Les praxis idéologiques
Quelle que soit la nature des systèmes idéologiques, les praxis demeurent dans leurs spécificités aussi compatibles les unes que les autres avec n’importe quel de ces systèmes. La guerre, les rites cultuels, le droit et le monnayage demeurent les catégories de praxis qui sont adaptables aussi bien à un système idéologique mythologique (la guerre de Troie demeure un modèle de praxis pour les guerres médiques, la guerre du Péloponnèse, les guerres puniques et même les affrontements entre Gaulois et Francs); un système métaphysique (les guerres de la Révolution et de l’Empire vont inspirer aussi bien les révoltes nationalitaires de 1848, la Révolution russe de 1917 et les deux guerres mondiales ainsi que les guerres de décolonisation); et un système gnostique (les guerres relatées par Tite-Live servent avantageusement d’idealtypus à partir desquels analyser les guerres d’Italie du XVe siècle par Machiavel, le soulèvement des paysans allemands sous la Réforme est perçu par Engels comme une lutte de classes, l’Inquisition inspire aussi des chasses aux sorcières et des procès contemporains tels que le maccarthysme et les purges de Moscou et, encore plus récemment, dans le contexte de la lutte au terrorisme international. Voilà pourquoi il est impératif de distinguer l’ordre des praxis de celui des systèmes idéologiques. Le fait que les deux ordres se combinent sous différents aspects procède également de la tectonique socio-économique des plaques idéologiques, mais en même temps permet une multiplication vaste et variée des situations historiques qu’ils peuvent occasionner.
Nous aborderons donc les quatre ordres retenus plus haut comme regroupant les différents modes de stratégies et de tactiques idéologiques fréquemment rencontrés dans la vie du Socius. Le rite cultuel (qu’il ne faut pas associer strictement à la religion), l’agressivité militaire, l’ordre et la loi et les rapports économiques et l’État. De la cellule familiale à l’État universel, ces praxis se rencontrent, s’entremêlent, se neutralisent ou s’appuient mutuellement les unes sur les autres. Si les systèmes idéologiques sont des ensembles de raisonnements cohérents structurés afin de donner une normalisation, une justification morale à la société, les praxis idéologiques sont des moyens pour parvenir à réaliser le potentiel utopique contenu à l’intérieur de chaque système.
a) Les rites cultuels
Les rites cultuels sont nés d’un rapport de la société à la religion, mais très vite, ils ont investi la vie domestique, les corps militaires, les universités et les collèges, les sociétés secrètes jusqu’à ce qu’elles deviennent des partis politiques (et encore!), les syndicats… Pensant aux utopies religieuses, le sociologue Max Weber écrivait: «Par lui-même le ritualisme pur n’agit pas sur la conduite de vie autrement que la magie; et parfois même il est, sur ce plan, en retrait par rapport à la religiosité magique, pour autant que celle-ci a développé une méthode précise et quelque peu efficace de renaissance (ce que le ritualisme accomplit souvent, mais pas toujours). Une religion de salut peut systématiser les diverses actions de pur ritualisme formel en une disposition d’esprit (Gesinnung), la “dévotion” qui préside alors à l’accomplissement des rites considérés comme symboles du divin. En ce cas, c’est cette disposition d’esprit qui constitue la possession du salut véritablement salvatrice. Dès lors qu’on l’élimine, il ne reste plus que le ritualisme dans son formalisme magique; c’est du reste ce qui, conformément à la nature des choses, s’est produit régulièrement au cours de la quotidianisation (Veralltäglichung) de toute religiosité de dévotion». (1) En-deça du système mythologique même, dans les profondeurs d’une religiosité superstitieuse héritée des premiers âges de l’humanité, le rite cultuel plonge ses racines dans la Psyché où la névrose obsessionnelle, telle que Freud l’avait définie, devient, avec L’Avenir d’une illusion, la névrose universelle. La dévotion, les sacrements, la piété, la répétition des gestes selon des cadres stricts afin que le rite magique puisse atteindre à l’efficacité sont des traits qui marquent la praxis rituelle. Weber, toutefois, considère qu’«une religiosité ritualiste peut exercer un effet éthique par une autre voie, indirecte celle-là, dans les cas où l’accomplissement des commandements rituels requiert une conduite rituelle active (ou son absence) de la part du laïc: l’aspect formaliste du rite est alors systématisé en une “loi” générale, de telle manière qu’une éducation et une doctrine particulières sont nécessaires pour en acquérir une connaissance suffisante, comme ce fut le cas dans le judaïsme. La Loi juive avait
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E. O. James, pour sa part, rappelle que «de temps immémorial l’homme a “dansé sa religion”; il a mis en drame les aspirations profondes de son cœur et les émotions collectives de la société. Les mythes fondamentaux sont donc réellement l’expression
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Voilà pourquoi l’unité sacrée de la civilisation commence dès le foyer domestique. La famille est la première célébrante du culte. Comme le rappelle G. Mensching: «La communauté religieuse la plus ancienne et primordiale que constitue la famille apparaît dans les premiers temps de l’humanité comme une communauté religieuse; en effet, le sentiment qui unit les membres de ce cercle n’est pas fondé sur la consanguinité, mais sur le fait que derrière et dans ces facteurs profanes on pressent des puissances numineuses auxquelles on se sait lié et qui constituent, à proprement parler, la “vie”. Ceci apparaît en toute clarté dans le sentiment germanique de la famille». (4) Sentiment germanique, mais sentiment romain aussi. Nous nous trouvons en présence de rites indo-européens qui se sont transmis à des civilisations de seconde génération. Le rite le plus central, c’est le repas pris en commun, de l’antique «kiddousch» hébraïque à la Cène christique. Des stratégies telles que l’enlèvement des Sabines illustré par le peintre Louis David comme la vendetta sont des praxis rituels d’exogénisme et de vengeance (la loi du talion) qui ne se dégagent jamais d’un fonds religieux commun. Oser commettre l’acte se fait avec la certitude de la réplique et la nécessité d’affronter une nouvelle guerre.
Dans le cadre du culte domestique, le père est le célébrant, il rassemble autour de lui femmes et enfants, serviteurs et clients. Élevé à un niveau social, le culte nécessitera l’existence d’un clergé. La fonction sacerdotale est exclusive à l’homme: «La communauté domestique, étant une communauté sacrée, possédait dans la maison un lieu saint dans lequel était localisé et révéré le sanctum, arrière-plan numineux de cette communauté profane. Ce lieu saint était, chez les anciens Grecs par exemple, le foyer fixe, au milieu de la grande pièce dans laquelle la famille vivait, c’est-à-dire l’hestia. Objets du culte étaient le foyer et le feu qui y brûlait. Hestia, déesse imparfaitement anthropomorphique du foyer domestique, représente, par conséquent, d’une manière visible la réalité numineuse de la famille. On comprend dès lors, qu’ici, comme en beaucoup d’autres lieux, l’enfant nouveau-né soit porté tout autour du foyer afin d’être admis dans la famille. Lors des repas on faisait des offrandes à Hestia, comme dans l’ancienne Rome où pour les lares on disposait sur le foyer ou l’on versait dans le feu de petites coupes remplies de nourriture et de boissons. Les lares étaient les esprits ancestraux des familles; leur culte s’est uni, de bonne heure, à celui des pénates qui étaient, à l’origine, les dieux de l’office (penus) de la maison. À Rome, Vesta, correspondant à Hestia, était la déesse du foyer domestique et, par conséquent, de la réalité sacrée de la famille. En Perse également on connaissait, depuis des temps reculés, le culte du feu, qui brûlait dans des temples et de là était apporté dans les habitations. Aux Indes, le feu domestique jouait un rôle important dans toutes les cérémonies cultuelles de la maison. Dans le shintoïsme, religion reposant entièrement sur la famille, nous rencontrons aussi un culte domestique. Dans chaque foyer shintoïste une étagère en bois, le kami-dana (c’est-à-dire la “corniche des dieux”, est disposée dans un coin de la pièce, et sur elle se trouve, la plupart du temps, une petite armoire en bois destinée à la divinité adorée dans la maison, avec des cruches pour le vin du sacrifice, des vases à fleurs et une petite lampe à huile. Devant ce sanctuaire domestique, le shintoïste fait, chaque matin, à genoux, sa prière. Le dieu du foyer (kamado no kami) fait l’objet de la vénération générale». (6) Ce qui est important à retenir est la présence centrale du feu au milieu du foyer afin de soutenir l’unité de la maison. La lampe du sanctuaire dans l’Église catholique jouera ce rôle. Éteinte, Dieu en est absent et l’on peut y produire un spectacle rock devant le maître autel! Le feu de camp des boy scouts possède également ce privilège rituel de vraiment intégrer chaque membre dans une même phratrie.
