jeudi 18 décembre 2014

Une histoire de Saint-Jean-sur-Richelieu. L'Âge de Croissance

Départ du premier train canadien de Laprairie en direction de Saint-Jean

PRÉFACE, 2017

Si je remets aujourd'hui les textes d'Une histoire de Saint-Jean-sur-Richelieu, ce n'est sûrement pas pour rendre hommage à une population dont l'absence de dignité et d'honneur est tout à mon avantage.

Ce texte, je le remets pour les historiens, les anthropologues de l'avenir, tous ceux qui s'intéresseront à une ville dont le nom aurait pu (et dû) être fictif. Depuis 50 ans, les édiles de Saint-Jean-sur-Richelieu sont le pire ramassis de corrompus politiques qui phagocytent les budgets municipaux ou entourent les députations, tant au provincial qu'au fédéral. Totalement vidés de toute intelligence, de tout projet pour ressourcer leur patelin endormi au gaz, plutôt que de faire une édition livre de ce texte, ont gaspillé les fonds publics à une murale sans intérêt qu'ils n'entretiendront pas plus qu'ils n'ont entretenu jusqu'ici leur patrimoine historique.

On pourra dire que personne ne m'a rien demandé. Et c'est vrai. Qu'on ne m'a jamais promis ni salaire, ni emploi, ni quelques fonctions pour profiter de mes mérites. Et c'est vrai. On pourra dire qu'on a préféré piller ces ouvrages plutôt que de les valoriser. Et c'est vrai. On pourra dire également que toute la population de la ville ne doit pas souffrir de la négligence douteuse de ses édiles tant elle a, par certains, manifester une bonne volonté aussi ostentatoire que vaine. Et c'est encore vrai. Mais cela ne change rien à ce que je viens d'écrire. Cinquante ans de saloperies municipales témoignent en ma faveur.

Aussi, restera-t-il aux historiens et aux anthropologues de l'avenir un modèle afin de réfléchir et comprendre comment une ville québécoise naît, se développe, dépérit et meurt. Car Saint-Jean-sur-Richelieu est une ville sans attrait, morte, vieillie dans ses façades gelées. Les citoyens les plus riches s'amusent à jouer aux personnages historiques en faisant des soupers fins sur le Pont Gouin ou en faisant du radicalisme péquiste au nom d'une identité qu'ils n'ont même pas su conserver pour leur ville et prétendent défendre pour l'ensemble du Québec. Autant d'hypocrisie et de mauvaise volonté me font plaindre ceux qui demeurent encore dans ce trou noir ou pour respirer, vaut mieux s'expatrier et faire ce que l'on a à faire en s'adaptant une identité autre qui, au moins, aura un écho respectable.

Quoi qu'il en soit, et je ne m'étendrai pas sur des ressentiments vains. La ville de Saint-Jean-sur-Richelieu m'écoeure et à la manière de Gide, je terminerai sur ces mots : Johannais, je vous hais.

Jean-Paul Coupal
17 mars 2017


Sommaire:
Présentation
L’Âge Militaire (de la découverte au siège de 1775)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/une-histoire-de-saint-jean-sur_19.html
L’Âge de Croissance (Saint-Jean-Dorchester)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/lage-de-croissance.html
L’Âge du prestige (1840-1940)
            Les très riches heures des industriels Farrar (1840-1876)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/une-histoire-de-saint-jean-sur_17.html
            Les très riches heures de Félix-Gabriel Marchand (1876-1905)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/une-histoire-de-saint-jean-sur_16.html
            Les très riches heures de la Singer (1905-1945)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/une-histoire-de-saint-jean-sur_15.html

 L'ÂGE DE CROISSANCE

Le fort Saint-Jean comme chantier naval. Tant que la guerre dura entre l'Angleterre et ses colonies rebelles, il n'était pas question d'abandonner le fort Saint-Jean. Les autorités britanniques y développèrent un chantier naval, consacrant environ $ 100 000 à ces travaux. À partir de l'été 1776, des navires de toutes dimensions sont lancés sur le Richelieu pour porter la guerre au lac Champlain. Même des embarcations légères y furent transportées par voie de terre. Bref, c'était une véritable Armada qui se constituait au «port» de Saint-Jean : «Des chantiers de Saint-Jean, dirigés par les capitaines Douglas et Pringle de la Royal Navy, sortirent entre autres, le Maria, de 328 tonneaux, armé de 12 pièces de 6, l'Inflexible, de 189 tonneaux, armé pour sa part de 18 pièces de 12 et le Thunderer, un ketch muni de 16 pièces. Un peu plus tard viendra aussi s'ajouter le Royal George, un vaisseau qu'on arma de pas moins de 20 canons. À la fin de septembre, en plus de ces vaisseaux, Carleton pouvait compter sur une soixantaine de bateaux à fond plat, 34 canonnières, 6 gondoles armées (prises aux rebelles) et 25 autres embarcations destinées au transport des troupes».[1] À l'exception du Royal George (terminé au début de 1777 seulement), cette flotte commandée par le capitaine Pringle quitta Saint-Jean au début d'octobre et alla vaincre la flotte américaine constituée pourtant d'une quinzaine de vaisseaux armés de 94 pièces dont le Royal Savage, capturé l'automne précédent devant le fort Saint-Jean. C'était une défaite définitive, car plus jamais les rebelles américains ne menaceront la vallée du Richelieu. Malgré tout, il n'y eut pas un moment où la garnison du fort Saint-Jean ne relâcha le guêt. Le chantier naval poursuivait régulièrement sa production de vaisseaux pour alimenter la flotte britannique du lac Champlain. Les charpentiers travaillaient également aux ouvrages de défense du fort Saint-Jean. En 1778, le gouverneur Haldimand assigna £ 24 000 aux constructions du fort qui se poursuivirent jusqu'en 1783, c'est-à-dire à la signature de la paix entre l'Angleterre et les nouveaux États-Unis d'Amérique.
«C'est à cette époque, soit après le départ des Américains en 1776, qu'on construisit également un blockhaus sur la rive est, où se trouve aujourd'hui la ville d'Iberville. On sait aussi que ce fortin fut attaqué à 2 reprises durant l'hiver de 1776-1777 et qu'on dut en 1778 le protéger en abattant sur une distance de 500 yards des arbres dans le marais qui l'entourait
Néanmoins, à la fin de la guerre de l’Indépendance le fort Saint-Jean n’était pas sans reproche. On avait réussi à déboiser davantage ses environs, pour en rendre l’approche plus difficile, on avait également approfondi le fossé qui l’entourait et les parapets avaient été surélevés. Mais les casernes, les magasins et les dépôts de munitions étaient en assez mauvais état. Il faut cependant souligner, à la décharge des constructeurs, que le feu ne les aida pas. De 1776 à 1783, on enregistra pas moins de 6 incendies, dont un seul fut plutôt léger. Les casernes furent ainsi détruites en juin 1776, en mars et avril 1777 et de nouveau en mai 1780 alors qu’un dépôt de munitions sauta et endommagea considérablement une redoute».[2]
L’arrivée des Loyalistes au fort Saint-Jean. Aux premières familles établies à la fin du Régime français vinrent s’ajouter, après la guerre de 1775, les Loyalistes anglais qui désertèrent les colonies rebelles. Saint-Jean était le premier poste que ces exilés rencontraient qui descendaient les rives du Richelieu, il leur servait donc de bureau d’enregistrement et de refuge temporaire avant de regagner Montréal. À la population originale, ils apportaient 213 habitants formés d'un contingent de 40 célibataires, jeunes gens pour la plupart, et un autre de 37 familles : «L’état civil des nouveaux immigrés pouvait se répartir à peu près comme suit : 38 journaliers, 6 marchands; et des gens de métiers au nombre de 26 dont un orfèvre et 2 bateliers. Au service public on trouve 2 maîtres d’école, 2 employés aux Casernes et un aux Douanes».[3] Deux familles d’origine américaine - Charles Greshon (au lieu de Grageon) et les deux Robinson, appelés dans l’expertise de 1770, Robertson - résidaient déjà dans la région de Saint-Jean quand le cortège des Loyalistes vint s’y établir. Tous étaient de bien pauvres gens, dépourvus de leur fortune par les rebelles et figurant longtemps à la charge de l’assistance publique. Une agglomération naissait, davantage marquée par sa physionomie anglaise bien que le plat-pays était développé par des cultivateurs francophones : «D’ailleurs les loyalistes disparaissent rapidement». Mais certains d’entre eux s’établirent à demeure auprès du fort. John Richardson établit le premier magasin général et Ephraïm Mott, le premier service de traversiers entre les deux rives jusqu’alors non reliées.

Le cas de la famille Mott mérite qu'on s'y arrête. Le patriarche, Samuel Mott, originaire d’Alburg dans l’état de New York, était agriculteur lorsque la rébellion éclata. Il prit parti pour la cause britannique et travailla pour les services secrets de Sa Majesté. Démasqué, emprisonné, il fut alors obligé de s’enfuir avec toute sa famille. Ils arrivèrent en 1788,  pensant refaire leur vie au Canada. Après une décennie de vaches maigres, Samuel qui avait dû laisser ses biens aux rebelles, reçoit, en 1799, des terres dans le township de Hinchinbrooke, dans le comté actuel de Huntingdon. La progéniture Mott s’adonne à l’agriculture, sauf l’un d’entre eux, Ephraim, qui s’intéresse au commerce et établit dès 1797 son service de traversiers. Il s’allie bientôt avec une famille canadienne-française, habile en affaires et promise à un avenir dans notre région : les Marchand. Le jeune Ephraim - il n’a alors que 23 ans en 1797 - restera dans notre région tandis que ses parents iront habiter les terres que leurs a concédées le gouvernement britannique.

Avec la fin de la guerre d’Indépendance, les forts de la vallée du Richelieu seront, à nouveau, abandonné. En juin 1785, un jeune marchand londonien, Robert Hunter, est l’hôte du 31e Régiment commandé par le major Cotton. Il nous a laissé une description de l’atmosphère de l’endroit, assez lourde. Comme pour Peher Kalm, le fort de Saint-Jean reste le fort aux Maringouins à cause de l’abondance des moustiques. L’alternance des journées ensoleillées et humides aux journées pluvieuses et froides transforme la terre en bourbier et donne une routine maussade à la vie quotidienne : «Tandis que le douanier examinait les marchandises en provenance du sud, les militaires vérifiaient l’identité des voyageurs».[4] Pas étonnant que le commandant du fort et le douanier en chef président les soirées de fêtes et de réjouissances organisées par la garnison et au cours desquelles on enfume les salles pour chasser les moustiques tout en pouvant boire du rhum et écouter la fanfare du régiment! En 1787, il ne reste au fort qu’un détachement, celui du 26e Régiment et quelques hommes de l’Artillerie Royale, en tout 230 militaires. C’est quand même déjà beaucoup plus que par le passé.

Intrigues étrangères à la frontière canado-américaine. Peu à peu, des postes de relais furent érigés pour les voyageurs qui allaient de New York à Montréal; des hôtels, en grand nombre, et des magasins, enfin durant la guerre, en 1815, un premier Bureau de postes. En 1795, le village de Saint-Jean était composé déjà d'une centaine de maisons. L’activité commerciale dont Montréal était la plaque tournante drainait des Laurentides, de l’Outaouais et des régions de l’Ouest canadien, les peaux, les bois d’œuvres et de pulpe que l’on faisait cheminer par les cours d’eau, ou par des transports routiers. C’est dans ces temps qu’on put dire que Saint-Jean était le quatrième port du Canada pour ses activités commerciales. La croissance de ce lieu de transit ne fut perturbée que lors des intrigues internationales qui se déroulèrent dans le contexte de la Révolution française. 

Entre 1796 et 1797, près de Saint-Jean, une intrigue encore obscure malgré l’étude qu’en a fait Jean-Pierre Wallot se déroule à la frontière. En France, le gouvernement du Directoire avait comme délégué plénipotentiaire aux États-Unis un certain Pierre-Auguste Adet qui entretenait des espions au Canada. Vers décembre 1796, Ira Allen, du Vermont, se rendit en France sous prétexte d’acheter une grande quantité d’armes ostensiblement destinées aux milices volontaires. Le produit de la transaction comprenait 20 000 fusils, plusieurs pièces d’artillerie, munitions et autres provisions de guerre, le tout chargé à bord d’un navire appelé La branche d’Olivier (Oliver Branch). Le navire fut capturé et la cour d’amirauté déclara la saisie valable. Au même moment, un certain David McLane, d’origine irlandaise, aurait servi d’agent de liaison pour Adet en vue de sonder la population francophone du Canada. L’arrestation, puis le procès de McLane montra qu’il avait bénéficié de la complicité de certains habitants de Saint-Jean, dont le plus important, du nom de Charles Frichet (ou plutôt Fréchette), lui aurait servi de guide dans ses déplacements. Ce menuisier qu’on disait illettré avait un frère curé à Belœil. En fait, il aurait également servi d’intermédiaire afin de soudoyer un député de Québec à l’Assemblée législative du nom de Black. Contrairement à McLane qui fut exécuté, Fréchette échappa à la mort mais vit ses biens confisqués. Afin d’éviter que le commerce d’armes transite par Saint-Jean ou d’autres points de la frontière, le président américain, John Adams, qui venait de signer un accord commercial avec l’Angleterre, cella la frontière et mit fin aux intrigues frontalières en forçant Adet à cesser ses intrigues. Plus tard, Jérôme Bonaparte, le frère du Premier Consul, Napoléon, arriva à New York en 1803 et se dirigea vers Albany, puis vers le lac Champlain. Aussitôt, la paranoïa s’empara des Anglais de Montréal : «Ne vient-il pas sonder le terrain en vue d’une tentative d’invasion?». Jérôme Bonaparte était venu se marier, et plus tard on le retrouvera roi de Westphalie. 

Les premiers trains de bois. En 1787 est inauguré le commerce de bois avec le Vermont. On se souvient que De Bleury y était un commerçant déjà très actif à la fin du Régime français. Isaac Weld et le topographe Bouchette remarquent tous deux l’ampleur du commerce de bois de construction alors que le Richelieu sert admirablement bien de voie de circulation pour le transport des arbres. Pour le moment, ce bois ne vient pas encore des Pays d’en-haut, c’est un produit même de notre région, de nos forêts : les pins rouges coupés près de la rivière et qui servent à la construction des mâts par exemple. En 1788, un incendie ravage la forêt sur plusieurs milles de distance. Cela crée une véritable pénurie dans l’approvisionnement du bois de chauffage et de construction. L’incident plonge la région dans une première crise économique. Mais, heureusement, le trajet du bois peut aussi se faire en sens inverse. Selon Réal Fortin, c’est en 1794 que le premier convoi de billots de chênes, en provenance du Vermont, celui de Stephen Mallet, aurait descendu le Richelieu.

On voyage beaucoup sur le Richelieu. Les grands canots de bouleau, assemblés avec du ouatape, peuvent parcourir 15 lieues par jour en eau calme et plus encore quand le vent souffle dans la bonne direction et frappe la voile qu’on y a monté. De plus, ce moyen de transport rudimentaire nécessite fort peu de matériel de réparation : un rouleau d’écorce de bouleau et une boule de gomme d’épinette ou de sapin. Les canotiers servent de guide, car les eaux de la rivière peuvent se montrer capricieuses et même traitresses. Le flottage n’est pas l’unique activité commerciale du Richelieu quand on pense au commerce à caractère purement local ou régional, mais c’est le plus spectaculaire :
«Le bois descend le Richelieu avant de le remonter vers les États-Unis. Vers 1806, Lambert nous décrit ces immenses "trains de bois surmontés de petites fentes servant d’abris au 100 ou 150 rameurs", ces raftsmen ou boulés qui constituent un élément pittoresque de notre région.
(…) Les "cages" peuvent partir d’aussi loin que Bytown (Ottawa).
Jefferys nous donne la description du premier radeau sur la rivière Outaouais en 1805; "en troncs d’arbres équarris, réunis par des douilles de bois et attachés par des racines de saule, …guidés par des avirons sur le côté, ceux d’en avant aident à contourner les rochers et les bas-fonds". Les "cageux" descendent le Saint-Laurent et se font tirer par des chevaux contre le courant du Richelieu.
Imaginez : ces radeaux ont environ 60 pieds de long par 20 de large… et on en attache plusieurs ensemble. Ces processions atteignent 100, 200 et 300 pieds de longs.
Après avoir livré le bois, il arrive qu’on transporte des immigrants et le diable seul se doute de tous les objets de contrebande que recèlent les innombrables racoins des cages…»[5]
La naissance de Dorchester. La baronnie de Longueuil a été concédé le 8 juillet 1710 à Charles Le Moyne, premier baron de Longueuil (1656-1729). Son fils Charles (1687-1755) lui succède à sa mort, puis Charles-Jacques, le troisième baron, en 1755. L’épouse de ce dernier est devenue la baronne douairière en 1776 et s’est alliée à Guillaume Grant, d’origine écossaise. En 1791, Chalotte-Jospeh Le Moyne, fille de Charles-Jacques, épouse David-Alexandre Grant et devint baronne de Longueuil. Lui succéderont Charles-William Grant en 1841, Charles-Irwin Grant en 1848, Charles Colmore Grant en 1880, Réginald d’Iberville Grant en 1898 et John de Bienville Grant en 1931. En 1790, le baron de Longueuil, David Alexander Grant, avait acquis, grâce au droit de retrait, les terres de Christie, situées entre les rues Saint-Georges et Foch, qui avaient pris de la valeur avec l'installation des Loyalistes : «Le seigneur Grant profita de la loi autorisant le retrait féodal pour racheter les terrains qu’il avait concédés comme fermes; il les fit diviser en lots de ville par l’arpenteur Watson. Tels furent les commencements de la ville de Dorchester, ville frontière, ville de garnison jusqu’à ce jour, ville anglaise et ultra royaliste, mais qui, avec les années devait reprendre le nom de son ancien fort en même temps que les pures traditions françaises».[6]

Les terres loties par l'arpenteur Simon Z. Watson déterminaient le site originel de la Ville de Saint-Jean. La première rue ouverte se nomme Front (Richelieu). Vient ensuite le nom de la rue Mc Cumming (Champlain), qui porte le nom d'un ancien soldat et marchand établi sur la rue Richelieu avant 1791; la rue James (devenue Saint-Jacques, évidemment); la rue Charles (Saint-Charles); la rue Water (la Place du Quai) et la rue Partition (Saint-Georges). En 1804, le seigneur Grant impose à la localité le nom de Dorchester en l’honneur du titre accordé à l’ex-gouverneur Carleton. Les citoyens francophones continueront d'utiliser l'ancien nom de Saint-Jean.

