dimanche 14 décembre 2014

Une histoire de Saint-Jean-sur-Richelieu. L'Âge de la Némésis


Poétique de l'espace 1940

L'ÂGE DE LA NÉMÉSIS


PRÉFACE, 2017

Si je remets aujourd'hui les textes d'Une histoire de Saint-Jean-sur-Richelieu, ce n'est sûrement pas pour rendre hommage à une population dont l'absence de dignité et d'honneur est tout à mon avantage.

Ce texte, je le remets pour les historiens, les anthropologues de l'avenir, tous ceux qui s'intéresseront à une ville dont le nom aurait pu (et dû) être fictif. Depuis 50 ans, les édiles de Saint-Jean-sur-Richelieu sont le pire ramassis de corrompus politiques qui phagocytent les budgets municipaux ou entourent les députations, tant au provincial qu'au fédéral. Totalement vidés de toute intelligence, de tout projet pour ressourcer leur patelin endormi au gaz, plutôt que de faire une édition livre de ce texte, ont gaspillé les fonds publics à une murale sans intérêt qu'ils n'entretiendront pas plus qu'ils n'ont entretenu jusqu'ici leur patrimoine historique.

On pourra dire que personne ne m'a rien demandé. Et c'est vrai. Qu'on ne m'a jamais promis ni salaire, ni emploi, ni quelques fonctions pour profiter de mes mérites. Et c'est vrai. On pourra dire qu'on a préféré piller ces ouvrages plutôt que de les valoriser. Et c'est vrai. On pourra dire également que toute la population de la ville ne doit pas souffrir de la négligence douteuse de ses édiles tant elle a, par certains, manifester une bonne volonté aussi ostentatoire que vaine. Et c'est encore vrai. Mais cela ne change rien à ce que je viens d'écrire. Cinquante ans de saloperies municipales témoignent en ma faveur.

Aussi, restera-t-il aux historiens et aux anthropologues de l'avenir un modèle afin de réfléchir et comprendre comment une ville québécoise naît, se développe, dépérit et meurt. Car Saint-Jean-sur-Richelieu est une ville sans attrait, morte, vieillie dans ses façades gelées. Les citoyens les plus riches s'amusent à jouer aux personnages historiques en faisant des soupers fins sur le Pont Gouin ou en faisant du radicalisme péquiste au nom d'une identité qu'ils n'ont même pas su conserver pour leur ville et prétendent défendre pour l'ensemble du Québec. Autant d'hypocrisie et de mauvaise volonté me font plaindre ceux qui demeurent encore dans ce trou noir ou pour respirer, vaut mieux s'expatrier et faire ce que l'on a à faire en s'adaptant une identité autre qui, au moins, aura un écho respectable.

Quoi qu'il en soit, et je ne m'étendrai pas sur des ressentiments vains. La ville de Saint-Jean-sur-Richelieu m'écoeure et à la manière de Gide, je terminerai sur ces mots : Johannais, je vous hais.

Jean-Paul Coupal
17 mars 2017

Sommaire:
Présentation
L’Âge Militaire (de la découverte au siège de 1775)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/une-histoire-de-saint-jean-sur_19.html
L’Âge de Croissance (Saint-Jean-Dorchester)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/lage-de-croissance.html
L’Âge du prestige (1840-1940)
            Les très riches heures des industriels Farrar (1840-1876)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/une-histoire-de-saint-jean-sur_17.html
            Les très riches heures de Félix-Gabriel Marchand (1876-1905)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/une-histoire-de-saint-jean-sur_16.html
            Les très riches heures de la Singer (1905-1945)
http://jeanpaulcoupal.blogspot.ca/2014/12/une-histoire-de-saint-jean-sur_15.html
La Némésis de la créativité. La décennie qui suivit la crise de 1929 apparue à l'ensemble du monde la trahison des promesses du progrès. À Saint-Jean, la crise avait ses paramètres locaux qui s'inséraient à l'intérieur d'un plan de développement apparemment perpétuel. La perte de confiance des milieux d'affaires dans les possibilités créatrices du milieu a agi comme un lent poison dans la conscience locale. Une mémoire gelée, qui deviendra nostalgie, recouverte par le gigantisme du complexe de la Singer et des autres entreprises étrangères établies en ville, appellera l'idolâtrie de solutions éphémères comme soutiens à différents efforts de relance de l'économie.

Nous avons retenu de l'Âge de Croissance comment le facteur essentiel au développement de Saint-Jean-Dorchester avait été la capacité d'auto-détermination de la population locale, surtout lorsque l'activité militaire céda à l'activité commerciale la dynamique du développement de la région. Au cours de l'Âge du Prestige, ce Siècle d'Or de l'histoire de Saint-Jean, l'autonomie du développement régional s'était maintenue grâce à une habileté à s'adapter aux transferts du dynamisme de la production artisanale au réinvestissement financier, puis à la production industrielle de masse. Saint-Jean était ville ouverte. Au moment, toutefois, où des intérêts étrangers commencèrent à pénétrer les voies ouvertes, paradoxalement un certain rapetissement commença aussitôt à se manifester. De même, du côté politique, aux pouvoirs régionaux, les pouvoirs fédéral et provincial supplantaient de plus en plus la Municipalité, complémentaires à l'intrusion des multinationales qui proliféraient en drainant leurs capitaux vers la région, mais qui exigeaient aussi des obligations qui liaient les mains des propriétaires et des gestionnaires de la ville. Voici donc en quoi consiste l'Âge de la Némésis, en cette perte de l'auto-détermination à peu près dans toutes les sphères de l'activité sociale où les habitants de Saint-Jean avaient eu, jusque-là, le quasi-monopole de décider pour eux-mêmes de leur avenir. La Municipalité partageait avec les commerçants et les petits industriels de la place les mêmes gestionnaires, ne pouvait que se lier à des subventions venues d'Ottawa et de Québec. En citant Réal Fortin, Pierre Vincent écrit : «Alors que les milieux agricoles se maintiennent à un haut niveau de prospérité, because la qualité des terres, l'économie des villes décline. Poterie et vaisselle sont surclassées par des concurrents plus agressifs, plus industrialisés; le train trouve des raccourcis pour se rendre aux États-Unis et le Richelieu perd ses voyageurs, qui préfèrent les nouvelles routes».[1] Cette explication n'est vraie qu'en partie. Il est important de spécifier que la cause du déclin de Saint-Jean ne se trouve ni dans la défaillance de son site géographique, ni dans l'urbanisation de masse liée à l'industrialisation. Ce n'est pas tant la grande industrie qui tue Saint-Jean que l'organisation socio-économique de cette production à grande échelle dont les profits liés à cette production s'écoulent comme une hémorragie, vers l'extérieur. Pour faire une image simple mais brutale : Saint-Jean était devenue l'otage de la Singer, ce que l'on comprend bien si derrière les noms, nous mettons les principes qui les habitent. Devant cette situation, la léthargie des institutions équivaut à une paralysie traumatique de l'esprit créatif. Comme l'écrivait l'historien britannique Arnold Toynbee : «La faiblesse du mimétisme repose dans le fait d'être une réaction mécanique à une suggestion de l'extérieur. L'action accomplie est de celles qui n'auraient jamais été tentées par l'exécutant de sa propre initiative. Cet acte n'est pas auto-déterminé et sa meilleure sauvegarde est de se cristalliser en habitude ou routine».[2] Ce qui veut dire, dans le cas qui nous occupe ici, qu'à s'attendre à voir se reproduire le coup de force de la Singer et toujours espérer la venue d'investisseurs étrangers au moment où un transfert d'axe de développement se produit, la population locale s'est figée dans une routine de décroissance et par le fait même, a perdu confiance dans les possibilités qui résident toujours dans le milieu et qui ne demandent qu'à être redécouvertes.

Que signifie alors ce credo répété des hommes d'affaires dans le développement économique de la ville? Rien sinon qu'une présomption, un état d'âme qui se veut objectif mais qui se trouve gelé dans une attente. C'est le résultat du trauma de la Singer qui suppose qu'il y aura toujours un consortium industriel étranger qui sera susceptible de venir s'installer dans la région et à partir duquel les finances de la Municipalité et les intérêts des citoyens seront accrus. C'est un état purement instinctif, nullement rationnel. L'historien grec Hérodote affirmait que la présomption va au-devant de la chute. Parlant de la lente agonie du journal Le Richelieu, les éditeurs du Canada-Français soulignent le titre de l'article de Claude Poulin qui en relate la fin : Un cri de détresse précède la chuteNous parlons bien du même phénomène.

Voilà ce que les essayistes de Saint-Jean répétaient dans leurs chroniques au Canada-Français ou dans Le Richelieu. À l’optimisme d’un juge Demers avaient succédé les complaintes du notaire Jean Frédérick et de Mgr Lucien Messier. Ce dernier relate aussi bien l’histoire du pont de glace balisé qui traverse le Richelieu que la fin du moulin Langelier, récit qui s’achève sur une oraison funèbre pour un passé prestigieux qui disparaît. Lorsque paraît, le 23 décembre 1937, le Saint-Jean-de-Québec du R. P. Brosseau, la monographie délaisse la ville pour la paroisse, voire le diocèse qui vient d’être proclamé. Sa théologie de l’histoire est simple : toute l’histoire de Saint-Jean converge vers l’érection diocésaine, d’où l’importance que prend le récit de la fondation de la paroisse par Gabriel Marchand et ses associés. Les autres activités, qu'elles soient de nature commerciale, industrielle ou politique ne sont qu'accessoires, d'où le peu de place qu'il leur accorde, car l'essentiel est spirituel et la matérialisation du spirituel se tient dans la fondation de la paroisse. Tout est mené comme une destiné providentielle :
«Aux premiers jours de juillet 1911, S. E. Mgr Paul Bruchési assistait au Congrès Eucharistique de Madrid. Là, dans le chaud rayonnement de l’Hostie, il mûrit une dernière fois et décida la fondation de notre collège. […] l’arbre, planté en terre fertile, devait pousser ses racines profondes et connaître un prodigieux accroissement…

Enfin, suprême bénédiction du Ciel, la création du diocèse de Saint-Jean était connue le 19 décembre 1933. Pour comble de bonheur, la Providence lui donnait, le 16 mai 1934, dans la personne de Son Excellence Mgr Anastase Forget, un évêque éducateur… etc. etc.»[3]
Tout aurait pu être mystique, en effet, si, au moment de l’érection du diocèse de Saint-Jean, Mgr Bruchési n’était pas déjà mort dément alors que l’administration du diocèse de Montréal était confiée depuis tant d'années à l’évêque-auxiliaire, Mgr Gauthier. Chez Brosseau, tout ce qui n'accompagne pas cette révélation est évacuée : les crises politiques, la querelle ecclésiastique de Sainte-Marie-de-Monnoir et du Collège de Saint-Jean par exemple. La présomption, par contre, se retrouve à chaque page : La sage expérience, …la véritable entente de la saine finance, bref, tout ce qui a permis à la ville de ressusciter de ses cendres en 1876. Mgr Messier, en conclusion de sa critique du livre du R. P. Brosseau, publiée dans Le Canada-Français, exprimait bien l’état d’esprit d’un Âge de Prestige qui ne se voyait pas mourir : «Cessons d’opposer en nous le "présent agréable au passé respectable", et surtout, cessons de prétendre que le passé est mort; car il ne peut pas mourir étant vivant en chacun de nous. On lira donc l’Histoire de Saint-Jean».[4] Qu'auraient pensé MM Brosseau et Messier s'ils avaient vu le Diocèse de Saint-Jean absorbé par la ville de Longueuil?

Déplacement du cœur géographique de Saint-Jean. Dans le Saint-Jean d'après-guerre, le centre-ville n'était pas encore le Vieux-Saint-Jean. Jamais ce déplacement géographique du centre de la ville n'aurait pu être prévu par les gens de l'époque qui voyaient en l'actuel Boulevard du Séminaire, rien de plus qu'un chemin périphérique qui plongeait en pleine savane. Comment auraient-ils pu imaginer un mouvement d’exode urbain vers cet endroit encore sauvage? Supposer la migration des affaires, du commerce et des services publics jusqu’à vider le centre-ville de sa substance traditionnelle? Cette mobilité du centre des opérations urbaines de la Ville de Saint-Jean coûtera les plus vieux édifices du centre-ville, endommageant la poétique de l’espace qui s’était fondue avec le milieu naturel depuis le milieu du XIXe siècle. Le germe se retrouve pourtant déjà dans le commerce aux détails lorsque de chaînes - telles Woolworth Co., Greenberg's et United dans la mercerie; A&P, I.G.A., Spot, Dominion et Steinberg's puis, plus tard Métro et Richelieu dans l'alimentation -, s’établissent dans la ville après la guerre, jusqu’à ce que ces entreprises, grossissant, deviennent les premiers locataires des centres d’achat étalés le long du Boulevard du Séminaire. Les promoteurs immobiliers lorgneront vers cette population qui, venant s'établir dans les quartiers résidentiels préféreront déjà la banlieue au centre-ville. Nous assistions-là au grand déplacement géographique du cœur de la ville. Les nouvelles zones résidentielles appellent la création de paroisses aux églises plus petites mais construites selon l'influence esthétique des églises de Le Corbusier (Saint-Gérard-Majella, 1955) et non du néo-gothique pompeux. À côté de vieilles maisons érigées jadis dans des champs ou à proximité de terrains vagues attendant un quelconque développement industriel ou commercial, quelque part le long du Boulevard du Séminaire, les nouveaux quartiers résidentiels serviront de dortoirs aussi bien aux travailleurs de Saint-Jean qu'à des travailleurs de la Rive Sud et de Montréal!


Rivalités entre commerces aux détails et grandes surfaces. Du temps de la guerre et de ses lendemains, les commerces qui avaient survécu aux années de la crise de 1929 étaient toujours bien en selle : LeSieur, Stewart-Denault, Gervais, Langlois, Régnier, Boulais et autres. Par contre, nombre de petits commerces se sont succédé au rythme où les propriétaires faisaient faillites les uns après les autres en revendant leurs commerces avec pertes. En 1940, il y a déjà à Saint-Jean une Chambre de Commerce qui mesure le pouls économique de la ville. Elle est l’œuvre de Maurice LeSieur et André Thibodeau qui, à lui seul, recrute 167 nouveaux membres. De nouveaux commerces apparus après guerre sont appelés à prendre de l’expansion. Tout ne va pas si mal à Saint-Jean.

Quatre hôtels dominent toujours le marché touristique : le Windsor, l’Hôtel du Canada (Fontainebleue) qui périclite au cours des années 60, l’Hôtel Saint-Jean qui explose et se consume dans les mêmes années et l’Hôtel Richelieu, établi sur le site de l’ancien hôpital Sabourin. Des restaurants et des rafraîchissements, lieux de rendez-vous de différentes générations de jeunes Johannais jalonnent les rues Richelieu et Saint-Jacques. Les stations services et poste d’essence prolifèrent, sous des enseignes multinationales. Des merceries sont tenues par quelques commerçants Juifs locaux. Peu à peu, des Grecs deviennent maîtres de la restauration populaire. Trois restaurants chinois s’établissent successivement sur la grand’rue.

Il y a des commerces qui apparaissent et prennent vite de l’expansion. D’autres qui disparaissent, tels les ameublements Harbourg et la lingerie Payette tandis que les ameublements Langlois et les ameublements LeSieur - situés dans l’édifice de la rue Richelieu face à l’Hôtel Saint-Jean, se transforment en résidences funéraires. Langlois quitte l’édifice Cousins pour se loger sur la rue Jacques-Cartier et LeSieur sur la rue Saint-Jacques, devant la Cathédrale, tandis qu’un nouvel établissement funéraire fait son entrée à Saint-Jean : Oligny & Frères, sur Saint-Georges. Le Salon Langlois a cédé sa place à la Résidence funéraire Saint-Jean. Georges-Henri Payette tient durant plusieurs années une importante imprimerie rue Richelieu qu’il transforme en librairie en 1948 et dont la relève est assurée par Claude Payette. Elle devient une «multirégionale» car la librairie prend de l’expansion en ouvrant 8 succursales : à Montréal, Sherbrooke, Longueuil, Lachine, Granby et Iberville. La succursale-mère reste à Saint-Jean. Claude Payette est également le président-fondateur du Club Optimiste de Saint-Jean en 1966 et de l’Association des marchands du Centre-Ville. Il devient vice-président de l’Association des Librairies de la Province de Québec. Le dynamisme des commerçants de Saint-Jean n’est donc pas mort. Il est même encore assez dynamique.

André Thibodeau fonde une entreprise de commerce à tabac en 1940. Elle compte 17 employés dont 4 vendeurs et 3 livreurs qui desservent un territoire de 50 milles à la ronde contenant 800 clients. L’entreprise est établie sur la rue Saint-Georges et M. Thibodeau est le propriétaire de l’ancienne maison MacGinnis située tout près. L’entreprise immobilière locale se développe à partir de 1951 avec la fondation des Immeubles Richelieu Enr, affiliées avec le Service Immobilier d’un Océan à l’autre (Coast to Coast Real Estate Service) et les Immeubles H.-E. LePage et Westmont. Affiliée de la même manière avec les grandes lignes de transport du Canada et des États-Unis, l’entreprise J. Brault inc., fondée en 1963, est représentante à Saint-Jean de la North American Van Lines et opère un véritable monopole des déménagements lourds sur longues et courtes distances.

Le Restaurant Le Louvre, ouvert depuis les années 1920 sur la rue Richelieu, puis le Restaurant Boulevard, ouvert en 1963, sont les deux plus grandes entreprises en restauration de la région. En 1978, le restaurant Boulevard est ravagé par les flammes, mais immédiatement reconstruit sur son emplacement initial. Il profite d’une clientèle qui se trouve des emplois dans les nouveaux édifices commerciaux qui s’établissent sur le Boulevard du Séminaire. Une autre entreprise, à caractère plus expansionniste, est la compagnie de cantines mobiles Laniel, fondée en 1968 et chargée de ravitailler 5 usines et ne disposant que d’un personnel de 9 employés, de 50 appareils distributeurs et d’une automobile :
«Aujourd’hui, la clientèle de Laniel Cantines Inc. atteint 22 industries, 6 écoles, le CEGEP, l’Hôpital du Haut-Richelieu, le Poste de Police, 7 cafétérias manuelles et offre en plus le service de traiteur, disposant d’un département de confection de sandwichs et un autre spécialement pour la pâtisserie.
Quotidiennement, Laniel Cantines supplée à la demande de 7 500 étudiants et 7 000 ouvriers d’usines et fournit de produits divers 175 appareils-distributeurs».[5]
Aujourd'hui, l'entreprise Laniel dessert la province et a son siège social à Saint-Laurent, à Montréal. En 1970, les Immeubles Lebeau sont fondés, se spécialisant dans la construction de maisons et le développement résidentiel. Il est significatif que l’émigration de la population urbaine désirant résider à l’extérieur de Montréal et venant s’établir sur la Rive-Sud à partir des années 1960 apparaît un stimulant à la fondation d’entreprises immobilières, tels les Immeubles Richelieu qui font concurrence aux Immeubles Lebeau.