Un autre sociologue des religions, Joachim Wach, considère que «l’expression cultuelle ou pratique, est en rapports intimes avec [l’expérience religieuse]. Ce qui est formulé dans l’affirmation théorique de la foi est accompli dans des actes inspirés par la religion. En un sens plus large, toutes les actions qui découlent de l’expérience religieuse et sont déterminées par elle doivent être regardées comme son expression pratique: le culte». (6) Il est bien entendu qu’en tant que système idéologique, la praxis se doit d’être en relative harmonie avec les principes ou mythes contenus dans le système idéologique. Le résultat fut le débat anthropologique opposant les travaux sur les Psaumes par Brinton qui s’opposaient à ceux d’Otto Gruppe, pour qui le rite était «la source de toutes les religions» de même qu’au point de vue de Robertson Smith qui, à l’opposé considéraient que les mythes étaient dérivés du rite. Pour Brinton, «tout rite est originairement fondé sur un mythe». Wach ajoute: «Ce sont des actes et des rites les plus simples en l’honneur des dieux que naquirent les modèles complexes et évolués des rituels propres à des religions comme le Judaïsme, le Parsisme, le Brahmanisme et le Catholicisme romain et oriental. Au degré intermédiaire, l’observance tabouiste de temps et de lieux sacrés et la célébration d’actes cultuels font partie d’un vaste système d’interprétation du cosmos et de la volonté divine (systèmes de divination japonais, chinois, babyloniens, étrusques, romains et mexicains) ou ne sont que des rites particuliers en vue d’obtenir un résultat précis (lustration, prière, sacrifice). On peut les trouver bien organisés et codifiés, groupés en un système liturgique variant avec les lieux, les temps et les individus, ou au contraire reliés de manière assez lâche et accidentelle et associés fortement pour servir à ceux qui sont chargés des fonctions religieuses. L’histoire du culte révèle la continuelle réciprocité qui existe d’une part entre l’obligation et la tradition et d’autre part les efforts constants de la liberté individuelle qui tendent à faire naître de nouvelles impulsions, et l’activité créatrice d’homines religiosi. On observe la même réciprocité dans l’évolution des cadres de pensée. Et de fait, la dynamique de l’histoire de la religion peut être ramenée en grande partie à sa dialectique». (7)
Il est difficile toutefois d’appliquer cette dialectique à l’intérieur des grandes religions supérieures de civilisations développées, dont certaines en Églises universelles, apostoliques ou centralisées vivent de dogmes contrôlant la liberté individuelle. Par contre, Joachim Wach comprend très bien que des religions cléricalisées comme le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, de l’Hindouisme et du Bouddhisme, la praxis cultuelle est tributaire des systèmes doctrinaux exposés comme Vérité divine. Le rite devient le médium par lequel l’obéissance et la soumission des fidèles assurent la solidarité du groupe social. Des cultes tribaux propres aux sociétés dites primitives dont le but est de fondre en un l’identité du groupe naturel et du groupe religieux fonde les premières civilisations: l’Égypte, Sumer, Assyrie et Babylonie, Israël, les cités grecques, Rome… S’arrêtant, précisément, sur le cas romain déjà mentionné, Wach précise: «Dans la Rome ancienne, les Lares de la famille ou gens invitaient ses membres à un culte commun. Nous nommons groupe exclusivement identique le groupe dont l’objet de culte et les formes particulières d’adoration sont exclusivement réservés à celui-ci (famille, clan) et ne sont pas partagés par d’autres unités apparentées ou alliées (autre famille du même clan, autres clans de la même tribu etc.). Les mythes religieux, les fétiches sacrés, les processions et les associations peuvent être communs aux membres de deux tribus: la tribu A et la tribu B sont des unités cultuelles mais ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Par ailleurs il est possible qu’une tribu soit divisée en un certain nombre de groupes ayant chacun ses rites religieux. Partout où cette division reste dans les limites de la tribu, il y a identité de groupement social et religieux; là où cette division ne correspond plus aux limites de la tribu, c’est un principe différent qui la régit et l’obéissance religieuse à un chef a un caractère spontané. L’on peut appeler alors ce second type d’amitié un groupe spécifiquement religieux». (8) Le modèle est ici posé. Les groupes du Latium, en s’unifiant d’abord sous la domination étrusque puis contre celle-ci, élargirent le «foyer» central par lequel l’identification devenait l’Urbs, Rome. Plus tard, une fois la cité bien établie, le système idéologique chrétien devait finir par la coiffer et faire du christianisme romain la religion de la civilisation occidentale. Tout ceci démontre, contre le système idéologique mythologique, que la religion n’existe pas pour les dieux, ni même pour les forces surnaturelles, mais bien pour l’intégrité de la collectivité.
Le passage de la famille à l’État ne fait pas disparaître pour autant les cultes familiaux. Bien au contraire, c’est la force des cultes familiaux et tribaux qui, dans un premier temps, sert de fondement aux cultes d’État à Rome. Si les cultes importés de l’étranger, ceux d’Isis, de Mithra, de Cybèle, de Jésus, ne furent jamais considérés comme des cultes dominants, ou le culte même de l’Empereur, envisagé par Jules César et peu à peu formalisé par des Caligula et autres Héliogable, ne furent jamais acceptés par les Romains, c’est qu’ils n’avaient aucun point d’ancrage dans les origines tribales et régionales du centre de l’Empire. Lorsque Aurélien puis Constantin s’associèrent au culte solaire puis au culte chrétien, ce fut lorsque le centre de Rome se trouva projeté au Proche-Orient, à Byzance jalouse des rites orientaux où les empereurs étaient considérés comme des dieux vivants, et que la vieille Rome commençait à subir les coups portés par les invasions des tribus barbares. Entre les peuples migrants et la nouvelle religion romaine chrétienne se confrontèrent, le cycle des métissages cultuels recommença sur de nouvelles bases, propres à asseoir une Église universelle dont les bases avaient déjà été fournies par l’État romain. À côté de ces cultes à prétention universelle, d’autres restèrent fixés à leurs origines raciales, ainsi du judaïsme. Ainsi, également, de l’hindouisme. La race juive, la race indienne, la race japonaise, qu’importe l’exactitude anthropologique douteuse des associations, conçoivent leurs rites fermés et antithétiques à l’apostolat et au missionnariat. Les groupes n’ouvrent que rarement leurs rites d’identification à des étrangers.
Le foisonnement des idéologies à partir du milieu du XVIIIe siècle, en Occident, a appelé des systèmes idéologiques métaphysiques à s’associer des rites à leurs doctrines. Inspirées des cultes des cités grecques anciennes qui, sous la pression des guerres médiques, avaient contribué «à promouvoir l’unification des efforts, l’intransigeance du sentiment de la petite patrie et les différences entre cantons empêchèrent la complète intégration des Grecs en un seul et unique peuple. Les cultes distincts des différentes cités restèrent vivaces jusqu’à la fin, malgré l’affaiblissement de la foi traditionnelle (décadence de la mythologie et du culte). Les seuls rudiments de religion panhellénique ne se constatent que dans les jeux, les concours, etc.» (9) L’échec de l’unification de la grande civilisation hellénique autour d’Athènes porta ses fruits dans l’Europe des nationalités du XIXe siècle. En Allemagne, par exemple. «Les Teutons, écrit encore Wach, un peu comme les Juifs, formaient des peuples que n’unissaient nécessairement ni l’attachement au sol ni la communauté réelle de descendance, mais uniquement l’histoire et la tradition; ils manifestaient leur unité dans leurs assemblées et dans leur coopération à la guerre ainsi qu’aux activités de paix. C’est ainsi que Gierke put les définir comme une communauté morale et religieuse ayant un sacerdoce et un culte nationaux. Ces peuples (Völkerschaften) étaient, à vrai dire, des unités cultuelles. Leurs assemblées étaient protégées par leurs dieux, qu’ils honoraient d’offrandes. Ce n’est qu’à une période avancée que certains peuples germains s’unirent en nations, et ceci grâce surtout à leur conversion au Christianisme». (10) Mais le Christianisme ne joua ici que le rôle qu’il avait déjà joué à Rome. L’appartenance nationale s’offrait comme un principe à partir duquel s’organiserait l’ensemble de la communauté teutonne et à laquelle l’ajout de rites patriotiques ou culturels devaient compléter la stratégie d’unification.
«le terme “peuple” n’implique pas nécessairement l’idée d’une unité politique, comme le serait celle d’un État. L’intégration d’un peuple…, peut avoir pour causes la parenté, la tradition, la langue, la culture, la religion, séparément ou de manière concomitante. De plus, le peuple pourrait avoir une forme particulière de gouvernement qui le caractérise et le différencie. Aussi c’est la raison pour laquelle nous avons établi une distinction entre nationalité et nation: le premier mot signifie un peuple, le second un État». (11) Les caractéristiques énoncés par Wach relèvent tous, nous les avons reconnus, de catégories métaphysiques. Si la poésie et le drame peuvent ranimer d’anciens mythes fondateurs propre à la nationalité, l’intégrité des nations n’existent que par l’État qui les réalise (déjà existant comme en Espagne, en France ou en Angleterre) ou à venir (plus tard en Italie et en Allemagne). C’est finalement par convention, par droits des minorités créatrices que les nations finiront par s’imposer au tournant du XXe siècle et dans le contexte de deux guerres mondiales qui finiront l’une par les Quatorze Points du président Wilson et l’autre par la Charte de San Francisco, deux documents dérivants de la Charte des Droits de l’Homme de 1789 et des impératifs catégoriques kantiens.
D’autres cultes forment des identités sociologiques plus parcellaires. L’observation sociologique des bandes d’adolescents, avec leurs rites et leurs mots de passe rappelle les antiques sociétés secrètes de mystères de l’Antiquité, ou même les sociétés secrètes médiévales (la Vehme allemande) et nationales (les Carbonari, la Mafia). Si une cause politique ou criminelle pouvait fonder ces dernières, les bandes d’adolescents s’identifient par l’âge: trop jeune pour y entrer, trop vieux pour y demeurer. Les liens d’amitié imitent souvent les liens familiaux ou tribaux. N’ayant pas de but en soi que d’être, ils ne sont que rarement porteurs de système idéologique et visent aucune utopie. Ce sont des rites de passages, des cultes de transition. Initiation sexuelle, souvent sous le couvert du toit des maisons d’éducation, le bizutage servant de rituel visant à intégrer les nouveaux venus dans la phratrie collégiale.