En 1793, un voyageur français, Charles Fevret de Saint-Mesmin, raconte que, au prix de quatre piastres, une voiture de Laprairie l’amène en trois heures à Saint-Jean, par des chemins plutôt raboteux, «garnis d’arbres couchés en travers de la route». Les deux meilleures auberges étant pleines, il obtient un lit dans une troisième, «encore n’y trouvâmes-nous, écrit-il, que deux lits vaquants dans une chambre où un étranger en occupait déjà un». Le lendemain, 11 octobre, arrive au fort le premier visiteur royal de Saint-Jean, le prince Edward, duc de Kent, fils de George III et futur père de la reine Victoria, qui commande alors les troupes anglaises au Canada. Reçu par les officiers de la garnison, il invite M. de Saint-Mesmin à dîner à son côté et fait avec lui la conversation en un français absolument parfait.[7] En 1795, c’est au tour d’un voyageur anglais, Isaac Weld, de passer par chez nous : «Le visiteur de 1795, Isaac Weld, parle de Saint-Jean en termes peu flatteurs : un amas sans ordre d’une centaine de misérables maisons. Les censitaires français de la Baronie de Longueuil établis le long de l’eau avaient dû vendre leurs terres à Hazen ou Christie, pour aller s’établir vers l’ouest ou dans les seigneuries voisines».[8] Ces maisons devaient être celles des Loyalistes.


Le facteur démographique demeure toujours un épineux problème. Le peuplement de la région est lent et ne s’opère que par coups successifs, comme si on ne savait pas exactement où la population finirait par s’enraciner. En 1808, on compte 983 personnes dans la paroisse de Saint-Luc, tandis qu’à la même époque, Saint-Jean ne compte à peine que 80 maisons, ce qui devait représenter un maximum de 400 âmes. Dès 1801, Saint-Luc est constituée en paroisse avec curé résident, luxe que Dorchester ne se paiera pas avant 1828! Si l’on tient à avoir un tableau complet de la petite ville au début du XIXe siècle, il faut rassembler tous ces témoignages épars qui pourtant concordent : 
«La ville de Saint-Jean… commençait, quoique s’organisant péniblement, à offrir quelques distractions aux militaires. À environ 200 verges du fort, en bordure de la rivière et des deux côtés de la route menant à Chambly, des maisons de bois à peine équarri s’alignaient lentement les unes après les autres. À la fin du XVIIIe siècle, Dorchester comptait, d’après les annales de l’époque, au plus une centaine de maisons, toutes misérables. Aucune entreprise digne de ce nom ne s’y trouvait, quoiqu’on y voyait déjà quelques minuscules magasins, des débits de liqueurs et des hôtels. Les Loyalistes, presque aussi pauvres les uns que les autres, étaient partout présents. Pendant qu’on discutait des interminables procès concernant les terres de la baronnie de Longueuil et que quelques militaires et loyalistes assistaient aux réunions de la loge maçonnique Dorchester fondée en 1792, plusieurs soldats faisaient vivre de leurs deniers les petits établissements de la place. On s’y amusait souvent, s’y chamaillait quelquefois, et, à l’occasion, on soulevait les protestations des émigrants paisibles, qui n’avaient cependant pas les moyens de perdre leur clientèle. En fait, on était vraiment pauvre à Saint-Jean, à l’époque. Plusieurs loyalistes recevaient même leur pain quotidien du gouvernement. Par surcroît, un feu ayant détruit les forêts environnantes en 1788, même le bois de chauffage et de construction coûtait cher».[9]
Dorchester : ville mal-famée. Tels furent donc les douleurs de croissance de la ville actuelle. En 1811 paraîtra le Voyage au Canada en 1795 d’Isaac Weld, dont nous avons déjà relevé la piètre opinion : «Saint-Jean contient environ cent misérables maisons de bois, et des casernes dans lesquelles est logée toute la garnison. Les fortifications sont en si mauvais état qu’il en coûterait moins pour élever de nouveaux ouvrages que pour réparer les anciens. Il y a dans ce lieu un chantier royal, rempli de bois de construction, ou qui du moins l’était quand nous passâmes; mais dans le cours de l’été suivant, quand le brick dont j’ai fait mention, fut désarmé, tout ce bois fut vendu. Les vieilles carcasses de plusieurs bâtiments considérables se trouvaient à l’opposite du chantier. La ville de Saint-Jean étant le port des Anglais sur le lac Champlain doit s’augmenter en raison de l’accroissement du commerce entre New York et le Canada. Le pays des environs est plat et très dégarni d’arbres, un incendie affreux ayant en 1788 détruit les forêts, à la distance de plusieurs milles. Le manque de bois de chauffage fait extrêmement souffrir les habitants de quelques cantons voisins…»[10] En 1787, on l’a vu, un poste de douanes est établi au sein même du fort. Ville parcourue par des voyageurs de passage, constituée de militaires et de débardeurs du port, Dorchester devint un lieu propice aux vices et aux rixes entre mauvais garçons.
«[La ville] commence à se dessiner, encore assez vaguement, sur la limite septentrionale du fort. Sur l’emplacement de la ville actuelle, le long du fleuve, des habitations se groupent, abritent une population mixte : une centaine de réfugiés loyalistes et 20 familles environ, de Canadiens français.
Au bout de l’eau, puis peu à peu vers l’ouest, de minables logis se construisent péniblement les uns à la suite des autres, témoignant de la médiocre aisance des premiers citadins et d’un souci peu marqué de l’hygiène, et parfois même de la moralité au quartier des affaires où s’agglomèrent déjà magasinets et débits de liqueurs. La garnison voisine ne tarde pas à créer en un tel milieu une atmosphère bien marquée de licence; désordres divers et rixes fréquentes, donnant occasion aux habitants du fort de baptiser ce coin peu recommandable du nom de "Rookery". On appelle aussi, en Angleterre, les bosquets de vieux arbres où se plaisent à nicher, en troupes innombrables, les petits corbeaux noirs de ce pays (Jackdaws) bruyants, batailleurs et malpropres.
Il est resté assez longtemps un souvenir de ce vieux sobriquet. Quand les Canadiens français devinrent l’élément dominant de Dorchester, on continua d’appeler ce vieux coin La Roquerie».[11]
Un autre visiteur, américain celui-là, John Lambert, passe par Dorchester vers 1807 et s’arrête à décrire longuement la ville naissante et ses habitants en termes encore-là peu élogieux. Au sujet du fort, il observe qu’«il contient un magasin à poudre, quelques pièces de canon et un détachement de soldats, mais il est au total incapable de défense efficace. Les fortifications consistent en une sorte de redoute, faite de terre et renforcie de piquets de cèdre; au centre se trouvent quelques maisons et une poudrière».[12] La rue Front (Richelieu), baptisée ainsi parce que longeant la rivière, attire également son regard : «Le village de Saint-Jean ne comprend qu’une courte rue bordée de maisons dont la plupart sont des magasins et des auberges».[13] Lambert dit être resté 3 jours in this miserable village. Et surtout, commerces indispensables à l’origine de cette atmosphère mal-famée, l’ouverture de 2 tavernes en 1807 : «En 1807, les tavernes Watson et Cheeseman, toutes deux administrées par des étrangers venus du sud, étaient les lieux les plus chics de l’endroit. C’est là que les plus fortunés se réunissaient autour d’une bouteille de rhum. On pouvait obtenir un déjeuner substantiel dans les meilleurs hôtels de St. Johns pour 25 cents. Suivant la valeur monétaire de l’époque, une course en carriole du fort à la ville coûtait dix shillings et le bois nécessaire pour chauffer une petite maison durant 24 heures revenait à environ 5 shilllings. Une ration de pain pour une journée se vendait 2 shillings et 6 pences».[14]

Un autre document témoin est la Topographie du Bas-Canada de Joseph Bouchette (1774-1841), publiée en 1815, où l’on retrouve une description touffue de la baronnie de Longueuil:
«C’est une étendue de terre très unie et extrêmement fertile, bien habituée et bien cultivée, traversée par de grandes routes, dont la principale se dirige vers le sud; arrosée par le Richelieu, elle est commodément située pour le transport par eau. Elle contient les paroisses de Saint-Luc et de Blairfindie, la ville de Dorchester et le Fort de Saint-Jean. Dorchester mérite à peine le nom de ville, contenant tout au plus 80 maisons, dont plusieurs servent de magasins. Mais probablement, sous peu d’années, il deviendra plus important: étant situé assez favorablement pour devenir entre les deux pays, tant en été qu’en hiver, l’entrepôt des marchandises qui y passent par terre ou par eau. Pendant l’hiver, il y a une communication très active, par le moyen des traîneaux qui voyagent sur la surface gelée des lacs et des rivières.
Avant la guerre, on y faisait un commerce très étendu de bois de construction, et il est probable qu’il reprendra son activité avec le retour de la paix.
Une grande partie des habitants qui y résident sont des émigrés américains qui ont fait le serment d’allégeance au gouvernement britannique. Quelques-uns tiennent les meilleurs hôtels de l’endroit et sont propriétaires des voitures publiques qui partent régulièrement pour la Prairie d’un côté et les États du Vermont et de New York de l’autre.
Le Fort de Saint-Jean, sur la rive occidentale du Richelieu, est de forme irrégulière : c’est une ancienne place frontière, mais il y a peu à dire de sa construction et de ses défenses. Ce ne sont que des ouvrages de terre fortifiés par des palissades et des piquets. Il y a dans ce fort environ vingt maisons : y compris les arsenaux, les magasins publics, etc. On y a entretenu dernièrement des forces considérables : étant aussi près des frontières, c’est un poste très important. Les ouvrages ont été mis dans un état de défense respectable. L’officier qui y commande est chargé des postes plus avancés sur cette ligne: il reçoit tous les rapports militaires et les transmet au général qui commande dans le district.
La force navale anglaise employée sur le lac Champlain a sa principale station et son arsenal à cet endroit. On y a construit des vaisseaux qui portaient de 20 à 32 canons; ils ont maintenu notre supériorité sur le Lac jusqu’au malheureux combat devant Plattsburg en 1814. Notre flottille y fut détruite, mais cet événement désastreux ne fut pas déshonorant pour le pavillon national. Si la guerre avait continué, des efforts redoublés, joints aux moyens qu’on avait préparés, lui aurait bientôt redonné son ascendant ordinaire».[15]
L'arrivée des frères Marchand. «Puis arrivent les Marchand…» laisse échapper, comme en un soupire, le Père Brosseau. Il s’agit des frères Gabriel, François et Louis Marchand. Ces commerçants audacieux vinrent de Québec à Saint-Jean dans le but de profiter du commerce de bois précieux. Gabriel arrive le premier, en 1802. Il avait été gérant à Québec de la maison d'importation McNiver. Ses deux frères viendront l'y rejoindre en 1816. En 1803, Gabriel Marchand s'associe à John MacNider et François-Xavier Durette pour former une maison de commerce de bois sous le nom de Gabriel Marchand & Compagnie. Il installe à Saint-Jean la première maison de commerce et fait sur le pourtour du lac Champlain de grands abatis de pin blanc, de chêne et autres essences propres à la construction. Par le Richelieu, puis le Saint-Laurent, elles sont expédiées en radeaux vers Québec et par bateaux à l’étranger. «Nos bois ont donc commencé par descendre le Richelieu avant de le remonter vers New York», insiste le père Brosseau. En 1816, Gabriel passe la main à ses frères et s’achète une terre vers le chemin de Saint-Luc, le Domaine de Beauchamp situé dans le nord-est de la ville, domaine où sont érigés aujourd'hui l'hôpital du Haut-Richelieu, la polyvalente Armand-Racicot, des centres d'achat et des blocs résidentiels, et que surplombe le pont Félix-Gabriel Marchand. Cet immense domaine est le résultat de trois achats successifs de terrains entre 1816 et 1843. Prenant sa retraite des affaires, Gabriel Marchand s'occupe donc principalement de la culture de ses terres et prend des charges publiques, tandis que ses frères continuent à faire prospérer la compagnie, s'associant désormais à Ambroise et Édouard Bourgeois. 

Indices d’une maturation certaine. La rue Front, devenue rue Richelieu, traverse trois anciennes terres à ferme : la propriété des Babuty entre Frontenac et Saint-Georges ainsi que deux terres ayant appartenu à Gabriel Christie et Moses Hazen entre Saint-Georges et Foch, dont l'une avait été concédée avec titres au notaire Grisé en 1764. Une loge maçonnique est fondée en 1792, la Dorchester. Plusieurs soldats font vivre les petits établissements de la place. Parmi ces habitants dans la partie nord de la rue Saint-Georges, on compte le négociant Laughlin Mc Millan, le fabricant de roues John Lay, le boulanger Alexander Fraser mort en 1791, le charpentier Silas Pearson, le soldat et commerçant James McCumming. S'ajoutent à la liste les marchands Alexander Shutt et Abraham Griggs, ainsi que le boulanger Andrew Mabon décédé en 1803. Au sud de Saint-Georges, des baux à emphytéose sont consentis par Elisabeth Stivens, l'épouse de Jacques-Christophe Babuty fils, à diverses personnes dont Abijah Cheesman, John Steel, Patrick Conroy, Jacob Heath et plusieurs autres. Parmi les premiers commerces que l'on retrouve à cette époque il y a des débits de liqueurs, des hôtels ainsi que diverses boutiques. Grâce à la prospérité venant du port et des échanges avec les États-Unis, divers nouveaux commerces s'établissent. L'entreprise de W. Borland, fondée en 1821, fabrique des articles de cuir; le magasin-général de Nelson Mott; des magasins de marchandises sèches sont dirigés par les frères Louis et François Marchand; des associés Ambroise et Édouard Bourgeois participent aux entreprises des frères Marchand. Le magasin d'Édouard Bourgeois vend des produits alimentaires, du charbon, du sel, de la farine, du poisson et des vins jusque dans les années 1860, à l'intersection nord-ouest des rues Saint-Charles et Richelieu. Edward et Duncan MacDonald dirigent un magasin général après la rébellion de 1837-1838 et ce, durant plus de 25 ans. Ces derniers seront banquiers par la suite. Jason C. Peirce est importateur et marchand général sur la rue Front. Tous ces commerçants vont fournier la base à l'établissement des premières fortunes de la ville de Saint-Jean.

Dorchester au sein de l’organisation politique du Bas-Canada. En 1792 Saint-Jean appartient au comté de Kent et ce jusqu'en 1830, puis au comté de Huntingdon. De 1830 à 1854, la municipalité est rattachée au comté de Chambly et, de 1854 à 1867, au nouveau comté de Saint-Jean. Au plan judiciaire, la ville fait partie du district de Montréal entre 1760 et 1857. À l’époque, ce sont des juridictions administratives et politiques à la fois vastes et vagues. Deux députés représentent le comté à l’Assemblée législative du Bas-Canada : René Boileau et Pierre Legras-Pierreville, premiers députés du comté de Kent de 1792 à 1796, puis Antoine Mesnard Lafontaine (de 1796 à 1804), Jacques Viger (de 1796 à sa mort en 1798), Michel Amable Berthelot d’Artigny (de 1798 à 1800), François Viger (de 1800 à 1808), Pierre Weilbrenner (de 1804 à 1808), Joseph Planté (de 1808 à 1809), le jeune tribun Louis-Joseph Papineau (de 1814 à 1816), Noël Breux (de 1814 à 1816), Denis-Benjamin Viger (de 1816 à 1830), Pierre Bruneau (de 1816 à sa mort, 1820) et Frédéric Auguste Quesnel (de 1820 à 1830). Les petits villages se fondent et se développent dans les environs, mais le peuplement des régions rurales francophones, par le taux de natalité, entraîne une loi de refonte de la carte électorale en 1829 qui crée 3 nouveaux comtés portant les noms de L’Acadie, Chambly et Rouville. Avec la réforme de la carte électorale, les villes de Saint-Jean, Saint-Luc et L’Acadie se trouvent désormais comprises dans le comté de Chambly, tandis que les villages situés plus au sud-ouest se retrouvent dans le comté de l’Acadie. Dorchester est donc située à la frontière des deux comtés. Frédéric Auguste Quesnel est député du comté de Chambly de 1830 à 1834, Louis-Michel Viger, de 1830 à 1838 et Louis Lacoste de 1834 à 1838. Robert Hoyle et François Languedoc sont les premiers députés du comté de L’Acadie de 1830 à 1834, suivis de Cyrille-Hector-Octave Côté et Merritt Hotchkiss de 1834 à 1838.

La guerre de 1812-1814. À Sait-Jean, le poste des douanes ne tarde pas à péricliter, s’avérant trop coûteux :
«Quelques années avant la guerre de 1812, pendant que le douanier William Lindsay se débattait pour obtenir une indemnité pour les dépenses trop nombreuses occasionnées par sa charge, et que le menuisier-entrepreneur, Salomon Davis, réparait les bâtiments réservés à la douane, le reste du fort cédait lentement aux intempéries et à l’âge. Le capitaine Gother Mann des Royal Engineers élabora bien deux projets de reconstruction du fort Saint-Jean, l’un en 1791, l’autre en 1804, mais ni l’un ni l’autre ne dépassèrent le stade des recommandations. Aussi Saint-Jean ne fut doté ni de la base navale, ni du fort de pierre imaginé par Mann. L’apparition des premières routes carrossables entre le Canada et les États-Unis avait aux yeux de certains diminué l’importance stratégique du Richelieu au point qu’on hésita alors à investir les sommes qu’il aurait fallu pour redonner des fortifications dignes de ce nom».[16]
Un beau matin, le douanier Lindsay reçoit une lettre en date du 27 août 1812 lui ordonnant de quitter le fort Saint-Jean, le plus vite serait le mieux, et de remettre les clefs au maître des Casernes et courir se réfugier à Sainte-Thérèse. Il ne se fait pas prier. En effet, une nouvelle guerre entre les États-Unis et l’Angleterre vient d’être déclarée et la garnison doit être organisée. C’est dans ce contexte qu'est d’ailleurs fondé le premier bureau de postes à Dorchester, en 1812. Mais ce n’est pas Saint-Jean qui sera le centre de l’investissement militaire, mais le fort de l’île-aux-Noix. Véritable chantier maritime et principale base navale du lac Champlain, le fort de l’île-aux-Noix refoula le fort Saint-Jean dans son rôle d’arsenal et de point d’appui, comme au temps où Saint-Jean servait de centre d’approvisionnement pour le fort Saint-Frédéric. Ses casernes sont quelque peu restaurées afin de recevoir de nombreuses troupes appelées à venir y loger. Dès octobre 1812, le 100e Régiment y stationne 463 hommes. Les Voltigeurs de Salaberry s’illustrent dans la nuit du 19 au 20 novembre lorsque, installés à Lacolle avec une troupe de 300 autochtones, ils sont attaqués par surprise par une troupe de réguliers américains, avant-garde de l'armée de Dearborn. À la faveur de la nuit, les Américains se méprennent et tardent à s’apercevoir qu’ils s’entre-tuent. Ils battent finalement en retraite. À son retour, de Salaberry fait embarrasser la route de troncs d’arbres.[17] Les batailles navales se déroulent essentiellement au lac Champlain et ne remontent jamais aussi bas dans le Richelieu. Au printemps de 1814, alors que la division américaine du général Wilkinson menace d’envahir à nouveau le Canada, 750 hommes logent aux casernes. Ils font partis du 19e Light Dragoons, du 13 et 49e Régiments et des Voltigeurs. Ce sont ces troupes qui, le 30 mars, se portent à Lacolle pour arrêter la marche de l’ennemi en centrant la résistance autour du moulin de l’endroit. La dernière tentative d’envahir le Canada par la vallée du Richelieu se solde par un échec. Le gouverneur Prevost tentera bien d’organiser des forces réunies à Saint-Jean en vue de marcher sur Plattsburg, mais - comme Burgoyne en 1776, «pauvre homme de guerre» -, il échouera complètement dans son entreprise.

