aient des
doutes sur la cause de la mort de son épouse et n’ordonnent l’exhumation et une
autopsie. Il décida donc de faire disparaître le corps. Par un soir de janvier
1926, il se rendit au cimetière, en compagnie d’un ouvrier municipal
travaillant sous ses ordres, Amédée Charest, pour excaver la tombe et retirer
le corps du cercueil. Ils comblèrent ensuite soigneusement la fosse et la
recouvrirent de neige, puis ils trasnportèrent le corps en automobile jusqu’à
la sablonnière de Saint-Grégoire, où, après l’avoir sectionné, ils enfouirent
dans le sable les deux sacs qui en contenaient les parties. Comme nous l’avons
vu, Desranleau empoche l’indemnité d’assurance peu après le décès de sa femme,
puis après environ un an de veuvage, soit le 11 janvier 1927, il épouse une
nommée Yvonne Girard en l’église Saint-Jacques de Montréal.
Le 21 mai 1927, à la suite de l’audition des témoins, le jury de six
personnes dans l’enquête du coroner Chevalier tient Charles Desranleau
criminellement responsable de la mort de sa femme. On n’a pas le temps de
l’appréhender pour le traduire en cour criminelle, car peu après on trouve son
cadavre flottant sur les eaux du canal de Chambly : il s’était suicidé par
noyade».
Heures de crise. Avant la grande crise d'octobre 1929, on peut
affirmer qu'une véritable harmonie existe entre les différentes forces sociales
de la Ville de Saint-Jean. Plus que les luttes de classes, l'heure est à la
collaboration devant la crise économique. Ainsi voit-on la Kraft Paper et
la Cables, Conduits and Fitting qui appartiennent tous deux aux intérêts
Longtin, organiser des piques-niques pour les employés à la baie Missisquoi ou
au Mont Saint-Grégoire. La Fête du travail, fête chômée, est l'occasion de
parades à l'exemple de la Saint-Jean-Baptiste. Chaque année, à cette occasion,
il est possible de voir défiler, rue Saint-jacques, de magnifiques chars
allégoriques de l'entrepreneur Pierre Trahan obtenir les prix de
distinction. Avec la crise, il est possible de voir également le clergé et le
Diocèse mettre tout en œuvre pour mettre ouvriers,
cultivateurs et étudiants sous la coupe des organisations catholiques.
L’économie coopérative prospère en temps de crise. En 1934, une seule caisse pospulaire existe à Saint-Jean. Mgr Forget entend cultiver l’esprit coopératif
:
«Dans
le domaine de la coopération, l’Évêque invita l’aumônier de la L.O.C. (Ligue
ouvrière catholique), à tenter, à titre d’expérience, la promotion de
coopératives de consommation et d’habitation dans la cité de Saint-Jean. La
coopérative de consommation, comme toutes les autres dans la Province, n’a pu
survivre à la concurrence, mais la coopérative d’habitation La Cité
Ouvrière a été à l’origine du développement de la paroisse actuelle de
Saint-Gérard…»
Tous ces organismes d’aide
social visent à panser les plaies causées par l’anarchie capitaliste. Leur
rayonnement est toutefois limité. Devant la concurrence de l’entreprise privée,
ils n’obtiennent ni support des gouvernements, ni confiance des citoyens. Avec
le temps, Mgr Forget et son successeur, Mgr Coderre, évêques «d’une ville
épiscopale essentiellement ouvrière et d’un diocèse qui s’industrialisait rapidement»
ne purent conserver leur influence devant les syndicats désormais indépendants
qui organisent et entendent bien mener la lutte aux patronnat et aux
propriétaires des moyens de production.
La fin d’une époque paisible. Le contraste de ces années agitées reste
frappant avec la calme douceur de vivre du début du XXe siècle, où les hôtels
étaient encore remplis de visiteurs et de voyageurs de passage. Mais le temps
des grands hôtels est passé. Les nouveaux bâtiments hôteliers prennent un
aspect moins luxueux. Des tavernes y sont incorporées, comme à l'Hôtel Windsor.
Plus tard, ce sera au tour de l'Hôtel Richelieu. Une nouvelle clientèle,
associée sans doute à la prolétarisation de Saint-Jean, y trouve son intérêt.