Dans le monde indo-européen, et en Grèce plus particulièrement, l’éphébie était, de même, une intégration par rite cultuel, mais l’âge comptait moins ici que le sexe: «On peut douter que l’on puisse parler d’amitié institutionnelle dans le cas des philoi et des systatai (groupe de deux éphèbes des Grecs). Le lien qui unissait les hétairoi des âges héroïques a été décrit comme étant exactement semblable à ceux du sang unissant les membres d’une famille. Chez les Teutons se contractait un pacte de sang qui unissait deux hommes ou plus pour la vie, avec obligation mutuelle de s’assurer protection, vengeance et sépulture». (12) Le célèbre Bataillon Sacré de Thèbes, vaincu, exterminé par les troupes macédoniennes de Philippe II rappelle à la mémoire la force des liens sexuels (pratiqués ou sublimés) dans le monde militaire antique. La solidarité des légions romaines, se faisant anéantir sur place par l’incompétence de Varus à la bataille de Teutoburg par les tribus germaines en 9 de notre ère et qui se solda par la perte désastreuse de trois légions entières, fournit également un exemple de la force inconsciente qui contribue à la consolidation des corps armés. Varus, voyant le carnage, se serait jeté sur son épée tandis que sa tête fut coupée et son corps mutilé par les soldats survivants. Lorsque sa tête parvint ensuite à l'empereur Auguste, ce dernier lui aurait lancé cette phrase: «Vare, legiones redde» «Varus, rends-moi mes légions»! En deçà des grandes praxis d’État ou d’Église, c’est dans la microsociété, la famille, le clan, la tribu, les clergés et les armées, les cités puis les nations, que les rites et les cultes s’imposent comme praxis d’identification, d’intégration et d’action.
b) L’agressivité militaire
Le théoricien prussien de la guerre, von Clausewitz - passé au service des Russes après la défaite de la Prusse devant les armées napoléoniennes -, considérait que la guerre était de la politique par d’autres moyens. Ce mot répondait aux prétentions des Encyclopédistes et des philosophes pour qui, moins d’un siècle plus tôt, considéraient que la commerce était une alternative favorable à la guerre. Dans ces affirmations, la guerre est toujours présentée comme une alternative conjoncturelle, soit au commerce (avec Montesquieu) soit à la politique (avec Clausewitz). Mais, depuis, nous avons appris à parler de «guerres commerciales» et de «politiques commerciales», les unes dans la foulée des autres. En fait, dès les premières rencontres humaines, l’amour n’a pas toujours été préféré à la haine et l’on est en droit de penser qu’avec le système défensif et protecteur des mammifères, la guerre pour la possession des femelles, la rivalité à la vie à la mort sont davantage inscrites dans les nécessités vitales que le pacifisme et l’esprit de coopération. Le long processus de civilisation consiste moins à accéder à la paix qu’à maîtriser de manière rationnelle et efficace cette pulsion de mort que traduit tout acte belliqueux.
La guerre précède donc à la fois le commerce et l’organisation étatique. Plus que le marché ou l’État, elle est proche du rituel qui l’accompagne généralement. On se souvient qu’à Rome les portes du temple du Mars se fermaient chaque fois que l’Urbs entrait en guerre contre une voisine, ce qui était le cas assez couramment. Il faut donc considérer la guerre comme une praxis à la fois aussi primitive et aussi généralisée que les rituels familiaux, de clans, de tribus ou de religions. Mieux que la plupart des cultes, toutefois, qui s’adressent à des interventions surnaturelles, la guerre est une praxis qui a une conscience de ses moyens: les stratégies, les tactiques qu’elles soient d’ordre psychologique, morale ou technique, font de la guerre un instrument d’intervention dans le développement de la société. Le sociologue Gaston Bouthoul en a ouvert les sentiers les plus certains tant du point de vue démographique que psychologique. Il est le premier à avoir compris que la guerre est «un phénomène de destruction volontaire aussi bien sur le plan économique que sur le plan humain. Dans le premier cas elle exige la constitution préalable de réserves d’armes, de munitions, d’équipements, de provisions, etc. L’agresseur est celui qui fait sciemment l’avance de cette sorte de mise de fonds patiemment accumulée pour être dépensée d’un coup lorsqu’il partira en expédition. Qu’il s’agisse de pirogues ou de cuirassés, de haches de silex ou de canons, le processus économique initial est le même. Sur le plan démographique, l’agresseur doit pouvoir disposer d’un capital humain, lui aussi patiemment accumulé, parfois longuement instruit ou dressé. C’est cette réserve qui sera jetée d’un seul coup dans la partie, risquée comme un enjeu qui est destiné à être perdu partiellement ou totalement suivant la fortune des armes. Ainsi Napoléon disait qu’il pouvait se permettre une dépense de trente mille hommes par mois. L’initiative d’un conflit comporte forcément l’intention implicite de sacrifier un certain nombre d’hommes». (13)
La prospérité est donc un préalable aux sociétés en même temps qu’elle est un facteur d’entrée en guerre: expansion démographique, élargissement des terres vitales, accroissement des impôts, raffinement culturel, il est certain que les deux guerres mondiales du XXe siècle sont les fruits du succès même de la Révolution industrielle du siècle précédent. De même l’expansion de l’Empire romain comme celle de l’Empire chinois proviennent de l’accroissement des richesses de l’Italie et du bassin du Houang-Ho. Aussi, si le nombre de victimes tombées à la guerre est important, ce nombre sera vite compensé par les nouveaux «citoyens» conquis au sein de l’Empire. C’est ce point sur lequel s’acharnaient les travaux de Bouthoul. Pour lui, il était clair qu’une fonction démographique était rattachée aux guerres. Celle qu’il appelait la relaxation démographique. À la base se situerait un infanticide différé: «La première [remarque], c’est que cette augmentation constante de la proportion d’hommes disponibles pour la guerre paraît être en proportion inverse du taux de mortalité infantile. Celle-ci atteignait jusqu’à 70% des nouveaux-nés de 0 à 1 an dans la plupart des villes européennes au milieu du XVIIIe siècle. Aujourd’hui on soigne admirablement les nouveau-nés. Mais on sait ce que l’on en fait lorsqu’ils atteignent l’âge d’homme. C’est ici qu’apparaît de façon éclatante la notion d’infanticide différé. Cette correspondance quasi constante, depuis trois siècles est trop frappante pour ne pas être soulignée, quelle que soit l’interprétation que l’on en propose. La seconde a trait au rôle des femmes dans la guerre. Jusqu’ici, les Amazones n’ont été qu’une brillante exception: les mégères de Béhanzin et ces maritornes vandales qui jetaient le javelot du haut de leurs chars. Mais, depuis 1940, nous avons été comblés du spectacle des femmes en uniforme. On a prétendu même que la Russie aurait engagé des divisions féminines motorisées. Les femmes ont joué un rôle grandissant dans l’armée anglaise et dans l’industrie de guerre et les services auxiliaires allemands. C’est la conclusion de la logique inexorable de la guerre totale. Elle devait finir par englober les femmes». (14) Nous nous effrayons de voir, aujourd’hui, l’extension de cet enrôlement jusque parmi les enfants dans les guerres africaines et asiatiques. Le fait est que si la guerre est grande consommatrice d’hommes, la balance démographique n’est jamais suffisamment amoindrie au point d’engager l’extermination des forces en présence. La relaxation démographique finit par trouver son point d’équilibre, ce qui faisait dire à sir Walter Raleigh, que «malgré l’augmentation assez forte de notre race, elle fournit leur aliment à des guerres séculaires». (15)
Mais la guerre n’est pas qu’une praxis de nature démographique. Les guerres sont internationales ou civiles. Dans la suite des guerres internationales qui opposent des États bien organisés et capables d’un équilibre belliqueux, il y a les guerres coloniales qui mettent nettement en infériorité les capacités guerrières d’un parti au détriment du plus fort. La part de nobles ou de libres citoyens sera remplacée par une croissance importante de populations serves:
Gettysburg |
La technique est un instrument fondamental dans l’évolution des guerres. Elle a fait dire à un historien américain, John U. Nef, que la guerre apportait le progrès à l’humanité. Quand on parle d’innovations techniques en termes de guerre on pense aux feux grégeois, aux catapultes et aux miroirs d’Archimède, à l’arbalète des soldats anglais à Azincourt, aux canons et à la poudre des Chinois et des Vénitiens, au recours aux gaz, aux produits chimiques durant la Grande Guerre, aux V1 et V2 allemandes, à la bombe atomique, à la station spatiale. Nef rejoint Bouthoul en ce qui concerne les rapports entre le développement économique et technique et la croissance des capacités militaires. S’il note bien que «ce n’est pas à la guerre que nous devons l’invention de la nitroglycérine et de la dynamite, mais aux besoins de l’industrie minière», John U. Nef ajoute: «À un plus haut degré qu’aucun conflit antérieur, les guerres mondiales des quarante dernières années ont canalisé l’esprit d’invention dans la technique et même dans la science au service de la guerre. Les cent années précédentes avaient mis à la disposition du monde une somme beaucoup plus considérable d’habileté technique qu’il n’en avait eu jusqu’alors à son service, ainsi qu’un nombre beaucoup plus considérable de techniciens. En même temps que l’on fabriquait infiniment plus de choses, l’on pouvait gaspiller une somme d’habileté technique beaucoup plus considérable si l’humanité choisissait de le faire. Quelles ont été les conséquences de la période des guerres mondiales pour le progrès technique et scientifique qui a contribué à rendre ces guerres possibles?» (16) La réponse de Nef, contrairement à ce qu’on lui a fait dire est simple: «Le progrès industriel amène la guerre bien plus sûrement que la guerre ne favorise le progrès industriel. La guerre est moins une cause de l’industrialisme que son ombre et son expiation». (17) «Le progrès matériel qui a accompagné la révolution industrielle a contribué à rendre possible la guerre totale. Mais ce progrès n’a pas rendu la guerre constructive. Presque tous les jours l’on nous répète, au moyen de la radio, du cinéma, de la télévision, des journaux et des magazines populaires, ce que la science, la technologie, la médecine, la chirurgie et une gestion efficace des affaires ont fait pour l’homme. Elles ont fait autant pour la guerre». (18) Bref, la guerre ne sera jamais aussi constructive du bien-être des sociétés que ne le sera une modernisation bien planifiée. Ainsi, pour en revenir à la question démographique, les lendemains de la Seconde Guerre mondiale ont amené les premiers moyens de contraception utilisés sur une large échelle. L’infanticide se devait d’être causée à la base, lorsque les cellules mâle et femelle se rencontrent pour s’unir, et non vingt ans après la naissance de l’enfant. D’où le non-sens des campagnes anti-avortements dont le succès se traduirait par une amplification démesurée de la démographie et l’appétit en développement des instincts belliqueux. Le retard pris par les campagnes de contrôle des naissances en Asie et en Afrique se traduisent aujourd’hui par des guerres inter-tribales sanglantes où s’entre-tuent des enfants-soldats et des famines auxquelles les interventions occidentales, à travers le néo-colonialisme, ne sont pas entièrement philanthropiques.