Durant cette période de guerre, un réseau de contrebande s’établit par lequel les paysans du comté font circuler le blé et les bêtes à cornes chez nos Voisins du Sud, alors que les soldats stationnés à Saint-Jean souffrent du froid et ont besoin de bonnes fourrures bien chaudes. Ceci confirme encore une fois la réputation de localité mal-famée que l'on prête à Dorchester.

Les églises protestantes. La première église anglo-protestante fut la petite église Saint-James - la mitaine, avec son petit cimetière sur le côté nord (aujourd'hui déplacé à l'arrière) -, le plus vieux bâtiment religieux de la ville, érigé en 1816 sur la rue Jacques-Cartier. Au cours de cette année, un groupe de citoyens se mit en communication avec le révérend Micaiah Townsend dans le but de former un comité dont la tâche serait de recueillir des fonds pour la construction d’un temple. Le 22 juillet, après une bonne collecte, on put poser la pierre angulaire, et le 19 janvier 1817, le révérend Townsend de Clarenceville y célébra le premier service divin suivant le rite de l’Église d’Angleterre. Peu après, le révérend W.-D. Baldwyn accepta le poste de clergyman et une requête fut adressée au gouverneur afin d’obtenir un bâtiment hors d’usage qui appartenait aux Casernes. «On ne sait si la requête fut acceptée ou si le Rectory actuel fut alors construit et habité». Quoi qu’il en soit, le 10 mai 1822, des lettres patentes de Sa Majesté George IV donnent comme territoire toute l’étendue seigneuriale de Longueuil sous le vocable de «Parsonage and Rectory of the Parish Church of St John», et le Révérend William Devereux Baldwyn est confirmé dans son titre.

La bâtiment sera régulièrement aménagé tout au long du siècle (jubé intérieur, 1825; orgue, 1840; réduction de la sacristie et installation de deux galeries latérales, 1845; réfection du clocher et du toit détruits par la foudre, 1846). L’Église œuvrera également dans le domaine de l’éducation :
«D’après les mémoires paroissiaux, il semble bien que l’éducation de la jeunesse a été de tout temps regardée comme une des responsabilités de la paroisse et qu’une école a été confiée au clerc de la paroisse, au moins à ses débuts. En 1860, le Rev. Chas Bancroft, avec les dons de quelques citoyens de marque bâtit l’École supérieure bien connue, tout auprès de l’église et sur le terrain donné par M. J.-R. Mott. Quand l’éducation passa sous le contrôle de la Province, cette école fut louée au Bureau des Écoles Protestantes et ce jusqu’en 1929».[18]
Un nouveau Rectory sera construit en 1883, tandis que l’ancien deviendra le Baldwyn Hall. Avec la Première Guerre mondiale, le Rev. A.-H. Moore se consacrera au soin des militaires alors de passage aux Casernes. La Croix-Rouge fera du Baldwyn Hall le centre de ses activités et le Rectory lui-même servira d’hôpital à l’occasion. Dans le temple, et ce durant le temps de la guerre, on placera l’Union Jack et l’entendard de l’Engineers Training Depot :
«Les membres de l’église anglicane sont en majorité anglophone. Les années 1855 à 1875 semblant marquer la période la plus prospère dans l’histoire de l’église. Durant ces années, le pourcentage de la population anglophone est au plus haut à cause surtout de l'armée qui occupe une place importante dans l’histoire de la population de ce temps. Le commerce et l’industrie se développent et sont tenus en grande partie par des familles anglophones. Après 1875, les jeunes ont commencé à émigrer et, peu à peu, la paroisse anglicane a perdu de sa popularité».[19]
L’église Saint-James, avec son typique cimetière qui conserve les corps des premières familles loyalistes venues habiter notre région, demeure le site historique le plus ancien du Vieux-Saint-Jean. Le style georgien du début du XIXe siècle caractérise son architecture. Le fait que les réfections ultérieures n’aient pas modifié le bâtiment est notable. C’était à une époque où l’on considérait que restaurer rapportait plus que détruire.


Après l’église anglicane Saint-James, les méthodistes viennent ériger le premier temple wesleyan en 1841, qui dessert ordinairement une population davantage prolétarienne que bourgeoise. William Coote, secrétaire du conseil d’administration, obtient du Baron Grant une concession du côté ouest de la rue Longueuil entre les rues Saint-Jacques et Saint-Georges, où on érige la chapelle. William Knight - dont la maison, sise à l’angle des rues Mercier et Saint-Georges, servait occasionnellement à recevoir le pasteur pour l’office -, et William Coote passent un contrat devant le notaire Démaray en 1842 pour la location d’une nouvelle maison sise à l’angle nord-est des rues Saint-Jacques et Grant (Laurier) pour servir de presbytère. Le temple méthodiste, aujourd'hui occupé par l'Eglise Unie du Canada, fut construit en 1841, les plans du bâtiment ayant été élaborés par l'architecte John Wells, également auteur, en 1846, des plans du siège social de la Banque de Montréal sur la Place d'Armes. Avec son fronton triangulaire et ses ouvertures cintrées, le temple s'inscrivait dans le courant architectural néo-classique populaire à l'époque. Le temple devait subir par la suite des réaménagements sans jamais changer la façade originale de 1841.

Fondation de la paroisse Saint-Jean-l'Évangéliste. Confronté à l’activité des protestants, Gabriel Marchand projeta la fondation d’une paroisse desservie par un curé résident. La chose s'imposait car tout l'arrière-pays était déjà érigé en paroisses. L'Acadie depuis 1784, Saint-Luc depuis 1799. Saint-Athanase avait vu son église érigée en 1822. Les catholiques de Dorchester ne pouvaient continuer à être desservis par le curé de Saint-Luc, rôle que tenait le curé Magloire Blanchette en 1826.

D'autant plus qu'en érigeant une paroisse, on créait une organisation politique de marguilliers dont les charges pouvaient s'étendre dans le domaine scolaire et des services de charité. L’évolution politique du Bas-Canada allait lui donner raison. Comme le souligne le chroniqueur Léon Trépanier : «L’érection civile des paroisses ne commença… qu’en 1831, l’évêque seul y ayant pourvu jusque-là. L’érection civile donne à la paroisse le droit de se constituer en municipalité pour fins électorales, scolaires, judiciaires et autres».[20] La prospérité étant au rendez-vous, la fondation d'une paroisse demeure un moyen de redistribuer, à bon escient, la richesse. Nous ne devons pas nous limiter à cette aspiration dont parle le Père Brosseau dans sa monographie : «une entreprise beaucoup plus élevée s'était emparée de son cœur», pour expliquer l’intérêt de Gabriel Marchand à fonder une paroisse. D’ailleurs, Marchand épousera, en seconde noce, Mary MacNider, fille de son associer, une Écossaise, qui sera la mère de Félix-Gabriel : «Fidèle à la promesse qu’elle avait faite à son mari d’élever ses enfants dans la foi catholique, cette méthodiste pratiquante s’appliqua à leur enseigner le catéchisme et les prières catholiques, sans que jamais son zèle ne fléchisse, ni, d’ailleurs, son attachement à sa propre Église».[21] Le couple Marchand donne l’exemple de l’harmonie ethnique entre les «nouveaux sujets» de Sa Majesté avec ses «anciens sujets».

Les catholiques de Dorchester font donc parvenir une requête, le 26 juin 1826, à l’évêque-auxiliaire de Montréal, Mgr Lartigue, dans le but d’obtenir la création d’une paroisse. Les signataires de la requête s’engagent à bâtir une église avec sacristie et un presbytère avec une salle d’école. Mgr Bernard-Claude Panet, évêque de Québec, sous ces conditions, accepte d'ériger la paroisse Saint-Jean-l'Évangéliste. Commence alors une longue correspondance entre Gabriel Marchand et les autorités civiles et religieuses dans le but d’ériger la paroisse. Elle ne se terminera que le 21 décembre 1827, date de l’élection des syndics. Marchand  entreprend donc la démarche auprès de Thomas Busby, agent de la baronne, afin d’acheter le terrain pour y ériger les bâtiments religieux. C’est par sa fortune amassée dans le commerce du bois plutôt que par les collectes d’argent péniblement amassées que va s’édifier la paroisse Saint-Jean l’Évangéliste. Cette première paroisse Saint-Jean «commencera chez Louis Fréchette, où le chemin de la Prairie laisse la Rivière Richelieu, et s’étendra jusqu’à la Pointe-à-la-Mule, et que l’on comprendra dans la Paroisse le Rang-de-Bernier ou Petite Acadie, ensemble formant un nombre de deux cents habitants au moins».[22] Gabriel Marchand obtient ainsi les lots 99, 100, 106 et 107 mesurant 144 pieds de longueur par 288 de largeur, bornés de face par Busby Street (aujourd’hui Jacques-Cartier), à l’arrière par une autre rue (Longueuil), au sud par James Street (Saint-Jacques) et au nord par les lots 101 et 107, avec paiement d’un cens de rente annuel de 3" (le signe sur le document est douteux).

Après quelques rivalités personnelles sur l’emplacement de l’église, les correspondances vont s’accélérant. De part et d’autres, on s’informe des progrès des démarches civiles et cléricales en vue d’obtenir le droit ecclésiastique de l’érection. Une lettre d’Ignace Bourget, secrétaire de l’évêque-auxiliaire, informe de la visite de Mgr Lartigue à Dorchester et de la permission qu’il a obtenu d’autoriser la construction de l’église avant l’érection légale de la paroisse. Gabriel Marchand presse alors la baronne de lui livrer les titres du terrain au plus tôt, afin de pouvoir commencer les constructions, sans quoi «nous serions obligés de bâtir l’Église chez le Général Christie ou d’abandonner notre projet» (21 octobre 1826). Un différent surgit avec la baronne et retarde l’exécution du projet d’un an. Les entrepreneurs choisis pour la construction de l’église et du presbytère sont Benjamin Holmes et Joseph Doyon qui dressent les plans de la première église. Cet édifice doit mesurer 50 par 100 pieds et doit être en pierre des champs. Une partie existe toujours de ce premier édifice et sert actuellement de sacristie ainsi qu’une partie du mur du chœur. La façade donne alors sur la rue Jacques-Cartier, dont nous pouvons encore voir les vestiges du perron, des portes et l’inscription : MDCCCXXVIII.


La baronne de Longueuil ayant concédé les terres demandées le 4 mars 1827, Mgr Lartigue informe les Marchand que les travaux peuvent commencer. Les syndics élus le 21 décembre précédent sont les trois frères Marchand, Louis-Henri Gauvin, Pierre Jolin, Pierre Gaboriault et Joseph Simard, tous des gens influents dans la petite ville. Le 3 juin 1828, Mgr Plessis, en réponse à une de leurs requêtes du 1er mai précédent, les autorise à emprunter aux frères Gabriel et François Marchand ainsi qu’à d’autres personnes par leur entremise, les sommes manquantes pour l’achèvement de l’église. La future Fabrique devra rembourser ces créanciers «dès qu’elle sera munie d’ornements les plus nécessaires au culte». Dès lors, Gabriel Marchand se met en campagne pour ramasser l’argent. Les comptes de Louis Marchand, daté du 12 janvier 1831, permettent de retracer les différentes contributions :



Un autre écueil pointe à l’horizon. Mgr Panet ne peut déléguer un curé à Saint-Jean à cause du trop grand nombre de vacances dans diverses parties du diocèse. Finalement, il repêche un curé qui indubitablement à la bougeotte, M. Rémi Gaulin est reconnu pour ne pas tenir à la même place plus que 2 ou 3 années. Il prendra donc sa cure le 21 octobre 1828 et se présentera à ses fidèles comme sachant parfaitement l’anglais et prêchant avec grâce et dignité. Gaulin, en effet, avait été curé un peu partout, aussi bien en Ontario qu’au Québec et dans les provinces maritimes auprès des Acadiens. En 1822, il était curé de Saint-Luc et connaissait donc bien les paroissiens de Saint-Jean qu’il dessert, couvrant également les deux rives du Richelieu (à l’est jusqu’à la savane de Farnham) et au sud jusqu’à la frontière américaine. Il restera 3 ans à la cure de la nouvelle paroisse de Saint-Jean avant d’aller s’installer à Sainte-Scholastique, puis au Sault-au-Récollet. Il sera nommé par après évêque-auxiliaire de Kingston en 1833 avant de redevenir simple curé à L’Assomption jusqu’à sa mort, le 8 mai 1857. À son arrivée à Saint-Jean, aucun faste ne semble l’avoir accueilli. Son premier acte d’administration est la bénédiction de l’église, le 6 novembre 1828, sous le vocable de Saint-Jean-l’Évangéliste, ce qui donne occasion à de vives réjouissances. Le 4 juin 1829, Mgr Lartigue vient faire sa première visite pastorale. Il y décrète l’élection annuelle des marguilliers. Le curé Gaulin s’affaire, lui, à baptiser, à marier, à recevoir des abjurations de protestants anglophones qui deviennent des néophytes appréciables. Puis, le temps vient où il faut penser à construire le presbytère et ériger un cimetière catholique
«Au début de 1830, on pense à construire le presbytère. En fait, on le construira à droite de l’église avec façade sur la rue Busby, aujourd’hui Jacques-Cartier, et "faisant ligne avec le portail de l’église". Il aura 60 pieds de longueur sur 36 pieds de largeur mais seulement 40 pieds sur la longueur (sur 36 de large) accueilleront le presbytère proprement dit, tandis que les salles publiques occuperont la balance de la superficie : la salle des hommes et celle des femmes.
Dès 1831, la Fabrique achète six arpents de terre pour un cimetière qui sera situé sur la rue Laurier actuelle, à peu près où sera construite plus tard l’école Notre-Dame-du-Sacré-Cœur».[23]
Le 9 septembre 1831, l’Évêque de Québec publie le décret d’érection canonique tandis que le 9 septembre 1835 a lieu l’érection civile de la paroisse. Ayant quitté sa cure, M. Gaulin a été remplacé par le curé Joseph-Édouard Morissette qui, lui, restera jusqu’à sa mort en 1844. M. Morrissette s’occupe des âmes tandis que M. Marchand s’occupe des finances de la Fabrique. Les recettes de 1832 se chiffrent à £ 1 047.104½, les dépenses sont de £ 1 371. La balance de la paroisse est donc déficitaire de £ 323. Cela n’empêche pas de poursuivre les travaux sur le bâtiment. En 1832, on termine la voûte passée au blanc de céruse, en décembre 1833 on construit des autels latéraux ainsi que des armoires pour les enfants de chœur et, à la fin du mois, on achète un poèle que l’on installe pour chauffer l’église. Un menuisier et sculpteur du Sault-au-Récollet, Pierre Salomon Marquette, entreprend en 1834 la construction du jubé avec retrait en gradins pour l’orgue et les chantres, ainsi que de la chaire et du banc d’œuvre. Ce travail coûte à lui seul £ 5 000 et ne sera entièrement payé qu’en 1840. C’était une église qui n’avait pas encore été affectée par la grandeur monumentale des édifices néo-gothiques (Notre-Dame de Montréal, Varennes, etc.) qui seront la marque de la mégalomanie de Mgr Bourget lorsqu’il sera évêque du diocèse de Montréal. En 1923, la restauration intérieure et la transformation de la façade extérieure de l'église seront entreprises culminant, le jour de l'inauguration des travaux le 23 novembre 1924, par la bénédiction de cinq nouvelles cloches. À la fondation du diocèse, l'église prendra le titre de cathédrale par le sacre de Mgr Anastase Forget, le 29 juin 1934, premier évêque du nouveau diocèse de Saint-Jean.

L’organisation de la paroisse progresse donc lentement. La vente des bancs en 1833 rapporte £ 47 avec £ 11 d’arrérages; en 1834, £ 38. et £ 18 d’arrérages. Ces déficits obligent les marguillers à ordonner des poursuites et pendant 40 ans et plus, les résolutions de Fabrique devront recourir à ces procédés de temps de crise. En 1834, deux nouvelles tentatives sont faites pour améliorer la situation : la menace de recourir à des poursuites judiciaires, après un délais de 3 mois, tous ceux qui n’auront pas payé leurs bancs; l’annexion du Petit Bernier (composé d’une trentaine d’âmes et jusque-là rattaché à la paroisse de L’Acadie) afin de disposer des bancs mis en réserve. Gabriel Marchand tient les cordons de la bourse le plus serré possible. Non seulement il s’occupe de la tenue des livres, mais il perçoit les bancs, sur le perron de l’église, après la messe. C’est lui qui négocie avec le nouvel évêché de Montréal l’annexion du Petit Bernier. Au-delà de la dimension purement spirituelle de la paroisse, c’est avant tout une affaire d’organisation financière dans un monde souvent peu éduqué (2 des premiers marguilliers ne savent pas signer leur nom) où il faut constituer une communauté autonome. Un Memorandum permet de suivre les débuts financiers de la paroisse :
«Avant l’année 1834, la vente des bancs aurait rapporté la somme de £ 29. En 1834, £ 23.; en 1835, £ 49.; en 1836, £ 162.
En cette dernière année, une quête en effets, vendus ensuite à l’encan, a rapporté £ 19. et les quêtes du Dimanche £ 18.
Les arrérages dus à la Fabrique se montent à £ 270. La Fabrique doit à divers créanciers £ 550.
Dans cet État de Comptes, il n’est pas fait mention de la construction de l’église. Malgré la pauvreté de la naissante paroisse, formée de défricheurs et de journaliers, la modeste construction était à peu près payée, moins une somme de 323 livres due à la famille dévouée des Marchands, les seuls relativement à l’aise…»[24]
Si Dorchester s’enrichit, les paroissiens de Saint-Jean sont plutôt pauvres. Une lettre d’Ignace Bourget, toujours secrétaire de Mgr Lartigue, du 17 septembre 1836 à Gabriel Marchand souligne qu’il serait dans l’obligation de retirer le curé Morissette vu la modicité des revenus. Ce qui en dit long sur les difficultés de la paroisse. Le dernier geste relaté de sa cure fut la décision tenue lors d’une assemblée de la Fabrique, le 29 mars 1839, de faire mesurer et arpenter le terrain de la Paroisse et de faire enregistrer, par le protonotaire de la Cour du Banc du Roi à Montréal, le procès de l’arpenteur juré. La Fabrique veut ainsi s’assurer la propriété du terrain en sa possession.