Avec la Grande Guerre, puis les inquiétudes qui suivirent, entre la
prohibition américaine qui entraîna une activité interlope à la frontière avec
le commerce clandestin des bootleggers et les nouvelles confrontations
européennes, les esprits ne savaient plus quoi penser. La poussée de l’automobile, des poteaux
soutenant les câbles électriques et téléphoniques, le nouveau pavé en ciment ou
en macadam, entraînent le remplacement de la verdure, des arbres et de ce qui
restait de nature dans la ville. Les tempêtes de neige perdent de leur blancheur
avec les abrasifs sableux que l'on disperse sur les rues afin d'empêcher les
roues des autos de déraper. Pourtant, on continue à traverser la rivière à pied
sur la glace ou à y scier de gros morceaux de glace pour approvisionnier les
glacières domestiques. C’était avant l’arrivée de la réfrigération électrique.
La rue Richelieu prend progressivement un tout nouveau visage,
différent de celui qui avait suivi sa reconstruction après l'incendie de 1876.
Avec ses rues parallèles et son découpage quadrangulaire, c'est sur le plan
urbain nord-américain que la ville se développe. Les rues Champlain et
Saint-Jacques deviennent de plus en plus commerciales : des merceries, des
épiceries, même une buanderie chinoise dans une petite maisonnette grise de la
rue Saint-Jacques qu'on pouvait encore voir dans les années 1970, et bien
d'autres… Des quartiers se spécialisaient - quartier ouvrier dans l'est et le
nord; quartier de plus en plus huppé dans le sud, vers le Boulevard Gouin et le
Boulevard Montcalm. Aux deux parcs, Marchand et Laurier, la ville ajoute un
terre-plein en 1911 afin de faire un (petit) boulevard sur la rue Grant
(Laurier), entre les rues Saint-Thomas et Saint-Paul. Avec la commotion subie
par la Grande Guerre, la Ville fait passer le nom de Saint-Thomas à celui du
Maréchal Foch, venu faire son tour à Saint-Jean en se rendant des États-Unis au
Canada, et le «parc» est nommé Boulevard Courcelette, pour commémorer les
batailles de la Somme, livrées en 1916. Là, on y érige un monument à la mémoire
des soldats de la guerre. Bien vite, toutefois, on oubliera ce nom de
Courcelette pour donner à la rue Grant le nom de Laurier. L'élargissement des
deux voies rongea le terre-plein qui finit par ne plus être un parc, mais on y
installa l'une de ces statues du Sacré-Cœur les bras en croix (qui s'ouvraient
dans les années 60 devant la vitrine d'un marché Métro), modèle que l'on
vendait en série à l'époque, et un canon, une pièce d'artillerie de la guerre
14-18. Aujourd'hui, tout ça a disparu. Le mouvement des Braves a été relocalisé
au parc Alcide-Côté. Ce terre-plein était situé en plein dans le quartier de
développement industriel, où logeaient les travailleurs de la Singer et
autres nouvelles usines du nord de la ville. Car, bientôt, l'expansion de la
ville débordera le triangle formé de part et d'autre de l'axe de la rue
Saint-Jacques et limité par les deux voies ferrées.
Toutes ces innovations, on peut s'en douter, ne plurent pas à tous les
citoyens. L'accélération du développement industriel, l'introduction des affaires
locales dans les échanges mondiaux, la venue d'étrangers, souvent anglophones,
dans la gestion des grandes entreprises souleva des inquiétudes qu'un
journaliste, cité par Jean Gaudette, nous interpelle encore aujourd'hui : «En
1920, les lecteurs du Canada-Français essuient les remontrances d'un
journaliste qui dénonce l'esprit de clocher des "indigènes ombrageux et
cliquards" qui se permettent de "traiter les futurs industriels et
leurs employés comme des étrangers, parce qu'ils n'auraient pas eu l'avantage
de naître à Saint-Jean […]. Au lieu de traiter avec
mépris et dédain du nom d’étranger les nouveaux habitants de la ville, qui
viennent nous aider à nous sortir du pétrin, on devrait les remercier"». Ce que nous
dit ce journaliste, aux lendemains de la Grande Guerre, c’est que la dynamique
de l’auto-détermination de la région de Saint-Jean ne se trouve plus ni dans
ses ressources ni dans son dynamisme humain, et qu’elle doit maintenant se fier
sur le capital étranger pour se développer. Là où ce correspondant voit que les
étrangers viennent nous sortir du pétrin, il ne voit pas dans quel
pétrin ils viennent nous plonger. Constat du trauma de la Singer et
l’avortement de l’imagination créatrice qui n’avait jamais fait défaut aux
Johannais avant ce temps.
Il faut considérer ces
contradictions sociales : accentuation de la lutte des classes, trauma de la Singer,
perte de l’auto-détermination économique de la région qui passe entre les
mains des développeurs économiques dont les intérêts sont étrangers à ceux de
la localité, comme autant de signes d’une transformation, d’une rupture
profonde entre le passé de la ville et son avenir, et que s’éloignant du
prestige, Saint-Jean entre dans son Âge de la Némésis.