La praxis militaire repose sur des campagnes de propagandes qui sont déjà des attitudes stratégiques devant mener aux conflits violents. Ce que les civils appelaient «le bourrage de crâne» lors des deux guerres mondiales joue encore un grand rôle. En tant que sous-produit de la praxis idéologique, les termes utopiques du discours sont faciles à saisir. L’image est grosse, sinon grossière. Issue de la pollution publicitaire du commerce, la propagande expose un monde coupé en deux, nous les bons et eux les mauvais. Le sport de compétition sublime ce discours et il ne faut donc pas s’étonner que certains affrontements entre équipes d’un même sport s’achèvent dans la bagarre dans les estrades. Toute campagne de propagande est déjà une guerre psychologique en mouvement. Elle stimule la haine de l’autre et le sacrifice de soi, ce qui ramène au processus cultuel lié à un acte religieux. Plus modernes sont les campagnes de désinformation obtenues par des média de masses: la presse d’abord, puis les moyens techniques de communication: la radio, la télévision. Enfin, avec la cybernétique, la galaxie Gates permet à chaque individu de recevoir sur l’écran de son ordinateur des messages haineux, apocalyptiques ou propres à semer la panique. La censure, opérée et contrôlée généralement par des institutions d’État ou les organismes même d’information, participe également de cette désinformation, soit en dissimulant des informations d’intérêt publique, soit en modifiant ces informations jusqu’à en déformer le sens sinon le contenu. En jouant sur les pulsions et la circulation des affects, le Socius s’assure ainsi de pénétrer chaque conscience pour l’amener à partager le discours des minorités dominantes dont les intérêts sont de cultiver les animosités intérieures ou internationales.
Longtemps la guerre fut une praxis limitée à une caste ou un ordre chevaleresque. Dans la vieille civilisation indo-européenne, l’ordre des bellatores était la caste constituée des guerriers et des combattants. Au Moyen Âge européen, le suzerain, le chef des guerriers, devenait roi et les autres militaires lui devaient soumission (vassalité) en échange de sa protection suprême. Même si le fait de la guerre offensive dépendait d’un petit groupe d’hommes hiérarchisés, les armées vivaient sur le dos des serfs, des citoyens des villes, des pays conquis. Le butin de guerre occasionnait des rixes et des massacres inouïs. À partir du XVIIe siècle, après la terrible guerre de Trente Ans qui dépeupla le centre de l’Europe, on commença à développer des armées de métier liées directement au pouvoir central du Roi. Le XVIIIe siècle fut même considéré comme un siècle belliqueux à cause de ces «guerres en dentelles» qui, tout en respectant une politesse aristocratique, obligeait à ne pas faire tuer les soldats considérant le coût d’équipement et d’entraînement que chacun exigeait des coffres de l’État. Alors on développa le bombardement des cités, on ravagea à nouveau les campagnes jusqu’à ce que la Révolution française «démocratise» la guerre et appelle chaque citoyen au recrutement, à la conscription pour se porter au secours des frontières. La reprise en main par un officier de génie, Napoléon Bonaparte, ramena les guerres à des affrontements de masses. Eylau ou la retraite de Moscou coûtèrent des dizaines de milliers de vies. Le siècle qui sépara le congrès de Vienne de 1815 de la déclaration de guerre d’août 1914 passa pour le siècle le plus paisible de l’Europe. Ce n’était qu’un long sursis. La révolution industrielle et les inégalités générées par le nouveau capitalisme industriel multiplia toutefois les menaces de guerres civiles; le développement de l’idéologie nationaliste entraîna, comme en 1848, des révoltes de minorités ethniques dans les grands empires et même la fondation de la République française fut suivie d’un massacre d’ouvriers parisiens en août 1848. La guerre internationale entre la France et la Prusse s’acheva dans la révolte de la Commune de Paris qui entraîna une répression digne des pires guerres civiles. Aux frontières de l’Europe, dans les Balkans, les groupes ethniques s’en prirent d’abord au Sultan ottoman, puis à l’Empire austro-hongrois, ce qui mit fin à ce siècle «paisible». Bien sûr, pendant ce temps, on oubliait les guerres coloniales qui furent pourtant assez généreuses en sang versé, même du côté occidental: les guerres de l’Opium contre la Chine, la guerre hispano-américaine de 1898, la guerre des Boxers de 1900, la guerre des Boers en Afrique du Sud la même année, la guerre russo-japonaise de 1905 qui laissa une si forte impression, non pas tant par la défaite de la Russie que par le fait que deux civilisations non-occidentales s’affrontaient à l’Occidental et que la plus petite, la moins peuplée mais aussi la plus disciplinée et la mieux équipée, sans encore avoir perdu les fondements de sa propre culture, avait gagné sur la géante européenne. Sans compter les autres affrontements de moins grande ampleur qui ont préparé les armées occidentales à ce que serait la grande relaxation démographique que serait la guerre de 1914-1918. Là aussi les progrès techniques imposèrent la domination de l’Occident industrialisé sur les pays dits arriérés, mais dans ces guerres étrangères, dans les colonies, les sciences pures comme les sciences appliquées découvrirent le pétrole, le caoutchouc, les diamants, la quinine et des vaccins contre des maladies mythiques telles que la peste, le choléra et la fièvre jaune. Cette idée donna aux courants belliqueux généralement associés aux chauvinismes et aux courants pan-germaniques et panslavistes les systèmes idéologiques dont la praxis était déjà toute trouvée avant même la formulation d’une quelconque utopie, selon le principe de «qui veut noyer son chien…»
Le fait est que le commerce et la politique procèdent de la guerre dans la mesure où ils «détournent» les buts de l’instinct belliqueux des combattants vers l’échange de valeurs et l’organisation institutionnelle. L’empire romain procède de la discipline imposée par Rome d’abord au Latium puis dans l’ensemble de l’Italie où les rapports économiques se sont vite substitués aux conflits inter-cités; de même, les querelles féodales dynastiques se sont fondues dans l’organisation administrative de l’État absolutiste et la soumission des ordres indisciplinés par l’étroite surveillance des cabinets ministériels. L’État est donc également un fruit du besoin d’ordre qu’exige le commerce comme substitut de la guerre. À ce titre, de nouvelles praxis, non totalement émancipées des anciennes, ont fini par s’imposer.
c) L’ordre et la loi
L’«ordre» est un concept spécifiquement bourgeois établi par les positivistes au XIXe siècle en opposition avec le «désordre», c’est-à-dire l’«irrationalité», la «déraison», la barbarie, l’anarchie et tout ce qui peut mettre l’organisation bourgeoise de la société en péril. Pour l’heure, c’était les masses ouvrières sur lesquelles reposait les revenus de cette bourgeoisie et les «sauvages», les peuples colonisés qui résistaient à la mission civilisatrice des pays occidentaux. La devise du positiviste Comte: «Ordre et Progrès par l’Amour» représente le souhait le plus médiocre jamais inventé par un esprit prophétique et missionnaire. Les Brésiliens l’adoptèrent comme devise nationale en prenant bien soin de l’amputer de sa praxis, «par l’Amour». À ce titre, l’«ordre» devenait synonyme de «loi» au sens naturel du terme. Les lois de la nature équivalaient depuis longtemps à l’ordre cosmique dans l’esprit des métaphysiciens. Le cercle, le carré, le triangle équilatéral symbolisaient la perfection dans les formes et les conduites morales; l’ovale, le rectangle et les autres formes de triangles et de polygones signifiaient l’irrégularité, les distorsions de la Nature et des forces opposées à la perfection divine. Il est donc conséquent que l’ordre se soit également incarné dans des lois humaines, et là où résidait la Nature dans les mœurs, les lois devaient contribuer au maintien de cet ordre dans les mœurs et châtier ce qui y contrevenait. Montesquieu le dit clairement, dès l’ouverture de son célèbre essai De l’esprit des lois (1748) «Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses et, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois; la divinité a ses lois; le monde matériel a ses lois; les intelligences supérieures à l’homme ont leurs lois; les bêtes ont leurs lois; l’homme a ses lois». (19) L’idée de «lois» (il faut l’entendre ici au pluriel) transcende donc les spécificités des systèmes idéologiques.