Le personnel administratif de la paroisse est constitué alors des marguilliers Gabriel Marchand et Pierre-Paul Demaray, le notaire patriote, John Rossiter, longtemps first warden, Ambroise Bourgeois, François Marchand, Louis Marchand, Ambroise Hébert, Édouard Bourgeois et F.-J. Davignon qui appartiennent à l’édile locale, par contre Isidore Charland et Hilaire Lafaille semblent être des cultivateurs peu instruits puisqu’ils signent d’un marque (X) les décrets officiels.

Les deux premiers curés de Saint-Jean n’étaient pas des ignares. Gaulin avait fait ses études classiques et théologiques au Séminaire de Québec moins deux années de théologie au Séminaire de Nicolet (1807-1809). Morissette fit également ses études aux Séminaires de Québec et de Nicolet. À sa mort, il sera remplacé par un autre curé des plus instruits, Claude Larocque (1844 à 1866). C’est lui qui donna l’impulsion à la construction de l'église actuelle - la façade donnant sur la rue Jacques-Cartier - en 1861. Il sera consacré évêque, pour le diocèse de Saint-Hyacinthe, à la fin des travaux. Il sera alors remplacé par M. Aubry, 4e curé, de 1866 à 1893. Ce dernier achèvera la décoration et l'aménagement intérieur de l'église. 


Premiers instituteurs. Le 1er mars 1830, l'institutrice Marie Derome ouvre une école pour fillettes. 45 petites filles venues apprendre l'alphabet, la grammaire et les éléments de la religion. Le 8 octobre suivant, c'était au tour des garçons d'avoir un instituteur, Pierre Caisse. Il y enseigne à 34 élèves. Ces écoles étaient le résultat des initiatives, encore, des frères François et Louis Marchand, de Louis Rémillard et Pierre Gaboriault, ces deux derniers étant les premiers syndics de la fabrique de paroisse en charge des écoles. Gustave Lanctot rapporte : «Détail curieux, les écolières, seulement huit sur quarante-cinq, versent une cotisation de quarante sous par mois, pendant que les écoliers, seulement neuf sur trente-quatre doivent payer le double, soit quatre-vingts sous par mois. Les autres élèves reçoivent leur instruction gratuitement, grâce à une subvention du gouvernement».[25] Vingt ans plus tard, Saint-Jean comptera 8 écoles dont une dissidente, pour une population de 1 493 (dont 1 443 d'origine française) pour la paroisse et 3 215 (dont 2 235 d'origine française) pour la ville.
«L’arrivée de protestants méthodistes et baptistes qui entraîna en 1841 la fondation de l’église de rite méthodiste s’établissent à Saint-Armand et fondent la Mission de la Grande-Ligne, à 6 milles de Dorchester. Cet établissement, nous le devons à Henrietta Feller et au pasteur Louis Roussy en 1835-1836. La caractéristique de cette mission, est qu’elle s’adresse aux protestants francophones. D’origine suisse, Henrietta Feller enseigna aux enfants le jour et aux adultes le soir, et ce n’est qu’en 1840 qu’on y éleva la maison d’enseignement. Les fonds provenaient de différents milieux et surtout des États-Unis. Destiné au début aux francophones protestants, l’Institut Feller devint peu à peu bilingue. Henrietta Feller décéda en 1868 et le pasteur Roussy en 1880. L’édifice, rasé par un incendie le dimanche 22 décembre 1968, comprenait 2 ailes, une pour les garçons et l’autre pour les filles. En 1925, on y éleva le Massé Hall, qui existe toujours, et en 1942 l’Institut délaissa sa vocation pour devenir un camp de détention de prisonniers de guerre allemands. Une fois le conflit terminé, l’Institut Feller ouvra à nouveau ses portes pour ne les refermer qu’en 1967, par manque d’élèves».[26]
Croissance de la première économie locale. En 1817, le troisième fort Saint-Jean est la proie des flammes. C’est le premier incendie majeur qui menace de s’étendre à la petite ville. Il n’y a alors que le 19e Light Dragoons. La petite ville est épargnée, mais la plupart des bâtiments du fort sont sérieusement endommagés. La garnison déménage à Montréal. Un plan tracé en 1823 par le lieutenant-colonel E. W. Dunfort nous présente le triste état des lieux :
«Sur un terrain de quatorze arpents par huit, des fortifications délabrées entouraient un ensemble de constructions à l’apparence plutôt paisible; on pouvait voir, le long de la rivière, la résidence du commandant, quelques casernes et un entrepôt d’armes et de munitions; il y avait aussi, tout près de l'eau, un petit bâtiment réservé au corps-de-garde; à l’ouest, où est située l’actuelle entrée du Collège militaire, se trouvaient une cour à bois et un hangar destiné au ravitaillement; enfin, au centre de la place, s’élevait une petite cuisine. En 1825, une commission chargée d’évaluer le système de défense du Canada recommanda de jeter à terre l’ensemble de ces bâtiments de bois et de les remplacer par des solides casernes munies d’instruments de défense, mais rien ne fut fait».[27]
Peu importe, la vie urbaine, qui s'est maintenant détachée des activités militaires, continue de croître au nord des anciennes casernes. C'est le port de Saint-Jean désormais qui est le centre des activités locales. En 1822, Saint-Jean est le quatrième port du Canada. Cette année-là, il reçoit £ 233.209 de marchandises ($ 932.836) et £ 91.925 en exportation ($ 367.700). Tout au long de cette période, le grand moteur du développement économique et social de la région reste le transport. Par sa position de centre de transit non seulement des marchandises mais aussi des commerçants, Dorchester devient le poste de relais incontournable pour les voyageurs qui vont et viennent de Montréal et de Québec à New York. On a déjà vu que dès les lendemains de la Conquête anglaise, Saint-Jean se caractérisait par ses hôtels. En 1809, des 40 immeubles de la rue Richelieu, 4 servent d'hôtels ou d'auberges et en 1851, on dénombre 3 hôtels, 10 auberges et de nombreuses buvettes ou tavernes. D'ailleurs, une fabrique de bière locale emploie 5 ouvriers. Une autre brasserie s'installera quelques années plus tard au 299 rue Richelieu. Désormais, «les militaires en congé, les vieillards et les badauds avaient de quoi se distraire»! Ephraim Mott, qui participe à l'entreprise du traversier, ouvre un vaste hôtel de 2 étages afin d'accueillir cette nouvelle clientèle : «Cet hôtel composé de 2 maisons, l'une de briques et l'autre de bois, était appelé "Hôtel Mott" et était situé à l'angle des rues Front (aujourd'hui la rue Richelieu) et Partition (aujourd'hui la rue Saint-Georges), à l'endroit où s'élève actuellement l'édifice des Douanes».[28]

Le pont Jones. Le traversier mis en service par Ephraim Mott et les frères Louis et François Marchand entre Dorchester et Christieville servit d’abord de liaison entre les deux rives de la rivière Richelieu :
«Celui-ci fut grandement utile non seulement pour les piétons, les charretiers, etc. de ces deux localités, mais aussi pour les cultivateurs des régions situées au sud et à l’est d’Iberville, particulièrement des Cantons de l’Est qui se rendaient à Saint-Jean ou à Montréal avec leurs grains, volailles, etc. Autrefois, l’on voyait souvent des gens, un fouet à la main, conduisant vers "la ville" un troupeau d’animaux, même des oies et des dindons, non dans des voitures, mais à pied et à "pattes"».[29]
Faut-il penser que le trafic entre les deux rives s’intensifia à un tel point pour que, le 26 mars 1826, Robert Jones obtienne le privilège de bâtir un pont de bois? Quoi qu'il en soit, le privilège stipulait bien que :
« …le gouvernement autorisait les paroisses avoisinantes à construire eux-mêmes le pont à 2 conditions : qu’une demande soit faite au "Grand Voyer" dans les 3 mois suivant la date de la proclamation et que la construction se fasse en-dedans d’un an suivant la même date.
Si aucune demande n’était faite, M. Robert Jones s’assurait l’exclusivité. Nulle autre construction de pont ne serait autorisée "à une demi-lieu au-dessous, et une lieu au-dessus du dit pont". La période de construction exigée s’étendait alors sur 4 ans».[30]
C’était un appel d’offres auquel aucune paroisse ne pouvait répondre, Jones se voyait donc octroyer un monopole pour la région du Haut-Richelieu. De plus, on exigea un pont-levis pour laisser passer les bateaux : «…une ouverture d’au moins 90 pieds de largeur entre les piliers situés à l’endroit le plus profond de la rivière afin que les "cages" (sorte de radeaux) puissent y passer. On spécifie une élévation de 6 pieds sous "l’arche du pont Levis"». De plus, le gouvernement se réservait le droit de reprendre possession du pont après 50 ans, ce qui obligeait le colonel à faire une requête pour le renouvellement de sa charge.

Le premier pont entre Saint-Jean et Iberville était en bois. Le «pont blanc» mesurait 1 754 pieds de longueur. Pont de bois blanchi à la chaux, il avait été autorisé par un statut du Bas-Canada, le 29 mars 1826 : «Le pont-levis sur la rivière Richelieu à la ville de Dorchester, Saint-Jean, près du haut des rapides de la dite rivière, dans le comté de Huntingdon, c'est-à-dire entre les propriétés appartenant à Ephraim Mott sur le terrain maintenant appartenant à Robert Hall et occupé par lui dans la sus dite Ville de Dorchester, maintenant appelée Saint-Jean, augmenterait de beaucoup l'aisance et la facilité de la communication de beaucoup de paroisses et concessions voisines et du public en général…». Jones fit ériger un pont suspendu et construit par les frères Howe d'Angleterre. C'était un pont à deux voies. Ses gardiens furent Ryder, Joseph Bonin, François Chaput et M. Choinière. Jones avait toute liberté de percevoir des frais de traversée. Le même document spécifiait qu'il était «loisible au dit Robert Jones, ses héritiers exécuteurs, curateurs et ayants cause, de temps à autre, et en tous les temps de demander et exiger, recevoir et prendre à leur propre usage et profit, pour le pontonage, sous le nom de péage ou droit, avant de permettre le passage sur le dit pont, les différentes sommes suivantes, c'est-à-dire. Pour chaque voiture à quatre roues, tirée par deux chevaux, un chelin et trois deniers courant; Pour chaque cheval additionnel, quatre deniers courant; Pour chaque cabriolet, calèche ou wagon, propre et tiré par un cheval, huit deniers courants; Pour chaque cheval additionnel quatre deniers courants; Pour chaque charette ou wagon, tiré par une paire de bœufs ou chevaux additionnels, huit deniers courant; Pour chaque voiture à quatre roues propre et tirée par deux chevaux douze deniers courant; Pour chaque cheval additionnel, quatre deniers courant; Pour chaque carriole ou sleigh tirée par un cheval, six deniers courant; Pour chaque cheval additionnel quatre deniers courant;  Pour chaque sleigh tirée par une paire de bœufs, dix deniers courant; Pour chaque paire de bœufs additionnels six deniers courant; Pour chaque cheval de selle et son cavalier, six deniers courant; Pour chaque cheval, mule ou autre bête de somme, chargée ou non chargée trois deniers courant; Pour toute autre description de bêtes à cornes, deux deniers courant chaque; Pour chaque personne à pied, trois deniers courant; Pour chaque mouton, veau, cochon, un denier courant». Il en coutait 1 cent par enfant et 17 cents par voiture à 4 roues tirées par 2 chevaux pour l'emprunter au début du XXe siècle. Ce pont situé à 200 verges (184 mètres) du pont actuel fut abandonné en 1917. La limite de vitesse imposée sur le pont de bois était de un pas (mesure d'époque).


Jones fit évidemment fortune avec son pont payant. Les utilisateurs, surtout commerciaux, en vinrent à trouver le prix exorbitant. Très tôt, les habitants de la région se rebellèrent contre l’avidité de Jones. «Avant la rébellion de 1837, le Dr Davignon et le notaire Démaray maître de postes de Saint-Jean, demandèrent l'abolition du péage sur le pont qui reliait Saint-Jean et Iberville. Le colonel R. Jones propriétaire du pont, résidait dans son château, construit de pierres des champs sur les hauteurs d’Iberville. Il n’aimait pas les patriotes».[31] Les registres de délibérations du conseil de ville de Saint-Jean en date du 11 novembre 1876 nous informent de la proposition d’une délégation formée du maire, du secrétaire-trésorier et d’une tierce personne auprès du gouvernement provincial afin de demander une réduction de 50% du taux de péage. Quelle que soit l’issue de cette demande, durant ses 90 années d’existence, les usagers durent payer le passage. Jones n’entendait donc pas à rire avec les taux ni avec les contraventions. Si les postillons et les militaires en service sont exempt du taux de péage, il faut payer l’amende si on franchit le pont sans payer ou si on commande à sa monture d’aller plus vite que le pas. De plus, Jones détient un monopole qui met fin au service de traversier Mott & Marchand. En revanche, le pont doit être inspecté et entretenu régulièrement afin qu’«à la crue des eaux du Richelieu, il devait y avoir un espace d’au moins six pieds entre les eaux et l’arche du pont-levis».[32]

Pour ceux qui, l'hiver, ne voulaient pas payer les frais imposés par Jones, ils empruntaient, à l'endroit où se situe aujourd'hui le pont Gouin, un pont de glace gratuit. Au débouché de la rue Saint-Jacques, c'était le sentier favori des piétons : «Plusieurs autres sentiers servaient aussi; par exemple, de la rue Saint-Georges au quai du gouvernement à Iberville. Quelques fois même, par les plus grands froids, on piquait en biais, des hangars à grain Cousins (magasin Langlois) vers l’église d’Iberville. Le Richelieu était tout zébré de chemins où l’on enjambait les crevasses et les craquelures».[33] On balisait les sentiers de jeunes sapins. Mais lorsque la rivière était bien gelée, il y avait des pistes qui allaient dans toutes les directions. Ceux qui ne traversaient pas à pieds, traversaient en traîneaux ou en voitures légères. Celles-ci descendaient juste en amont du pont du Grand Tronc, au coin du parc Laurier. Une pente douce sur les deux rives. Lorsqu'il y avait des hivers vraiment très froids, des voitures plus lourdes pouvaient s'avancer sur la glace épaisse. Ces petits accommodements locaux ne doivent pas faire oublier les autres aménagements de transports. La bourgeoisie commerciale de Montréal voulait que les produits puisés de l’arrière-pays canadien soient transportés à New York par train. La petite bourgeoisie québécoise lui préférait le développement d’un canal, amorcé sous le Régime français, afin que les bois d’œuvre et de pulpe puisés des Laurentides et de la Mauricie passent en trains flottants d’une rivière à l’autre. Cette question fut l’enjeu de débats houleux au Parlement du Bas-Canada, surtout dans le contexte où les disputes entre le gouverneur colonial et l’Assemblée législative démocratiquement élue, les opposaient dans leur vision du développement de la colonie.

Le pont Jones allait de la rue Saint-Charles, à Dorchester, à la 9e avenue à Christieville. Comme tous ces bâtiments qui ont constitué la poétique de l'espace du Vieux Saint-Jean, le pont eut une fin bien triste. Un article, paru dans Le Canada Français en date du 3 juillet 1902, nous informe que le pont s’est acquis une mauvaise réputation lorsque une voiture chargée de grains de la maison Cousins s’est aventurée sur le pont qui défonça et précipita voiture, chevaux et conducteur dans la rivière. Bien qu’il n’y eut aucun dommage important et que tous furent tirés vifs de ce bain forcé, les gens s’inquiétaient désormais de le traverser. On le démolit en 1916 lorsque le pont Gouin prit la relève.

Première poussée démographique. La croissance de la population indique assez bien la rapidité avec laquelle s’opéra le développement de Saint-Jean à partir de la troisième décennie du XIXe siècle. En 1831, la population tournait autour de 800 habitants répartis en 150 maisons. Dix ans plus tard, elle atteindra 1 315 habitants!

Amélioration du transport routier. Le Chemin de Saint-Jean semble impossible à aménager. En tous cas, les ingénieurs de la chaussée anglais ne réussissent pas mieux que leurs prédécesseurs français. En 1830, au lieu des 16 jours que ça prenait pour se rendre de Montréal à New York, le trajet a été réduit à 3 jours : «C’était beaucoup mieux, mais il restait toujours le trajet de 30 milles entre les 2 fleuves, à travers les terres glaiseuses, détrempées pendant des mois par le dégel du printemps ou les pluies prolongées de l’automne. Sans parler des tempêtes de neige et des froids extrêmes; c’était bien la pire étape d’un interminable voyage». C’est l’année pourtant où l’ingénieur Benjamin Holmes - celui-là même appelé pour ériger l'église catholique en 1826 -, effectue d’importants travaux de la chaussée afin de rendre ce chemin plus praticable. Revêtue de macadam, c’est la seule amélioration obtenue, malgré les démarches infructueuses du douanier William Macrae, pour reconstruire la route et d’en assurer l’entretien par un système à péage.

Première révolution dans les transports : le chemin de fer. En 1831, deux Écossais dynamiques de Montréal, George Moffat et surtout Peter McGill (1789-1860), alors président de la Banque de Montréal, décide de financer la construction d’une première voie ferrée entre Laprairie et Saint-Jean. En 1832, une compagnie de 74 actionnaires - dont un seul est de Dorchester, Jason C. Pierce, officier américain capturé lors de la guerre de 1812 et qui a décidé de demeurer dans la région -, est formée avec un capital de £ 50,000, la Champlain and St Lawrence Railroad, dont le président est Peter McGill. Elle s’engage à transporter les voyageurs à une vitesse inouïe de 10 à 15 milles à l’heure sur des rails - encore en bois recouverts de feuillards d’acier, avec un écartement de six pieds et six pouces, dit chemin de fer à la lisse -, entre Laprairie et Saint-Jean. On fit alors venir d’Angleterre une petite machine Stephenson :
«La locomotive reposait sur 2 paires de roues accouplées de 48 pouces de diamètre - les pistons mesuraient 14 pouces dans un cylindre de 9 pouces de diamètre - la chaudière était de 27 pouces de largeur sur 78 pouces de longueur et contenait 64 tubes de 1 et 5/8e de diamètre. À l’état opérationnel, la locomotive pesait 12,544 livres et mesurait 5 pieds 8 pouces de hauteur (sans la cheminée) par 15 pieds de longueur en incluant le wagon de service».[34]
Arrivée par New York, elle parvint sur une barge à Saint-Jean. Elle fut baptisée la Dorchester, mais surnommée affectueusement «kitten» (chaton) à cause de ses bonds et sursauts intempestifs. Les wagons - de première classe avec 2 compartiments de 8 voyageurs et de deuxième avec 3 compartiments de 8 voyageurs - provenaient des ateliers de mécanique appartenant à John Molson, ami de McGill. La première voie ferrée du Canada, longue de 25,6 kilomètres, est complétée grâce à l’habile ingénieur en chef William Casey et coûte en tout et pour tout £ 40 000 ($ 160 000). Ce jeudi, 21 juillet 1836, tous les députés résidant à Montréal, à l’exception de deux, ont été invités à l’inauguration. D’après The Gazette, une invitation a été envoyée à De Witt, de sorte qu’O’Callaghan restait le seul député ostracisé pour ses tendances annexionnistes aux États-Unis. L’atmosphère politique est lourde à la veille du déclenchement de la rébellion, aussi, tient-on à oublier les querelles entre l’Assemblée et le Gouverneur pour célébrer ce moment unique du premier voyage en train au Canada.