Une dernière entreprise à caractère familial et à l’expansion continue est Cideno (fondé en novembre 1973), chargé de la surveillance et du contrôle de la mise en marché des cidres du Québec dans les chaînes de magasins. Affiliée à la firme Stewart-Denault, elle contrôle de ses bureaux de Saint-Jean tout le marché québécois.

Certains types de commerces sont condamnés par l’intrusion de la modernité. Ainsi en est-il des petites buanderies chinoises - dont l’une était établie sur la Place du Marché et l’autre sur la rue Saint-Jacques, derrière l’imprimerie-librairie Choquette. Celle de la rue Saint-Jacques ferme boutique dès 1963, son dernier propriétaire, Mark Sung, malade, est obligé d’abandonner le commerce. Cet édifice abritait jadis, à la fin du XIXe siècle, une cantine au service des soldats qui faisaient le trajet entre Laprairie et l’île-aux-Noix. Elles sont remplacées par la grande buanderie commerciale, celle d’Alfred Martin. En 1948, Alfred Martin possède déjà 4 camionnettes Dodge et Ford qui se chargent d’aller chercher et de retourner le linge aux clients, service que n’offraient pas les buandiers chinois. À la même époque, Martin dispose d’une quinzaine d’employés qui font non seulement le nettoyage ou le lavage, mais aussi le pressage et même de la teinturerie. Martin s’affiliera à la Sanitone. Autre entreprise séculière à disparaître avec les années 1970, l’imprimerie-librairie Choquette. Depuis le début des années 1960, ce type d’entreprise se voyait déserté par sa clientèle. Alors que les citoyens de Saint-Jean se portent vers les livres, les revues, les magazines et les articles de bureau modernes, la librairie Choquette, fidèle à elle-même, vendaient des missels, des livres pour enfants, des statues de saints et des bibelots. Fondée en 1909, l’importante imprimerie Choquette était rachetée par un imprimeur en 1961 tandis que la libraire resta à végéter jusqu’en 1979 pour définitivement fermer ses portes. L’architecture originale de l’édifice doté d’un toit simple avec lamiers a perdu de nos jours le charme passé et le pittoresque que ses beaux arbres, aujourd’hui abattus, lui donnaient avant les années 1960.

Il y a des commerces qui se transforment pour mieux s’adapter. Gervais subit sa transformation la plus importante du siècle. En octobre 1963, C.-O. Gervais passe aux mains de Philodor Ouimet. Depuis près de 90 ans, le commerce appartenait à la famille Gervais. Le rayon de l’épicerie cède sa place à un rayon de cadeaux et quelques modifications sont apportées à la mercerie. L’établissement conserve quand même son aspect d’antan et le changement de propriétaires n’affecte en rien le service du personnel qui demeure majoritairement le même. Lasnier & Galipeau reste le plus grand concessionnaire d’automobiles du centre-ville jusqu’à la séparation des deux beaux-frères. Depuis, Rodrigue Lasnier est devenu concessionnaire exclusif des voitures de marque Pontiac, tandis que Galipeau conserve la marque Chevrolet. Les autobus Boulais acquièrent le monopole du transport en commun de la ville et de la région de Saint-Jean avant que la compagnie Métropolitain transport (anciennement Chambly transport), un temps affilié à la Commission des Transports de la Rive-Sud de Montréal prenne le relais, et ce jusque dans les années 1990 où une compagnie régionale, le Richelain, offre un service qui dessert la vallée du Haut-Richelieu. Les taxis Nautique (devenu Coop), Pépin, Boivin, Laurier et Saint-Jacques offriront, dans les années 1950-1970 un service à la clientèle de Saint-Jean. Ils sont nécessaires en cette période d’étalement urbain où le transport en commun n’est pas développé.

Plus significatifs sont les enseignes commerciales de commerces appartenant à des filières étrangères. Nous avons déjà rencontré la plus vieille, Woolworth, mais d’autres enseignes en lingerie et mercerie viennent rivaliser avec les commerçants de l’endroit. Greenberg’s loge dans l’ancien immeuble et entrepôt Langlois, angle nord-est de la rue Richelieu et Saint-Jacques; United Stores (plus tard People’s) ayant des portes d’entrée sur Richelieu et Champlain; Trans-Canada, Chaussures Cité et Yellow Shoes mènent une concurrence aux magasins locaux tels Cinq-Mars et Marcel. Steinberg’s angle nord-est Richelieu et Saint-Georges est la première grande épicerie de style américain des années 50 à s’établir à Saint-Jean. C’est déjà une grande surface. Les marchés d’alimentation Spot (anciennement A&P) et I.G.A. sur Mayrand, Dominion érigé sur l’ancien site de la salle Poutré (Jacques-Cartier nord) et pratiquement toutes les petites épiceries de Saint-Jean sont entrés sous une bannière provinciale y compris les québécoises Richelieu, Métro, plus tard Provigo. Les avantages à se placer sous une bannière? Meilleur approvisionnement, soutien financier en cas de pépin, publicités à la radio et à la télévision qui donnent une visibilité inespérée, production de circulaires qui passent de la feuille de gazette simple à des circulaires colorées et affriolants autant au niveau des produits que des prix. La maison Roger Croteau s’établit d’abord sur la rue Champlain (l’édifice Idéal) puis occupe l’ancien Steinberg’s lorsque celui-ci aménage dans un nouveau centre d’achat sur le boulevard du Séminaire. L'inauguration se fait d'ailleurs en grande pompe, à la radio, avec le monologuiste Gilles Pellerin.


Vers 1966, la partie ouest du Boulevard du Séminaire était encore de la savane, des terrains humides, souvent marécageux avec, entre Saint-Luc et Saint-Jean, des boisés. On y voyait même des renards venir rôder autour des maisons. C'est tout au long de cet axe que naîtront de vastes projets immobiliers à partir de la rue Saint-Jacques, entre le cimetière et le nouveau viaduc du Canadien National. En 1966, l’enseigne I.G.A. établit sa première grande surface (Quincaillerie Berger depuis 1972) située à l’arrière du complexe de la Singer. Puis, des multinationales de restauration rapide font leur apparition sur le chemin menant à la montée Saint-Luc ou à l’axe routier qui empreinte le pont Félix-Gabriel-Marchand pour se rendre à l’autoroute des Cantons de l’Est : MacDonald’s, Colonel Sanders, Dunkin’s Donuts, Ponderosa (puis Red Lobster’s), etc. Des stations services, indispensables, se multiplient. Le Boulevard du Séminaire devient non plus seulement un axe routier, mais un axe de développement économique, surtout après 1969 et 1970 lorsque sont construits l’Hôpital du Haut-Richelieu et la Polyvalente Armand-Racicot. Il devenait évident que les nouveaux centres d’achat ne tarderaient pas à les suivre.

La Place Saint-Jean d'abord, le premier multiplex qui, pour l'époque, situé à l’angle nord-est des rues Saint-Jacques et Boulevard du Séminaire, fait sensation, imité de ces centres d'achat américains de Plattsburgh, dans l'État de New York, est apparue presque aussitôt trop modeste - avec son Hypermarché et son Bonimart -, lorsqu'on érigea d'autres grands centres multiplex, plus au nord. Ainsi, les Galeries Richelieu (1974) ayant à chaque extrémité du multiplex, un Woolco et le Steinberg’s. Les Galeries sont bientôt dépassées par le Carrefour Richelieu, situé sur Pierre-Caisse, à l'entrée de la ville, sortie de l'autoroute des Cantons-de-L'Est, avec son Super C (affilié à Provigo), Sears, Target et Winners. La multiplication de ces grandes surfaces remonte jusqu’aux limites des Tissus Richelieu et des silos à grains sur la ligne de chemin de fer du Canadien Pacifique.


Le projet Westcliff, le dernier en date des grands centres d'achat, à la fin des années 1970, cause un ultime remous auprès du Conseil municipal, lorsque les commerçants de la grand'rue veulent empêcher la construction de cette mégastructure commerciale qui accentuerait la désertion du centre-ville. La structure architecturale de ces centres d'achat est partout la même : une puissante entreprise - Steinberg’s et Woolco au départ, qui ont cédé leur place par après à Métro et Zeller's, avant que ledit Métro aille s'établir dans son propre édifice (et ferme ses portes!) et le Zeller's au Carrefour Richelieu -, comme un soleil double, attirent par gravitation, des petits commerces locaux qui logeaient jadis au centre-ville. Ces petits commerçants paient un prix fou pour un espace en location afin d'essayer de survivre à l'ombre des géants. La faillite du premier établi entraîne sa fermeture, puis la location pour un autre projet commercial, qui finira quelques mois, quelques années plus tard, à son tour, en faillite, and so on. De plus en plus, ces petits commerces deviennent des chaînes de produits à rabais. Parmi la centaine de commerces qui gravitent autour du Zeller's au Carrefour Richelieu, on retrouve bien un Future Shop, un Home Depot, un Pharmaprix - le Jean-Coutu est resté dans son propre bâtiment sur le Boulevard du Séminaire nord après avoir fermé sa succursale du Centre-Ville -, une SAQ Sélection, mais aussi un Dollorama et autre Village des valeurs. Autant de franchises d'entreprises nationales ou multinationales qui, pour être entre les mains d'administrateurs johannais, n'en dépendent quand même pas moins de capitaux étrangers à la région. À l'extérieur, ne survivent plus que de petits commerces, des dépanneurs, des pharmacies locales, des garages automobiles, tous indépendants. Saint-Jean entrait définitivement dans l’ère du prêt-à-porter …et à consommer. Ce déplacement signifiait la mort de la grand'rue. Comme toutes les rues principales des petites villes d'Amérique du Nord, la rue Richelieu déclina bien vite après 1980. Avec les centres commerciaux périphériques, le centre-ville devint le «Vieux Saint-Jean» comme on le dénomme depuis, prenant l'aspect d'un quasi ghost town, au point que des réalisateurs d'Hollywood vinrent y tourner la série Lassie. De même, le pont Gouin devient un pont desservant des centre-villes étiolés, alors que le nouveau pont Marchand, érigé en 1958 et ouvert à la circulation en 1966, permet de contourner les deux villes sans les traverser.

Les commerçants johannais ont résisté tant qu’ils ont pu à la concurrence des grandes surfaces et des Multiplex. Ils ont même essayé d’importer le modèle. Après la démolition de la Corticelli, on érige un mini centre d’achat (les Galeries du Centre-Ville) sur la rue Richelieu qui est un échec commercial complet. C’était verser du vin nouveau dans une vieille outre. Tout le pan est de la rue Richelieu éclata définitivement sous le pic des démolisseurs, ce qui fut en soi une bonne chose. Le Vieux Saint-Jean doit se redéfinir en partant d'une nouvelle conception urbaine.

L’affaire Westcliff. Le débat autour de l’implantation du Carrefour Richelieu dans les années 1980 est peut-être oublié aujourd’hui, mais on ne doit pas sous-estimer l’importance qu’il a eue dans le destin de la ville pour autant. Nous avons relevé qu’au début des années 1970, des multiplex s’installaient dans la ville de Saint-Jean. Ces nouveaux centres commerciaux inquiétaient les commerçants du centre-ville, mais l’abcès n’éclata qu’au printemps 1979, lorsque la compagnie Westcliff parla d’acheter le terrain où s’élève aujourd’hui le Carrefour Richelieu. Westcliff - une firme affiliée aux Bronfman -, se spécialise dans un premier temps à dénicher des terrains à proximité de grandes villes où ériger une grande surface commerciale. Dans un deuxième temps, Westcliff offre de louer des parcelles de son centre d’achat à des super-marchés ou des chaînes de vêtements griffés. Westcliff lorgne donc un terrain situé dans le quartier nord de la ville. Or, un règlement voté en Conseil municipal, le règlement n° 508, établit un plan de zonage du quartier nord afin de limiter le développement industriel et commercial anarchique qui commence à se dessiner. Si Westcliff veut établir son centre d’achat, il lui faut passer par le Conseil et obtenir le dézonage du quartier réservé au développement résidentiel.

Le maire Beauregard est évidemment enthousiaste au projet. Suffit d’abolir le règlement n° 508 par un autre règlement : «Le premier de ces règlements, numéro 1217, fut adopté le 17 février 1975 et fut annulé le 21 décembre (1978) par le juge André Biron. Le deuxième, le règlement numéro 1547, adopté le 7 mai, bien que la ville avait déjà porté ce jugement en appel, fera l’objet d’un référendum le 27 juin (1979), grâce à l’initiative de 216 contribuables qui se sont enregistrés, en dépit des intimidations de l’administration municipale, pour exiger la tenue d’un scrutin».[6] Ces 216 contribuables - des commerçants du centre-ville - commencent à craindre l’impact de l’implantation de cette mégastructure commerciale si loin à l’extérieure de la ville. Deux sociétés commerciales sont d’ailleurs prêtes à venir opérer à Saint-Jean : Sears de Chicago et 91834 Canada Ltd (nom donné pour une incorporation rapide) manifestent le désir de s’installer au Carrefour Richelieu. Certes, on a pas à discuter à savoir si le maire Beauregard a reçu un beau cadeau de la part de Westcliff ou si les commerçants du centre-ville ne sont pas financés en sous-mains par les autres centres d’achat du boulevard du Séminaire, mais seulement ce que signifie cette mégastructure commerciale à l’apogée du déplacement géographique du centre-ville.

Les défenseurs du projet Westcliff entendent, disent-ils, lutter contre la morosité qui baigne la ville. C’est ce que doit trancher le référendum du 27 juin 1979 en se prononçant pour ou contre le règlement 1547 amendant le règlement 508 et autorisant le dézonage du quartier nord. Les débats sont acrimonieux de part et d’autre. Le maire Beauregard reconnaît que l’affaire va laisser certaines cicatrices, tandis que le conseiller Galipeau, outré, outragé et insulté, déclare qu’il y a même des gens qui nous ont accusés d’avoir été acheté, ce qui se passe de commentaires.[7] Toute une campagne de OUI et de NON s’étalant sur des pages entières du Canada-Français se diffuse durant des semaines avant le vote.

La propagande du NON, soutenue par le Comité pour la Sauvegarde du Patrimoine qui se porte à la défense des commerçants de la rue Richelieu et du centre-ville, interpelle le pôle affectif, la sentiment d’appartenance des Johannais. Il s’agit de prendre les électeurs par les tripes. La propagande du OUI, pilotée par le Conseil municipal et la Westcliff, lancent des chiffres ronds illustrant les avantages que les Johannais tireront de son implantation. Le NON va de l'indignation aux larmes; le OUI suggère des additions et des multiplications de chiffres toujours plus big. Les commerçants partisans du NON affichent des posters verts dans leurs vitrines du centre-ville avec le slogan : Ici, on aime Saint-Jean! Ils dénoncent le château de cartes affiché par Westcliff et la firme Sorès : 900 emplois permanents, $ 1 000 000 en revenus municipaux et les "bons prix" pour les consommateurs, par ce qu'ils soulignent comme étant la réalité selon Cogem et la Chambre de Commerce : 245 à 280 moins le transfert d'emplois des villes voisines, $ 300 000 moins le coût des services municipaux et la croissance des prix de détail.

Sorès et Cogem sont des firmes chargées de faire des études de marché. Alors que Sorès se prononce en faveur de Westcliff, Cogem, commandé par la Chambre de Commerce de Saint-Jean, prévoit des retombées économiques négatives à moyen et à long termes : baisse des profits et les fortes possibilités de faillites :
«"En plus de la perte de valeur commerciale et immobilière de $ 12 à $ 16 millions dans les autres commerces de Saint-Jean, il semble évident que l'on assistera à un transfert des leviers économiques et du pôle commercial dans l'environnement immédiat du nouveau centre commercial, ce qui engendrera une incapacité probable de financer des réaménagements majeurs ailleurs dans Saint-Jean et particulièrement dans son centre-ville", d'expliquer le directeur (Philippe Sauvé, de Cogem)».[8]
Selon la même firme, les revenus municipaux seront inférieurs à $ 300 000 contre le un million avancé par Westcliff et seulement 280 des 750 à 800 emplois promis par la Compagnie pourront être remplis, les 600 autres n'étant que des transferts de l'intérieur de Saint-Jean tandis que la création d'emplois indirects sera très faible. Comme Westcliff ne vient pas s'établir dans Saint-Jean pour créer de nouveaux emplois, mais pour se faire du capital à elle et à ses affiliés, il est à peu près certains que ces 245 à 280 emplois seront fragiles et ne couvriront qu'une période de temps limitée. Qu'advienne une crise sur le marché, et ni Westcliff, ni Sears ne garantiront les 750 à 800 emplois promis!

Par contre, l'une des conclusions intéressantes de la firme Cogem est de remettre les pendules à l'heure. D'un côté, ce ne sera pas l'apocalypse annoncée par les marchands et ce que promet le Conseil municipal ne parviendra jamais à éponger les dégâts faits au centre-ville. Cogem confirme que 1e) le centre-ville perdra entre 20% et 25% de son volume d'affaires alors que les centres Woolco et Bonimart encaisseront une diminution variant de 40% à 50% : ce sont donc eux les plus grands perdants de l'implantation de Westcliff; 2e) La baisse du volume d'affaires dans le centre-ville se reflètera sur certains secteurs (vêtements et chaussures pour dames, bijouterie, quincaillerie usuelle du foyer, petits appareils et accessoires électriques, etc.), les items de magasinage en particulier, tandis que les magasins d'accommodation ne seront que très peu affectés; 3e) Il n'y aura pas de fermetures massives des commerces du centre-ville et les baisses d'achalandage seront compensées par une réduction du personnel et une augmentation des heures de travail; 4e) Les effets négatifs à moyen et à long terme seront toutefois plus importants par la fin de la construction ou du réaménagement au centre-ville dont la vocation commerciale sera à la baisse; 5e) Ce seront les petits marchands indépendants qui souffriront le plus de la perte du volume d'affaires, les chaînes coopératives possédant les moyens financiers pour maintenir leurs opérations, les marchands locaux seront ceux qui pourront vraiment être poussés à la faillite. Bref, devant ces conclusions ambivalentes, la Chambre de Commerce reste apparemment neutre. L'ironie du sort veut que Westcliff ressorte une étude réalisée par la même firme, Cogem, 2 années plus tôt, en 1977, et dont la conclusion se montrait favorable au projet d'implantation d'un centre d'achat, après enquête réalisée auprès de 6 autres centre-villes.