Encore sous l’impact des grandes découvertes des sciences de la nature, celles de Newton en particulier, Montesquieu parvient à ramener le rapport de Dieu et des lois comme étant une conséquence inévitable de Sa Volonté: «Dieu a du rapport avec l’univers, comme créateur et comme conservateur; les lois selon lesquelles il a créé sont celles selon lesquelles il conserve. Il agit selon ces règles, parce qu’il les connaît; il les connaît parce qu’il les a faites; il les a faites, parce qu’elles ont du rapport avec sa sagesse et sa puissance». (20) D’une tautologie, Montesquieu finit par inscrire les lois dans une cosmologie mythologique. Ce n’est pas à ce chapitre que le Président du Parlement de Bordeaux s’est montré le plus innovateur. C’est le conservateur qui parle plus que le créateur. Puis, il admet que «sitôt que les hommes sont en société, ils perdent le sentiment de leur faiblesse; l’égalité, qui était entre eux, cesse, et l’état de guerre commence». (21) L’état de guerre est précisément ce rapport nécessaire dont il était question dans sa définition citée plus haut. Ici Montesquieu pense à la maxime sinistre de Hobbes: homo homini lupus. De la guerre civile et des guerres internationales, de «ces deux sortes d’état de guerre», s’établissent «les lois parmi les hommes». Et, «considérés comme habitants d’une si grande planète, qu’il est nécessaire qu’il y ait différents peuples, ils ont des lois dans le rapport que ces peuples ont entre eux; et c’est le DROIT DES GENS. Considérés comme vivants dans une société qui doit être maintenue, ils ont des lois dans le rapport qu’ont ceux qui gouvernent, avec ceux qui sont gouvernés; et c’est le DROIT POLITIQUE. Ils en ont encore dans le rapport que tous les citoyens ont entre eux; et c’est le DROIT CIVIL». (22) Ce sont là des lois positives, car «le gouvernement le plus conforme à la nature est celui dont la disposition particulière se rapporte mieux à la disposition du peuple pour lequel il est établi». Considérant que «la loi, en général, est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine. Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre». (23) C’est ici que Montesquieu fait entrer en ligne de compte les gouvernements, le climat et surtout «le genre de vie des peuples», car en cela réside la «nature» qui rend les lois positives: «elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut souffrir; à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs manières». Enfin elles ont des rapports entre elles; elles en ont avec leur origine, avec l’objet du législateur, avec l’ordre des choses sur lesquelles elles sont établies. C’est dans toutes ces vues qu’il faut les considérer», ce qu’il appelle finalement l’ESPRIT DES LOIS. (24)
Près d’un siècle et demi après Montesquieu, un auteur finlandais, Edward Westermarck, publiait L’origine et le développement des idées morales en deux volumes (1928). Contre les positivistes qui avaient produit une immense littérature sur le sujet, Westermarck ramenait le constat relativiste dans la production des lois dans un chapitre intitulé «Les coutumes et les lois comme expressions des idées morales». Cette idée de la relativité des morales ne manquait pas dans l’œuvre de Montesquieu, mais comme on l’a vu avec Dieu, il la résolvait par une tautologie. Westermarck écrit ainsi: «Nous avons vu qu’une coutume, au sens strict du mot, n’est pas simplement l’habitude d’un certain groupe d’hommes, mais qu’elle implique en même temps une règle morale. Il y a un lien étroit entre ces deux caractères de la coutume: d’être habituelle et d’être obligatoire. Quel que soit le fondement d’une certaine pratique, et pour triviale qu’elle puisse être, l’esprit irréfléchi a une tendance à désapprouver tout ce qui s’en écarte, par l’unique raison que cet écart n’est pas habituel. Comme le fait remarquer Abraham Tucker, “c’est un argument constant, chez les gens du commun, qu’il faut et que l’on doit faire une chose parce qu’elle s’est faite de tout temps”. Les enfants montrent du respect pour le coutumier; les sauvages également. […] D’un autre côté, il faut se souvenir que toute habitude publique n’est pas toujours une coutume entraînant l’obligation; certaines pratiques, bien que fort générales dans une société, peuvent rencontrer la réprobation presque unanime de ses membres. Il faut donc que celui qui étudie les idées morales manie avec discrétion les habitudes d’un peuple…» (25) Si les coutumes désignent l’aspect de ce que Montesquieu qualifiait de «conservateur» dans les lois, c’est-à-dire le rapport positif entre mœurs et lois, Westermarck rappelle que «les idées morales exprimées dans les coutumes d’un certain groupe d’hommes ne sont pas nécessairement partagées par chacun de ses membres. Voilà, dans cet ordre d’idées, qui peut paraître de petite importance à celui qui regarde la moralité comme réalisée “objectivement” dans les coutumes d’un peuple, et qui refuse à l’individu le droit d’avoir une conscience personnelle. Mais du point de vue subjectif qui est ici le mien, la conviction individuelle a droit à la même considération que l’opinion publique, souvent même à plus de respect, s’il est vrai qu’elle représente en bien des cas une morale plus haute, un critère moral plus complètement purifié par la réflexion et l’impartialité. Cependant, aux étapes inférieures de la civilisation, où l’homme est mené par des sentiments plus que par des pensées, cette différenciation des idées morales ne se présente guère. Les opinions du grand nombre sont les opinion de tous, et tous les membres d’une société en reconnaissent les coutumes comme règles du devoir». (26) C’est ce qui arriva à Franz Kafka lorsqu’il refusa de s’intégrer aux coutumes juives d’une famille dont la pratique religieuse laissait déjà plutôt à désirer: «Vivre et mourir dans la tribu signifiait une stricte observance de la parole de Dieu devenue loi. Ceux qui la transgressaient connaissaient une mort solitaire dans le désert, bannis et guettés par les vautours». (27)
La conséquence en est bien un conflit entre la loi et la coutume. Montesquieu l’avait bien noté lorsqu’il opposait la fonction conservatrice du droit à sa fonction créatrice, car les lois doivent non seulement évoluer avec les mœurs mais aussi faire évoluer, «adoucir les mœurs» comme disait Voltaire, et c’est dans ces circonstances que des conflits profonds se déchaînent. Ainsi, lorsque les coutumes sont associées à la religion comme dans le cas de la tribu juive de Kafka. Plus que la guerre elle-même, il apparaît pour Westermarck, reprenant les mots de Francis Bacon, que la coutume est «le principal magistrat de la vie de l’homme»: «Beaucoup de lois furent des coutumes avant de devenir lois. […] La transformation des coutumes en lois n’était pas une simple cérémonie. La loi est, comme la coutume, une règle de conduite; mais tandis que la coutume est établie par l’usage, et qu’elle dérive sa force de contrainte, d’une manière plus ou moins indéfinie, de l’opinion publique, une loi tire son origine d’un acte législatif défini, imposé, comme le dit Austin, par une personne souveraine, ou un corps souverain, à une ou des personnes en état de sujétion par rapport aux auteurs de cet acte. Donc, en devenant lois, les coutumes se trouvaient expressément formulées, et mises en vigueur par une sanction plus définie. Il semble que cette façon de procéder soit née de considérations d’utilité sociale en même temps que d’un sentiment de justice. Cicéron remarque que c’est par souci d’équité que “furent inventées les lois, qui perpétuellement parlèrent à tous les hommes d’une seule et même voix”. Partant de ce double point de vue, il n’était ni nécessaire, ni désirable, de voir se transformer en lois plus qu’un nombre restreint de coutumes. Il est des coutumes trop indéfinies pour se plier à la forme stéréotypée de la loi. Il en est d’autres dont la violation ne soulève pas assez l’opinion publique, ou qui importent trop peu au bien général, pour faire proprement l’objet de la législation. Il en est d’autres enfin dont on peut dire qu’elles existent inconsciemment, en ce sens qu’elles sont pour tous d’observance courante et que, n’étant jamais violées, elles ne retiennent jamais la pensée». (28)
Il n’est donc pas étonnant, lors de moments de crises où les lois sont rendues désuètes devant les changements des mœurs, de voir les promoteurs de réformes en appeler aux législations plus anciennes. Ainsi, les hérétiques chrétiens en appelaient-ils contre le droit canon aux règles morales qui régissaient les premières communautés inscrites dans les Actes des Apôtres. Les législateurs de la Révolution française en appelèrent aux lois gréco-romaines contre les coutumes franques rattachées à l’aristocratie et à la monarchie absolue. Les révolutionnaires américains en appelaient à la Magna Charta et aux Bills of Rights contre la taxation anglaise que le Parlement voulait imposer aux coloniaux sous prétexte, précisément, que leur «esprit» était authentiquement plus britannique que les mesures en vigueur. Nombre de fonctionnaires sous le Principat romain restèrent des nostalgiques des lois et des coutumes républicaines, Auguste y compris. Derrière le fameux Aton du pharaon Akhenaton se cache le dieu Atoum de l’Ancien Empire, du temps où la civilisation égyptienne logeait principalement dans le delta du Nil. D’autre part, il a fallu aux législateurs un certain courage pour aller contre les coutumes et les mœurs établies pour imposer certaines lois telles l’abolition de la peine de mort ou le droit à l’avortement. La résistance de pays occidentaux avancés, comme celle des États-Unis, montre combien la coutume conservatrice peut limiter les transgressions même lorsqu’elles s’appuient sur les lois.