Les voyageurs s’embarquent sur un traversier à vapeur, le Princess Victoria, afin de se rendre de Montréal à Laprairie. La  Champlain & St. Lawrence Railroad Company organise une véritable fête. John Molson, qui partage avec McGill le mérite de cette journée, sera seul à ne pas y assister puisqu’il est mort en janvier. C’est donc son fils qui le remplacera. Les invités d’honneur à l’inauguration sont là, en grandes pompes, en présence du gouverneur Gosford, d’officiers militaires et de l’administration publique et des députés de Québec dont l’Orateur et député du comté, Louis-Joseph Papineau. On y retrouve, également, le Supérieur du Séminaire de Saint-Sulpice, M. Quiblier. La traversée du fleuve dure 50 minutes et vogue au son de la fanfare du 15e Régiment. Arrivé à Laprairie, tout le monde se masse autour de La Dorchester. La locomotive est si frêle qu’on ne parvient qu’à lui attacher deux wagons de première classe. Le directeur général Lindsay ferme la porte sur les 32 premiers passagers tandis que les autres sont invités à s’entasser dans dix autres wagons tirés par des attelages de chevaux pendant les deux heures du trajet. La moindre montée exige le renfort des chevaux. «On rapporte à ce sujet un trait humoristique qui est peut-être une légende, mais assez vraisemblable, rapporte le père Brosseau. L’ingénieur écossais de la minuscule machine ne connaissait que la houille anglaise comme combustible. Or c’était un aliment trop riche et trop lent à digérer pour le foyer de sa machine. Elle s’était arrêtée, à bout de souffle, en montant une rampe, lorsqu’un habitant vint à la rescousse chargé d’une brassée d’éclats de cèdre. “Tu ne sais pas soigner ton cheval, l’ami; tu lui donnes trop d’avoine et pas assez de foin”. La flamme avivée par ce nouvel aliment rendit des forces à l’essoufflée et désormais l’Écossais chauffa son engin au bois».[35] Cette légende est probablement issue des premiers essais peu concluants de la Dorchester. 

Lorsque le cortège, parti de Laprairie à 12 heures 30 circulant à la vitesse moyenne de 30 km/h. arrive à Saint-Jean à 1 h. 29, les invités ne trouvent qu’un hangar vitement transformé en salle de banquet pour les 500 convives qui font partie du voyage. Située au sud des rues Lemoine et Busby (Frontenac et Mercier), ce bâtiment ne mesure que 40 pieds sur 100 pieds et sa construction avait débuté en 1835 pour ne se terminer qu’à la toute veille de l’inauguration. La gare, bâti en bois lambrissé, est élégamment décorée avec des branches de sapin et des drapeaux. On sert un buffet froid mais le champagne coule à flots, ce qui a pour effet de rendre le retour beaucoup plus animé. Peter McGill Jr, dirigeant les festivités, propose 2 toasts, l’un au roi d’Angleterre et l’autre au Président des États-Unis, tant l’aide apportée par Jason C. Pierce fut précieuse. Discours auquel répond le Gouverneur Gosford. William Lindsay présenta une médaille en or à l’ingénieur en chef Casey de la part des chefs d’équipe pour son attitude loyale envers eux et le cortège pris le chemin du retour vers 16 heures. «Le voyage fut plus bruyant qu’à l’aller : on but et on chanta des chansons canadiennes. La locomotive tirait cette fois-ci les quatre wagons à passagers et ne prit que cinquante-neuf minutes[36] à faire le trajet. Les autres voitures furent remorquées comme à l’aller par des chevaux. Cependant, les invités durent coucher à Laprairie suite à un fâcheux incident survenu sur le traverser».[37] En fait, le traversier s’échoua et les voyageurs durent passer la nuit à Laprairie, pestant contre la Compagnie accusée d’être la cause de ce fâcheux contretemps. Pendant ce temps, on s’affairait à réparer les dommages au steamboat

Cet événement, qui est resté symbolique dans l’histoire du Canada, inaugurait en fait un service plutôt cahoteux. La Champlain & St. Lawrence Railroad n’avait fait que prendre de vitesse la Montreal & New York Railroad, ligne adverse qui passerait par Mooers, Caughnawaga et Lachine, dont les activités faillirent venir à bout de la Champlain & St. Lawrence. Il en sera ainsi jusqu’en 1851, tant la concurrence des voies ferrées américaines exerçait une forte pression. Mais la Champlain & St. Lawrence Railroad n’avait pas le choix d’améliorer ses engins pour accroître son transit. A l'origine, le convoi comportait quatre voitures de huit passagers chacune, suivies d'une vingtaine de wagons de fret d'une capacité d'une dizaine de tonnes chacun. Saisonnier comme le trafic maritime, le train ne circulait que l'été permettant aux excursionnistes montréalais de s’éloigner de la métropole. Avec l'extension de la ligne à Rouses Point, à la frontière de l'Etat de New York, le rôle de Saint-Jean comme lieu de transbordement va s'atténuer. En 1853, la ligne de Portland (Maine), reliant directement Montréal à un port de mer est parachevée. Les retombées suite au développement des transports accrurent les activités commerciales de Saint-Jean, ville constituée de 3 000 habitants, comptant 17 magasins, 12 auberges, 11 boucheries, 8 cordonneries et 5 épiceries. Le coup fatal fut donné en 1870, lorsqu'une autre ligne liant Montréal à New York fit encore perdre de son importance au vieux chemin de fer de 1836.

La Champlain & St. Lawrence Railroad passa, en 1863, aux mains du Grand Trunk qui imprima au service un rapide essor. Le destin de la Dorchester fut plus triste. À partir du 21 juillet 1836, elle fut mise en service sur la ligne Laprairie-Dorchester jusqu’en 1849, date où elle fut vendue à la Compagnie de Chemin de fer du Saint-Laurent afin de relier Lanoraie à Joliette. Une quinzaine d’années plus tard, une explosion la rendit inutilisable. Les rails de bois sur lesquels on avait appliqué de minces tiges de fer résistèrent au temps et aux saisons. C’était une voie bien construite qui dura plus de cent ans après ce voyage inaugural et une partie servit encore à relier les villages entre L’Acadie et Saint-Jean. L’un des effets qu’on ne pouvait prévoir à l’époque fut que la position de tête de Dorchester, avec son service de chemin de fer, dut jouer dans la balance lorsque les potiers du village de Saint-Denis commencèrent à abandonner leurs petites entreprises pour venir s’établir à Saint-Jean afin de passer au service d’Américains venus installer une industrie concurrente à Dorchester.


Seconde révolution dans les transports : le canal de Chambly. On a répété maintes fois que le commerce maritime était la clef du développement économique de Dorchester. C’est un achalandage constant qui se fait surtout au niveau des importations : £ 233.202 en 1822 pour £ 91.925 seulement en exportation. William Dobie Lindsay, qui a succédé à son père comme contrôleur des douanes et son beau-frère William Macrae, collecteur des douanes, en butte aux tracasseries de l’Assemblée législative qui retarde le paiement de leurs honoraires (c’est l’époque de la querelle des subsides), décident de se servir à même les sommes perçues dans leurs fonctions. Des plaintes sont couramment déposées auprès du juge de paix de Saint-Athanase, les deux beau-frères s’enrichissant en propriétés et voyageant couramment aux États-Unis et en Europe aux frais de la Reine. C’est dire combien le trafic est rentable dans la région. Mais, la modernité bouscule. Le commerce s’active grâce à l’arrivée des premiers bateaux à vapeur qui ont leur quai au pied de la rue Lemoine, aujourd’hui Frontenac, et grâce surtout aux droits minimes que paient les importations, ce qui permet de les exporter en Angleterre avec de forts bénéfices. Une sorte de commerce triangulaire s’érige ainsi entre les États-Unis via le Bas-Canada, à l’Angleterre!

Le projet de canalisation vise à contourner les rapides les plus imortants du Richelieu. Après la Conquête, en 1775 puis encore en 1787, un certain Silas Deane a suggéré de construire un canal entre Chambly et Saint-Jean. Adam Lymberner est revenu à la charge en 1791. Un bill est même passé à l’Assemblée du Bas-Canada, en 1818, autorisant la formation d’une Compagnie chargée de canaliser le Richelieu. L’année suivante, cette Compagnie soumet un projet auquel il n’est pas donné suite. Délaissé jusqu’en 1823, date où le gouvernement vote l’appropriation des fonds nécessaires pour la construction du canal, c’est-à-dire £ 60.000 (environ $ 240 000), on reprend le travail interrompu à la hauteur de Saint-Ours.
«En 1829, on assiste à la création d’une commission chargée d’examiner les possibilités d’aménager un canal sur la rivière Richelieu. Parmi les commissaires nommés, on retrouvait des membres de l’élite canadienne-française comme Timothée, Franchère, René Boileau et Gabriel Marchand. On sait que ce dernier exploitait un commerce de bois à Saint-Jean. Il démissionne de son poste en 1831 et sera remplacé l’année suivante par Eustache Soupras. Le président Samual Hatt, était un anglophone, de même que l’autre membre : William Macrae. On sait que ce dernier était également collecteur de douanes à Saint-Jean».[38]
En 1830, le creusage du canal Chambly progresse lentement : «un projet succédait à un autre sans nulle entente, avec grandes pertes de temps et d’argent». Un certain John Black, immigrant irlandais venu à Saint-Jean en 1830, fournit l’équipement nécessaire aux travaux d’enverures du canal. Black assure lui-même le transport de matériel du quai de Laprairie à Saint-Jean. John Black devait devenir le patriarche d'une dynastie appelée à un grand avenir dans la région. Des ingénieurs américains furent engagés ainsi que des travailleurs irlandais, main-d’œuvre à bon marché. Les travaux reprennent efficacement le 1er octobre 1831. Les épidémies de choléra de 1832 et de 1834 ralentissent à leur tour la progression des travaux. Puis ce furent des conflits entre les entrepreneurs et les Américains qui retournent chez eux. Seuls les entrepreneurs de la région, les Andrès, poursuivent, pour un temps, les travaux qui sont interrompus à nouveau par manque de capitaux. En 1835, toutefois, presque toutes les écluses sont terminées, sauf les trois combinées du bassin de Chambly, et des moulins peuvent s’établir le long du canal qui sera enfin complété le 17 novembre 1843, où il est ouvert à la circulation sur l’initiative du Bureau des Travaux Publics issu de l’Union des deux Canadas.

Il faudra encore des travaux pour obtenir la profondeur exigée pour le trafic sans cesse croissant. En 1864, le Canal aura couté la somme de $ 643.711. Doté de 9 neuf écluses (la neuvième étant celle de Saint-Jean) sur une distance de 13 milles et montant les barges à une hauteur de 74 pieds : «Chacune des écluses a 36,60 m de long sur 7.30 m de large. Autrefois mues à la force des bras, les portes des écluses sont maintenant actionnées par un système électrique. Le canal lui-même avait, jusqu’aux transformations entreprises en 1917, environ 16 m de large». Le  canal a rendu d’immenses services au commerce du bois de pulpe ou de construction, de foin et de charbon entre le Canada et les États-Unis. Jumelé au transport ferroviaire des marchandises, c'est une véritable révolution des transports qui se réalise à Saint-Jean. Long de 18,5 km, le canal de Chambly va de Saint-Jean à Chambly, contournant les trois infranchissables rapides entre les deux villes. Ses 9 écluses, autrefois mues à bras d'hommes, permettent la navigation sur une dénivellation de 23,5 mètres. Des travaux de réfection et de consolidation auront lieu de 1850 à 1858. Dès son ouverture, on y voit descendre des radeaux de bois provenant de la rivière des Outaouais. Les billots sont assemblés en barques, surmontées d'une cabane servant aux «cageux» qui accompagnent les chargements. Puis, viennent les voiliers au gabarit variant de 50 à 150 tonneaux. Ces goélettes descendent la rivière jusqu’au fleuve pour y commercer les produits maraîchers de la région. Vers 1860, on évalue à 200 le nombre de ces voiliers qui sillonnent la rivière Richelieu et le canal de Chambly. Enfin apparaissent les barges qui, mieux adaptées à la navigation sur les canaux, persisteront jusqu'en 1930 environ. Pour circuler, la barge doit pourtant compter sur le halage des chevaux qui, péniblement, mettent une douzaine d'heures à franchir la distance de Chambly à Saint-Jean. Élargi en 1970 devant le centre-ville, le canal a vu passer sa dernière barge, dit-on, en 1973. Du coup, l'activité commerciale et économique a cédé le pas aux loisirs et aujourd'hui le canal sert l'été aux embarcations de plaisance et l'hiver, aux patineurs. Le long de la bande du canal on érigea des hangars et des remises à bateaux qui demeureront sur place jusqu’à la fin des années 1960, site obscur, propice aux activités illégales tout en permettant le jour des sorties en embarcations pour la pêche à l’anguille sur le Richelieu.

Les Troubles de 1837-1838 et le coup de force de Denis-Benjamin Viger. Les historiens se sont partagés sur le rôle joué par la ville de Saint-Jean lors des Troubles de 1837-1838. Pour l’historien Gérard Filteau il considère, dans sa somme, Histoire des Patriotes, que Saint-Jean était un chateau-fort Bureaucrate, c’est-à-dire un centre loyal au gouvernement; par contre, l'historienne Marcelle Reeves-Morache considère Saint-Jean comme un bastion patriote : qui a raison? Tout s'éclaire lorsque nous considérons l'importance du Parti Patriote parmi les cultivateurs de Napierville et du plat-pays derrière Dorchester. Par contre, la ville elle-même demeure pour l'essentiel entre les mains des partisans du gouverneur et de la loyauté au roi.

C’est avec la réforme de la carte électorale de 1830 que la campagne environnant Dorchester est témoin de charivaris et de cabales pour le Parti Patriote ou pour le Parti Bureaucrate. Des professionnels (médecins, notaires) font campagnes pour le Parti Patriote et soutiennent Louis-Joseph Papineau qui tient tête au
pouvoir exécutif du Gouverneur. Lors de l’Assemblée patriote tenue à Saint-Charles le 23 octobre 1837, ce sont des non-élus, le notaire Pierre-Paul Démaray et le docteur Joseph-François Davignon, qui représentent la voix de Saint-Jean, moins violente toutefois que celle du docteur Côté, du compté voisin de L’Acadie, qui appelle ouvertement à la violence. Le notaire Démaray (1798-1854) est originaire des Trois-Rivières et exerce le notariat à Dorchester depuis 1824. Il a été l’un des premiers marguilliers et secrétaire-trésorier de la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste en 1829. Juge de paix, il occupe aussi les fonctions de maître de postes. Plus tard, revenu d’exil en 1841, il deviendra maire de Saint-Jean en août 1851 et créera le premier corps de police de la Ville. Le docteur Davignon (1807-1867), lui, est de Saint-Mathias et pratique la médecine à Dorchester depuis qu’il a été reçu médecin, le 10 juillet 1833. À Saint-Charles, ni l’un ni l’autre ne prirent publiquement la parole.

À Montréal, les affrontements entre Patriotes et Bureaucrates commencent à soulever les passions populaires. L’un de ces affrontements a pour effet le sac des bureaux du Vindicator, journal patriote, par des membres du Doric Club, mais voilà que les autorités émettent des mandats d’arrêt contre les partisans patriotes! L’un d’eux concerne un jeune homme, Joseph Duquette, âgé de 22 ans. Le jeune Duquette s’enfuit à Dorchester, chez son oncle le notaire et maître de poste Pierre-Paul Démaray. À Dorchester, déjà, le notaire Démaray et le docteur Davignon sont reconnus comme des sympathisants rebelles notoires. 

Pendant ce temps, suite à une campagne active dans toutes les paroisses du sud du Québec, les Patriotes forcent les Bureaucrates à démissionner de leurs fonctions administratives et publiques. Ils recourent aux charivaris, à la terreur, aux menaces pour forcer les Loyaux à remettre leurs fonctions. Souvent, il arrive que la résistance de l’un d’entre eux se termine par une démonstration de force. Dans l’après-midi du 5 novembre se tient à Iberville une grande assemblée publique. Le même soir, vers 8 heures, un groupe d’environ 70 Patriotes, dont plusieurs résident à L’Acadie, entrent dans Saint-Jean. Démaray et Davignon se portent aussitôt à leur tête et se rendent chez les juges de paix afin de les contraindre à démissionner. Deux d’entre eux, Macrae et Lindsay, également douaniers, sont absent, mais Jason Pierce (l’actionnaire du chemin de fer) et François Marchand, ainsi que Virgil Titus, un parent de la famille Mott, sont rejoints et obligés de se démettre de leurs fonctions dans la milice. Parmi ces officiers, il y a Nelson Mott, futur maire de Saint-Jean, alors capitaine de milice. Accosté par un parti de Patriotes mené par un cultivateur de L’Acadie, Olivier Hébert, alors qu’il déambulait sur la rue Front, Hébert lui demande, en français, de remettre sa commission. Mott, ignorant la langue française, ne comprend pas. Il est alors conduit à l’hôtel de son père où François-Xavier Ranger, marchand et Louis-Mars Decoigne, notaire, tous les deux de L’Acadie, lui servent d’interprètes. Afin de donner du poids à la désistance de son poste de commissionnaire, Decoigne force Mott à signer une lettre de démission. Mott s’exécute. Il prétextera plus tard d’avoir craint de voir ses propriétés détruites s’il refusait. Aussitôt la démission obtenue, Démaray et Davignon mettent leur plan à exécution en ordonnant l’abolition du péage sur le pont Jones.