Bonjour,
RépondreSupprimerQuand vous parlez du Collège de Saint-Jean, existe-t-il encore aujourd'hui? Si oui, a-t-il changé de nom depuis?
Merci beaucoup d'avance,
Maryse
Le Collège de Saint-Jean était situé dans une ancienne poterie Macdonald sise au coin des rues Saint-Georges et Laurier. Il fut détruit au cours d'un incendie en 1939. En 1940, on construisit, un peu plus à l'écart du centre-ville le Séminaire de Saint-Jean tenu par des prêtres réguliers chargé de le rejmplace. L'édifice est devenue depuis le CEGEP de Saint-Jean-sur-Richelieu. L'architecture religieuse (les fenêtres triangulaires pour rappeler la Trinité), reste la seule marque du caractère confessionnel de l'édifice.
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe cherche ou était situé la compagnie Conduit, Cable & Fitting ltd.
Merci.
** Belle page de notre histoire et très instructif.
Je rappellerai ce paragraphe : «
SupprimerEn 1913, Vernon Longtin (1896-1986) fonde l’Insuladuct Manufacturing Company Ltd qui devient en 1920 la L & N Company Ltd. Le seul article qui y est produit s’appelle Loonduct. Fabriquants de boîtes de sortie, de câbles et fils électriques ainsi que des garnitures pour conduits, Bill Northy et Vernon Longtin, en 1929, entrent en pourparler avec Jack McAuliffe afin de fusionner la L & N avec la Cables Conduits and Fittings Ltd, établie depuis 1912 dans l’ancien édifice des pompes de l’Aqueduc de Saint-Jean. L’entente échoue. En 1953, la multinationale italienne Pirelli se porte acquéreur de la Cable Conduits and Fittings tandis que Longtin s’occupe de la production des articles restants sous le nom d’Iberville Fittings Ltd.» L'Iberville Fittings était située sur la rue Saint-Pierre. L'édifice était remarquable car il était surmonté d'un château d'eau, moins élevé que le château d'eau au centre-ville (vieux Saint-Jean). Pour la Pirelli, c'était située sur la rue Richelieu sud, à la croisée des voies ferrées du Canadien national où il y avait un viaduc qui surplombait la rue. À proximité du Yacht Club.
Où pouvons-nous avoir accès au photo d'époque en qualité imprimable? Celle-ci m'intéresse particulièrement http://1.bp.blogspot.com/-d-rjJwALv2U/VI5ws6S71UI/AAAAAAAAiE0/BbzxZ3B_z8o/s1600/28.jpg
RépondreSupprimerMerci!
"Le Canada-Français" a publié beaucoup de photos historiques de Saint-Jean au cours des années 70-80. Il faudrait vérifier si l'hebdomadaire peut te donner accès à ses archives. Sinon, la bibliothèque municipale de St-Jean possède également des exemplaires du journal. Mais, pour la photocopieuse, c'est coûteux et les qualités douteuses.
SupprimerCeci dit, il est possible de faire des copier/coller des images du site et d'en tirer des copies que tu peux imprimer. Ce serait le meilleur moyen d'avoir des images de bonnes qualités selon le type d'imprimante utilisée.
Merci pour votre intérêt.
Je cherche une photo des anciennes piscines en bois construites à l'OTJ dans la rivière Richelieu
RépondreSupprimerJe ne sais pas.
SupprimerÉtant johannais depuis toujours, je me suis instruit véritablement sur l'ensemble de l'histoire de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. J'avais déjà lu sur l'historique avec les principaux personnages qui laissèrent en mémoire leurs noms aux rues et aux sites avoisinants de la St. Johns Dorchester. Je me souvenais d'un plan de la localité avec les anciens noms de rues majoritairement anglophones et vous m'avez rappelé cette toponymie en précisant le nom remplaçé présentement. Votre oeuvre devrait se trouver dans un musée de la région sérieusement. Son contenu est fabuleux et enrichi non seulement pour les historiens mais également pour les passionnés de l'histoire de sa région. Merci et bonne continuation car vous êtes une perle pour la connaissance de notre site historique. Bravo!
RépondreSupprimerMalheureusement, ça n'intéresse pas les édiles de Saint-Jean, qui préfèrent financer une murale décorative pour empêcher des graffitistes d'aller faire des barbots sur les bâtiments mal entretenus de la ville. Pour ma part, je l'ai fait en guise d'adieu à une ville aujourd'hui disparue; une ville laide, qui s'est négligée comme une pauvresse. Il ne reste plus aux Johannais qu'à pirater tout ça avant que le blogue s'efface. Merci pour vos bons mots.
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