Le droit demeure une praxis idéologique dans la mesure où il appartient à un système idéologique qui plonge ses racines dans les coutumes et les mœurs. Même si la praxis semble contenue en 10 points (comme le Décalogue juif) ou en 9 tables (chez les Romains), comme le soulève Jean-Pierre Royer, si «on élève le droit à un absolu philosophique», «l’on en fera alors un objectif de combat, jusqu’à l’ultime soupir, s’il le faut, du combattant, en dressant la raison face à l’arbitraire, au caprice, à la tyrannie: pour contenir la force brutale, on aura érigé un rempart de papier» (29) Cette vision découle des luttes des deux derniers siècles devant les absolutismes ou les autoritarismes de diverses natures qui se sont répandues partout dans le monde et ont suscité des révoltes à tendances démocratiques, où le droit et la loi étaient substitué à l’arbitraire de dirigeants autoproclamés. Cette vision, qui ne semble exister à un tel point chez Montesquieu et Westermarck, s’oppose à la définition plus classique: «on le [le droit] confine, frileusement ou pour quelque raison inavouée, à une règle de technique juridique un peu à la façon des manuels, et dans cette occurrence, il se lira ou pourra s’apprendre comme une sorte de science, ‘en faisant son droit’ un peu “comme on fait ses dents de sagesse”… Aura-t-on décelé pour fonction, aura-t-on tranché en particulier la grave question de savoir si le droit n’est qu’une technique destinée à assurer l’harmonie sociale quitte à brimer les aspirations individuelles, ou bien un système général mis au service de l’épanouissement de l’individu et de la satisfaction de ses aspirations individuelles? Pas sûr, mais ce qui l’est davantage est que le lien s’aperçoit mieux entre le droit et le gouvernement de la cité et qu’aux tendances ou visées libérales s’opposeront toujours les thèses de rejet catégorique de l’individuel, au nom de l’équilibre supérieur et de l’harmonie exigeante des relations collectives». (30) Ici, le conflit entre coutumes et lois se transforme en conflit entre l’ordre (l’harmonie exigeante des relations collectives) et la loi (les aspirations individuelles). Le droit, ou les lois, se place donc au cœur de l’Idéologique, se fait la mesure de la morale de l’histoire.
«Le droit serait donc révélateur de phénomènes sociaux, traduction du rapport de forces à l’instant donné de l’histoire d’une société déterminée, “forme la plus organisée du contrôle social”. De cela nul ne doute vraiment, même si d’aucuns s’en offusquent ou feignent de s’en irriter. En ce sens on pourrait reprendre la provocante définition selon laquelle le droit est “le masque impersonnel de la haine globalisante alors que la justice est la substance même de l’amour différencié.” Ou bien s’en tenir de façon apparemment plus “neutre” - à supposer que cela soit possible en pareille matière - à la superbe conclusion placide tout autant que lucide du grand juriste allemand Ihering: “le droit doit être… tel qu’il est!”». (31) Les lois sont les enjeux de groupes sociaux. D’abord des castes, des ordres, des classes; entre minorités dominantes et majorités dominées. Elles sont au cœur des structures de classes. Les lois sont aussi les enjeux entre les sexes depuis que le code civil réglemente une distinction nette entre les hommes et les femmes. Cette régression marquée pourtant au sein de la dictature qui suivit la Révolution française a accumulé, progressivement, des réactions de différentes natures à l’origine du féminisme: les suffragettes, les luttes pour un salaire égal, les congés parentaux, les gardes en cas de divorce et les pensions alimentaires, ont créé directement le droit de la famille qui n’était même pas pensable du temps de Montesquieu tant la famille relevait du droit naturel. «Il y a donc de l’humain dans le droit et pour beaucoup de profanes il n’y a même que de l’homme», ajoute encore Royer.
Aussi, ce qui demeure toujours, c’est comment la loi et l’ordre se substituent à la violence pulsionnelle que représente la guerre. Ici, la condamnation de la transgression se traduit par le DROIT CRIMINEL, par la punition, un châtiment qui peut aller d’une peine d’amende à des souffrances physiques et morales, à l’incarcération, aux travaux forcés (ce qu’on appelle, aseptisés, les «travaux communautaires», et à la peine de mort. Le droit, et c’est là l’une de ses principales fonctions non-avouées, c’est la distinction entre la violence légitime et la violence illégitime. Walter Benjamin distingue ainsi: «On pourrait appeler buts naturels ceux à qui manque cette reconnaissance [historique universelle de leurs buts], les autres étant nommés buts légaux. C’est dire que la fonction diversifiée de la violence, selon qu’elle est au service de buts naturels ou de buts légaux, se manifeste de la manière la plus évidente si l’on examine le fondement de n’importe quels rapports déterminés de droit». (32) Et Benjamin de poursuivre: «Pour ces rapports de droit, en ce qui concerne la personne individuelle, comme sujet de droit, la tendance caractéristique est d’interdire à ces personnes individuelles d’atteindre à leurs buts naturels chaque fois que de tels buts pourraient être obtenus plus adéquatement par la violence. Autrement dit, dans tous les domaines où les personnes individuelles, si elles usaient de violence, atteindraient plus adéquatement leurs buts, cet ordre juridique tend à instituer des buts de droit que précisément seule la violence légitime est en mesure de réaliser sur ce mode. Disons plus: même des domaines où par principe on laisse aux buts naturels beaucoup plus de champ, comme celui de l’éducation, l’ordre juridique tend à les limiter par l’institution de buts légaux dès lors que ces buts naturels sont visés de façon trop violente; c’est ce qu’il fait, par exemple, en légiférant sur les limites du droit pédagogique de punir. La maxime universelle de la législation européenne actuelle peut être formulée ainsi: lorsque les buts naturels sont poursuivis avec une violence plus ou moins grande, ils ne peuvent qu’entrer en collision avec des buts légaux. […] Il suit de cette maxime que le droit considère la violence entre les mains des personnes individuelles comme un danger risquant de miner l’ordre juridique. Non cependant comme un danger que soient vidés de tout contenu les buts naturels et les pouvoirs exécutifs d’ordre juridique; car en ce cas, ce n’est pas la violence elle-même qu’on condamnerait, mais seulement celle qui est applliquée à des buts illégitimes. On dira qu’un système de buts légaux ne pourrait pas se conserver s’il existait quelque part encore des buts naturels auxquels il serait permis de viser par des moyens violents. Mais ce n’est là, d’entrée de jeu, qu’une affirmation dogmatique. Contre elle il y aura peut-être lieu de prendre en considération la surprenante possibilité que l’intérêt du droit à monopoliser la violence, en projet de protéger les buts légaux, mais bien plutôt par celui de protéger le droit lui-même. Que la violence, lorsqu’elle ne se trouve pas entre les mains du droit, quel qu’il soit, ne constitue pas une menace pour lui par les buts auxquels elle peut viser, mais bien par sa simple existence hors du droit. On trouve de cette hypothèse une confirmation plus éclatante si l’on songe que très souvent déjà la figure du “grand” criminel, si répugnants que fussent ses buts, a provoqué la secrète admiration du peuple. Ce ne pouvait être pour son acte, mais seulement pour la violence dont il témoigne. En ce cas, par conséquent, il est effectif que la violence, que le droit actuel, dans tous les domaines de l’action, tente de soustraire à l’individu, constitue encore une menace et continue d’éveiller souterrainement la sympathie de la masse à l’encontre du droit. Par quelle fonction la violence peut sembler avec raison si menaçante pour le droit, peut être si crainte de lui, c’est ce qui doit précisément se révéler là où l’ordre juridique actuel en autorise lui-même le développement». (33)
La loi n’abolit donc pas la violence, bien au contraire. Elle fait de l’État législateur le seul à détenir le monopole de la violence sur les citoyens; mais il arrive, que pour des raisons «conservatrices», que l’État exerce cette violence contre les aspirations individuelles qu’il juge trop «révolutionnaire» ou ne conviennent pas aux contraintes qu’il impose à ses populations, non obstant que ces aspirations soient légitimes ou non. D’où la distinction essentielle entre légalité et légitimité. L’ordre (bourgeois) impose le synonyme entre les deux, mais ce n’est pas vrai. La légalité finit toujours par dériver, selon le mouvement des plaques idéologiques d’une part et des mœurs de l’autre, de manière à ce que la légitimité cadre rarement longtemps avec sa formulation légale. C’est la fameuse parabole entre la lettre et l’esprit de la loi dans l’Évangile. À la violence légitime risque donc de s’opposer la violence légale, comme on la vit s’exercer dans les gouvernements totalitaires. La répression et la dureté des châtiments ne font ici aucun problème pour les dirigeants des États totalitaires. Si les États démocratiques libéraux ont assoupli la répression et la dureté des châtiments, allant jusqu’à abolir la peine de mort dans certains États, c’était précisément pour assouplir le privilège exorbitant de l’État à détenir seul la légalité de la violence contre une société qui renonçait volontairement à user de la violence comme praxis de ses aspirations. En faisant de la légitimité dépouillée de son recours à la violence une légalité démocratique, le droit s’imposait comme recours universel aux conflits et aux aspirations individuelles; la négociation, souvent de nature économique, comme alternative aux condamnations; la réhabilitation comme objectif premier de la rééducation des criminels. L’éloignement de la justice vengeresse, de la loi du talion ou de la loi de Lynch, permet de séparer la sanction des rapports subjectifs. D’où la nécessité d’une nouvelle classification légale: celle de la victimisation et des thérapies qui remplacent la catharsis offerte jadis par la vengeance, l’ordalie ou de représailles et de vendetta.