Au moment de la Rébellion, le fort Saint-Jean n’est plus en activité. Son commandant, résidant à Montréal se met à craindre le pire et, à cette menace, réplique en dépéchant un détachement de Royaux, des officiers de la Royal’s de Montréal pour venir occuper le vieux fort :
«Dès son arrivée, le commandant des Royal’s veut sans tarder procéder à une reconnaissance des lieux, surtout à Saint-Athanase. Il s’exécute donc. Sa sortie soulève l’indignation de la population. Les Royal’s se font invectiver d’injures au moment de leur retour à Saint-Jean, par la voie du pont qui était alors situé à la hauteur de la rue Saint-Charles et de l’église Saint-Athanase.
Un attroupement dirigé par Démaray et Davignon, scande le slogan de l’époque : "Hourra pour les Patriotes; hourra pour Papineau. À bas les Anglais; à bas les Bureaucrates!"
Les Patriotes, au moment où les Royal's s'engagent sur le pont, chargent de pics la gueule d'un canon et tirent en direction des Anglais. Furieux, le commandant anglais fait amener un canon du fort Saint-Jean et répond par la bouche de "son" canon aux Patriotes. Puis il s'élance avec son peloton dans la direction de Saint-Athanase…»[39]
«Profitant de l’ahurissement général, il passa au trot avec ses hommes. Il était donc maître du champ de bataille et en guise de représailles il fit camper sa troupe, hommes et chevaux, dans l’église d’Iberville, ayant réquisitionné les habitants de lui fournir la paille nécessaire».[40]
Le Gouverneur émet un mandat d’arrestation pour les deux meneurs. Au cours de l’après-midi du 16 décembre 1837, le constable Malo, un ancien huissier, est chargé d’arrêter les deux militants patriotes de Saint-Jean. Le colonel Jones, qui n’accepte pas qu’on abolisse le péage sur son pont, organise un bataillon de milice de Missisquoi dont il prend la tête afin de se protéger lui et ses amis. Aidé d'espions et de délateurs, s'appuyant sur une troupe de 250 loyalistes, il parviendra à contrôler la paroisse de Saint-Athanase et la région de Saint-Jean durant les troubles. Lors de la marche du constable Malo, il lui fut adjoint un détachement de 18 cavaliers de la Montreal Volunteer Cavalry, commandé par le lieutenant Ermatinger. «C’était une maladresse ou plutôt une provocation directe».[41] La troupe arriva à Saint-Jean vers 3 heures du matin, au moment où la ville est endormie. Tour à tour, les deux prévenus sont arrêtés, menottés et placés dans un fourgon conduit par le constable. Au lieu de regagner Montréal par Laprairie d’où ils étaient venus, Malo et ses hommes s’engagèrent vers Chambly où ils arrivèrent à 6 heures du matin, le 17 décembre. Pendant ce temps, les Patriotes se sont rassemblés à Laprairie afin de venir au secours des prisonniers. Dès l’arrestation, le capitaine Vincent monta à cheval et chevaucha toute la nuit sous une pluie battante pour prévenir les Patriotes que le convoi ne suivrait pas le même parcours qu’à l’arrivée. Toute la nuit, les Patriotes se mirent à faire fondre des balles. Ce travail fait, ils vinrent s’installer à la ferme à Trudeau, entre Chambly et Saint-Jean. Ils sont 40 sous les ordres du jeune Bonaventure Viger. Ce dernier fait disperser le petit nombre d’hommes afin de donner à Malo l’impression qu’ils sont une troupe nombreuse. Lorsque le convoi vient à passer, Viger saisit la bride de l’un des chevaux du constable Malo :
«…Bientôt le bruit de la cavalcade comence à se faire entendre et des formes apparaissent dans la brume du matin. Une décharge, tirée par les Patriotes embusqués, informe le convoi qu’il ne passera pas; "Halte! crie Viger; Livrez-nous les Patriotes que vous détenez injustement". Pour toute réponse, la troupe fait feu : Viger est atteint de 2 balles; l’une lui effleure la jambe, l’autre lui coupe l’extrémité du petit doigt.
Mais les Patriotes répondent. Viger lui-même, avisant le dragon de tête, lui fracasse le genou. Les chevaux s’emballent et leurs cavaliers ne demandent probablement pas mieux que de se laisser emporter… Bientôt, il ne reste plus sur place que l’huissier, blessé et tout frissonnant de peur. Tandis que les Patriotes se ruent sur les prisonniers pour les délivrer, il réussit à se glisser à terre et court se cacher dans un four.
Un forgeron brise les fers des 2 héros et l’on se rend à Longueuil fêter la victoire sur les Bureaucrates…»[42]
N’empêche, les «héros» ont eu la frousse de leur vie quand, «avant de fuir, les cavaliers avaient déchargé deux ou trois pistolets sur les prisonniers. Démaray est quitte pour une joue égratignée et une perforation de son manteau tandis que le  chapeau de Davignon est transpercé d’une balle».[43] Le coup de force avait trop bien réussi. Le 12 décembre, Lord Gosford émet une proclamation mettant à prix les têtes de Démaray, Davignon, de Gagnon et autres chefs patriotes au montant de $ 400 :
«Mais lorsque les fumées de l’enthousiasme se furent dissipées, on se demanda ce qu’il fallait maintenant faire. Duquette lui-même venait d’apprendre qu’il était porté sur la liste d’écrou et que seule son absence de Saint-Jean, au cours de la nuit, l’avait sauvé de l’arrestation. Un unique moyen s’offrait d’échapper aux poursuites judiciaires : passer la frontière. C’est à quoi se résignèrent les trois Patriotes. Le lendemain, ils étaient en sûreté à High Gate Spring».[44]
C’était là la mèche qui devait mettre le feu aux poudres. Les hostilités se généralisèrent. Puis ce fut la victoire imprévue de Saint-Denis, la défaite de Saint-Charles, puis celle de Saint-Eustache. Pendant ce temps, le colonel Jones organisait son bataillon composé essentiellement d’officiers venus de Saint-Armand. Il réussit ainsi, en quelques jours, à enrôler et à équiper 250 hommes et mettre ainsi les Patriotes dans l’impossibilité de bouger. De plus, il avait son propre réseau d’espionnage dont faisait partie un certain Joseph Armand dit Chartrand qui s’infiltra parmi les Patriotes du Haut-Richelieu. Comprenant que la trahison de Chartrand avait permis l’arrestation de quelques Patriotes, plusieurs d’entre eux lui tendirent une embuscade dirigée par un instituteur de L’Acadie, François Nicolas. Une dizaine de jeunes Patriotes s’emparèrent de Chartrand, lui menèrent un procès au bout duquel il fut reconnu coupable. On le traîna aussitôt dans un bois voisin, entre Saint-Jean et L’Acadie, on l’attacha à un arbre et on le fusilla. Pendant ce temps, un cultivateur Patriote de la Grande-Ligne, Julien Gagnon, essayait d’entraîner un groupe de Patriotes réfugié à La-Pointe-à-la-Meule pour s’emparer du fort Saint-Jean. Apprenant qu’une batterie d’artillerie et un détachement d’infanterie régulière se dirigeaient vers Dorchester, les Patriotes, trop peu et trop mal armés - seulement une trentaine avaient de mauvais fusils tandis que les autres brandissaient fourches et faux emmanchées sur des bâtons - décidèrent d’abandonner le projet et de retourner dans leurs foyers.[45] Saint-Jean, renforcée de troupes véhiculées par le train et sous la poigne de Nelson Mott, lieutenant de la 2e Compagnie des volontaires loyaux de Dorchester, resta passive.

Ainsi, lorsque le 28 février 1838, Robert Nelson mit à profit le démembrement de l’armée anglaise dont une partie allait combattre les rebelles du Haut-Canada, il put franchir la frontière à la tête de 300 hommes qu’il avait rassemblé à Alburg et s’établir à un demi-mille de la frontière, à Caldwell’s Manor  d’où il lut sa fameuse Déclaration d’Indépendance du Bas-Canada. La milice de Missisquoi, appelée en renfort, se prépara à rejoindre les Réguliers du colonel Booth, stationnés à Henryville. Le général américain Wool, qui avait quand même tenu à prévenir le général Colborne tant le Président Van Buren ne voulait pas que son pays s’implique dans les troubles du Canada, avertit, par sympathie, les hommes de Nelson qu'ils allaient se faire tailler en pièces. Robert Nelson repassa la frontière le matin du 1er mars. Au printemps 1838, des étudiants en médecine repêchaient encore des cadavres de soldats anglais qu’on avait jetés dans le Richelieu au début de l’hiver.[46] Alors que tout paraissait calme durant la belle saison, une société secrète, les Frères Chasseurs, s’organisait dans l’arrière-pays du Haut-Richelieu en vue de reprendre le combat. Les Frères Chasseurs «partent la nuit, par bandes de dix, vingt ou trente, portant la plupart, au bout d’un bâton, un petit paquet contenant une chemise, un morceau de pain ou de lard, racolant des compagnons d’armes pour leur passage et forçant les gens de se lever, de décrocher le vieux fusil de chasse suspendu au soliveau et de les suivre».[47] Au début de novembre, Robert Nelson revient, sa Déclaration sous le bras. Il repasse la frontière avec ses hommes, descend le Richelieu dans une goélette avec 4 de ses lieutenants, dont 2 Français, Hindelang et Trouvay. Arrivé au quai Vitman, il laisse là quelques Patriotes et se rend à Napierville où le comté de L’Acadie l’attend. Tout se passera désormais à Napierville.

Après les Troubles, en 1839, on allait construire les bâtiments actuels des casernes de Saint-Jean. Démaray revint exercer sa profession de notaire après la grâce concédée aux Patriotes le 9 mai 1841. Jamais se considérant comme vaincu, il va entreprendre de poursuivre la lutte sur le plan local en jouant le jeu des institutions issues de l’Acte d’Union de 1840. En 1854, lorsqu’il mourra, il demandera à être inhumé avec les chaînes qu’il avait portées en 1837. Le docteur Davignon, en novembre 1838, dispensa les soins aux blessés d’Odelltown réfugiés à Rouse’s Point aux États-Unis. Au début de 1839, il s’établit à Sable Forks dans l’état de New York et lors de la Guerre de Sécession, devint chirurgien d’un régiment du New York. Fait prisonnier par les Sudistes, il resta 4 mois en prison en Virginie. Durant cette campagne, son épouse mourut et lui-même s’éteignit en avril 1867. Julien Gagnon, le Frère Chasseur, s’était réfugié à Champlain aux États-Unis en 1838 où il devait mourir de la tuberculose et des misères endurées durant les Troubles, le 7 janvier 1842 en disant : «Je meurs pour la patrie, qu’elle soit heureuse». Le sort le plus triste, toutefois, fut réservé au jeune Duquette qui fut pendu dans des conditions atroces en 1839.

Un Patriote d’opérette. Félix Poutré. On ne peut passer sous silence le rôle rocambolesque de notre Patriote local, Félix Poutré (1814-1885). Natif de Sainte-Marguerite-de-Blairfindie, Poutré aurait fait partie des Frères Chasseurs dont il aurait recruté, dit-on, 3 000 rebelles avec la ferme intention de s’emparer des casernes de Saint-Jean, mais faute d’armes, de munitions et de secours extérieurs, son plan aurait échoué avant même d’être entrepris. En fait, et c’est ce que nous apprendrons plus tard, Félix Poutré, le fin-renard, était un agent double travaillant pour la police et l’armée britannique. Il faudra attendre l’année 1898 afin d’établir le fait que le Patriote adulé par la population, «vendant ses frères pour une poignée d’argent, après avoir acheté son pardon par la délation»[48] n'était pas ce qu'il prétendait être. Poutré avait, en effet, obtenu un grand succès avec son récit d’aventure présenté comme autobiographique. Il se disait avoir été arrêté, le 7 novembre 1838, entre L’Acadie et Saint-Jean et emprisonné le 13. Libéré le 26, les gens crurent l’anecdote selon laquelle il aurait réussi à échapper à la potence (c'est le titre de son livre) en simulant la folie. La vérité était tout autre. Employé par P.-D. Leclère, surintendant de police, il surveillait les agissements des Patriotes de Saint-Jean et des paroisses environnantes. Leclère écrivait ainsi au secrétaire-adjoint de Colborne, C. H. Montizambert, «une lettre contenant le rapport de Félix Poutré, "cultivateur respectable de la paroisse de Saint-Jean, qui, depuis quelque temps, est attaché au personnel de la police pour fins secrètes." Ce qui veut dire en toutes lettres, que Poutré est un espion au service du gouvernement. La première preuve s’en trouve dans l’explication de ses fonctions que donne, ensuite, Leclère. "Son devoir spécial, écrit-il, est de surveiller sa paroisse et les paroisses environnantes et quelquefois de visiter le côté américain de la frontière et entrer en communication avec les réfugiés établis là depuis les deux révolutions».[49] Son récit avait été publié en 1862 et le poète et dramaturge Louis Fréchette en avait tiré une pièce à succès, Félix Poutré. Aussitôt la vérité découverte, livre et pièce de théâtre sont retirés du commerce.[50]

Actes législatifs concernant Dorchester. Les actes législatifs concernant la ville de Dorchester sont nombreux et fort confus. Dès le 1er avril 1818 avait été créés des syndics de village, mais ce n'est qu'en 1825 que les Sieurs Étienne Patenaude, Louis Marchand, John Gray, William Watson et François Marchand, propriétaires au dit village, sont élus syndics du village. Les Rébellions n’ont pas suscité l’engagement des affairistes de Dorchester. Même Gabriel Marchand s'est fait discret. Il sait qu’il appartient à une bourgeoisie ascendante, celle des hommes d’affaires et non des petits-bourgeois de professions libérales. Il sait que les Francophones du Canada peuvent se montrer aussi entreprenants que les Anglophones. Il y a donc possibilité de conciliation des deux races au Canada, contrairement à ce que soutiendra lord Durham dans son célèbre Rapport. Marchand joua prudemment sa carte. Il refusa d’être nommé au poste de Conseiller léislatif le 22 août 1837; en 1838 il refusa de même le poste au Conseil Spécial pour ses convictions patriotiques. Ses frères et lui jouèrent passivement leurs cartes en attendant que les choses se tassent. Le 15 avril 1841 est créé la Municipalité régionale (district de Saint-Jean) dont le préfet est William McGinnis père, de Saint-Athanase de Bleury, nommé le 12 juin 1841; le greffier est Pierre Gamelin, notaire de Saint-Jean et Gabriel Marchand, cultivateur (sic!) représentent les résidents. Le 1er juillet 1845, la Municipalité de la paroisse forme son premier conseil sous la direction de Pierre-Paul Démaray nommé maire. Deux ans plus tard, elle est intégrée à la Municipalité du comté de Chambly. Après la formation de la Municipalité du Village, sur laquelle nous reviendrons, le 1er juillet 1855 sont créées les comtés municipaux de Saint-Jean et Iberville. Cette municipalité de comté comprend six municipalités locales : les paroisses Saint-Bernard-de-Lacolle, Saint-Jean-l'Évangéliste, Village de Saint-Jean, Saint-Luc, Sainte-Marguerite-de-Blairfindie et Saint-Valentin. La Municipalité de Paroisse est reformée avec le maire Samuel Vaughan. Il est difficile d'imaginer que ces juridictions confuses ne seront pas les lieux de conflits.

La municipalité de Paroisse Saint-Jean-L’Évangéliste et le duel entre les Trente propriétaire-fondateurs et le notaire Démaray. L’Acte d’Union, appliqué en 1840, crée les nouvelles lois sur les municipalités. Le premier gouverneur à régner sur le Canada-Uni, lord Sydenham, pensait instaurer des municipalités de district dans l’ensemble du Canada. Chaque district se trouvant sous la juridiction d’un préfet nommé par le gouverneur. Ainsi, la municipalité de district de Saint-Jean comprend-t-elle 22 localités dont le préfet est William McGinnis de Saint-Athanase d’Iberville, et s’étend des rives du fleuve (Laprairie) jusqu’à englober toute la vallée du Haut-Richelieu jusqu’à la frontière américaine. Les localités peuvent se faire représenter par 2 conseillers, mais Saint-Jean-l’Évangéliste n’en a qu’un : l’incontournable Gabriel Marchand.
«C’est au village de Saint-Jean que se tenait les assemblées du Conseil de district. La première assemblée dura cinq jours, soit du 7 au 11 septembre 1841. Par la suite, le Conseil se réunit à treize reprises pour une période de quatre ou cinq jours à chaque fois. La dernière assemblée eut lieu du 3 au 7 décembre 1844».[51]
C’était un système lourd, centralisé et lié au gouverneur. Aussi, resta-t-il impopulaire, coûteux pour les contribuables et ne servant finalement qu’à des menées électorales. Les Municipalités de district seront abolies pour faire place, le 1er juillet 1845, aux Municipalités de paroisse ayant des pouvoirs bien définis de taxation foncière et de responsabilités locales. À la tête de chaque municipalité siège un Conseil composé d’un maire et de 6 conseillers élus par les contribuables.[52] Or, à l’érection de la municipalité de paroisse, c’est nul autre que l’ancien chef Patriote, le notaire Pierre-Paul Démaray qui est élu maire (jusqu’à la première abrogation de la municipalité de paroisse, le 1er septembre 1847). La loi qui entre en vigueur ce 1er juillet 1845 et instituant les 325 premières municipalités de la Province de Québec, confie à chaque commission scolaire, indépendant du Conseil municipal, la gestion des écoles établies sur son territoire. La commission scolaire est érigée la même année et le notaire Démaray va y siéger face à son ennemi idéologique, le curé LaRocque. Une opposion acharnée entre le Vieux Patriote et le curé ultramontain va troubler la petite société pour plusieurs années.

Les Municipalités de paroisse s’avèrent insuffisantes au bon fonctionnement municipal. Elles se présentent comme un organisme transitoire entre l’ancienne structure politique ecclésiastique et une nouvelle structure politique civile. Les autorités devront bien se rendre à l’évidence que la répartition politique et le groupement social ne s’effectuent plus autour du curé, mais des propriétaires et des hommes d’affaires, également fonctionnaires importants de la région. De plus, la Municipalité de paroisse semble porter un intérêt tout particulier aux problèmes ruraux, ce qui ne plaît pas aux citoyens de la localité qui veulent une administration bien à eux.