Entretemps, le Comité pour la Sauvegarde du Patrimoine fait des pieds et des mains. Comme ce Comité n'a guère fait parler de lui avant l'affaire du quartier nord, on s'interroge sur sa sincérité. Il se découvre une vocation pour l'intérêt patrimonial des vieilles demeures du centre-ville. Lors de la démolition du château d'eau, on ne l'a pourtant pas entendu! Le Mouvement écologique du Haut-Richelieu, pour sa part, cri vengeance pour les boisés rasés lors des travaux préliminaires à l'installation des 300 000 pieds² de plancher de Westcliff. Tous les marchands du centre-ville avouent leur penchant pour le patrimoine historique. Personne ne peut se leurrer sur les intérêts fondamentaux qui se cachent derrière ces actes de foi. Une propagande plutôt mal organisée, émotive, parfois grotesque finit par engendre le ridicule dans la propagande du NON.

Le Parti Québécois tient un congrès de ses hautes instances à la Polyvalente Armand-Racicot une semaine avant la tenue du scrutin. Les membres du comité du NON veulent en profiter pour sensibiliser députés et ministres présents par des macarons NON. À la veille de la tenue du référendum sur la Souveraineté-Association, plusieurs d'entre eux ont dû se demander «Non… à quoi?» Le député péquiste, Jérôme Proulx, resté silencieux tout au long de la campagne, se déclare à l’issu de l’affaire qu’«ayant toujours été personnellement favorable à ce que l’implantation du centre commercial régional Westcliff soit retardée de manière à permettre au centre-ville de réaliser des projets de revitalisation, le député du comté de Saint-Jean à l’Assemblée nationale du Québec, M. Jérôme Proulx, est d’avis que "la population s’est exprimée de façon décisive en faveur du centre commercial lors du référendum"».[9]

Le OUI a-t-il remporté l’issu du scrutin par sa campagne positive? Une campagne froide, rationnelle, pragmatique s’est-elle imposée de soi? Alors que les marchands du centre-ville font preuves d’archaïsme en invoquant le passé perdu à tout jamais, Westcliff fait preuve de futurisme en parlant chiffres et d’avenir. Westcliff sait qu’elle s’adresse à des propriétaires habitant le quartier nord qui verront la valeur de leurs propriétés monter avec la venue du centre d’achat. Outre les chiffres affriolants, le comité du OUI s’appuie sur 2 études de marché accomplies à leur compte : Effet de l’arrivée d’un nouveau centre d’achat sur les marchands locaux, effectué par la même firme Cogem en 1977 et dont il a déjà été fait mention (ce lapin tiré du chapeau de Westcliff), et Impact économique du centre commercial de Saint-Jean effectué par Sorès. Le directeur-général de Westcliff Management Ltd, Jacques Tremblay, ne sent qu’une épine plantée dans son pied : la quasi ruine de nombreux marchands du centre-ville de Saint-Jérôme après l’implantation d’un projet Westcliff local. Aussi, M. Trépanier, de Westcliff, tient-il à souligner que la valeur moyenne des transactions immobilières dans cette ville est passée d’un taux de croissance de 18,4% de 1973 à 1977 et dont 5% ou 6% sont directement attribués à l’implantation du centre commercial. Les opposants ne tardent pas à crier à la spéculation immobilière anarchique.

À Saint-Jean, un Comité du OUI reçoit 500 appuis écrits de personnes différentes et prévoit faire un recrutement de 1 000 noms. Ce Comité du OUI, dirigé par Roger Lalanne, s’oppose au Comité de la Sauvegarde du Patrimoine dirigé par Pierre Fraser, élu président au début de l’affaire. Une fois les arguments du OUI et du NON connus, les 1 654 propriétaires des quartiers nord et Saint-Gérard (en partie) votent le matin du 27 juin 1979 à l’école Sainte-Jeanne-d’Arc, sur le Boulevard du Séminaire, où 6 boîtes à scrutins les attendent. 216 d’entre eux se sont opposés à la refonte du zonage et doivent maintenant répondre à la question : Êtes-vous d’opinion que le règlement numéro 1547 amendant le règlement numéro 508 et le plan de zonage de la ville quant au zonage, à la construction, son usage et celui du terrain doit être adopté? Oui, ou Non? C’est Oui. Exactement 1 032 électeurs donnent leur accord à l’adoption du règlement de dézonage tandis que seulement 227 s’y opposent et 34 bulletins annulés sur les 1 293 personnes qui ont voté. Ce qui signifie à 79,81% du vote et une majorité de 805 voix, le OUI autorise la construction de ce qui deviendra le Carrefour Richelieu. Un commissaire envoyé par le ministre Tardif a même observé la votation d’un œil vigilant. Des gens pour le Comité de la Sauvegarde du Patrimoine formaient un comité d’accueil tandis que de l’autre côté de la rue, dans le garage d’une résidence d’un proche du directeur-général de Westcliff, Jacques Trépanier, des membres du Comité du OUI, des représentants du Conseil municipal et des membres de Westcliff scrutaient, avec des jumelles, les votants et les allés et venus des opposants. Jusqu’à sa toute fin, l’affaire aura eu les apparence d’une guerre civile d’opérette.

À l’annonce du dépouillement du scrutin, les administrateurs de Westcliff se retrouvent dans un restaurant de Saint-Jean autour de leur président, M. Irwin Adelson, afin de fêter la victoire. Moins d’une semaine plus tard, la compagnie Sears - que les marchands du centre-ville avaient contacté afin de lui suggérer de venir s’établir dans le centre-ville - et 91834 Canada Ltd obtiennent le fameux permis de construction de la Ville de Saint-Jean. Le Carrefour Richelieu sera construit au coût de $ 2 100 000. Les travaux débutent à la fin d’août 1979 et les premières entreprises de grande surface ouvrent leurs portes le 15 août 1980.

Pour Roger Lalanne et le Comité du OUI : «La raison a triomphé. Les gens n’ont pas marché dans la campagne du Comité de sauvegarde du patrimoine et des autres opposants qui ont joué sur les sentiments de la peur en présentant des arguments mélodramatiques comme les enfants écrasés, la Brink’s et le mur de Berlin».[10] Pour les conseillers municipaux et le maire Beauregard, c’est un verdict clair, les vainqueurs de consoler les vaincus en déclarant, avec Roger Denis : «Le centre-ville ne sera pas mis de côté; il faudra que les marchands nous rencontrent et nous disent ce qu’ils veulent avec un plan précis».[11] Et le maire Beauregard de renchérir, malgré les cicatrices : «Notre victoire ne signifie pas qu’on va refuser de dialoguer avec le centre-ville. Si on demande de nous rencontrer, on va le faire».[12] Pour Yvon Aubé, président de l’Association des marchands du centre-ville, il faut se résigner à attendre «un geste positif de la part du Conseil municipal». Les partis vont donc s’entendre pour gérer l’inéluctable : la décroissance inévitable du centre-ville.

Non sans opportunisme, le député Jérôme Proulx déclare : «je crois d’ailleurs que la procédure du référendum était la meilleure puisque ce sont les citoyens concernés de Saint-Jean au lieu des hommes politiques qui ont permis la réalisation du projet».[13] Un tel laconisme était de mise dans le contexte de l’avant-campagne référendaire de 1980. Jean-Paul Bolduc, le jeune président de la Chambre de Commerce de Saint-Jean, se félicite de son rôle d’informateur dans cette affaire, tandis que Charles Binette, président de la Corporation du centre-ville de Saint-Jean déclare que les résultats du référendum inciteront les hommes d’affaires locaux à travailler plus ardemment au projet de réaménagement du Centre-Ville. Le seul organisme frappé à mort à l’issu de la campagne est le Comité pour la Sauvegarde du Patrimoine. Pierre Fraser - qui n’a tenu qu’un mois le siège de la présidence du Comité - et tous les marchands du centre-ville membres démissionnent en bloc. Le patrimoine ne semble plus les intéresser. Le Comité bénéficiait pourtant d’une somme d’environ $ 125 000.

Que conclure de l’affaire Westcliff? En fait, de toute la campagne de presse qui entoure l’affaire, seulement 2 textes sont intéressants et assez intelligents pour permettre de comprendre les enjeux de la confrontation. Une lettre ouverte signée Benac : Pour ou contre un centre Westcliff : une argumentation encore incomplète, parue dans Le Canada-Français du 20 juin 1979, pp. 68-69, et l’éditorial de Richard Lafontaine dans l’édition du Canada-Français du 27 juin 1979, et tout simplement intitulé : Non.

Benac se veut le médiateur du débat. Il passe en revue les principaux arguments pour et contre. Il souligne la baisse du chiffre d’affaires des marchands du centre-ville, la conséquence directe de la perte de valeurs des propriétés et la lutte inutile contre les centres d’achat dans les autres villes qui ont déjà tenu le même débat :
«Ce qui me chagrine cependant, c’est que ces mêmes marchands suivent la ligne de conduite qu’on leur donne de Saint-Jérôme… "Battez-vous contre Westcliff plutôt que d’investir à revitaliser votre centre-ville…"
C’est le monde à l’envers, la mort de l’esprit d’entreprise, le recours à un conservatisme tranquille, précurseur de faiblesse économique. Les P.M.E. du Québec ne sortiront jamais de leur enlisement avec une telle mentalité».[14]
C’est là pointer du doigt l’effet du trauma de la Singer. De plus, il souligne que de toute évidence, M. le Maire charrie quelque peu. Il rappelle également que «le coût de location dans les centres d’achat est très élevé. Les marchands doivent donc prélever une marge brute conséquente, ce qui présage du prix plus élevé» (et des salaires à la baisse). La concentration géographique du pouvoir d’achat dans un même espace provoquera un achalandage, oui, mais ce n’est pas là un indicateur sûr des ventes qui seront effectuées :

«Pour ce qui est des services municipaux, il faut être juste. Westcliff paiera selon toute vraisemblance, pour les services dits de répartition locale au même titre que les autres propriétaires. Quant aux autres, je pose la question : est-il plus aisé pour la police de surveiller 90 magasins dans une même bâtisse ou 90 magasins répartis le long de quelques pâtés?

Est-il plus aisé d’administrer un compte de taxes de $ 300 000 ou $ 500 000 que 30, 40 ou 50 de $ 5 000 ou $ 6 000 chacun? Il est de notoriété publique que contrairement au développement unifamilial, le développement commercial ou industriel est rentable pour l’ensemble des citoyens d’une ville. Peut-être ne réduit-il pas les comptes de taxes des petits propriétaires mais il aide sûrement à en adoucir les augmentations».[15]
À propos de l’argumentaire de la sauvegarde du patrimoine, Benac accuse les marchands du patrimoine de camoufler les vénérables bâtisses derrière des affiches commerciales souvent de mauvais goût, accompagnées de devantures moins qu’intéressantes. Les marchands du centre-ville ne se sont jamais préoccupés du patrimoine insiste-t-il. Depuis quelques années, les édifices historiques tombent sous le pic des démolisseurs : l’école Dorchester, le vieil hospice, la Belding Corticelli Silks et maintenant le réservoir municipal. Puis l’auteur effleure seulement l’antagonisme capital régional/capital étranger :
«Dans cette même veine, on soulève le problème de la prise en main de l’économie locale par des étrangers. Ce danger est sans contredit réel. Cependant, de condamner le centre d’achat sans procès, c’est présumer de la composition des marchands qui s’y établiront sans savoir combien de marchands locaux y loueront des espaces?… Je ne le sais pas et je doute que même Westcliff le sache. Il y en aura certainement plus qu’on pense. À tout égard, on doit reconnaître que les deux mass marchandiser qui seront sur place attireront une clientèle importante dont des marchands locaux tireront profits».[16]
Devant les nombreuses soumissions de restructuration du centre-ville, beaucoup de projets ont été soumis, mais aucun n’a été retenu ni réalisé, bref : pour le groupe de défense du patrimoine, le patrimoine se résume à leur chiffre d’affaires! Le centre-ville se laisse vivre sans accomplir rien de spectaculaire. Entre un taux de population qui augmente de 14% et une structuration commerciale déficiente, Westcliff réalise qu’il y a un marché à constituer à partir des exemples du Mail Champlain ou des Promenades de Saint-Bruno. «Le centre Westcliff s’inscrit donc dans une croissance urbaine normale pour notre ville», et les bénéfices pour les Johannais sont la possibilité de magasiner en micro-climat contrôlé, un investissement de l’ordre de $ 25 000 000, le rapatriement probable d’une part des ventes qui glissent vers la Rive-Sud, un stationnement de 2 500 places et… de la spéculation immobilière. Comme on le voit, les conséquences relevées par Benac indiquent bien qu’avec Westcliff, Saint-Jean ne vivra pas un nouvel Âge de Prestige, mais seulement un Été de la Saint-Martin qu’on aura vite oublié après 10 ans. Benac conclut en suggérant de voter OUI et en souhaitant une restructuration nécessaire du centre-ville afin de résister et de soutenir la concurrence du nouvel intru.

Le rédacteur en chef du Canada-Français, Richard Lafontaine, a une toute autre opinion tout en analysant le projet en profondeur. Comme Benac, Lafontaine souligne l’aspect fataliste de l’implantation d’un centre d’achat dans la région : «Ça n’excuse cependant ni les uns ni les autres pour leur manque de vigilance, l’administration Beauregard pour son aplaventrisme, le Comité de sauvegarde du patrimoine et le Mouvement Écologique du Haut-Richelieu pour leur intervention tardive, leur incapacité de proposer une solution de rechange raisonnable et sérieuse».[17]

Pour Lafontaine, il s’agit de se prononcer contre Westcliff, non parce que c’est Westcliff Limitée qui tente d’agrandir son cheptel de centres commerciaux mais sans doute parce que c’est l’administration Beauregard qui nous mène trop tôt et trop vite, vers l’inconnu sans aucune garantie du contraire et oublie de nous dire l’essentiel. Ni non plus par chauvinisme ou par une conception ambiguë de l’environnement, comme certains opposants au dézonage», mais il arrive à cette conclusion lorsqu’il s’interroge sur les 5 ou 10 prochaines années de l’histoire de Saint-Jean : un dézonage sauvage de la région nord pour l’établissement de commerces successifs; restaurants, bureaux, hôtels, motels de prestige qui voudraient s’établir près du géant et profiter de son achalandage; le trafic routier transféré du Boulevard du Séminaire au Boulevard Grand-Bernier, devenu voie de ceinture et relié à l’échangeur d’Ouest en Est; enfin, le recul constant du territoire agricole protégé dans la zone sud. Ainsi les quartiers nord et ouest se verront largement modifié par l’implantation du nouveau centre d’achat. Les prémonitions de Lafontaine devaient s’avérer justes avant moins des dix années prévues, surtout lorsque le ministre fédéral Bissonnette négociera l’implantation d’Oerlikon dans le quartier sud-ouest de la ville.

Si ce long détour autour de l’implantation d’un promoteur de centres d’achat est si important, c’est qu’il confirme l’effet persistant du trauma de la Singer. Le projet Westcliff est aussi gigantesque pour les gens de Saint-Jean que l’était l’implantation de l’usine de machines à coudre en 1906. Plus directement, il prend en otage les commerçants du centre-ville afin qu’ils quittent la rue Richelieu ou la rue Champlain pour aller s’établir, en satellites, autour des grandes surfaces qui sont les locomotives du commerce. Le coût de location élevé des boutiques, l’augmentation des prix de la marchandise, la concurrence inégale avec les prix des géants de l’alimentation ou de la mercerie, le rythme de travail imposé aux employés et les aléas du marché fragilisent des commerces qui existent souvent depuis plus d’un siècle et qui se sont transmis d’un propriétaire à l’autre, ou souvent dans une même famille. La passivité d’un Conseil municipal qui calcule les fruits de la taxation immobilière, la maladresse de marchands qui font appel à des sentiments liés à un patrimoine qu’ils ont été les premiers à négliger depuis soixante ans, le manque de créativité et d’imagination pour revitaliser le centre-ville, tout cela dénote un comportement qui trahit le manque d’auto-détermination des édiles de la société johannaise dans le choix du réaménagement de son territoire.