L’ordre et la loi comme praxis idéologique dépendent, bien entendue, des systèmes idéologiques qui réinterprètent le Socius et les relations entre les membres de cette société. Différemment de la guerre, ils gèrent la violence en la sublimant par les codes de lois s’appliquant aux délits. D’autre part, l’aspect cultuel s’infiltre dans le Palais de justice, revêtant d’une qualité quasi cléricale de prêtrise les juges et les membres du prétoire. Sur l’ombre de tous les tribunaux, même ceux qui ont recours à des jurés tirés des citoyens de la République, l’ombre du jugement de Salomon pèse sur l’esprit des participants. Mieux que les Églises, la Justice résiste à la «profanation» (nous n’avons qu’à penser aux conflits entre les tribunaux et les média pour le comprendre: les injonctions, les interdictions de publications des détails d’une affaire; la résistance à voir pénétrer les caméras dans les salles d’audience; le dégoût de la magistrature pour les procès à sensation, etc.).
Pourtant, en plaçant le droit au centre des conflits sociaux, nous réalisons combien Montesquieu voyait juste en substituant le commerce à la guerre comme façon de négocier ou d’arbitrer les conflits. Au moment où s’amorçait la grande Révolution industrielle en Angleterre, qui allait profondément transformer la nature même du commerce mondial, la praxis commerciale s’engageait dans la voie des relations entre États étrangers comme à l’intérieur même des États où ces relations sociales descendaient jusqu’aux limites même des liens interpersonnels. Comme le répétait un avaricieux dans un téléroman célèbre du Québec des années 1960: «en affaires, pas de parents, pas d’amis».
d) la praxis commerciale et l’État
Or donc, si les «anthropologues» du XVIIIe siècle considérèrent le commerce comme une alternative à la guerre et aux confrontations chargées d’agressivité, un «échange» dans le sens le plus étymologique du terme, c’est qu’ils réalisaient que les guerres n’empêchaient jamais les belligérants de commercer entre eux. Les blocus, que ce soit le blocus continental imposé sur l’Europe par Napoléon au commerce britannique ou le blocus des alliés contre les empires centraux durant la Grande Guerre de 1914-1918, n’ont jamais réussi totalement à vaincre l’adversaire puisqu’ils étaient constamment contournés par le marché noir. Il est vrai que les Grecs allèrent quémander à Sparte leur puissance militaire pour venir à bout de la démocratie athénienne qui s’était édifiée un puissant empire commercial qui jouait déjà de l’impérialisme. Mais avec la République romaine, commerce et État universel finirent, en Occident, par se confondre. Il apparaissait intéressant aux négociateurs d’être appuyés par une puissance étatique militaire capable non seulement d’édicter le droit mais également d’agir comme arbitre. Bien sûr, l’État romain était parti et arbitre des affaires en même temps et pouvait substituer ses légions lorsque les rapports commerciaux se tendaient entre les partis. À la suite de la crise romaine amorcée par la politique réactionnaire des Gracques contre l’abolition des ager publicus, ne vit-on pas paraître les premières dictatures de Marius, de Sylla; des triumvirats toujours à la limite de la guerre civile entre Pompée, Crassus et César, puis Marc-Antoine, Octave et Lépide. L’Empire romain et le pouvoir royal absolu des Césars, à partir d’Octave-Auguste démontre que l’État et le commerce sont liés structurellement l’un à l’autre.
On a pourtant longtemps médité sur les États-Cités issus des grands travaux d’aménagements territoriaux indispensables à la régulation des fleuves (comme en Égypte, en Chine et à Sumer-Akkad), ou des terrasses (au Pérou), dans les régions montagneuses, forestières ou marécageuses (à Mexico et au Yucatan). Certes, l’État était une praxis capable de se développer à partir du rassemblement communautaire, imposant une tête de pont où se prendraient les décisions stratégiques en vue d’aménager le territoire et le rendre propre à une agriculture régulière. Ces États ont été les premiers États mercantiles de l’Histoire. Que l’on parle du despotisme oriental de Montesquieu et de Wittfogel ou du mode de production asiatique de Marx et consorts, les termes
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Précisément, c’est sur ce point que l’histoire de la pensée économique commença à poindre dans la Grèce classique, avec Aristote. Comme nous le savons, celui-ci s’opposait au commerce dont il voyait les origines dans le brigandage associé aux guerres (pillages, rançons, etc.). En ce sens, il considérait le commerce comme une «manière non naturelle» d’acquérir des biens. «Certes l’échange en lui-même n’est pas condamnable, résume Henri Denis. Il découle naturellement du fait de la diversification des besoins et de la spécialisation des producteurs. Toute chose peut être utilisée de deux manières, soit directement, en raison de ses qualités particulières, soit comme moyen d’échange. On peut échanger par voie de troc, sans faire usage de la monnaie. Mais quand s’est développé l’échange entre des pays éloignés, l’usage de la monnaie a tout naturellement fait son apparition, car il est plus facile de transporter des pièces métalliques que divers objets encombrants ou fragiles». Dans ces extraits De la politique, Aristote décrit ce que sont valeur d’usage et valeur d’échange, les deux catégories de la valeur en économie politique. Cette invention - la monnaie - a fini par subvertir la fonction commerciale, et c’est ce qu’Aristote reproche au commerce en général: «la monnaie a permis le développement du commerce, c’est-à-dire d’une activité qui consiste à utiliser de l’argent pour faire des échanges et en retirer le maximum de profit. Dans cette activité, “la monnaie est principe et fin de l’échange”. Il en résulte qu’une telle activité ne possède pas de limites naturelles. Le marchand le plus riche peut encore augmenter sa richesse (et il le peut d’autant mieux qu’il est plus riche, pourrions-nous ajouter). Dans le commerce, l’individu répudie toute notion de mesure, et donc de vertu, car la vie vertueuse est une vie ordonnée, mesurée. Il n’est plus question de vivre conformément au bien, comme un homme doit le faire. De ce fait, quand l’esprit de commerce s’introduit dans la cité, toutes les activités humaines sont corrompues». (34) Vision pessimiste s’il en est et qui en annonce bien d’autres.
La raison évoquée par Aristote pour condamner le commerce en est une de vertu, de conduite morale et de mesure équilibrée dans les rapports d’homme à homme. Aristote confond l’excès de richesse avec la richesse elle-même, et ce reproche est constant dans l’histoire économique de toutes les civilisations. Voilà pourquoi aucune mesure politique ou religieuse n’est venue à bout du commerce. L’Église chrétienne, qui reprendra cette position et condamnera le commerce de l’argent et les spéculations comme diaboliques, car seul le travail a été donné à l’homme pour accroître ses richesses, a maintenu, jusqu’à l’orée des temps modernes, cette condamnation explicite du commerce spéculatif. Certes, les chrétiens laissèrent aux Juifs, peuple déjà damné pour déicide, ce besoin de se salir les mains pour accroître les richesses, mais princes et papes ne refusèrent jamais de s’associer des banquiers juifs pour accomplir les transactions «diaboliques» à leur place! Que l’explosion des activités commerciales entre Bruges et Venise, entre Liège et Florence, aient été à l’origine de la Renaissance et de la modernité occidentale, il y a là un paradoxe qui convient d’être souligné. Sans la richesse et ses excès, commerciaux et politiques, la civilisation ne peut s’implanter et prospérer ou progresser.
Là encore pourtant, les Cités-États inaugurèrent une phase commerciale centrée sur l’État et l’accumulation des richesses collectives, en particulier des métaux précieux, l’or et l’argent. Il faut dire que la découverte des réserves quasi inépuisables de métaux précieux et de produits rarissimes dans les contrées lointaines à la suite des Grandes Découvertes, favorisait la paresse de l’analyse économique. D’où que l’Espagne, par où entraient ces réserves insondables d’or et d’argent, ne vit que passer les métaux précieux qui allèrent emplir les coffres des banquiers rhénans lors des guerres que mena Charles Quint contre son adversaire François Ier. Il fallut donc attendre le XVIIIe siècle pour que le philosophe anglais David Hume écrive une opuscule, Du commerce, pour offrir à l’Occident une analyse du rôle du commerce extérieur dans la croissance économique des nations: «Le même genre de raisonnement nous montrera l’avantage du commerce avec l’étranger, du point de vue de l’augmentation de la puissance de l’État, aussi bien que des richesses et du bonheur des sujets. Il augmente la quantité de travail dans la nation et le souverain peut orienter la part jugée nécessaire vers le service de l’État. Le commerce avec l’étranger par ses importations procure des matières premières pour de nouvelles manufactures; et par ses exportations il engendre du travail incorporé dans des marchandises particulières qui ne pourraient pas être consommées dans le pays. En bref, un royaume qui a d’abondantes importations et exportations doit posséder davantage d’industrie, et de celle qui s’occupe de choses délicates et luxueuses, qu’un royaume qui se contente de ses marchandises nationales. Il est donc plus puissant, aussi bien que plus riche et plus heureux. Les industries tirent un bénéfice de ces marchandises, dans la mesure où elles satisfont les sens et les désirs. Et l’État est également gagnant, puisqu’une plus grande quantité de travail est, par ce moyen, mise en réserve en vue de tout besoin public; ou encore puisqu’un plus grand nombre d’hommes laborieux sont entretenus, qui peuvent être utilisés pour le service de l’État, sans qu’il soit rien dérobé des choses nécessaires à la vie ou même des principales choses utiles». (35) Ici, Hume dresse le plaidoyer du libre-échange contre le protectionnisme particulier du mercantilisme des monarchies absolues d’Europe.