Les articles 47, 48 et 49 de la loi de 1845 prévoient l’érection de municipalités de vilages et de villes. Il faut pour cela 3 choses bien simples : avoir une requête signée par 30 propriétaires; que la communauté ait 60 maisons ou plus réparties sur un territoire de 30 arpents et que ses habitants aient droit à l’élection aux conseillers de Paroisse ou de Township. Dorchester répond sans difficultés aux critères émis par le gouvernement du Canada-Uni. Le 17 juillet 1846, les Trente propriétaires envoient une requête à William Macrae, juge de paix, afin de convoquer l’assemblée prescrite par l’acte 47. L’assemblée se tient au palais de justice l’après-midi du 27 juillet suivant, sous la présidence du juge Macrae assisté de Thomas-Robert Jobson au poste de secrétaire. Tout un homme, ce notaire Jobson :
«Premier secrétaire-trésorier de la Commission scolaire de Saint-Jean (1845-1875), secrétaire-trésorier de la Fabrique de Saint-Jean l’Évangéliste (1847-1875), premier secrétaire-trésorier de la Municipalité du village de Saint-Jean (1848-1875), secrétaire de la Société d’agriculture du comté de Chambly, section Saint-Jean-L’Acadie-Saint-Luc (1848-1854), le notaire Jobson (1818-1875) monopolise littéralement les secrétariats de toutes sortes pendant plus d’un quart de siècle».[53]
On décide alors, au cours de l’assemblée, de présenter une pétition au Conseil municipal de la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste afin de fixer les limites et les bornes du village en vue de l’incorporation tel qu’exigé par l’article 49 de la Loi. Le Conseil municipal de la Paroisse prend note de la demande et lui donne une réponse favorable. Le notaire Démaray et ses conseillers : Louis Fréchette père, Pierre Roi, John Rossiter et Hilaire Lafaille, plus le secrétaire-trésorier Pierre Gamelin, établissent les premières limites du village de Saint-Jean :
«Il est unanimement agréé et Résolu par ce Conseil que d’après la demande et réquisition des dits habitants, les limites et bornes de cette dite Ville de Dorchester communément nommée Saint-Jean soient comme suit, savoir; borné à l’Est par devant au miieu de la rivière Richelieu, par derrière à l’ouest aux Terres de la deuxième Concession communément nommé grand Bernier, au nord par la ligne sud de la terre d’Herman Vaughan, au sud par la ligne nord de la terre d’Ephraïm Mott, ce qui fait y compris «le Terrain du Gouvernement Trente quatre Arpents de front le long de la rivière Richelieu ou environ sur Trente Arpents de profondeur à compter de la Rivière Rcihelieu ou environ sur Trente Arpents de profondeur à compter de la Rivière Richelieu jusqu’aux Terres de la dite seconde concesstion du Grand Bernier et que cette Ville soit dorénavant connue et désignée sous le nom de Saint-Jean Dorchester».[54]
La Résolution parvient aussitôt au Secrétaire Provincial qui demande, dans son accusé de réception, qu’on lui fasse parvenir un plan figuratif du village fait par un arpenteur assermenté. Demande anodine en soi, elle va soulever le conflit entre les habitants et le Conseil municipal de la paroisse. En effet, il semblerait que le plan dressé par Hiram Corey ne correspond pas aux limites établies en Conseil. En conséquence, le maire Démaray insiste pour que le plan soit soumis au Conseil avant d’être expédié au Secrétaire Provincial. À l’issue de cette séance, Corey est tenu de refaire son plan en y indiquant en plus le tracé des rues et des différents lots de terrain compris dans le territoire du village. Hiram Corey refait son plan et l’expédie au Conseil pour qu’il soit étudié à la séance trimestrielle du 1er mars 1847 - les Conseils Municipaux devant se tenir à sessions trimestrielles régulières, soit le premier lundi des mois de mars, juin, septembre et décembre de chaque année -, mais voila que la réunion n’aura pas lieu.

Le 12 mars 1847, les tenants du projet d’incorporation reviennent à la charge en déposant une petition sur le bureau du maire Démaray afin de convoquer au plus tôt une assemblée spéciale du Conseil «afin de sanctionner le plan soumis en févirer». Le maire hausse les épaules et la pétition reste lettre morte. À la session du 1er juin, la question ne peut être amenée sur la table du Conseil puisque, à nouveau, le Conseil ne siège pas! Les propriétaires atteignent le comble de l’exaspération. Pourquoi Démaray tient-il tant à repousser le projet d’incorporation en municipalité de village? La question dépasse le simple fait qu’il a peur de perdre son poste de maire de paroisse! La véritable raison du dédain pour le projet réside en son amertume envers les signataires de la pétition. On y retrouve Nelson Mott et tous les commerçants de la rue Front, pour la plupart anglophones et Bureaucrates durant les Troubles. La vieille rancœur contre les alliés bureaucrates et cléricaux semble animer la vie du notaire depuis son retour d’exil. Ses affrontements avec le curé LaRocque sont vitrioliques. Les commerçants anglophones également sont loin de priser le notaire et une pétition à lord Elgin, gouverneur du Canada, le montre assez bien. Le caractère économique de la friction l’emporte sur le caractère politique de l’affrontement entre propriétaires et Conseillers municipaux :
1° Que la Municipalité contrairement à la 21e section de la 28e clause de la loi de 1845, avait imposé une taxe annuelle de 4 livres aux marchands et aux commerçants en gros ou en détail tenant magasins ou boutiques à l’intérieur des limites du village de Saint-Jean.
2° Que la Municipalité pour des raisons inconnues des requérants n’avait imposé aucune taxe d’aucune sorte pour les autres habitants de Saint-Jean, et que conséquemment le Conseil Municipal avait créé une injustice envers les marchands et commerçants qui devaient supporter seuls toutes les dépenses encourues et à encourir par la dite municipalité.[55]
Non seulement le notaire Démaray évite à ses compatriotes le soin de payer les taxes, mais il augmente en plus les taxes de riches propriétaires de commerces et d’entreprises. Le Vieux Patriote surtaxe ses ennemis de la veille et ménage les siens. Pour toute réponse, les Trente propriétaires-fondateurs sont tenus en haleine, puisque le gouverneur Elgin ne peut «en venir à une détermination sur le sujet avant d’avoir la réponse du Conseil municipal de Saint-Jean». Et lorsque cette réponse vient, elle est franche. Dans un premier temps, le Conseil identifie les Trente propriétaires-fondateurs comme des chefs et meneurs s’opposant injustement au fonctionnement des lois et du Conseil. En deuxième temps, un paragraphe superbe dénonce la contradiction et la ségrégation qui se dissimulent derrière la requête des Trente : «Vu que ses opposants ou contrevenants sont des personnes qui, pour obtenir le but de se soustraire au devoir qui leur est imposé par la Municipalité, demandent à grand cri la division de la Ville d’avec la Campagne afin de mieux défier les pouvoirs de la Municipalité et mettre le comble au mépris qu’ils y portent…»[56] Le décret se termine par la résolution adoptée en Conseil qu’il n’y aura pas de séparation géographique, du moins pas avant que «les fauteurs de cette opposition se soumettent et se conforment aux devoirs qui leur sont imposés et au payement des licences que la loi leur impose et auxquels ils se sosnt continuellement refusés et se refusent encore de payer».

Au moment où les pétitions et les contre-pétitions se défient, la situation tombe dans une impasse jusqu’au jour où, le 1er septembre 1847, entre en vigueur la nouvelle loi qui abroge celle de 1845 et du même coup, les 325 Municipalités de paroisse qui sont remplacées par les Municipalités de comté. Chaque Municipalité de comté est dirigée par un Conseil composé de 2 conseillers nommés dans chaque paroisse incorporée au territoire du comté. La paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste est donc incorporée à la municipalité de comté de Chambly.

La paroisse doit donc se choisir 2 nouveaux délégués pour siéger au Conseil de la Municipalité de comté de Chambly. Il semblerait qu’alors, les forces occultes se soient liguées en vue de déloger le notraire Démaray. Les élections sont prévues le 14 septembre 1847 : «Quatre candidats étaient en lice; le notaire Pierre-Paul Démaray, le docteur Pierre-Moïse Moreau, James Bissett[57] et Henry LaRocque. Or il arriva que Démaray et Moreau perdirent leurs élections. Les candidats défaits protestèrent alors de certaines irrégularités durant le scrutin. Ce sont 2 protêts notariés qui viennent faire la lumière sur cette affaire, qui fut sans doute la première élection municipale contestée dans l’histoire de Saint-Jean».[58] Les protêts notariés se prononcent sur l’irrégularité des conditions dans lesquelles les élections se sont tenues. D’abord, les électeurs de Bissett et LaRocque - dont nos Trente propriétaires-fondateurs - n’ont pas payé encore les taxes et licences prescrites, ni versés pour le soutien des Écoles. (Or, ils ne sont donc pas des «contribuables».) Par ailleurs, la liste du Poll a été irrégulièrement tenue puisqu’elle ne distingue les locataires des propriétaires, de manière que les propriétaires qui n’ont pas payé leurs taxes à la Municipalité de la paroisse de Saint-Jean-l’Évangéliste ne sont pas soulignés. En dernier lieu, le président d’élection - qui par hasard (?) était François Marchand - devait tenir personnellement la liste du Poll durant la tenue du scrutin, or, non seulement il ne l’avait pas, mais en plus il ne fit pas lecture de l’acte ou la loi réglant les élections comme il était prescrit : Marchand aurait procédé immédiatement à l’élection à l’ouverture du Poll. Les protêts notariés déclarent l’élection de Bissett et LaRocque nulle de faits et de droits. Le livre des minutes du Conseil du Comté de Chambly n’ayant pas été retrouvé, on ignore ce qui advint de l’élection. Quoi qu’il en soit, il semble bien que Bissett et LaRocque se soient rendus siéger quand même au Conseil de Municipalité puisqu’ils ne tardèrent pas à y faire parvenir la demande d’incorporation du village.

Cependant, le sort devait réserver un bien vilain tour aux espoirs des Trente propriétaires-fondateurs. «À cause de certaines irrégularités ou omissions dans les documents expédiés», le procureur général du Canada, Louis-Hippolyte Lafontaine, transmet, le 11 avril 1848, une lettre à Charles G. Scheffer, secrétaire-trésorier du Conseil municipal de Chambly, l’informant qu’il regardait comme nuls tous les documents que le Conseil municipal du comté lui avait fait parvenir concernant l’incorporation du village de Saint-Jean. Toutes les procédures se trouvent donc à refaire!

Pour une troisième fois, les Trente propriétaires-fondateurs reviennent à la charge. Cette fois-ci, c’est Nelson Mott qui, avec l’aide du notaire Thomas-Robert Jobson et Joseph-E. Bourke, adressent une lettre le 1er mai 1848 au juge de paix William Macrae, afin de convoquer une assemblée des résidents du village pour le 29 du même mois. On renouvelle une fois de plus la requête adressée au Conseil municipal du comté de fixer les limites du village en vue de son incorporation. Le Conseil municipal en discutte le 12 juin 1848, et soumet la motion aux voix. Elle est emportée par une majorité de dix contre un : «M. Paré seul ayant voté contre en disant qu’il est toujours d’opinion que les notices doivent être données aux portes des Églises de la municipalité et non seulement aux portes des Églises où est situé le village qui demande à être incorporé». Il est triste que le nombre des habitants présents à l’assemblée tenue le 29 mai 1848 ne soit pas rapporté. Considérant que l’article 47 stipule la présence des habitants pouvant résider dans 60 maisons ou plus et 30 propriétaires ayant habileté pour requérir des autorités la demande d’incorporation, nous pouvons présumer que l’incorporation en Municipalité de village de Saint-Jean s’est opérée un peu comme une mini-Confédération. Seuls les gens du village, les riches propriétaires de la rue Richelieu - qui par ailleurs ne payaient pas leurs taxes -, ont décidé du découpage géo-politique de la Municipalité. Au minimum, 60 habitants bien choisis, économiquement aisés, stratégiquement disposés dans les appareils publiques, dressèrent une barrière entre la ville et la campagne. Du jour au lendemain, des habitants de la municipalité de la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste se sont réveillés en dehors des limites de la ville de Dorchester! Peut-être faut-il voir là la nécessité de réhabilliter la Municipalité de la paroisse en 1855? Une chose est sûre, les Trente propriétaires-fondateurs, flanqués d’hommes de pailles et de fonctionnaires dévoués, ont suffi à rassembler les 60 habitants pouvant se partager dans 60 maisons réparties dans le village, et au mépris des et plus qui n’étaient pas propriétaires ou dont la chose municipale laissait froid, sont parvenus à fonder un nouveau village. Les autres habitants de la région ont vu un jour afficher sur la porte de l’église Saint-Jean-l’Évangéliste le décret qui les érigeait citoyens du Village de Saint-Jean. Le tout fut proclamé officiellement par lord Elgin le 28 juillet 1848.

La Municipalité de paroisse est remise sur pied le 1er juillet 1855. Son premier maire, Samuel Vaughan, restera en poste jusqu’en 1859. Ce cultivateur était l’un des conseillers en 1845-1847 et il était directeur de la Société d’agriculture du comté de Chambly, section Saint-Jean-Saint-Luc-L’Acadie. John Crosby Towner, néophyte catholique, succède à Vaughan de 1859 à 1864. Jean-Baptiste Moreau, de 1864 à 1866. Plus tard, il sera président à son tour de la Société d’agriculture du comté de Saint-Jean (1867-1869) ainsi que président-fondateur de la Compagnie d’assurance mutuelle de la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste en 1879. Le commerçant Samuel Langlois succède à Moreau de 1866 à 1868. Julien Poissant de 1868 à 1869; il est l’un des directeurs de la Mutuelle d’assurance de la paroisse en 1879. Narcisse Brosseau, cultivateur, est maire en 1869-1870, puis il s’établit comme commerçant à Saint-Jean. Charles Hébert est maire de paroisse de 1870 à 1872, il est surtout actif dans les organismes administratifs de l’époque (marguillier, commissaire d’école, etc.), puis Julien Richard de 1872 à 1875 et Gilbert Lanoue en 1875-1876…

Cette même loi du 1er juillet 1855 qui restaurait la Municipalité de paroisse était accompagnée de l’instauration de la Municipalité du comté de Saint-Jean ayant pour but de s’occuper des ouvrages tels que chemins, ponts et cours d’eau sur tout le comté et quelques-unes des municipalités locales de son territoire. Dirigée par un Conseil de comité composé des maires de paroisses - les maires de cités et de villes étant exclus -, la Municipalité du comté de Saint-Jean est présidée par un Préfet nommé parmi les membres du Conseil. Malheureusement, les archives de la période de 1855 à 1937 semblent avoir disparu, aussi ne peut-on reconstituer que par bribes l’histoire de la Municipalité de comté de Saint-Jean. Nous savons que la première séance du Conseil se tint en août 1855 et que le préfet en était Joseph Delagrave, maire du village de Saint-Jean :
«Par la suite, lors d’une deuxième séance tenue le 12 septembre 1855, le conseil désignait le village de Saint-Jean comme chef-lieu du comté et comme site du futur bureau d’enregistrement. Deux mois plus tard, à l’occasion d’une séance spéciale tenue le 12 novembre 1855, le conseil décidait l’achat d’une maison pour servir à la fois de bureau d’enregistrement (au rez-de-chaussé) et de salle de réunion pour le conseil du comté (au 2e étage).
Cette maison sise sur la rue Jacques-Cartier, au nord de l’actuel hôtel National, servit jusqu’en 1970 alors qu’elle fut vendue à la Compagnie Bell Canada. Elle a été démolie il y a quelques années et un petit parc a été récemment aménagé sur son emplacement. Depuis 1970, le Conseil de comté siège dans un édifice situé au 262 rue Foch, à Saint-Jean-sur-Richelieu».[59]
De 1864 à 1866, Jean-Baptiste Moreau, maire de la paroisse, est également préfet du comté de Saint-Jean.

Le maire Nelson Mott et la fondation du village de Saint-Jean. Du 1er juillet 1848 date l'incorporation de la Municipalité du village de Saint-Jean. Le premier maire, Nelson Mott, préside d'août 1848 à juillet 1850, le conseil constitué de Benjamin Burland, Robert H. Wight, Louis Fréchette (non le poète), François-Xavier Langelier, Charles S. Peirce et Édouard Bourgeois. L’indispensable notaire Jobson devient le secrétaire-trésorier de la Municipalité de village. La première séance du Conseil municipal a lieu le 26 août 1848 dans l’édifice situé à l’angle nord-est des rues Champlain et Saint-Jacques, lieu où le notaire Jobson tient son bureau. Les conseillers Wight, Langelier, Bourgeois et Burland forment un comité afin d’élaborer les règles et règlements pour la conduite et le bon ordre des procédés du Conseil en conformité avec la 24e clause du Statut Provincial». Dès la deuxième séance du Conseil, on procède à la nomination d’un premier inspecteur municipal en la personne d’Henri-Joseph LaRocque. Trois jours plus tard, le Conseil adopte un règlement concernant la bonne tenue du marché public et 4 jours plus tard, à la 4e séance du Conseil, entre en vigueur un règlement régissant les débats et le bon ordre des assemblées municipales. On forme 5 comités afin de faciliter le bon fonctionnement des affaires : le Comité des finances et des comptes généraux, le Comité du marché, le Comité des chemins et des rues - c’est alors que l'arpenteur Hiram Corey fait la verbalisation des rues et la description de leur tracé -, le Comité des incendies et le Comité de police et de santé. Nelson Mott se réserve la charge de superviser tous ces comités et on se met à l’œuvre. Le 8 janvier 1849, le Conseil organise la première unité de pompiers et nomme Louis Marchand surintendant de la Richelieu Fire Engine Company. Il semblerait que la circulation ferroviaire ait été à l’origine de cette mesure. Selon François Cinq-Mars, «la crainte d’un incendie provoqué par le chemin de fer, qui laissait d’immense quantité de bois dans la ville près de ses entrepôts, afin d’alimenter ses locomotives, ait également influencé la mise sur pied de ce service. En effet, le conseil municipal de Saint-Jean avisait en janvier 1849, le président de Champlain et Saint-Laurent du danger d’incendie que représentait ce bois aux abords du village».[60] Le triste événement de 1876 devait montrer que cette crainte était justifiée, mais que ce ne serait pas des bois déposés par la compagnie que le feu se répandrait sur la ville. Le 22 janvier suivant, le Conseil procède à l’adoption d’un règlement de police pour le maintien de l’ordre, l’entretien des rues et des trottoirs, la conservation des bonnes mœurs, etc. On interdit ainsi à quiconque d’aller se baigner dans le canal de Chambly, de se battre, crier ou blasphémer dans la rue et, en hiver, tous les résidants du village sont tenus d’enlever la neige et la glace sur les trottoirs bordant leurs maisons. Pendant l’été, ils doivent maintenir la propreté de ces mêmes trottoirs en les lavant ou en les balayant. Le 16 avril, un règlement concernant les nuisances est adopté par la municipalité. Désormais, il est interdit de laisser errer librement les animaux dans les rues du village sous peine d’amende. Tout cela restera fort théorique, bien entendu.