La longue agonie de la Singer. Après la Seconde Guerre mondiale, Saint-Jean est peuplée, selon le recensement de 1951, de 19 305 habitants. La même, année la ville subit la grève la plus importante de son histoire : celle des 2 500 employés de la Singer. Ce vaste complexe n'a jamais cessé de se modifier, surtout dans les années qui suivent la guerre :
«L'usine occupe l'espace le plus important du complexe Singer. Elle est constituée de nombreux départements qui servent à la fabrication des différentes composantes de la machine à coudre : les aiguilles, les meubles de la machine à coudre, les têtes de machines en fonte, etc. Une section de l'usine sert même d'entrepôt pour les pièces et les cabinets. Au fil des années, plusieurs départements subissent des modifications. Toutefois, c'est après la Deuxième Guerre mondiale qu'un réel effort de modernisation et d'amélioration est entrepris. En effet, durant ce conflit mondial, Singer avait été adaptée pour fabriquer du matériel de guerre. Après 1945, l'usine doit redevenir fonctionnelle pour la fabrication de machines à coudre. Les dirigeants en profitent pour moderniser les installations. Parmi les transformations et/ou ajouts les plus importants, soulignons ceux-ci : 1947 : on ajoute une nouvelle section de réception de 90 pieds par 40 pieds. Elle permet de relier la machinerie au département d'emballage. Cette nouvelle partie est équipée de plates-formes pouvant recevoir à la fois quatre camions et un wagon de chemin de fer. On y aménage également un nouvel entrepôt d'emballage sur la rue Saint-Louis. 1948 : construction d'un entrepôt pour l'acier. Sa plate-forme intérieure permet le chargement des wagons et des camions. On y retrouve également un pont roulant pouvant supporter jusqu'à 3 000 livres. 1949 : une nouvelle fonderie est construite à proximité de l'ancienne. Elle est bien aérée et équipée de convoyeurs à rouleaux qui réduisent de moitié la manutention et les efforts physiques. 1949 et 1950 : deux garages sont construits. Un est utilisé pour les camions et les voitures des membres de l'exécutif de la compagnie et sert à leur entretien. L'autre abrite les locomotives et la grue mécanique. 1952 : construction d'un entrepôt pour le bois d'œuvre à proximité de la cabinetterie. Il est équipé de voies intérieures de chargement et d'un système de contrôle de l'humidité du bois qui arrive du chantier de coupe de Thurso. Ce système élimine l'empilage du bois dans la cour, le séchage et parfois même le machinage.
Les rénovations effectuées entre 1946 et 1952 ont coûté six millions de dollars. Ce montant inclut également l'installation d'équipement pour la production des moteurs électriques des machines à coudre. À la suite de cette modernisation, l'usine Singer de Saint-Jean passe d'une superficie de 580 000 pieds carrés à 900 000 pieds carrés et atteint des records pour l'emploi et la production : les machines à coudre de Saint-Jean sont expédiées dans 48 pays. Cependant, les rénovations et la modernisation ne touchent pas tous les départements. En effet, les dirigeants ne rénovent pas les sections dont l'élimination est prévue à plus ou moins long terme. Par exemple, en 1954, le département des aiguilles est fermé et l'outillage est transféré en grande partie au Brésil et la balance du stock en Allemagne. La même année, le département des navettes (shuttles) et celui des pattes d'acier sont transférés respectivement au Brésil et en Écosse. En 1960, la cabinetterie et le département des mallettes, rénovés depuis peu, sont déménagés à Thurso. Le démantèlement progressif de Singer Saint-Jean suivra quelques années plus tard et marquera le début de la fin pour l'usine johannaise».[18]
Dans le catalogue des grandes grèves de l’époque, celle de la Singer tient une place toute relative. Certes, les revendications économiques ont été l’enjeu de l’affrontement, mais il est possible de saisir la grève comme une réaction longtemps refoulée des travailleurs de Saint-Jean à l’endroit de l’usine. Nous l’avons maintes fois soulignées : son gigantisme monumental, la vaste étendue de ses planchers, le personnel considérable qui y travaille créent une atmosphère suffocante à la Métropolis. Certes, les photographies nous montrent le côté sympathique de la vie ouvrière à la Singer : le petit tramway, le hangar sur le quai aux écluses du canal, les rails sur la rue Saint-Paul, les parades de la Saint-Jean-Baptiste… Mais la Singer étouffe Saint-Jean et les ouvriers en ont été les premiers à sentir les effets nocifs contrairement à la bourgeoisie locale qui ne percevait rien de son drame intérieur. Même dans une ville où le pourcentage d’accroissement sera de 14.2% entre 1961 et 1971, la Singer restait cette ombre pesante qui s'étendait sur la ville. Avec les années 70, le son de son sifflet commence à ressembler de plus en plus à un glas. À cette époque, 500 personnes s’occupent de la fabrication des machines à coudre. Il ne reste plus rien du tramway, des rails et du quai au canal de Chambly. Sur la façade de l’aile droite, face à la rue Saint-Louis, le nom de Croydon remplace celui de Singer. L'immense plancher de l’usine, en effet, est partagé depuis 1952. Croydon, multinationale pennsylvanienne occupe la moitié du complexe industriel. L’usine Singer de Saint-Jean fermera ses portes le 31 mars 1986, même si la compagnie exploite encore une centaine de filiales partout dans le monde, mais elle approche de la faillite. Dans la tourmente, le fonds de pension des travailleurs sera emporté, ce qui causera un véritable scandale social pour le Québec tout entier.

Les faits en litige se sont produits entre 1947 et 1986, lit-on dans le document de la cour. Les retraités reprochent au régime de Pensions du gouvernement du Canada de verser les surplus de la caisse de retraite de Singer à la compagnie plutôt qu'aux employés, malgré la police collective signée qui a été découverte beaucoup plus tard. On estime le nombre de retraités encore vivants à 50 et leur âge moyen se situerait autour de 87 ans. Vingt ans plus tard, soit le 9 mars 2006, après un long et très coûteux processus judiciaire, près de 600 retraités ou leurs héritiers, après avoir intenté un recours collectif évalué à 8,2 millions de dollars, obtiennent du gouvernement du Canada un règlement à l'amiable dont les termes de l’entente sont demeurés confidentiels. À lui tout seul, l’effondrement de la Singer illustre assez bien la bascule de l’auto-détermination régionale à la «succursalisation» opérée à partir du début du siècle à Saint-Jean-sur-Richelieu, comme de nombreuses petites villes du Québec. La morale de cette histoire montre la fragilisation d'une localité de se retrouver en état de satellisation par des entreprises venues de l’étranger.


Les Longtin et les Savoy. Dès la fin de la crise, de petites entreprises industrielles se développent dans la région. En 1938, les Carrières Bernier Limitée, œuvre d’Eugène Ouimet, sont fondées :
«La production de pierres concassées est la principale source des carrières. On extrait du terrain d’une centaine d’arpents carrés et jusqu’à une profondeur de 100 pieds une quantité considérable qui atteint 1 million de tonnes par année, et l’on nous dit que la masse de roc est suffisante pour un approvisionnement semblable pendant de nombreuses années.

En plus de la pierre, les Carrières Bernier se chargent de la pose d’asphalte et de la construction de routes et de production de béton destiné principalement aux chantiers de construction».[19]
C’est avec Philodor, le fils d’Eugène Ouimet, que l’entreprise devait prendre un prodigieux essor. Aujourd'hui, les carrières opèrent sous le nom de P. Baillargeon Lte.

En 1942 est fondé Héroux Limitée, entreprise principalement établie à Longueuil, mais dont une branche est située à l’aéroport de Saint-Jean. Les entreprises Héroux sont reconnues pour avoir complété avec succès des contrats de livraison de trains d’atterrissage, équipant tous les modules lunaires de la NASA dans le projet Apollo. L’entreprise se divise en 2 sections bien définies : l’atelier mécanique et l’atelier hydraulique.

Deux familles d'industriels locaux ont particulièrement bien passé la période de la crise et de la Seconde Guerre mondiale : les Longtin et les Savoy. Georges Arthur Savoy (1873-1951) nous est déjà connu comme le fondateur de la Dominion Blank Book en 1921, son fils Harolde J. (1900-1977) prendra la succession en 1946. Les Savoy sont surtout connus pour leur participation à la fondation du Centre Lucie Bruneau pour les gens souffrant d'épilepsie et autres maladies cérébrales. Comme le clergé tenait à ce que le centre demeure spécifiquement catholique, Savoy s'opposa au sectarisme de l'institut. Il mena campagne pour que les portes du centre soient ouvertes à tous ceux qui en avaient besoin. L'industriel se transformait en philanthrope. Malgré sa forte personnalité, Lucie Bruneau ne put faire chanter le clergé d'avis. Sur le fait, George Savoy fut frappé par un drame personnel. Son fils, le major Paul Savoy, membre des Fusillers Mont-Royal fut tué dans le désastreux raid sur Dieppe (1942). C'est alors qu'il décida de fonder le Foyer Dieppe, le 12 novembre. Le soir de l'inauguration, Savoy fit un discours dans lequel il affirma que le Foyer devait être aussi un mémorial pour son fils et tous les jeunes hommes morts à la guerre. L'institut devait traiter les maladies épileptiques, prodiguant des traitements adaptés à la condition de chacun. Ici, aucune ségrégation ne serait toléré. Lorsque George A. Savoy mourut, en 1951, son fils Harolde lui succéda à la tête du Foyer Dieppe comme il l'avait fait pour la Dominion Blank Book.

Vernon Longtin est toujours à la tête de Kraft Paper Products et d’Iberville Fittings. Rodolphe Longtin hérite des titres de son père tandis que celui-ci surveille d’un œil attentif son entreprise de la Kraft…, alors que l’Iberville Fittings, divisée en 2 groupes bien distincts en 1941, voit sa succursale d’Iberville déménager par manque d’espace à Saint-Jean, en 1955. L’usine s’établit sur la rue Saint-Georges, entre Collin et Bouthillier, tout près de la voie du Canadien National. Ce bâtiment est le seul, à Saint-Jean, à posséder un château d’eau noir, plus petit et moins haut que celui de la ville, élevé à même le toit de l’usine. Une nouvelle usine de l’Iberville Fittings s’établit à la limite de la rue Longtin, devant le Collège Militaire, sur la route de Saint-Paul (aujourd’hui Jacques-Cartier sud), séparée de la route par la voie du Canadien National. En 1970, la compagnie est acquise par G.T.E. Sylvania Canada qui double le personnel et l’espace occupé par l’usine, augmentant favorablement la production. Durant toutes ces années, Longtin ne cesse de développer son capital. Il fait venir au Canada les Industries Thomas & Betts qui s’installent à Iberville et, tout en dirigeant sa propre entreprise, en devient actionnaire. Il entre en relations d’affaires au Mexique en vue de produire les câbles DSTA, industrie qu’il cède en 1955 à des intérêts américains. Un an plus tard, il apporte son concours aux frères Silverman pour lancer l’entreprise Flexicon et 20 ans plus tard, conclut une transaction pour que les Silverman en deviennent les uniques propriétaires. En 1963, T. Harrison Smith, industriel d’expérience dans le câble et qui a occupé un poste de gérant-général à la compagnie Industrial Wire & Cable, consolide en tant que gérant des ventes l’organisation de la distribution des produits de la compagnie. Dans les années 1970, Vernon Longtin entre en relations d’affaires avec Robroy Industries afin de créer de nouveaux et de nombreux liens dans le monde des affaires et de l’industrie. L’aventure multinationale n’est pas fermée aux entrepreneurs johannais. Ces industriels appartiennent à une nouvelle race de capitalistes locaux. Intimement liés à des milieux anglophones, ils tiennent à ce que l’on prononce leur nom avec l’accent tonique anglais. À une époque où le nationalisme québécois est très pointilleux sur la langue, cette attitude est considérée d’un très mauvais œil.

Le Village suisse comme projet de développement immobilier lié à une entreprise étrangère. En 1949, le conseiller municipal Maurice LeSieur entreprend une tournée afin d’inviter des entrepreneurs à venir implanter de nouvelles industries dans la région. L’accroissement de la population à l’issu de la Grande Dépression - 7 734 habitants en 1921; 11 256 en 1931; 13 646 en 1941; 19 305 en 1951, 26 988 en 1961 - veut qu’on aille chercher des entrepreneurs capables de créer des emplois dans la région. Le trauma de la Singer est devenu le moteur de la nouvelle pensée économique du développement opportuniste venu de l’étranger. Apparaîtront successivement la Clough Chemical Company Limited, installée sur la rue Saint-Pierre, qui fabrique des produits chimiques sur une grande échelle destinée aux industries textiles, cosmétiques, cuir et papier à travers tout le Québec, l’Ontario et même la France. LeSieur, qui a cédé son entreprise funéraire à ses fils pour se consacrer à la vie politique, appuyant les démarches du député Paul Beaulieu, décroche la venue de la firme suisse Brown-Boveri, une entreprise de haute technologie de Bade, en Suisse :
«Des efforts du Conseil de ville pour amener de nouvelles industries à Saint-Jean ne furent pas vains. Déjà la ville avait acquis du gouvernement fédéral les terrains dont il n’avait plus besoin depuis le départ des Dragons, ce qui permit l’établissement de la Saint-Régis, devenue depuis la Cyanamid, de la Doric Textile, de la Brown-Boveri, sans parler des autres manufactures qui se sont considérablement agrandies et de Longtin qui a déménagé sa manufacture (Iberville Fittings) d’Iberville à Saint-Jean. "Je me souviens même d’avoir arpenté la terre des Papineau avec le Dr Boveri. Il aimait bien les petits vallons qui rompaient la monotonie du paysage. Jusqu’à un certain point ils lui rappelaient sa Suisse natale. Malgré les efforts déployés par la ville de Granby et son maire de l’époque, Ulysse Boivin, qui avait beaucoup d’influence, nous avons réussi à attirer la Brown-Boveri à Saint-Jean"».[20]
Érigée sur 56 acres de terrain, aux limites sud-ouest de la ville, c’est une usine de 178 000 pieds², la Brown-Boveri développe un véritable petit «Village suisse» tout autour. Au printemps 1952, Le Canada Français annonce qu'une usine de 340 pieds par 120 pieds est aménagée au coût de 2 millions de dollars. Bientôt, on y produit des transformateurs et des disjoncteurs à air. De nombreux Suisses viennent s'établir à Saint-Jean, dans ce nouveau quartier, dont une quarantaine de techniciens venus pour former les ouvriers choisis sur place. En peu de temps l'usine du boulevard Boveri donne du travail à 350 personnes. Elle doublera sous peu sa superficie. 

Le Village suisse, qui sera longtemps séparé par un terrain de balle drainé et éclairé, assure l'isolement et la tranquillité pour les 16 maisonnettes et 9 logements. On prévoira même ajouter 200 logements à ce complexe résidentiel. Il y aura même un tunnel en béton qui reliera une maison du village à l'usine. Ce souterrain est muni d'une voûte à l'épreuve d'une attaque nucléaire! La proximité recherchée par Brown-Boveri avec la frontière américaine n'était pas étrangère au climat de Guerre Froide de l'époque. En 1963, Brown-Boveri quittera Saint-Jean pour s'établir à Pointe-Claire. Toutefois, l'usine gardera la même vocation : la division des produits industriels de Westinghouse profitant de son infrastructure pour fabriquer des transformateurs haute-tension à sec, des calorifères, des DSDT et, plus tard, des disjoncteurs à l'épreuve des arcs électriques, un produit inventé à l'usine de Saint-Jean engagée dans la recherche. L'objectif de l'usine était d'un million de dollars par mois.

L'époque de la Westinghouse. D’autres usines s’établissent dans la région. Ainsi, l’entreprise Inter Royal Corporation Ltd est un groupe d’une dizaine d’industries diversifiées au Canada et aux États-Unis et l’une d’elle vient s’établir dans une partie de l’édifice de la Singer : la Croydon, spécialisée en fabrication de meubles de bureaux de haute distinction. Établie en 1952, la Croydon est suivie, en 1953, de l’achat de Cables, Conducts and Fittings de la rue Richelieu par la multinationale italienne Pirelli. L’installation de la Pirelli à Saint-Jean sert de base à l’expansion de la multinationale sur tout le territoire canadien : «On procéda dès lors à une réorganisation complète de l’ancienne usine et un nouveau plan de fabrication des câbles à électricité fut inauguré à Saint-Jean en 1956, sur un terrain de 34 acres. En 1958, un département de production de fil de cuivre fut mis en marche, suivi d’un département du caoutchouc en 1959».[21] La même année, la multinationale américaine National Electric Coil de Virginie vient construire une usine à Saint-Jean. Fabricante des produits électriques, l’usine occupe un espace de 30 000 pieds² sur un terrain de 11 acres. La National Electric Coil est le plus important fabriquant d’électro-aimants de levage et de bobines de rechange pour les moteurs et les générateurs. Toujours dans le domaine des produits électriques, on ne peut passer sous silence l'usine de la Westinghouse :
«L’édifice et les bâtiments qu’occupe aujourd’hui la Division des Produits industriels s’étendent sur une superficie de 178 000 pieds² et sont avantageusement situés sur un terrain de 56 acres faisant face au Boulevard Vanier. L’usine fut érigée par la firme suisse Brown-Boveri en 1951 et suite au déménagement de cette entreprise à Montréal en 1963, Westinghouse en fit l’acquisition en 1964. Ce fut un début modeste, mais en mai 1965 on comptait déjà 60 employés : l’usine en avait 31 dont 4 femmes et le bureau était desservi par 29 employés. Au début de l’année 1975 Westinghouse fournissait de l’emploi à 425 résidents de Saint-Jean et des environs (dont 73 femmes), chiffres assez éloquents par eux-mêmes et qui témoignent de la vitalité de l’entreprise dans la région : en moins de 10 ans, le personnel se multiplie par 7 - un essor remarquable et qui augure bien pour les prochaines années».[22]
Le «160 Vanier» et les proches terrains sont équipés pour supporter une production de produits de distribution électrique de haut-voltage. L’usine est munie de onze ponts roulants, dont un d'une capacité de 100 tonnes, avec lequel on soulevait les wagons qui traversaient l'édifice grâce aux rails installés à l'intérieur. Il va sans dire que la proximité du chemin de fer du Canadien National est un atout. Considérée comme une usine modèle, très sécuritaire, ses piliers s'enfonçant chacun à 135 pieds dans le sol, on y retrouve, jusqu'à la fin du siècle, un plancher en briques de bois. Le hangar, à l'ouest de l'entrée, construit pour exécuter des travaux pour Hydro-Québec, a été un moment loué à Oerlikon. Car, malgré tout, malgré quelques grèves dont une qui dura 4 mois, la Westinghouse est toujours restée une usine sous-exploitée, mettant sur le marché des produits techniques : interrupteurs, disjoncteurs, boîtier moulé, sectionneurs à fusibles, etc., et des produits standards : transformateurs, Caniveaux de Distribution, Chauffage électrique, etc. Les matériaux bruts utilisés dans les opérations manufacturières comprennent au-delà de 3 075 items provenant de 350 fournisseurs répandus d’un bout à l’autre du Canada et des États-Unis. Peu à peu, l'usine perd de ses départements et, au moment où elle semble s'orienter vers la haute-technologie, en 1994, elle vend sa production à Cutler-Hammer, division de la multinationale américaine Eaton-Yale qui, trois semaines plus tard, annonce le transfert de sa production chez nos voisins du Sud. C'en est fait de l'usine qui augurait si bien en 1971. Le siècle qui avait commencé avec les promesses du «plant» Singer s'achève dans le morcellement du «plant» Westinghouse


Officiellement ouvert en 1965, le Boulevard Industriel, encore plus éloigné du centre-ville que ne l’est le Boulevard du Séminaire, accueille en premier l’usine Thomas and Betts. Au cours de ces mêmes années, la Dominion Textile s’établit à Saint-Jean sous le nom de Textiles Richelieu. La Dominion est une compagnie canadienne à 90%. Son château d’eau en damier rouge est encore visible dès qu’on approche de Saint-Jean par la bretelle d’accès à l’autoroute. L’Ozite Corporation of Canada Limited, établie à Saint-Jean il y a plus de 50 ans, connue alors sous le nom de Dominion Hairflet, devient l’entreprise nationale de la fabrication du tapis des plus importante du pays. Dans les années 1970, au faîte de son expansion, l’entreprise de Saint-Jean emploie environ 240 ouvriers.