Mais Hume tient également à détruire l’opinion aristotélicienne ou chrétienne du commerce contre-nature: «Si nous consultons l’histoire, poursuit-il, nous verrons que, dans la plupart des nations, le commerce avec l’étranger a précédé chaque progrès des manufactures nationales et donné naissance au luxe domestique. La tentation est plus grande de faire usage des marchandises étrangères qui sont
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Alors que Hume pensait qu’en favorisant le développement du commerce, l’État en viendrait à perdre de son monopole dans les questions économiques, l’expérience démontra le contraire. Le développement du capitalisme donna à l’État une impulsion nouvelle, ne serait, d’abord, que comme gendarme pour la protection des richesses et des propriétaires contre la «convoitise» des travailleurs et des salariés. L’État gendarme ne put cependant empêcher la fondation des syndicats qui s’avérèrent, avec l’épreuve, moins dommageable que les guerres civiles. Aussi, ses appareils ne cessèrent-ils de se développer tout au long du développement du capitalisme. Plutôt qu’un arbitre ou même un outil entre les mains de la bourgeoisie, l’État tendit-il à s’émanciper des classes et à se doter d’une bureaucratie qui le rendait un partenaire parmi les autres. Si l’État américain put se servir des lois anti-trusts contre les syndicats ouvriers dès la fin du XIXe siècle, il s’en servit également pour abattre des holdings qui risquaient de le mettre en tutelle. À côté de Mammon, Moloch trouva rapidement sa place et s’imposa. Alors qu’il n’était que Léviathan ou Béhémot dans l’esprit de Hobbes au XVIIe siècle, les guerres coloniales puis les deux guerres mondiales du XXe siècle en ont fait un monstre qui «mange les enfants», une sorte de Saturne qui montre que la concurrence entre États capitalistes est aussi sauvage qu’elle l’était durant l’opposition des monarchies absolues des XVIe-XVIIIe siècles. Le «doux commerce» n’est donc qu’un euphémisme d’une rivalité perpétuelle qui oppose les hommes entre eux, selon leurs frontières, leurs voies commerciales, leurs ressources naturelles et humaines. Il n’est qu’une forme autre et d’apparence moins brutale que les rivalités agressives originelles. Les réussites d’affaires sur les marchés suivies de rapides effondrements et ruines, montrent l’aspect impitoyable que peut prendre les rivalités commerciales et les guerres de marchés.
De plus, les marchés, comme les États, tendent à se concentrer. La concurrence s’achève en monopole, même dans un pays où le libre-échange est quasiment article de foi comme aux États-Unis. De même, l’État gendarme s’est achevé en État totalitaire avec les fascismes et le capitalisme monopoliste d’État dans les États dits communistes comme l’U.R.S.S., la Chine et Cuba. Avec la croissance démographique, l’hypertechnicisme et la mondialisation, la concentration, aussi bien au niveau du marché qu’au niveau de l’État, est la stratégie qui, tout en métissant les cultures et les civilisations, risque également de les placer dans une position antagoniste dont on a peine à mesurer, aujourd’hui, l’ampleur pour les années à venir.
Quoi qu’il en soit de l’avenir, avec De l’économie de Hume, nous avions une vision stratégique du commerce et de l’économie de marché; avec Smith, nous avons une tactique propre à la production industrielle et avec Ricardo une tactique de l’impôt établi en faveur des producteurs contre les revenus fonciers. Das Kapital de Marx, reprenant ces stratégies, démontrera la division en classes antagonistes conséquentes de ces stratégies et la praxis politique qui en découle: c’est-à-dire la prise du contrôle de l’État par le prolétariat et la conversion de l’économie de marché en économie communiste dont il a moins bien su donner le stratégie qu’aurait cette économie nouvelle. Prise entre la production économique et le temps du loisir, c’est du moins tel qu’il l’expose dans certains paragraphes où il tente de saisir son utopie, la vision qu’avait Marx de cette économie communiste ne dépasse guère le niveau du renversement, par des praxis révolutionnaire, de la structuration capitaliste de la production industrielle. Cette défaillance de la praxis économique et étatique chez Marx a donné tout le contraire de son utopie: une société uniquement basée sur la production et les échanges où il y avait finalement peu de loisirs pour les travailleurs.
Que ce soit à travers le socialisme démocratique, la sociale-démocratie qui parvint à s’imposer sous différents aspects dans les pays occidentaux au tournant du XXe siècle, ou le totalitarisme de la société communiste, ces résultats médiocres voire désastreusement tragique proviennent de l’incapacité de Marx à édifier une stratégie commerciale comparable à celle de Hume opposée au mercantilisme courant des monarchies absolues de son temps. Les échecs de Rosa Luxemburg et de Karl Liebnecht en Allemagne, la faillite de Lénine en Union soviétique et de Mao Tsé-Toung en Chine, la vengeance du gouvernement de Vichy sur les avancées du Front Populaire en France, la destruction de la république et du Fronte Popular en Espagne sous la botte des franquistes; autant d’échecs de stratégies économiques alternatives au capitalisme libéral. Le tribut lourd à payer du socialisme qui se refuse d’abattre ou de pousser la régression du capitalisme à ses limites périphériques, l’économie de luxe, se paient d’un socialisme dilué dans la sauce libérale. Si les stratégies socialistes sont demeurées faibles et propres à succomber à la corruption capitaliste, ses tactiques étaient encore plus imparfaites. Le syndicalisme dut rester la seule stratégie possible pour le salariat afin de maintenir un rapport de force équilibré avec le patronat. Le résultat fut que le socialisme se transforma en libéralisme gauchisant (comme en Angleterre et dans ses anciens dominions) ou en socialisme démocratique capable de se greffer à des structures monarchiques (comme dans les pays scandinaves) ou républicaines (comme en France).
Il faut donc apprendre ou plutôt réapprendre le vieux concept désormais oublié d’économie politique, c’est-à-dire d’une économie commerciale, industrielle et de services qui fonctionne selon les rites et les praxis étatiques; que l’économie de marché est une économie planifiée selon une stratégie et des tactiques qui relèvent de la concurrence entre producteurs et du conditionnement psychologique des consommateurs. Que le marché fonctionne, également, dans un état de guerre larvée où la violence est subsumée par l”accumulation et la destruction alternée des biens produits afin de renouveler constamment les demandes commerciales et qu’il ne dégénère pas en agressivité guerrière, au brigandage brutal tels que connus en périodes de conflits armés. Les stratégies commerciales sont des stratégies militaires, comme le sont les stratégies administratives de l’État appuyées sur la légalité, sinon la légitimité que lui confère le droit. Elles procèdent par l’agressivité «douce» pour reprendre le qualificatif de Montesquieu: l’appât du gain facile, la compétition jusqu’à l’écrasement sinon l’anéantissement de l’adversaire. Le commerce n’est que la guerre en gants blancs et l’État, le bras armé du droit de la propriété et de la valeur d’échange⌛
Notes
(1) M. Weber. Sociologie des religions, Paris,Gallimard, Col. Tel, # 340, 1996, p. 178.
(2) M. Weber. ibid. p. 181.
(3) E. O. James. La fonction sociale de la religion, Paris, Payot, Col. Bibliothèque scientifique, 1950, p. 55.
(4) G. Mensching. Sociologie religieuse, Paris, Payot, Col. Bibliothèque scientifique, 1951, p. 22.
(5) G. Mensching. ibid. pp. 29-30.
(6) J. Wach. Sociologie de la religion, Paris, Payot, Col. Bibliothèque scientifique, 1955, p. 26.
(7) J. Wach. ibid. p. 28.
(8) J. Wach. ibid. p. 55.
(9) J. Wach. ibid. p. 85.
(10) J. Wach. ibid. p. 85.
(11) J. Wach. ibid. pp. 85-86.
(12) J. Wach. ibid. p. 91.
(13) G. Bouthoul. Les Guerres, Paris, Payot, Col. Bibliothèque scientifique, 1951, p. 258.
(14) G. Bouthoul. ibid. pp. 262-263.
(15) Cité in G. Bouthoul. ibid. p. 279.
(16) J. U. Nef. La guerre et le progrès humain, Pairs, Alsatia, s.d., pp. 487-488.
(17) J. U. Nef. ibid. p. 489.
(18) J. U. Nef. ibid. pp. 490-491.
(19) Montesquieu. De l’esprit des lois, t. 1, Paris, Garnier, Col. Classiques, 1961, p. 5.
(20) Montesquieu. ibid. p. 5.
(21) Montesquieu. ibid. p. 9.
(22) Montesquieu. ibid. p. 9.
(23) Montesquieu. ibid. p. 10.
(24) Montesquieu. ibid. p. 11.
(25) E. Westermarck. L’origine et le développement des idées morales, t. 1, Paris, Payot, Col. Bibliothèque scientifique, 1928, pp. 167-168.
(26) E. Westermarck. ibid. pp. 169-170.
(27) E. Pawel. Franz Kafka, Paris, Seuil, Col. Points #P 192, 1988, p. 428.
(28) E. Westermarck. op. cit. pp. 173-174.
(29) J.-P. Royer »L’homme et le droit», in J. Poirier (éd.) Histoire des mœurs, t. 2: Mode et modèles, Paris, Gallimard, Col. Encyclopédie de la Pléiade, 1991, p. 536.
(30) J.-P. Royer. ibid. p. 536.
(31) J.-P. Royer. ibid. p. 536.
(32) W. Benjamin. «Pour une critique de la violence», in L’homme le langage et la culture, Paris, Denoël/Gonthier, Col. Médiations, #123, 1971, pp. 26-27.
(33) W. Benjamin. ibid. pp. 27 à 29.
(34) H. Denis. Histoire de la pensée économique, Paris, P.U.F., Col. Thémis, 1966, p. 48.
(35) D. Hume. «Du commerce», cité in H. Denis. ibid. pp. 150-151.
(36) D. Hume, in ibid. p. 151.
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