Tous les lundis soir, vers 7 heures, le Conseil municipal se rassemble. Il vote des mesures afin d’organiser le village de manière à encourager la prospérité économique. Le 23 avril, après avoir pris connaissance d’un rapport du Comité des chemins et des rues, il décide de refaire les trottoirs à la grandeur du village tant les trottoirs, faits de pièces de bois et en très mauvaise condition, sont remplacés par des trottoirs faits en madriers. Une loi du 14 mai stipule que désormais, tout commerçant en gros ou en détail, ou toute personne tenant un magasin ou une boutique pour la vente de marchandise, se devra d’obtenir une licence pour opérer dans les limites du village. C’est là un moyen d’apporter des revenus supplémentaires aux caisses de la municipalité. Les hôteliers et les aubergistes sont tenus de se soumettre aux mêmes exigences. Le coût annuel d’une licence est de £ 7 et 10 shillings (environ $ 30.00). Le 22 mai, le Conseil du village reçoit une requête de la part de Richard Wilson et de William Miller, qui veulent établir une maison ou une auberge pour l’accommodement de nombreux émigrants qui passent continuellement à Saint-Jean pour se rendre aux États-Unis. Afin de diminuer le vagabondage, le Conseil appuie le projet et le recommande au Gouverneur afin d’obtenir une aide financière. Enfin :
 «les règles et les normes régissant l'organisation de la municipalité sont adoptées le 28 mai 1849. La gestion est régie par l'Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada à partir de 1855. […] Le suivi des dossiers est assumé par le secrétaire-trésorier Thomas-Robert Jobson, notaire qui reçoit en 1848-1849 un salaire annuel de 30 livres. De 1848 à 1859, l'administration ainsi que la tenue des assemblées se déroulent en son étude notariale, située au coin des rues Saint-Jacques et Champlain, côté nord-est. Cette pratique sera en vigueur jusqu'à l'ouverture de l'édifice du marché. C'est l'inspecteur du village qui est responsable des travaux et de l'observance des règlements municipaux. Au cours des premières années s'ajoutent le surveillant des chemins, des rues, des ponts, le sous-voyer et les inspecteurs de clôtures. En février 1852, le poste de sous-voyer sera aboli. Durant l'année 1853, le conseil municipal prend position en faveur de l'abolition de la tenue seigneuriale. En 1856, Saint-Jean obtient une charte de ville grâce au travail acharné du maire de l'époque, l'avocat Joseph Delagrave. Toutes ces municipalités, dont les territoires se recoupaient, devaient perdurer plus de cent ans. Il est vrai que les besoins des milieux agricoles se distinguaient nettement de ceux des zones urbaines».[61]
Le 2 juillet 1849, faisant suite à la loi, le Conseil forme le premier bureau de santé dont les membres sont le maire en personne, Nelson Mott, Thomas Maguire père, et le docteur Pierre-Moïse Moreau. Ces officiers de santé doivent veiller à déceler les maladies épidémiques, endémiques ou contagieuses et mettre en quarantaine les maisons et les familles dont un ou plusieurs individus présenteraient des indices de maladie sérieuse. La population reste encore sous le choc de l’épidémie de typhus qui frappa la ville en 1847. Dans la nuit du 23 décembre 1849, pour fêter Noël (?), un acte de sabotage détruit une partie de la voie ferrée construite à la limite sud du village de la Champlain & St Lawrence Railroad Cie. Le 26 décembre, aux lendemains des réjouissances, le Conseil tient une réunion spéciale et adopte une motion qui consacre le système d’ordre juridico-économique du village :
«…premièrement, le Conseil blâmait sans réserve tous dommages causés à la propriété privée et, deuxièmement, il reprochait à la compagnie son attitude arbitraire lors de l’achat ou de l’expropriation des bandes de terrain où passait le chemin de fer. Il semble en effet que la Champlain and St. Lawrence Railroad Company ne s’était pas souciée de dédommager raisonnablement les propriétaires dont les terres avaient été coupées en deux par le tracé de la voie ferrée. On s’imagine sans peine que cela avait dû occasionner pour eux beaucoup d’inconvénients et de dépenses. Quoi qu’il en soit, cette affaire n’eut pas de suite, du moins dans les minutes du Conseil».[62]
Le 11 février 1850, afin de prévenir les incendies, le Conseil exige de tous les propriétaires de maison un ramonage de leurs cheminées trois fois par an, soit en mars, en juillet et en novembre. Une pénalité de 5 shillings (environ $ 1.00) est prévue pour chaque omission :
«En vertu de l’article 59 de l’Acte municipal de 1847, on devait procéder à un tirage au sort pour désigner qui des 7 conseillers devait céder son siège. À l’assemblée du Conseil tenue le 13 juin 1850, le sort tomba sur les conseillers François-Xavier Langelier, Robert H. Wight et Louis Fréchette, qui furent remplacés, à l’élection du 9 juillet suivant, par Pierre-Paul Démaray, notaire et Alexandre Nadeau; quant au conseiller Fréchette, il fut réélu».[63]
L’entrée de Pierre-Paul Démaray au Conseil municipal est la cause indirecte de la défaite de Nelson Mott à l’élection du 22 juillet 1850. Démaray peut se venger de l’affront subit en 1847 en soutenant la candidature de Benjamin Burland à la succession de Mott. Au vote, Pierce et Bourgeois appuient Mott, mais Fréchette, Nadeau et Démaray appuient Burland. Burland et Mott étant dispensés de voter. Benjamin Burland est donc élu second maire de Saint-Jean. Nelson Mott continuera toutefois à siéger comme conseiller jusqu’en août 1851, puis délaissera la politique municipale durant 7 ans, jusqu’à sa réélection comme conseiller, le 22 janvier 1858. Il n’y restera d’ailleurs qu’un an avant de se retirer de la scène politique pour se consacrer à son poste de marguillier de l’église Saint-James. C'est dans le petit cimetière adjacent à l'église qu'il repose. On doit à Mott la construction d'une école paroissiale qui sert aussi de Sunday School.

Aspect de Dorchester au milieu du XIXe siècle. En 1842, la population de Dorchester est de 1 315 habitants, dont 280 chefs de famille et 177 propriétaires. «La ville renferme environ 250 maisons, un bureau de douanes, trois églises : une catholique, une anglicane et une méthodiste; dix hôtels et tavernes, neuf magasins, deux maisons de transport, deux tanneries et plusieurs boutiques d’artisans. Les seules rues sont les rues Lemoine ou Frontenac, Front ou Richelieu, McCumming ou Champlain, Busby ou Jacques-Cartier, Longueuil et Grant ou Laurier».[64] Pour avoir une idée de l'aspect des rues de Saint-Jean à l'époque, il faut se rappeler qu'elles ont une largeur d'environ 36 pieds français et sont en terre battue recouverte de pierre. Elles sont éclairées à l'huile grâce à des réverbères. Les trottoirs sont faits de bois que le conseil municipal achète sous forme de madriers. En avril 1850, un règlement est adopté pour prolonger la rue Saint-Georges vers l'ouest. Le 23 mai 1854, un autre règlement voté ouvre une nouvelle rue située entre Longueuil et Champlain : la petite rue Victoria. Le 1er décembre 1856, les élus décident de contribuer pour 50% avec le conseil du comté au projet de construction du Half Way House Bridge du pont Jones. En décembre 1857, William Ryder et Félix Côté sont engagés respectivement à titre d'architecte et d'entrepreneur pour ériger l'édifice de la Place du Marché qui ouvrira au printemps 1859 et qui servira également d'Hôtel de ville durant plusieurs années. La rue Montcalm naît au cours des années 1860. Le prolongement de la rue Mercier est possible jusqu'aux limites sud de la ville grâce à la cession d'une lisière de terrain par le gouvernement fédéral en juin 1871. En vingt-cinq ans environ, la ville de Saint-Jean est devenue une vraie municipalité, avec un conseil de ville responsable et de plus en plus français.

François Bourassa, député au Parlement du Canada-Uni. Avec la réforme de la carte électorale de 1840, Dorchester continue de faire partie du comté de Chambly. John Yale Jr en est député de 1841 à 1843, Louis Lacoste de 1843 à 1847, Pierre Beaubien de 1848 à 1849 et Louis Lacoste, à nouveau, de 1849 à 1854. En 1845, on procède à l’application de la troisième proposition du Rapport Durham visant à l’institution des municipalités. Ceci comprend l’élection d’un Conseil municipal composé de 7 membres qui choisissent un maire dans leur sein. Dorchester aura définitivement été emportée par les Troubles de 1837-1838 et l’histoire de la ville de Saint-Jean pourra alors commencer. 

En 1854, l’élection entraîne un nouveau comté, la circonscription de Saint-Jean. François Bourassa (1813-1898), ancien Patriote, arrêté et détenu un certain temps, qui servit ensuite de capitaine de milice locale, en est élu le premier député. Établi à Saint-Jean, il représentait déjà la ville au conseil du comté de Chambly. Bourassa est nettement un «Rouge» et ne parlait pas anglais, seulement il avait appris le système de maraudage en vogue aux États-Unis de donner des bonbons aux enfants et de serrer des poignées de mains aux citoyens les plus ordinaires. L’instabilité des gouvernements de l’Union entraîne pourtant déjà l’idée d’un nouveau régime constitutionnel. En tant que libéral, Bourassa s’opposera à la Confédération, mais une fois le projet passé, il se portera candidat et sera élu premier député de la circonscription fédérale de Saint-Jean.

L’auto-détermination comme facteur du dynamisme de Dorchester. Les années qui suivirent la Rébellion se sont donc avérées plutôt calmes. Tout de même. Le gouvernement décide de redresser le vieux fort. Les forces pro-gouvernementales ont eu très chaud au cours de ces deux hivers de 37-38:
«Au printemps de 1839, tout le monde parlait à Saint-Jean du grand projet qui devait faire du fort un important établissement militaire capable de contrer les activités révolutionnaires dans la vallée du Richelieu et le Bas-Canada. Les travaux commencèrent au début de juin et se poursuivirent sans relâche jusqu’au 1er décembre. Au coût de £ 17.231 livres sterling, sous la direction du colonel K. H. Oldfield et du major R.-E. Roster, on construisit alors un hôpital de 90 lits et des casernes pouvant abriter jusqu’à 30 officiers, 12 sergents et 800 hommes. Les principaux bâtiments construits à cette époque entourent aujourd’hui l’ancienne place d’armes du Collège militaire. À cet endroit, seul l’édifice réservé à l’administration est de construction récente (1937). Comme ces constructions ne comportaient aucun ouvrage de défense, un autre projet fut présenté dès 1840 par le lieutenant-énéral R.-D. Jackson. Des changements de gouvernement améliorèrent toutefois les relations entre l’Angleterre et les États-Unis et on renonça à aller plus loin. De 1839 à 1867, ces casernes furent occupées par des troupes de l’armée impériale et, de 1867 à 1870, par le Royal Canadian Rifle Regiment».[65]
En 1845, le canal de Chambly est complété. Le chemin de fer supplé efficacement au trafic du Chemin Saint-Jean. Business as usual. Deux aspects importants marquent l’âge de croissance. Le premier est d’ordre économique : le déplacement du pôle d’attraction des activités militaires à l’activité commerciale. Ce ne sont pas les éternels hauts et bas du fort Saint-Jean qui ont permis le développement de notre ville, mais les trains de bois sur le Richelieu, l’industrie navale en temps de guerre, les transits de grains sur le pont Jones, le travail des premiers artisans pour ériger les maisons, les commerces, les entrepôts, les hôtels, les églises… Les soldats barricadés dans leurs forts ne pouvaient s’établir comme colons permanents. Les hommes d’affaires peuvent attirer les colons en leur promettant des retombées de leurs activités. Entre Montréal et New York, il y avait sûrement beaucoup à tirer du site de Saint-Jean. Les habitants le réalisèrent assez vite. D’où cette démarche qui visait à puiser des ressources locales les moyens de développement. De toutes les ressources et par tous les moyens. Tant que les résidents de Saint-Jean investiront dans la croissance de leur milieu, toutes les activités sociales en bénéficieront. Mais pour parvenir à la réalisation de cet élan de croissance, un deuxième aspect doit être pris en compte : la solution du problème ethnique. La symbiose rapide entre anglophones et francophones. Dorchester : ville anglaise prématurée; Saint-Jean-l’Évangéliste : paroisse française attardée. Comme une frontière artificiellement comblée entre l’arrière-pays des cultivateurs et la cité des commerçants. Entre l’avance trop rapide de l’une et le retard appuyé de l’autre, une incongruité qui se manifeste à travers les Troubles de 1837-1838 et ne sera résolue que dans la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque ville et paroisse finiront par se superposer aux bénéfices des uns et des autres, mais surtout des autres… les francophones. Cette dynamique est là au moins pour un siècle, et c’est grâce à elle que Saint-Jean va pouvoir enfin entrer en son Siècle d’Or, l’Âge de Prestige.



[1] J. Castonguay. op. cit. p. 132.
[2] J. Castonguay. op. cit.. pp. 134-135.
[3] J.-D. Brosseau. op. cit. p. 125.
[4] Cité in J. Castonguay. op. cit. p. 137.
[5] N. Martin-Vérenka. Dans le Haut-Richelieu : la vie quotidienne au début du 19e siècle, série de 12 volets parue dans Le Canada Français, 1977, # 4.
[6] P. Demers, cité in M. Auclair. Guide historique de la vallée du Richelieu, s.v., s.d., p. 52.
[7] G. Lanctot. op. cit. p. 11.
[8] J.-D. Brosseau. op. cit. p. 125.
[9] J. Castonguay. op. cit. pp. 138-139.
[10] Cité in J.-D. Brosseau. op. cit.. p. 159.
[11] J.-D. Brosseau. ibid. p. 164.
[12] J. Castonguay. op. cit. p. 141.
[13] R. Tanguay et J.-Y. Théberge. op. cit. p. 83.
[14] J. Castonguay. op. cit. p. 139.
[15] Cité in J.-D. Brosseau. op. cit.. p. 161-162.
[16] J. Castonguay. op. cit. p. 139.
[17] R. Fortin. Les Voltigeurs, in Le Canada Français; De Salaberry dans notre région, in Le Canada Français.
[18] J.-D. Brosseau. op. cit. p. 312.
[19] M. Lanciault. op. cit. p. 207.
[20] L. Trépanier. On veut savoir, t. 2, Montréal, s.é., 1961, p. 79.
[21] L. Trépanier. ibid, pp. 140-141.
[22] J.-D. Brosseau. op. cit. p. 167.
[23] M. Signori et M. Laforest. Une Église.Une Cathédrale Saint-Jean l’Évangéliste, Mille Roches, 1980, p. 17.
[24] J.-D. Brosseau. op. cit. p. 202.
[25] G. Lanctot. op. cit. pp. 12-13.
[26] La fondation de l’Institut Feller en 1836, in Le Canada Français, 15 janvier 1975. Cahier touristique sur Saint-Blaise et autres municipalités paru dans Le Canada Français, 30 juillet 1975, p. 56.
[27] J. Castonguay. op. cit. pp. 145-146.
[28] L. Fortin. Le maire Nelson Mott et l'histoire de Saint-Jean, Saint-Jean, Mille-Roches, 1976, p. 14.
[29] R. Fournier. Un traversier jusqu’en 1835, in Le Canada Français, 6 novembre 1974.
[30] M. Lanciault. op. cit. p. 201.
[31] Le pont Jones, construit en 1826, relia Saint-Jean et Iberville jusqu’en 1917, in Le Canada Français, 16 avril 1975.
[32] L. Messier. Pont Jones : mais tous ne payaient pas, in Le Canada Français.
[33] L. Messier. Pour éviter de payer deux sous, on utilisait le "pont de glace", in Le Canada Français.
[34] J. Choquette. La Dorchester, in Les projets en cours pour le musée de Saint-Jean, # 1.
[35] J.-D. Brosseau. op. cit. p. 96.
[36] C'est la même durée que tient le service actuel de transport par autobus entre le Centre-Ville de Montréal et le terminus de Saint-Jean, situé à la frontière de Saint-Luc.
[37] F. Cinq-Mars. op. cit. pp. 145-146.
[38] F. Cinq-Mars. L’avènement du premier chemin de fer au Canada, Saint-Jean-sur-Richelieu, Mille-Roches, 1986, p. 61.
[39] J. Foisy-Marquis. Comme une image de notre passé, in Le Canada Français, 17 février 1971, p. 23.
[40] M. Reeves-Morache. Joseph Duquette patriote et martyr, Montréal, Albert Saint-Martin, 1975, pp. 8-9.
[41] G. Filteau. Histoire des Patriotes, Montréal, L’Aurore, 1975, p. 313.
[42] M. Reeves-Morache. ibid. p. 9. Cf. G. Filteau. op. cit. pp. 312 à 315.
[43] R. Fortin. Les Patriotes du Haut-Richelieu et la bataille d’Odelltown, s.v. S.N.Q. Richelieu-Saint-Laurent, 1987, pp. 16-17.
[44] M. Reeves-Morache. ibid. pp. 9-10.
[45] G. Filteau. op. cit. pp. 346-347.
[46] N. Martin-Vérenka. op. cit. # 10.
[47] N. Martin-Vérenka. op. cit. # 3.
[48] G. Lanctot. Faussaires et faussetés en histoire canadienne, Montréal, Éditions Variétés, 1948, p. 202.
[49] G. Lanctot. ibid. p. 212.
[50] Voir l'étude originale de Marc Collin. Mensonges et vérités dans les souvenirs de Félix Poutré, Québec, Septentrion,  Col. Les cahiers du Septentrion, 2003, 256 p.
[51] L. Fortin. Notre régime municipal de 1840 à 1855, in Les Paroisses du Haut-Richelieu, in Le Canada Français, cahier spécial, 18 juin 1980, p. 4.
[52] Gabriel Marchand resta conseiller jusqu’en janvier 1843.
[53] L. Fortin. op. cit. p. 94.
[54] Cité in L. Fortin. ibid. p. 34.
[55] Cité in L. fortin. ibid. p. 36. Le montant de la taxe prévue par les propriétaires de commerce s’élève entre 40 et 100 shillings tandis que les licences d’aubergistes s’élèvent à une somme n’excédant pas 12 livres 10 shillings courant.
[56] Cité in L. Fortin. ibid. p. 37.
[57] James Bissett, plus tard maire de Saint-Jean, est le père du gendre de Nelson Mott. La naissance du village de Saint-Jean reste donc quand même une grande entreprise de famille, et plus particulièrement de la famille Mott!
[58] L. Fortin. Le notaire Pierre-Paul Démaray, in Le Canada Français, 23 décembre 1974, pp. 28 à 32.
[59] L. Fortin. Les paroisses du Haut-Richelieu, op. cit. p. 17.h
[60] F. Cinq-Mars. op. cit. p. 177.
[61] Précisions de François Boutin.
[62] L. Fortin. op. cit. 1976, p. 50.
[63] L. Fortin. ibid. p.p. 50-51.
[64] G. Lanctot. op. cit. p. 13.
[65] J. Castonguay. op. cit. 1975, pp. 147-148.

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