La fin de l’ère industrielle. Comme pour nombre de commerces, les entreprises industrielles changent fréquemment de mains. Anthes Eastern (la fonderie Paquette) est acquise en 1973 par la Fonderie Sainte-Croix dirigée par la famille Biron - dont Rodrigue est un temps chef de l’Union Nationale avant de passer au Parti Québécois -, et, au bout de quelques années, est acquise par le consortium ontarien Bibby Foundery Limited. En 1975, la Belding Corticelli Silks de la rue Richelieu est démolie. La Fonderie Sainte-Croix elle-même n’existe plus et elle a quitté les lieux en laissant un territoire pollué sur lequel il apparaît difficile d’ériger des demeures. La facture de la décontamination sera assez salée.

Les grandes usines de Saint-Jean, de la Singer à la Westinghouse, ont laissé l’impression que Saint-Jean était un centre industriel étendu. Le Schéma intégré d’aménagement et de développement des loisirs. Vallée de la Richelieu qui publie, en 1973, le Rapport Pluram, compare les différentes localités du Richelieu afin de proposer des solutions à l'étalement urbain montréalais :
«On a les gros ensembles de type régional à Varennes, Verchères et Contrecœur. Ces ensembles s’alignent dans l’axe de la future route 30.

Quant aux autres espaces industriels, ils se réduisent à quelques centaines d’acres, à Saint-Hilaire, à Chambly, à Marieville, à Saint-Jean-St-Luc-Iberville et à Sorel-Tracy. Ces petits espaces industriels n’ont pas d’effet sur l’occupation générale du territoire; tout au plus influencent-ils les zonages propres à chacune des municipalités».[23] 
Il est impossible de considérer ces entreprises comme de gros employeurs. Dans la région Saint-Jean-Saint-Luc-Iberville, seulement 11 entreprises emploient plus de 200 employés - ouvriers, cadres, personnel de soutiens, etc., 13 entreprises emploient entre 100 et 200 employés, et 20 entreprises emploient de 50 à 100 employés. Ceci jette une douche froide sur le mythe de Saint-Jean centre industriel. Depuis la fin du XXe siècle, il est évident que la prolifération d'entreprises industrielles locales n'a pas suivi la croissance de la population. Celle-ci travaille à l'extérieure des limites de la ville, consacrant ainsi la réputation de Saint-Jean ville-dortoir. À ce titre, elle devient, comme tant d'autres villes des couronnes nord et sud de Montréal, un satellite de la Métropole. Ce qui illustre d'ailleurs cette morale c'est, une fois l'industrie qui avait abrité la Singer durant un siècle mis à terre, on construisit des condos et des appartements appelés la Cité des Tours qui furent occupés assez rapidement par des immigrants maghrébins pour la plupart.



Histoire syndicale et luttes ouvrières. Le prolétariat ouvrier de Saint-Jean offre une image et une réalité. L’image est surtout véhiculée par les propriétaires des moyens de production : un prolétariat docile, qui accepte de trimer dur pour un salaire parfois maintenu assez bas. Saint-Jean n’est pas un nom qui résonne comme Louiseville ou Murdochville. Les grèves sanglantes, la répression policière excessive, les appels au communisme n’appartiennent pas au climat ouvrier de Saint-Jean :
«Depuis l’implantation du syndicalisme dans la région en 1940 (syndicat de la construction), les ouvriers ont acquis une certaine sécurité. Dans les dix dernières années, on dénombre environ une quinzaine de grèves dans la région dans le secteur ouvrier. La plus longue dure plus de 4 mois. Environ 500 jours de travail se sont perdus en raison des grèves dans les dix dernières années. Cela revient à dire qu’il se perd environ 50 jours par année à cause des grèves; ce qui est vraiment peu pour l’ampleur du secteur industriel de Saint-Jean.

On peut donc dire que Saint-Jean et son agglomération jouissent d’une bonne stabilité concernant le travail de l’ouvrier et sa rémunération».[24]
Ce commentaire paraît dans un livre qui fait la promotion de la ville de Saint-Jean et de ses deux sœurs et commandité par le monde des affaires. Certains d'entre eux vont jusqu'à parler d'une usine moderne où il fait bon vivre et travailler! Ainsi, de la National Electric Coil :
«M. Henry C. Morris, gérant de l'usine, nous a parlé de la bonne entente qui existe entre les membres de la direction et les quelques 90 employés de l'usine, dont une vingtaine de femmes, qui sont affiliés au syndicat des Métallurgistes Unis d'Amérique. Chacun des employés est libre de devenir syndiqué, la décision lui étant entièrement laissée.

Le fonds de pension des employés est basé sur les profits annuels de l'entreprise et les travailleurs sont protégés par une assurance-groupe, une assurance-vie et des indemnités hebdomadaires.

Une entreprise dynamique comme celle de National Electric Coil, avec un personnel qui travaille dans la coopération et le respect de la personne humaine envisage l'avenir avec optimisme. Les travailleurs se sentent chez eux et ont le souci constant de faire progresser leur usine».[25]
Les commanditaires de l'Ozite sont tout aussi élogieux à l'égard de leurs employés :
«Il y aurait beaucoup à dire de l'usine, mais pour une vue d'ensemble, en voici quelques détails; elle est munie d'équipements des plus modernes, réduisant, d'une part, l'effort physique du travailleur et, d'autre part, minimisant les risques d'accidents. Elle compte présentement 240 employés très bien rémunérés, en plus de jouir de bénéfices marginaux très avantageux à savoir : fonds de pension - assurance-maladie et ce, entièrement payé par la compagnie… Pour autant de raisons, le travailleur se sent chez lui, donnant le meilleur de lui pour le progrès de l’entreprise dont il fait partie».[26]
Voilà pour l’image, voici pour la réalité. Après 30 années de bon ménage entre employeurs et employés; après la grève de la Crane, en juillet 1936, le climat ouvrier se déterriore lorsque les ouvriers de la Franco-Canadian Dyers s’organisent en syndicat en janvier 1937 avec pour but d’influer sur leurs dures conditions de travail : 70 heures/semaine pour des salaires dérisoires et à un rythme toujours plus accru. Devant le refus de la Compagnie de négocier et de reconnaître le syndicat, les travailleurs votent la grève à l’unanimité. M. Tiberghien, propriétaire de la Franco exploite également la St. Johns Textile Mills. Le 25 mars 1937, par solidarité, ses travailleurs se joignent à la grève de la Franco et 2 jours plus tard, le 27, ils organisent une manifestation dans les rues de Saint-Jean. La Compagnie menace de fermer l’usine et les grévistes, courageux, refusent de se laisser intimider par le chantage; ils aiment mieux laisser fermer les portes de la manufacture plutôt que de retourner au travail dans les conditions actuelles. Au début d’avril, la police harcèle les grévistes et en arrête deux. Le 12 avril, la grève se termine par la reconnaissance du syndicat et l’application de la loi du salaire raisonnable à l’usine (ce qui équivaut à peu près à la notion de salaire minimum). De plus, les ouvriers obtiennent que les contremaîtres cessent leur harassement sexuel sur les jeunes travailleuses de l’usine.

Au cours des années 1940 est fondé le deuxième Conseil du Travail de la Province de Québec, dans la région de Saint-Jean-Iberville. Puis, une autre grève majeure bouleverse la région : celle qui oppose les ouvriers de Saint-Jean au monopole américain Singer et dont nous avons déjà fait mention. Le 6 juin 1951, un vote quasi-unanime de 2 000 des 2 200 employés approuve la grève comme moyen de pression. Pour bien comprendre les dimensions de cette grève, il faut se dire que c’est près du tiers du prolétariat ouvrier de Saint-Jean et d’Iberville qui entreprend la lutte contre le colosse de la rue Saint-Louis. Trois points principaux sont en litiges : les salaires - 1951 est une année d’inflation -; la promotion par séniorité - contre le favoritisme - et la décision des taux à la pièce :
«Les ouvriers de Singer ont su développer l’unité et le support pour leur lutte, par exemple : les Conseils du Travail du district (plus de 12 000 membres) forment des comités de coordination pour mobiliser les ouvriers hebdomadaires dans les usines. Le bureau national des Métallos a organisé un comité pour faire connaître la grève dans tout le Canada. De plus, plusieurs autres locaux du CIO donnent de l’argent et organisent des collectes. Le Conseil Régional de l’Acier du Québec organise aussi des collectes. Les ouvriers du Singer aux États-Unis ont envoyé un télégramme informant de leur support et de leur aide financière.
Le syndicat organise le 5 juillet un grand rassemblement des représentants de divers locaux et Syndicats de la province et des représentants des syndicats des usines Singer aux États-Unis avec un chèque de $ 5 000. La Confédération des travailleurs catholiques participait aussi. En plus, les marchands de Saint-Jean collaborent avec le syndicat pour le système de bons de nourriture.


À la fin de juillet une poignée d’éléments anti-syndicaux forment une organisation fantoche qu’il appellent Union Mutuelle et ils offrent aux ouvriers de négocier le retour au travail tentant sans succès de diviser les ouvriers face à l’ennemi. La large majorité des ouvriers restent unis dans leur syndicat et persévèrent dans la lutte.

Le 30 août, après 3 mois de lutte, ils obtiennent un contrat d’un an contenant l’essentiel de leurs demandes, incluant une clause de révision des salaires pour le coût de la vie».[27]
Les fortes dépenses pour le réaménagement d’après-guerre explique, en partie, les origines de cette grève. Nous sommes alors en pleine vague de syndicalisation et de résistance ouvrière. 1946, c’est la grève de Valleyfield; 1947, celle de Lachute; 1949, la Grève de l’amiante à Asbestos; 1951, la grève de l’Alcan à Shawinigan et 1952 les grèves de Louiseville et de Dupuis Frères à Montréal. Face aux revendications ouvrières, les patrons décrètent des lock-out et le gouvernement de Maurice Duplessis envoie sa police (la P.P.) réprimer de manière violente les manifestations produites, dans son esprit, par des émissaires communistes. Le litige de la grève repose sur les mêmes raisons qui ont poussé l’entreprise à faire tous ces réaménagements. Le syndicat demande à l'employeur une augmentation des salaires de .20 ¢ l'heure pour faire face à la hausse du coût de la vie, la réévaluation des tâches, la parité des salaires entre hommes et femmes, l'application de la règle de la séniorité pour les promotions et la renégociation de la convention collective au niveau du règlement des griefs. Environ 2 500 membres du Syndicat des métallos, affiliés au Congrès des organisations industrielles (COI), quittent l'ouvrage à l'usine de machines à coudre. La grève ne se terminera que le 30 août. Le syndicaliste René Martin expose en ces termes les modalités de l'accord : «La compagnie a accepté, comme nous le demandions, de nommer un arbitre impartial qui enquêtera sur le rythme de production pour les travailleurs à la pièce. La compagnie a renoncé à priver l'union du droit d'arbitrage pour tout grief de nomination et de congédiement (...) Quant aux salaires, la compagnie accorde des augmentations de 11 et 16 cents l'heure pour tous les employés, homme ou femme». La grève a donc donné des résultats appréciables pour les travailleurs sans ruiner les propriétaires de l’entreprise.

Par après viendront les grandes grèves de Louisevile dans les entreprises du textile. Pour Saint-Jean, les grèves de la Franco et de la Singer sont les plus mémorables. Durant ces luttes de classes, la population générale s’est portée derrière leurs travailleurs. Il n’y a pas jusqu’à Martial Rhéaume, ancien député libéral du comté à Ottawa pendant la guerre qui, en tant que boucher, accepte les bons de nourritures et d’échanger les chèques d’aide des grévistes tout en en retenant près de la moitié pour service rendu. Un an plus tard, en 1952, est fondée la Fédération des Usines Industrielles du Québec (FUIQ)  dont le deuxième des trois conseils est établi à Saint-Jean.

Au début des années 1970, les grèves violentes recommencent après une accalmie de 20 ans. À l’époque, on compte dans la région 13 grèves pour renouvellement de contrats; 3 grèves de réouvertures de contrats; 2 débrayages sur la sécurité d’emploi. De plus, 9 groupes d’ouvriers réussissent à obtenir leur accréditation syndicale. Il y a également, notons-le, un très grand nombre de réouvertures de contrats qui se règlent sans grève. C’est dire que l’image d’un climat serein dans le milieu ouvrier, que le prospectus Saint-Jean, Saint-Luc, Iberville donnait à l’époque, doit être nuancé :
«Fin 1973, début 1974, les ouvriers du monopole Westinghouse mènent une grève pour le renouvellement de leur contrat. Ils doivent faire face à une attaque de leur droit de grève par une injonction, à une poursuite de $ 10 000 contre le syndicat, à des accusations portées par la police contre plusieurs grévistes sous toutes sortes de prétextes. En février, un renouveau de l’unité des travailleurs de la région pour appuyer leur lutte prend la forme du Front Commun régional qui organisera plusieurs activités d’appui. Finalement, après avoir persévéré dans la lutte et résisté aux diverses tentatives de les écraser pendant 19 semaines, les 276 ouvriers de la Westinghouse signent un contrat favorable».[28]
Puis, c’est au tour de la Commodore Mobile Homes, usine américaine établie en grandes pompes à Saint-Jean en 1973, à se voir frappée par la grève durant laquelle les appuis apportées à la lutte se font très nombreux.  Le Front Commun lui-même donne son appui tandis que plusieurs manifestations sont organisées par les grévistes et que de nombreux syndicats accordent leur appui financier :
«En juillet [1974], les 100 ouvriers de la compagnie américaine Commodore Mobile Homes débrayent pour forcer la compagnie à réouvrir leur contrat en vue d’indexer les salaires à l’augmentation du coût de la vie. Ils doivent faire face très bientôt à une injonction leur ordonnant le retour au travail. Les ouvriers décident de poursuivre la lutte. Leur syndicat (OUTA) leur retire tout appui. La compagnie entreprend une poursuite de $ 815 000 contre le syndicat. Des plaintes sont portées au tribunal du travail. La police multiplie les harcèlements. Les attques massives de la police et des scabs pour faire sortir des roulottes se heurtent à la résistance des ouvriers. La compagnie fait toutes sortes d’intimidations, des appels téléphoniques individuels, des congédiements, etc. Le syndicat local est mis en tutelle par l’OUTA. Malgré ces attaques combinées, les ouvriers persévèrent dans la lutte et font preuve d’un grand esprit de résistance.

Après 3 mois et demi d’une grève où les ouvriers ont résisté et riposté aux attaques contre leurs droits fondamentaux de faire la grève et de maintenir des lignes de piquetage, ils signent un contrat qui leur est favorable. Cette lutte montre très clairement le rôle de l’État dans la société capitaliste dans ce cas, défendre le droit d’un monopole américain de venir exploiter le cheap labor de Saint-Jean, enlever aux ouvriers tous leurs droits de résister à l’exploitation; ceci en utilisant les cours, les lois, la violence de la police, etc. Malgré les déclarations récentes du maire de Saint-Jean, la ville n’a pas encore retiré ses poursuites contre les ouvriers de la Commodore…»[29]
À Saint-Jean, quand il n’y a pas grèves ou luttes actives, les ouvriers s’organisent et se structurent en syndicats :
«Sur le front de la formation des organisations de défense, les travailleurs de Dominion Blank Book ont réussi récemment à former leur syndicat. L’histoire de leur lutte montre aussi le rôle des lois du travail pour saboter et entraver la formation de syndicats et le genre d’attaques que les capitalistes sont prêts à lancer pour empêcher les ouvriers de s’organiser. Il est très important d’apprendre de cette lutte car au Canada, il n’y a que 30% des ouvriers qui sont organisés».[30]
Les années 1970 - surtout après la crise du pétrole en 1973 - furent des années difficiles dans les relations de travail. Le chômage ne cessait de croître dans la région de Saint-Jean. Pour la seule année 1979, en mars, le taux de chômage est de 6 300 personnes; en mai, 7 307 et en juillet, 7 749. Le Canada-Français publie les statistiques suivantes :

Il est remarquable que le nombre d’hommes et de femmes en disponibilité varie à peine d’une centaine, ce qui témoigne de l’arrivée massive des femmes dans le secteur industriel. Évidemment, la majorité des sans emplois sont des jeunes gens en bas de 20 ans. Le travailleur précaire, vite relégué au chômage au moindre vent contraire de l’économie, annonce ce que sera le monde du travail dans le siècle à venir :
«La situation s’est légèrement améliorée dans l’industrie de la construction sans toutefois que cette industrie reprenne la vigueur des années 1976 et 1977 où la réalisation de l’école des langues de la Base militaire avait occupé une grande partie de la main-d’œuvre régionale.

La construction domiciliaire demeure stable à un bas niveau, de même que l’activité dans le secteur commercial qui devrait déboucher en août avec le début des travaux d’érection du centre Westcliff.

Par ailleurs, le nombre de travailleurs cléricaux à la recherche d’un emploi a considérablement augmenté, les statistiques révélant que 205 hommes et 962 femmes recherchent activement un emploi dans ce secteur.

…Ce sont les jeunes de moins de 20 ans qui constituent le principal groupe de chômeurs dans la région…»[31]
Ce qui est un très mauvais signe pour l’avenir économique de la région. En 1980, précisément, la compagnie ESB - fabriquante de batteries - et la Fonderie Sainte-Croix décident de fermer leurs portes, les intérêts étrangers n’ayant plus à investir dans ces entreprises de la région, ce qui entraîne le congédiment de 200 employés. Un Front Commun composé du maire et des députés ainsi que d’autres notables de Saint-Jean est formé pour conserver les emplois. La croissance du taux de chômage est un indicateur qui ne trompe personne sur la santé économique d’une région.

Le fantôme à la charrue. Quand les édiles d’une municipalité ont la mémoire gelée sur certaines époques symboliques du passé, il n’est pas exceptionnel de les voir invoquer des fantômes afin d'espérer qu'ils reviennent jouer leur rôle convenu. Saint-Jean a les siens. Il en est ainsi pour le secteur agricole et pour la vie militaire.

C’est le souvenir du prospère commerce de foin du XIXe siècle qui jette la nostalgie sur un secteur qui, comme on le sait, a été fort mis à mal au tournant du XXe siècle. Il n’est pas rare de voir le député fédéral A.-J. Benoit invoquer le fantôme à la charrue lors de ses campagnes électorales ou dans ses projets aux Communes. Il est vrai, encore à la fin du XXe siècle, que l’agriculture domine toujours le secteur primaire, suivie des carrières de pierre et la pêche. L’élevage du bétail et de la volaille (+ œufs) caractérisent l’agglomération avec un très net accroissement de la production et des ventes durant la seconde partie de la décennie 1960.[32] Durant toute l’époque de Duplessis (1940-1960), le discours agriculturiste impressionnait toujours la mentalité québécoise, mais la réalité voulait que l’agriculture elle-même réponde aux exigences industrielles : «L’augmentation de la production de foin, par exemple, pour nourrir les vaches laitières, tandis que l’infime proportion de blé produit en 1941 nous indique la fin de l’autarcie. On se dirige vers une agriculture plus industrielle basée, dans le cas de Saint-Jean, sur l’industrie laitière».[33] Ce qui est loin de l’image folklorique de la petite ferme autosuffisante du XIXe siècle. Une autre industrie agricole est la conserverie. David Lord est le fondateur des 3 conserveries Lord : celle du rang Richelieu (aujourd'hui rue Jacques-Cartier sud) créée en 1924; celle de la rue Mercier (autrefois Windsor Canning, fondée en 1895) et celle de l'Assomption, est maire de 1949 à 1953. Lord est un homme important. À l'époque, les conserveries de la région (Lacadie, Lacolle, etc.) engagent plus de 500 travailleurs saisonniers.

Outre la spécialisation industrielle, le monde agricole subit un net recul en terres arables. Aujourd’hui, le magistral développement résidentiel qui s’éloigne de plus en plus du centre-ville pour se répandre par-delà Saint-Luc enlève de nombreuses terres agricoles encore riches et productives. Ne pensons qu’au développement de l’île Sainte-Thérèse où la jolie ferme du maire Pierre Trahan et qui dominait l’entrée de l’île est toujours là pour rappeler une vocation agricole qui a nettement reculé devant les habitations cossues. D’autres terres, placées dans la mire des entrepreneurs immobiliers, sont appelées zones grises : «Il semble probable que toutes les municipalités à l’ouest de la Richelieu seront de plus en plus déstructurées. Dans l’étude du C.R.U.R., on prévoit que St-Marc, Lacolle et St-Bernard conserveront leur identité agricole… Dans l’ensemble la zone grise se consolidera autour des comtés de Chambly, St-Jean, Laprairie et le long du fleuve jusqu’à Sorel».[34] Les auteurs du C.R.U.R. avaient bien vu. Les besoins en terres cultivées en 1986 se chiffrent à 1 300 000 acres et la zone grise stérilisera, selon les chiffres de l’époque, 600 000 acres, soit la moitié de la superficie nécessaire. Le sud du comté de Saint-Jean et le comté de Napierville subissent de fortes pressions d’urbanisation de manière que les régions jalonnant le Richelieu seront appelées à se modifier sensiblement dans l’avenir. Dans cette course aux terres, l’agriculture se présente comme la perdante devant l’urbanisation en banlieues :
«Le problème de l’extension de la zone grise est très grave pour l’avenir de l’agriculture dans la région. Nous avons déjà parlé des possibilités de développement des zones résidentielles ou des secteurs industriels. Cette menace se fait sentir dans le comté de Verchères où d’immenses territoires agricoles sont zonés "industriels". Il est certain que l’expansion industrielle et urbaine attaquera une partie des terres actuellement en culture. Mais tant que la localisation exacte et la limitation de cette expansion ne sera pas évidente, la plupart des terres agricoles subiront un phénomène d’attente et de ralentissement de la production. C’est un peu le même cas pour la région de Napierville».[35]
Devant l’urgence de ces conflits pour l’utilisation des sols, le gouvernement provincial prend la mesure du zonage agricole. Il ne s’agit plus d’une mesure de containment à une urbanisation sauvage, mais une mesure d’urgence. Selon le même rapport cité, en 1973, à Saint-Jean, 608 fermes ont un revenu moyen de $ 9 100 par ferme et se partagent une superficie totale de 86 413 acres. La valeur du capital par acre défriché est de $ 281. Il est donc catégorique le fantôme à la charrue ne pourra plus jamais hanter le développement économique de Saint-Jean. Baser une relance économique régionale à partir de l’agriculture est un archaïsme stérile. Aujourd’hui, plus de 85% de la population des 3 villes-sœurs résident dans les centres urbains, alors que moins de 15% de la population est disséminé dans la paroisse rurale. L'effet de ses mutations se fait sentir jusque dans les convois ferroviaires qui transportent grains, foins et céréales. En dehors des élévateurs à grains, les silos élevés près du Grand Bernier, il ne reste plus traces des anciens entrepôts à grains du début du siècle, sis en plein cœur de Saint-Jean. Plutôt se rabattre sur un autre fantôme qui présente de meilleures chances pour les Johannais et laisser celui-là pour les nostalgiques du XIXe siècle.


Le fantôme à l’épée. Cet autre fantôme, plus commode, invoque l'ancienne fonction militaire de Saint-Jean. Cette fonction est perçue comme centre d'intérêt permanent de l'histoire de Saint-Jean alors, qu'en réalité nous l'avons vu, les périodes d'intenses activités militaires dans la région n'étaient provoquées que par des menaces extérieures et de plus en plus lointaines. De 1940 à 1978 - de Martial Rhéaume à Walter Smith -, les députés libéraux du comté fédéral ont fait porter leurs interventions sur le maintien des casernes militaires, la création de la base aérienne, puis, en 1952, du Collège Militaire Royal de Saint-Jean, enfin la fameuse Mégastructure, école de langues pour les différents fonctionnaires et militaires du gouvernement du Canada. Il faut reconnaître que les bénéfices apportés par ce nouveau fantôme ont été plus généreux. Mais les institutions militaires fédérales ne peuvent, à elles seules, faire toute la richesse d'une économiee. Le fantôme à l'épée ne peut rescutier l'Âge de Prestige, il peut seulement être un atout face à la Némésis de la créativité locale.

Dans Saint-Jean, le fantôme à l'épée se concentre à 2 endroits : la Base des forces armées, à la limite sud-ouest, où se trouve l'aéroport militaire local; le Collège Militaire établi sur le site présumé des premiers forts Saint-Jean, à la limite sud-est de la ville, le long de la rivière. Ce terrain, entouré d'un muret, apparaît, comme la Singer, une ville à l'intérieur de la ville, avec des cloisons encore plus étanches. La base d'aviation que Maurice LeSieur avait été chercher à Ottawa en 1941 est restée telle quelle jusqu'en 1970 lorsque le gouvernement de Pierre Eliott Trudeau décida de la fermer. Elle sert jusqu'à ce jour de centre de réparation et d'école pour les observateurs aériens de l'Aviation canadienne. Avec la fin des hostilités, en 1945, arrive la fin de l'entraînement militaire et les bâtiments sont alors cédés au Collège Dawson, une annexe de l'Université McGill, pour en faire un centre de recyclage des anciens combattants. En 1951, la Base est rouverte pour répondre aux besoins de la Guerre de Corée. On y installe le dépôt de l'Effectif n° 2, le Centre de Sélection du Personnel pour les aviateurs et l'École d'Anglais. Entre temps, les anciennes casernes, en 1946, reçoivent un détachement du Royal 22e Régiment et, à l'occasion toujours de la Guerre de Corée, deux autres compagnies. De 1948 à 1952, l'École de Formation de l'Armée canadienne (CATS) réside à Saint-Jean, puis, en cette année 1952 est fondé le Collège Militaire Royal de Saint-Jean. Le besoin de nouveaux officiers et le faible nombre de Canadiens-français à rejoindre l'armée suggèrent à Ottawa l'ouverture d'un troisième Collège - après Kingston et Victoria - afin de recevoir plus de recrues francophones pour la première étape de la formation.

Aussitôt rendue publique la décision d'Ottawa d'ouvrir un troisième collège militaire, députés libéraux et conservateurs font pression auprès du gouvernement afin d'obtenir que l'École Militaire soit ouverte au Québec. Le Premier ministre Louis Saint-Laurent et son lieutenant québécois, Hugues Lapointe, sont favorables au projet. De plus, l'idée d'un Collège militaire arrive à point : 1952 est une année d'élections partielles, et le 12 juin, 4 jours avant le scrutin - le Ministre de la Défense, Brooke Claxton, qui résistait farouchement à ce projet, annonce finalement aux Communes la mise sur pied d'un Collège Militaire au Québec. Le lieutenant-colonel Marcellin L.Lahaie est rappelé avec précipitation de son poste à la tête du 79e Régiment d'artillerie de campagne qu'il avait fondé l'année précédente, et qui était cantonné en Allemagne afin d'appuyer l'OTAN. La fondation du nouveau Collège lui est confiée.

Comme la Marine était stationnée au Royal Roads Military College à Victoria, sur la côte de l'océan Pacifique et l'Armée régulière, au Royal Military College of Canada, à Kingston en Ontario, on pense confier l'Aviation au Collège militaire québécois. Mais les choses se précipitent. L'Armée doit prendre à son compte le soin de fonder, en 6 ou 7 mois, le nouveau collège.

Trois villes retiennent l'attention d'Ottawa : Québec, Trois-Rivières et Saint-Jean, les deux premières furent exclues et Saint-Jean se voit décerner le site du nouveau Collège. En juillet 1952, le lieutenant Lahaie arrive à Saint-Jean et entreprend la double réorganisation des casernes : organisation matérielle d'abord
«L’organisation matérielle marcha de pair avec le recrutement du personnel et des élèves. Les bâtiments construits en 1839, immédiatement après les "troubles", d’autres érigés en 1937 et quelques constructions temporaires devaient loger les services essentiels. Les vieux bâtiments situés au nord et au sud de l’ancienne place d’armes, aujourd’hui les pavillons Montcalm et La Galissonnière, furent d’abord transformés en dortoirs, tandis que dans celui qui se trouvait à l'est on établit le mess des officiers, quelques bureaux et quelques chambres également réservés aux officiers ainsi que la résidence du vice-commandant. Dans la bâtisse qui abrite aujourd’hui l’administration (Pavillon Massey), on aménagea des laboratoires, des salles de classe, les bureaux des professeurs et de l’escadre militaire et une chapelle. Quelques constructions temporaires servirent aussi de classes et d’infirmerie, tandis que l’ancien manège militaire fut appelé à loger la section de l’approvisionnement et celle des sports. Mais tout ceci ne se fit pas sans beaucoup de rénovations et de remue-ménage».[36]
…et d’organisation de service :
«Grâce aussi au travail du vice-commandant, du directeur des études et de leurs adjoints, les programmes d’études et d’instruction militaire étaient également au point le 15 septembre. La section de l’éducation physique et des sports qui relevait du lieutenant de marine J. Arnott était également prête à recevoir les futurs athlètes et sportifs qui allaient bientôt se faire valoir dans les compétitions intercollégiales».[37]
Comme jadis l’abbé Papineau en charge d’aménager une vieille poterie en Collège classique, le lieutenant Lahaie restaura les casernes pour en faire un Collège militaire. Le 14 septembre, les bâtiments sont prêts à recevoir leurs premiers élèves-officiers au nombre de 125. Les recrues ont en moyenne 18 ans et s’engagent à servir un minimum de 3 ans après l’obtention de leur brevet d’officier. Ils n’ont aucun frais de scolarité à payer et reçoivent une solde de $ 30 00 par mois; les autres doivent débourser $ 580 pour la première année et $ 330 pour les années subséquentes.

Après la cérémonie d'inauguration où se retrouvent, le 13 novembre 1952, le Gouverneur général Vincent Massey et le Ministre de la Défense Claxton, le Collège progresse et change le visage des vieilles casernes. Le nombre des élèves ira en augmentant au cours des années ultérieures. L’expansion exige la construction de nouveaux édifices. Entre 1953 et 1955, on érige les 3 dortoirs : les pavillons Champlain, Maisonneuve et Cartier. Le Collège construit une nouvelle place d’armées et procède à l’expropriation de 80 acres de terrain, au sud du Collège. On construit une première chapelle en 1956, à l’usage des officiers catholiques, puis le Pavillon de Léry, destiné à l’escadre des études est ouvert en 1957, enfin, au début des années 1970, le pavillon Georges-Vanier, destiné aux exercices physiques. De nouveaux laboratoires et une nouvelle bibliothèque -- dont l’architecture contraste avec le long édifice sobre du Pavillon de Léry - sont ajoutés entre 1968 et 1972. Le programme évolue également au cours des années et peut atteindre maintenant une vocation universitaire liée à l’Université de Sherbrooke. Durant les 27 premières années d’existence du Collège Militaire Royal, 10 commandants se succèdent. Le Colonel M.-L.Lahaie, mission accomplie, quitte son poste en 1957.

Entretemps, la Base des Forces canadiennes est devenue l’endroit qui abrite l’École des Recrues des Forces canadiennes (avril 1968), l’École des Langues des Forces canadiennes (1er septembre 1967) et l’École technique des Forces canadiennes (15 avril 1969). La Base pourvoit également aux besoins matériels du Collège Militaire. Pendant les 15 premières années, le gouvernement fédéral a toujours laissé pressentir la fermeture prochaine de la Base. Les installations militaires attirent du personnel civil et les déboursés de l’Armée en taxes scolaires et en taxes municipales abreuvent les coffres de la Ville. Aussi, fait-elle pression sur le député Walter Smith, originaire de Huntingdon et qui ne semble pas préoccupés plus qu’il le faut du sort de Saint-Jean, de décrocher des subsides du gouvernement Trudeau. Il réussit au-delà de toutes espérances : le budget de la Base passe de $ 17 000 000 à $ 35 000 000, accompagné d’une augmentation du personnel civil et militaire de 2 900 à 4 700 : «Il s’agit là de considérations économiques importantes. À titre d’exemple, la Base versait, ces dernières années, des sommes de l’ordre de $ 175 000 en taxes scolaires et de $ 142 000 en taxes municipales et, ce sans tenir compte de ses autres dépenses et approvisionnements locaux ni du fait que les militaires résidant dans la région sont considérés au même titre que les autres citoyens».[38]

On devine donc assez facilement que ces montants ne seront pas suffisants pour une ville qui s’étiole économiquement. Au cours de l’année 1976 - année olympique à Montréal -, le fantôme à l’épée répond encore à l’invocation du Conseil municipal. Des compétitions olympiques se dérouleront sur le terrain de la Base militaire. Par ailleurs, comme en 1970, lors de la crise d’octobre, le Collège et la Base logeront les troupes. Au courant du même été, la décision est prise d’ériger une mégastructure dans la partie sud-ouest de la ville. Cette construction de béton s’étale derrière la colline du CEGEP et mesure 1 500 pieds de longueur et 110 de hauteur. Cet édifice, que l’on nomme la Mégastructure, possède 12 étages. C’est la plus haute construction en hauteur d’un édifice dans la zone urbaine de Saint-Jean. Elle a pour tâche d’accueillir les écoles de langues, de cartographie, d’orientation en forêt et de soins médicaux outre les exercices et la discipline militaire. Une fois de plus, le gouvernement libéral de Trudeau sauvait la région de Saint-Jean par des installations militaires. La Mégastructure, sous le commandement de Derek McLaws, se dresse au centre de l’activité militaire de la région et menace de reléguer le Collège au second rang. L’ouverture officielle a lieu en automne 1979 et reçoit 489 recrues dont 120 jeunes filles :
«Amorcée en 1976, les travaux de reconstruction de la Base militaire, dont l’œuvre centrale demeurait la Mégastructure, devraient être achevés presqu’en totalité d’ici la fin du mois d’octobre. Certains travaux de terrassement seront cependant complétés au printemps prochain.

Présentement plus de 2 300 personnes, militaires et civils, travaillent ou vivent à la Base militaire.

On compte 410 étudiants à l’École des Langues, 242 à l’École technique des Forces canadiennes, dont l’édifice est indépendant de la mégastructure, et 482 étudiants à l’École des recrues.

Quant au personnel civil, on en dénombre 609 contre 570 militaires en service.

Notons qu’au Collège militaire royal sont inscrits 361 élèves officiers, 266 employés civils et 100 militaires y travaillent.

La masse salariale brute touchée par l’ensemble des personnes travaillant au Collège militaire et à la Base est de $ 35 millions, ce qui représente $ 22,9 millions de salaires nets. En ce qui regarde le budget d’opérations de ces 2 cantonnements, il s’élève à $ 5 105 300 pour l’année financière 1979-80…

Des 84 bâtiments érigés sur le terrain de la Base, 17 seront conservés dont notamment, le hangar D-4, l’hôpital, l’aréna et l’École technique».[39]
Même si ces chiffres sont impressionnants, il ne faut pas se faire d’illusions sur la présence des installations militaires à Saint-Jean. La ville est une logeuse et reste profondément étrangère à ce qui se passe avec le milieu militaire. Un fossé sépare la population locale des officiers et cadets du Collège Militaire. Franchir la guérite du Collège Militaire, pour le Johannais commun, c’est franchir un poste frontière. Blotti derrière son muret, le Collège Militaire Royal de Saint-Jean a quelque chose de fœtal. Tout y est beau. Les recrues sont toujours en uniforme approprié à la saison; la langue alterne à chaque jour : français, anglais. Le pavillon de Léry, structure en béton et en terrazzo, est silencieux comme un monastère. La discipline est la première règle, aussi bien à la Base qu’au Collège. Cette ambiance d’abbaye militaire n’a rien à voir avec le chahut urbain du CEGEP. Lorsque les week-ends les recrues rencontrent la jeunesse locale dans une brasserie, souvent des échauffourées éclatent. Les résidences des enseignants sont superbes, les parades et cérémonies de graduation sont suivies par les parents des recrues et des officiers et même certains notables de la ville. À chaque année, le corps des cadets se dirige, les jeunes soldats revêtus de leurs plus beaux atours, à la Cathédrale de Saint-Jean demander au maire le droit de cité pour l’année et assister à la messe.

Associé avec l’Université de Sherbrooke dans les années 1980, le Collège procure un grade universitaire de premier cycle à ses élèves-officiers, lorsque le Premier-ministre du Canada, Jean Chrétien, décide la fermeture en 1995, ce qui amène la création de la Corporation du Fort Saint-Jean qui agit comme gestionnaire du site. Aujourd’hui, le ministère de la Défense nationale est toujours le plus important locataire des lieux et la mission de la Corporation vise davantage la commercialisation du site et de ses installations. Il a fallu l’arrivée au pouvoir des Conservateurs avec Stephen Harper et les tragiques et spectaculaires événements du 11 septembre 2001 pour annonncer la réouverture du Collège Militaire en 2007, décision chaudement accueillie par le milieu johannais. La décision inopinée du gouvernement Chrétien prouvait, une fois de plus, que la présence militaire dans Saint-Jean n’était, en aucune façon, une assurance du développement de la ville. Il ne fallait surtout pas prendre l’action du ministre Bissonnette, député de Saint-Jean aux Communes sous le gouvernement Mulroney, qui avait réussi à attirer, sur le Boulevard Industriel, la compagnie suisse Oerlikon Contraves, fabriquant de matériel militaire, de tanks et autres engins, comme illustration des rapports étroits entre le militaire et l’industriel dans notre région, car les espérances mises dans ce type d’entreprises n’ont jamais duré très longtemps. L’ambiguïté du lieu a été révélée lors de certains événements critiques où l’armée protectrice pouvait se transformer en armée menaçante; ainsi lors de la crise d’octobre de 1970 ou lors des Jeux Olympiques de 1976. Lors de la crise du verglas en 1998 - le collège était officiellement fermé depuis trois ans -, il servit de refuge aux citoyens tenus incapables de résider chez eux.

Le spectre aux ballons. L’industrie touristique si elle ne peut être assimilée à une activité ancienne de Saint-Jean, n'en est pas moins spectrale dans ses promesses. Lui seul semble désormais apte à redonner une certaine auto-détermination à la ville au moment où la société de consommation se transforme en société du spectacle. Ce constat sortira du rapport PLURAM.

Le tourisme repose essentiellement sur 2 points : les possibilités naturelles offertes par une région donnée et l’aménagement humain du territoire. Ces 2 éléments ne sont pas indispensablement liés, mais lorsque un milieu naturel se prête bien à un marché touristique, il est rare de ne pas voir l’aménagement humain du territoire venir compléter l’attrait naturel. Par contre, si l’attrait naturel n’existe pas, l’aménagement humain d’un territoire, un aménagement planifié et intelligent, bien organisé, bien structuré, peut donner d’excellents résultats et faire d’un décor banal un centre d’attraction touristique. À ce titre, la Vallée du Richelieu est un site naturel favorable au développement des activités touristiques de différentes natures. C’est ce que conclut le Schéma intégré d’aménagement et de développement des Loisirs. Vallée de la Richelieu, dit rapport PLURAM, commandé en 1973. Ce rapport, qui couvre toute la vallée du Richelieu conclut que l’avenir économique de la vallée réside dans son aménagement touristique. Le cahier se temrine par une série de recommandations qui s’adressent à chaque localité en particulier.

La rivière Richelieu est l’axe primordial pour le développement touristique de la région. C’est l’élément naturel nécessaire mais non suffisant pour attirer un marché touristique. À condition, toutefois, que son taux de pollution soit sévèrement traité afin de conserver une bonne qualité à la rivière pour les usages domestiques et les activités nautiques (baignade, pêche sous-marine, etc.). Conséquence, les rives doivent être aménagées. Les rives du Richelieu s’offrent-elles à l’exploitation touristique? À ce sujet, le rapport PLURAM se montre catégorique : oui, en ce qui a trait aux rives en amont de Saint-Jean et Iberville. À proximité de ces 2 centres, on note une croissance de l’occupation sous forme de résidences et de chalets, ce qui donne une double vocation au territoire : villégiature et usage récréatif sous forme de parcs et de plages :
«Ces fonctions, en général mutuellement exclusives, peuvent cohabiter si l’on s’assure d’un contrôle efficace du territoire. Il faut, d’une part, limiter l’extension vers le sud des zones urbaines de St-Jean et Iberville en fixant un périmètre d’agglomération à ne pas dépasser. D’autre part, des mesures telles la réglementation, le zonage et diverses lois dont celle sur la protection de l’environnement peuvent assurer un meilleur développement. Ces mesures sont cependant d’une efficacité bien relative surtout si l’on souhaite y développer la fonction récréative».[40]
Troisième élément : Saint-Jean offre-t-elle des lieux de verdure agréables à fréquenter? «Les parcs St-Jean, du canal de Chambly, du bassin et de l’île Ste-Thérèse, de l’île Fryers et le parc des abords du canal historique constituent un continuum répondant aux besoins des diverses clientèles et à l’objectif de polyvalence que nous avons souligné… D’autre part, à cette vocation de parc régional s’ajoute celle de parc urbain pour les populations riveraines».[41] Si la situation naturelle promet pour un développement de l’industrie touristique, l’aménagement humain est considéré comme déficient :
«Le milieu urbain de St-Jean n’offre aucun attrait particulier mais attire quand même les visiteurs en raison surtout des services commerciaux qu’on y trouve. Il faudrait entreprendre des travaux pour prolonger le boulevard de contournement permettant de traverser facilement l’agglomération. Deux éléments mériteraient, croyons-nous de faire l’objet de rénovation : la place du marché et les bâtiments en bordure de la rive à l’entrée du canal. Ce dernier site constitue un fort mauvais premier contact du visiteur nautique avec le centre Richelieu».
Enfin, un réaménagement du Collège Militaire afin de souligner l’aspect historique à puiser au Fort Saint-Jean en développant un musée militaire, par exemple.

C’est en raison de ce rapport et de bien d’autres constatations que les édiles de Saint-Jean ont dû intervenir dans les années qui suivirent. Malheureusement, ils ne respectèrent pas, du moins en totalité, les recommandations du rapport.

Le développement urbain de Saint-Jean n’a jamais été planifié. Avec la reconstruction de 1876 - et à cette époque, on était loin de penser au tourisme -, la ville de Saint-Jean s’est développée dos à la rivière, contrairement à la paroisse Saint-Athanase à Iberville. Ainsi, il a fallu attendre 25 ans pour que la façade est, entre Saint-Jacques et Saint-Charles, soit abattue et que le parc Marcoux y soit aménagé afin d’offrir une vue d’ensemble sur la rivière Richelieu, le pont Gouin, qu’il faudrait préserver comme attraction touristique, quitte à l’interdire à la circulation automobile, et la proximité des réseaux de transports publics. Malheureusement, tout cela s’est fait trop tard et, comme le soulignait déjà les rédacteurs du rapport, beaucoup de touristes ne font que passer par Saint-Jean; ils ne s’y arrêtent pas.

Le rapport désirait conserver la beauté naturelle des berges du Richelieu au sud de la ville, par-delà le terrain de golf. Or, c’est le contraire qui est arrivé. La promotion immobilière à déforesté jusqu’aux rives du Richelieu, abattant les arbres afin d’y construire des résidences qui seraient achetées par des retraités. Ce faisant, une barrière naturelle était déracinée et lorsque la fonte précipitée des neiges gorgea, en 2011, le lac Champlain puis la rivière Richelieu, l’eau pénétra profondément à l’intérieur des terres, créant une véritable crise immobilière pour les résidents qui perdaient à la fois maisons et valeur foncière.

Dans les années 1970 on commence à vouloir organiser les grands rassemblements de foules. Le 1er mai 1974 débute le premier Festival Johannais soulignant le 125e anniversaire de l'incorporation du Village de Saint-Jean qui se clôtura le 14 septembre suivant. Au cours de ce festival est organisé le fameux Spectair, spectacle d'acrobaties aériennes. Spectair doit être renouvelée l'été suivant, mais le tout est cancellé après s'être avéré déficitaire. Le Festival Johannais se répétera pendant 4 années, à partir de la semaine précédant la fête de la Saint-Jean-Baptiste qui doit clôturer les festivités. La rue Richelieu est le premier tronçon de la rue Saint-Jacques sont fermés à la circulation. Une estrade est élevée au carrefour des deux rues pour y accueillir des spectacles et le musée régional ouvre ses portes le temps de la fête. Le manque de financement l'oblige à les refermer vers la fin de l'été. Le Festival Johannais n'est en fait qu'un immense party populaire et n'offre en rien des activités qui surpassent celles de toutes les autres villes du Québec durant la même période. Comme le centre-ville n'est pas encore le Vieux-Saint-Jean, le Festival Johannais peut être difficilement considéré comme une attraction touristique.

Saint-Jean est une ville apte à posséder un Musée qu’il s’est finalement donné à l’intérieur de l’édifice de la Place du Marché. Il ne pouvait trouver mieux. En 1978, en 5 jours d’ouverture, il attire 10 059 visiteurs. Un projet plus ambitieux encore est celui de faire du Richelieu une Vallée de la Loire, c’est-à-dire un circuit touristique qui irait d’un fort à l’autre. Comme le projet ne s’est jamais concrétisé, il est difficile de dire si l’idée aurait été bonne et combien de temps elle aurait bénéficié de l’attrait de la nouveauté.

Le succès de l’industrie touristique s’est concrétisé avec la création du Festival de Montgolfières en 1984, produit par la Chambre de Commerce de Saint-Jean, l’Office du tourisme et le Conseil économique du Haut-Richelieu avec des intentions nettement économiques. On y retrouve, en plus des  montgolfières, des scènes à grands spectacles, la Nuit magique, qui allie musique et arts du cirque avec l’illumination des montgolfières. Les activités se déroulent principalement sur le site du Parc Pierre-Trahan, adjacent à l’aéroport de la municipalité (la Base militaire). L’événement compte sur une programmation diversifiée afin de rejoindre le public le plus large possible. Plus d’une centaine de montgolfières aux formes souvent fantaisistes mais aux couleurs toujours chatoyantes s’élèvent dans les airs, généralement après le levé ou avant le couché du soleil, si la température le permet (les vents ne doivent pas être trop violents, pas de pluie). Avec les années, il est vrai, les spectateurs viennent surtout pour les spectacles en soirées, oubliant souvent le magnifique ballet des ballons voltigeant dans le ciel de Saint-Jean. Valsant au-dessus du Richelieu, les ballons soufflés à l’air chaud viennent finalement choir dans un champ ou transportés jusqu’au mont Saint-Grégoire. C’est une véritable carresse pour les yeux, et en cela réside la seule vraie beauté de l'accord d'une invention issue du génie créateur de l'homme sur fond de nature originelle.

Avec 30 ans d’âge, l’International des montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu (nom que le Festival a pris en 2001) est l’un des 5 plus grands festivals du Québec. Annuellement, il attire pas moins de 300 000 spectateurs et «fait rayonner la ville à travers le monde». En 2010, son budget d’organisation s’élevait à $ 8 millions et ses retombées étaient le double : $ 16,5 millions. Les visiteurs proviennent à 37% de la Montérégie; la majorité provient des autres régions du Québec à 46%; 10% des autres visiteurs viennent du Canada et 7% des États-Unis. Il est vrai que depuis quelques années, un autre festival de montgolfières, celui de la Gatineau, détourne une partie des premiers touristes venus de l’extérieur de la région de Montréal.

Malgré ce beau succès, auquel on doit ajouter Les Croisières du Richelieu qui organisent des croisières-spectacles sur le Richelieu et le lac Champlain, le spectre aux ballons ne réside que 9 jours dans la région. On y dépense beaucoup d’argent, surtout dans les restaurants, les hôtels et les commerces à souvenirs. Si ces attraits contribuent à l’enrichissement de la Ville, ils ne relancent pas l’économie johannaise pour autant. L’industrie touristique vit de l’établissement d’infrastructures souvent passagères. Elle pourvoit pour un temps limité les commerces qui, pour le reste de l’année, vivoteront plus qu’ils ne prospèreront. Encore ici, le flux d’argent vient de l’extérieur et peut très bien ne plus être au rendez-vous l’année suivante, comme il arriva avec le Spectair. Solution transitoire, sans doute, mais qui laisse sur notre faim quand nous nous demandons qui prendra la relève le jour où les touristes ne seront plus au rendez-vous?

L’invocation successive du fantôme à la charrue, du fantôme à l’épée et du spectre aux ballons n’a pas servi à restructurer l’économie locale, mais à la maintenir à flots, devant les heurs et malheurs des économies nationale et mondiale. Nos trois esprits partagent le désavantage d’être instables, saisonniers, périodiques. Ils sont dépendants de conditions qui ne relèvent pas des ressources naturelles ou humaines locales, mais de courants populaires ou politiques extérieurs. Ils maquillent la stagnation économique de Saint-Jean-sur-Richelieu, non le dévoilement d’un mouvement de développement autonome qui puiserait tout le potentiel des ressources à la disposition des milieux d’affaires et de la population en général. Pour un peu qu’on débourse et investit plutôt que d'attendre l’argent draîné par des investissements étrangers.

Le gouvernement municipal. La Municipalité de paroisse de Saint-Jean-l'Évangéliste vit ses dernières années. L'expansion de la banlieue viendra mettre un terme à son existence en 1970. La Municipalité de la Cité de Saint-Jean a fini par envahir tout son territoire. Il ne peut y avoir deux municipalités sur un même territoire. Isaïe Lemieux accomplit son second terme comme maire de la paroisse de 1937 à 1939, suivi de Henri Roman, de 1939 à 1949. David Lord, des conserves, est maire de 1949 à 1953. Philodor Ouimet lui succède de 1953 à 1967, puis François Oligny, de 1967 à 1969 et enfin Roger Denis, de 1969 à 1970. Il sera le dernier maire de la Paroisse suite à la fusion intervenue avec la Cité de Saint-Jean, le 25 avril 1970. Il devint alors conseiller municipal de la Cité, siège qu'il occupera par-delà les années 1980. Depuis 1937, très peu de maire de paroisse de Saint-Jean-l'Évangéliste se retrouvèrent au poste de préfet de comté. Philodor Ouimet, de 1953 à 1956 fut le seul.

L'extension de l'emprise du gouvernement fédéral sur la politique locale s'explique par les décisions d'Ottawa concernant les deux grands terrains militaires qui draînent des revenus à la municipalité. À l'exemple de jadis, lorsque la maison-mère du New-Jersey, The Singer Manufacturing Company, s'imposait au pesonnel politique municipal en parachutant sa mégastructure industrielle dans la ville, le gouvernement fédéral y a parachuté successivement la Base aérienne (1941), le Collège Militaire (1952) puis le Mégastructure (1976). Aussi, le trauma de la Singer est-il réactivé par les décisions d'exporter de l'argent du Ministère de la Défense dont les miettes se retrouveront dans les coffres de la Cité. Voilà pourquoi le gouvernement municipal de Saint-Jean se colle si près d'Ottawa au point que certains ex-maires penseront faire le saut en politique fédérale plutôt que provinciale.

Le Conseil municipal est géré, depuis plus d’un demi-siècle par des politiciens issus de la petite bourgeoisie. Sa politique repose sur l'extension de l'occupation des terrains sur lesquels s'élèveront des constructions dont il sera possible de percevoir différentes taxes. Les maires qui proviennent directement de la ville sont liés à des activités commerciales locales, tel Bernard Dussault, simple commerçant au centre-ville, mais Ronald Beauregard, gendre de Boulais et lui-même propriétaire d'une concession pétrolière Shell, appartient à un milieu plus fortuné, lié à la prolifération d'entreprises plus importantes. Chaque mouvement de l'économie mondiale affecte sérieusement l'autonomie locale. Saint-Jean a beau s'aggrandir, mais elle perd de son autonomie politique. Si la Cité conserve toujours la gestion du réseau d'aqueduc, de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement des égouts, de la protection contre les incendies et du maintien de l'ordre public, de l'aménagement du territoire ainsi que du soutien à la création d'activités culturelles et sportives, les besoins ou les exigences de ces différentes obligations ne cessent aussi de s'accroître et les coffres de la ville se vident aussi rapidement qu'ils se remplissent. D'où l'espérance d'aides financières auprès du gouvernement provincial, dont les municipalités relèvent. L'état de fragilisation des régions rend le Conseil municipal de plus en plus dépendant de décisions provenant de l'extérieur, de l'une ou l'autre des capitales administratives.

De février 1943 à 1949, Alcide Côté est maire de Saint-Jean, suivi du Dr Georges Phaneuf à partir de février 1949. C'est sous son mandat que sera érigé le Collège Militaire Royal. J. Armand Ménard est maire de février 1953 à février 1957. Sous son mandat, le 30 avril 1955, la Ville accorde aux architectes Gérard et René Charbonneau le contrat «pour préparer les esquisses, plans, spécifications et addendas se rapportant à la construction d'un nouvel hôtel de ville». La construction est confiée à l'entreprise locale Désourdy Frères et coûte $ 283 500. Pendant qu'on démolit le vieil édifice qui abritait depuis des décennies les services administratifs, les bureaux municipaux sont logés dans l'ancien poste de police de la Place du Marché. Le Département des incendies loge sur la rue Mercier (jusqu'à la construction de nouveaux postes de police et pompiers sur la rue Saint-Jacques). À cette époque, pompiers et policiers sont cumulés par les mêmes officiers municipaux. C'est à Jean Cartier (1924-1996), natif de Saint-Jean et céramiste de renom, que l'on confie l’ornementation de l’entrée principale : «St-Jean aura un palais municipal d’une esthétique vraiment remarquable», titrait le journal La Presse en ce 16 novembre 1956. Le quotidien montréalais ne tarissait pas d’éloges sur les caractéristiques du futur Hôtel de Ville. Inauguré le 13 février 1958, tout le monde peut admirer l’œuvre murale de céramique surmontant l’entrée principale de l’édifice. Cette formidable mosaïque, de 17 pieds sur 42 pieds (5,18 m x 12,80 m), est composée de 55 tuiles intercalées entre les blocs de verre qui éclairent la salle du conseil municipal. Chaque pièce de céramique a été fabriquée à Courtrai en Belgique, haut lieu de l’industrie de la céramique, sous l’œil vigilant de l’artiste. Les couleurs, un crescendo harmonieux de blanc, d’orangé, de brun et de noir, confèrent à l’ensemble caractère et distinction. Nous trouvons dans ces détails un paradoxe qui veut que la ville qui fut, pendant un siècle, la capitale de la céramique, ait dut se rendre en Belgique fabriquer les pièces qui ornent la façade de son Hôtel de Ville! Comme dans ces types d’œuvre, on trouve une série d’allégories liées aux activités locales : l’industrie, les ressources naturelles, le sport, l’histoire, la défense nationale et l’éducation sont autant de thèmes célébrés. Du fort Saint-Jean au premier chemin de fer, des joies de l’hiver aux plaisirs nautiques, de l’homme au travail aux scènes de la rue, c’est toute l’existence des habitants de la ville qui s’étale devant nos yeux. Le concepteur, Jean Cartier (1924-1996), né à Saint-Jean y a fait ses études primaires puis a complété son cours classique à Montréal. Dans une entrevue accordée en 1988, il déclare : «Je détestais les études et je désirais créer quelque chose avec mes mains». Dès 1945, il s’initie à la céramique puis perfectionne son art à l’école du Meuble de Montréal. Boursier à plusieurs reprises, il ira étudier le dessin, la sculpture et la céramique, d’abord à Paris, puis à Stockholm où il apprendra les procédés de fabrication en série. Cet artiste prolifique a, notamment, signé des pièces murales de céramique sur de nombreux bâtiments, dont le pavillon du Canada à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958, et le Théâtre Port-Royal de la Place des Arts à Montréal (rebaptisé depuis Théâtre Jean-Duceppe); il a produit des émaux sur acier pour les stations de métro montréalaises Papineau et Cadillac ; il a aussi érigé une fontaine lumineuse en verre, béton et acier, sur le site de l’Expo 67. Bref, la façade de l’Hôtel de Ville devenait une véritable pièce de musée «à ciel ouvert».

En février 1957 et jusqu’en avril 1961, Eugène Lasnier est maire de Saint-Jean. C’est le 4 décembre 1957 qu’ouvrent les portes du nouveau bureau de postes situé dans l’édifice Côté, sur Champlain L’inauguration officielle a lieu le 22 mars 1958 en présence de Jean Côté, frère de l’ancien maire et décédé Ministre des postes dans le gouvernement Saint-Laurent. Cet édifice est loin de la splendeur de l’Hôtel de Ville. Le 2 février 1959, la Ville adopte le règlement qui crée la Bibliothèque municipale. La bibliothèque pour enfants est logée dans l’édifice de l’ancien bureau de postes. La Bibliothèque municipale ouvre ses portes le 16 avril 1963. Dès lors, toute la population a accès à un service gratuit de livres et de documentation. Jean Desmarais est maire à partir d’avril 1961. Lawrence-N. McMillan lui succède en avril 1963 et se maintient jusqu’en novembre 1968. C’est sous son mandat que le boom de la banlieue explose. Une première (bien modeste par rapport à celle qui viendra à la fin du siècle) nappe roulante d’édifices, de bungalows, de demeures préfabriquées se répand au-delà des frontières de la ville. Le Boulevard du Séminaire, encore en friches à cette époque, est vite développé. Déjà on parle de l’annexion des villes voisines de Saint-Luc et d’Iberville. Le 15 février 1966, le Conseil municipal modifie le blason de la ville en enlevant l'Union Jack afin de donner une forme d'écu français. C’est en 1966 qu’est inauguré le nouveau pont Félix-Gabriel-Marchand. Le 3 janvier 1968, un incendie ravage l’édifice de la Bibliothèque municipale - l’ancien bureau de postes - qui comprend également le Service des Loisirs de Saint-Jean, les Chevaliers de Colomb, les Alcooliques Anonymes, etc. L’incendie paralyse le centre-ville pendant des heures et nécessite la présence des sapeurs-pompiers jusqu’au lendemain. Le Conseil municipal préfère rénover le vieil édifice plutôt que d’en construire un nouveau en s’appuyant - toujours - sur l’aide financière provinciale et fédérale. L’édifice est restauré à la hâte. Un étage est sacrifié tandis que le befroi est décapité de ses horloges. Le service de la Bibliothèque se voit abandonné à lui-même et ne reprendra un peu d’organisation et de structuration qu’à partir du milieu des années 1970, quand le gouvernement municipal pensera à le réorganiser comme service public. Bruno Choquette, ancien directeur de l’école primaire Forget dans Saint-Edmond, est élu maire en novembre 1968 jusqu’en juin 1972. 

Le mandat de Bruno Choquette est marqué par l’effort d’amener à Saint-Jean, en 1971, le Festival de théâtre français, que le maire, un homme cultivé et raffiné ainsi que le conseiller Fernand Charest espèrent bien mettre sur pied. Malheureusement, le Conseil municipal, lors d’une séance à laquelle assistent plus de 300 personnes, se prononce contre le projet, le considérant comme peu rentable. Le conseiller Charest, qui rêve de faire de la ville un centre culturel, est le seul à voter pour le projet, le maire Choquette n’ayant pas droit de vote. Toujours dans ce même esprit, Fernand Charest veut transformer une partie de la Villa Saint-Jean en conservatoire de musique et l’autre partie en centre de réhabillitation pour jeunes drogués. Mais MM. Choquette et Charest apprendront à leurs dépens que la ville n’a pas le goût de ce genre d’aventures et préfère des activités plus fonctionnelles.et surtout plus rentables. Après tant de déveines, le conseiller Charest recevra une consolation lorsque le Conseil entérinera son projet de Festival Johannais, dont le premier est inauguré le 1er mai 1974. Il en est le président durant 5 ans (1974-1978) et doit affronter les réticences de certains marchands du centre-ville qui n’apprécient pas la fermeture des rues principales à la circulation automobile.

En juin 1973, le commerçant Bernard Dussault est élu maire pour deux ans et en novembre 1974, Ronald Beauregard détient le poste où il est réélu en 1978, puis en 1982. En 1976, on procède à la construction de l’annexe ouest de l’Hôtel de Ville. C’est bien là la seule construction valable sous le mandat du maire Beauregard, le reste se soldant par les démolitions répétées d’édifices et de bâtiments historiques : la Villa Saint-Jean, le vieil hospice de la rue Longueuil et le réservoir qui efface le nom de la ville aux yeux du si précieux touriste. Il y a de l’identité de la ville qui disparaît à travers ce pillage légalisé du patrimoine. Au début de l’année 1979, la Ville de Saint-Jean devient officiellement Saint-Jean-sur-Richelieu. Le rapetissement se révèle à travers cette précision. En juillet 1980, le gouvernement du Québec vote, en troisième lecture, la loi 105 obligeant dorénavant les municipalités comptant plus de 20 000 habitants à découper la municipalité en districts électoraux et favoriser l’organisation de partis politiques municipaux. Cette loi 105 a pour but de susciter une plus grande participation des citoyens à la chose publique et au scrutin municipal. Le maire Beauregard se déclare contre cette loi qu’il trouve rétrograde tandis que le député péquiste Proulx déclare dans le journal local que «le maire de Saint-Jean ne tient pas compte des besoins réels d’une démocratie en 1980». Depuis les origines, l’organisation municipale rendait possible un patronage et une connivence des différents conseillers et élus municipaux, aussi doit-on voir dans le projet de loi 105 la possibilité d’assainir les mœurs et pratiques du gouvernement municipal. Un certain relent de dictature se dégageait des propos de Ronald Beauregard.

Delbert Deschambault succède à l’ère Beauregard en 1986 et ce jusqu’en 1994, mais c’est son successeur, un enseignant de chimie au CEGEP, Myroslaw Smereka, qui devra composer avec deux tragédies qui frappent successivement la ville : d’abord la décision du gouvernement Chrétien de fermer le Collège Militaire de Saint-Jean, mais surtout la crise du verglas de janvier 1998 sur laquelle nous aurons à revenir plus longuement. En 2001, suite à la fusion avec Iberville et Saint-Luc, Gilbert Dolbec lui succède jusqu’en 2013. Lui, c’est la tragédie du gonflement des eaux du Richelieu au dégel de 2011 qui marquera à jamais son mandat. La ville et la province sont vite débordés par l’ampleur soudaine de la crue et il faut faire venir des soldats pour aider la Sécurité civile. Dans tous ces cas, le Conseil municipal tente de gérer les crises au mieux de ses capacités, mais il faut reconnaître que ces désastres naturels dépassent les moyens qu’une seule municipalité peut disposer pour en venir à bout. Des cellules de crise sont érigées afin d’aider la population sinistrée. On ouvre des refuges, on s’engage à débourser de l’argent, mais il est certain que le Trésor municipal n’aurait pu, à lui seul, même dans un état d’auto-détermination parfaite, résoudre ces crises. Michel Fecteau est élu maire en 2013 et Alain Laplante en 2017.

En regardant la superficie des municipalités agglomérées en 2001, c'est à se demander si ce n'est pas Saint-Luc qui s'est annexée Saint-Jean! :

J.-Alcide Côté (1945-1949)
Georges Phaneuf (1949-1953)
Joseph-Armand Ménard (1953-1957)
Eugène Lasnier (1957-1961)
Jean Desmarais (1961-1963)
Lawrence Norman McMillan (1963-1968)
Bruno Choquette (1968-1972)
Bernard Dussault (1972-1974)
Ronald Beauregard (1974-1986)
Delbert Deschambault (1986-1994)
Myroslaw Smereka (1994-2001)
Gilbert Dolbec (2001-2013)
Michel Fecteau (2013-    )

Un nouvel édifice, ancienne Unité sanitaire, sert à l’administration urbaine, et tout près, le Musée d’Histoire de Saint-Jean-sur-Richelieu réside dans l’édifice centenaire de la Place du Marché. Histoire ressuscitée mais histoire non enseignée dans les écoles ni même au CEGEP. Une histoire qui ragaillardit par son exotisme temporel un sentiment blasé d’impuissance devant la dérive urbaine. C’est dans cet édifice que sont fusionnées la vieille Municipalité de la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste et la Cité de Saint-Jean, sous le maire Choquette, créant la Ville de Saint-Jean, le 11 mars 1970. Le 11 novembre 1978, le nom de Saint-Jean-sur-Richelieu a été officialisé. D’un autre côté, une nouvelle entité régionale remplace la Corporation du comté de Saint-Jean et la Corporation du comté d’Iberville. La Municipalité régionale de comté du Haut-Richelieu, constituée le 1er janvier 1982, regroupe alors 20 municipalités et annonce les fusions à venir.

Ce bouleversement des structures administratives municipales dénote une certaine anarchie parmi les décideurs tant locaux que provinciaux. À mesure que l’extension urbaine s’accroit, les structures fusionnent et le résultat en est l’apparition de juridictions géographiquement étendues sous une même tête administrative. Plutôt que de ramener les centres urbains entre les mains de leurs dirigeants respectifs, la centralisation administrative dissous le tout comme à l’origine du Bas-Canada, en 1791. Lorsque Saint-Jean devient Saint-Jean-sur-Richelieu, en 1978, sa population était alors de 32 863 habitants. Son taux de croissance ralentit. En 1981, la population passe à 34 000 habitants. Vingt ans plus tard, avec la fusion volontaire (et c’est bien ce qui est triste et témoigne du désarroi des villes à contenir leurs dépenses pour les faibles revenus), l’anticipation du Rapport PLURAM est concrétisée. Avec Saint-Jean fusionnent les municipalités de Saint-Luc et d’Iberville, la municipalité de L’Acadie, la municipalité de paroisse de Saint-Athanase. Saint-Jean-sur-Richelieu s’étend maintenant sur les deux rives de la rivière du Richelieu jusqu’à proximité de la frontière américaine et sa démographie (pour 2014, est de 94 630 habitants! Ainsi, les identités locales sont-elles sacrifiées à la centralisation administrative qui n’en fait pas pour autant une «municipalité» plus autonome.

Le paradoxe de cette dissolution des particularités est attribuable à un gouvernement provincial qui promeut la souveraineté nationale au nom des particularités identitaires des Québécois, n’hésitant pas à contredire sa propre vision d’un Québec autonme, libéré du joug fédéral.  En retour, il est difficile de remercier les édiles locales qui eux-mêmes se sont précipités dans cette fusion. Le seul résultat ne pouvait être que l’alourdissement de la structure administrative et la répartition inéquitable des apports et des dépenses entre arondissements. Ainsi, a-t-on l’impression que c’est davantage Saint-Luc qui a profité de la fusion que Saint-Jean elle-même. C’est une expansion qui a fragilisé davantage l’importance de la ville de Saint-Jean plus qu’elle n’en a renforci les pouvoirs.

La députation fédérale depuis 1940. Les années d’après la Seconde Guerre mondiale sont des années de bouleversements tant au niveau des mœurs que des mentalités. Il en est de même pour la politique fédérale et la politique provinciale. La montée de l’idée d’indépendance au Québec changea complètement la donne des règles conditionnées qui avaient établi le comportement politique dans le vote «Rouge au Fédéral, Bleu au Provincial». Le Rouge à Ottawa prédomina jusqu’en 1965. 

Sous le gouvernement de Louis Saint-Laurent, le député Alcide Côté (1903-1955) est nommé Ministre des Postes, c’était la première fois qu’un député johannais siégeait au gouvernement depuis le «parachuté» Israël Tarte en 1896. Côté, avocat, appartient aux bonnes familles de Saint-Jean. Il cumule les titres honorifiques, surtout les grades élevés des Chevaliers de Colomb. Le 1er janvier 1948, il est nommé membre de la Ville de Dunkerque, en France. Côté sera à la fois maire et député fédéral de Saint-Jean. Maire très populaire, il abandonne son poste la même année que sa réélection aux Communes, en 1949. Son taux d’appui dans le comté est impressionnant. Élu en 1945, réélu en 1949 et 1953, le Premier ministre en fait son Ministre des Postes le 13 février 1952. Il faut sse souvenir surtout que le service postal au Canada est considéré alors comme l'un des meilleurs au monde. En pleine Guerre Froide, Côté réussit à conclure une entente avec l'U.R.S.S. sur la distribution du courrier. Pour Saint-Jean, il débloque les fonds pour la construction d'un nouveau bureau de postes qui porte aujourd'hui son nom. Bourreau de travail, frappé d'une crise cardiaque le 1er février 1955, il meurt, à son domicile de Saint-Jean, rue Laurier, le 7 août. Le gouvernement fédéral lui paie des funérailles d'État. Homme sympathique, disponible et dévoué, il se serait rendu un jour à la Base des forces armées canadiennes de Saint-Jean en se présentant sous son titre de député du comté. Le commandant, un Anglais, refusa catégoriquement de le recevoir. Insistant toujours, Alcide Côté lui demanda s’il le connaissait. Devant la réponse négative, le député se présenta autrement : Je suis Alcide Côté, Ministre des Postes… Un mois plus tard, le commandant était révoqué de ses fonctions. À sa mort, la ville entière porta le deuil. On lui fit une fastueuse céérmonie avec la fanfare. Le cortège traversa les rues de Saint-Jean pour se rendre au cimetière. Trois ans plus tard avait lieu l’inauguration officielle de l’édifice Côté, sis à l’angle nord-ouest des rues Champlain et Saint-Charles, siège du nouveau Bureau de postes.

La mort d’Alcide Côté oblige le gouvernement à tenir une élection partielle dans le comté. On demande au pharmacien Louis-O. Régnier libéral reconnu, de poser sa candidature, mais Régnier se désiste et c’est J.-Armand Ménard, propriétaire des Breuvages Ménard, lui aussi ex-maire de la ville (1953-1957), qui succède à l’Honorable Alcide Côté. Il l’emporte sur le libéral-indépendant Yvon Dupuis. Le brigadier Jean-V. Allard, qu’on voulait nommé Ministre de la Défense déclina également cette candidature. Le député Ménard siègera aux Communes parmi l’opposition durant le gouvernement conservateur de John Diefenbaker. Minoritaire, une nouvelle élection est déclenchée en 1958 et cette fois, c’est Yvon Dupuis qui est élu député libéral du comté de Saint-Jean.

La carrière de Yvon Dupuis est jalonnée de scandales, de procès et de «trahisons». Dupuis est un opportuniste plutôt qu’un homme de parti. Propriétaire alors d’un magasin de musique, il avait commencé sa carrière politique dans sa ville natale, à Montréal. Né en 1926, fils d’Hector Dupuis, conseiller municipal de Montréal et auteur du célèbre Dictionnaire des antonymes et des synonymes, Yvon Dupuis est élu député provincial la première fois en 1952. Le premier scandale de sa carrière éclate lors des élections de mai 1956 :
«Le 17 mai (1956), Edgar Charbonneau, candidat de l’Union Nationale dans Montréal-Sainte-Marie, accusa Dupuis d’avoir essayé de corrompre l’énumérateur avec des caisses de vin afin de le persuader de changer la liste des électeurs. Dupuis se défendit en disant qu’un agent de l’Union Nationale lui avait jeté dans les mains un paquet de listes d’électeurs, alors qu’il se trouvait dans sa salle de comité, en disant : "Je vous apporte ce que vous m’avez demandé". Dupuis dit qu’après l’avoir expulsé, il remarqua que la police provinciale se tenait prête à l’arrêter et à l’accuser de possession de faux certificat […] L’affaire Yvon Dupuis provoqua les commentaires sarcastiques des principaux personnages de l’Union Nationale et quand Dupuis défia Paul Sauvé de tenir avec lui une assemblée contradictoire, Sauvé répliqua, le 27 mai : "Je ne suis pas intéresé à courir la guignolée"».[42]
Les résultats furent prévisibles et Dupuis est défait dans Sainte-Marie et sa carrière à la Législative est compromise pour longtemps. C’est alors qu’il s’oriente vers les Communes et déménage ses pénates à Saint-Jean, comté fidèle au Parti Libéral depuis toujours. Il y sera élu en 1958. Ce membre de la R.A.P.C. (Royal air Force Canadian) est nommé au mess des Officiers du Collège Militaire Royal. Dupuis est réélu en 1962, mais en 1963 éclate le fameux scandale de l’hippodrome de Saint-Hubert, affaire de pot-de-vin et de corruption en vue d’élever une piste de courses de chevaux. Un procès est ouvert et Dupuis figure parmi les accusés. En 1965, il n’est plus de mise pour Dupuis de se représenter, mais son épouse décide de briguer les suffrages à sa place. Au même moment, la convention libérale choisit le notaire Jean Desmarais, lui aussi ancien maire de la ville de Saint-Jean. Les Conservateurs, profitant du schisme, vont chercher Paul Beaulieu, l’ancien député du gouvernement Duplessis dans le comté et ancien Ministre du Commerce et de l’Industrie entre 1945 et 1960. La réputation de Beaulieu le fait passer entre les deux candidats libéraux et il est élu aux Communes. Une tradition vieille de 98 ans est brisée : Saint-Jean aura un député bleu à Ottawa. Il y restera jusqu’en 1968 lorsque les forces libérales, ressaisies, porteront Walter Bernard Smith à la Chambre des Communes.

Pour beaucoup de citoyens de Saint-Jean, Smith est un parachuté pratiquement inconnu. Important marchand-général de sa ville natale, Hemingford, il en est également le maire. Il sera un habitué du siège de Saint-Jean tout au long de l’ère Trudeau, le temps de transformer la Base aérienne en Mégastruction. Aux élections du 22 mai 1979, il annonce qu’il ne se représentera pas. Une crise déchire la convention libérale entre le maire Léo Fortin d’Iberville et le candidat Paul-André Massé, secrétaire du Parti Libéral fédéral sous Walter Smith. Avec lui apparaît un nouveau type de politicien; non plus la façade du Parti dans le comté, comme avec Smith, mais le technocrate au pouvoir. Manquant de charisme, Massé reste un honnête fonctionaire. Il est élu par 26 871 voix contre son adversaire, le créditiste Jean-Paul Lasnier, maire de Saint-Blaise et piloté par le Parti Québécois qui ne récolte que 7 762 voix. Massé promet qu’il passera plus de temps à son bureau de Saint-Jean que ne l’a fait Smith durant tout son mandat. Après la défaite des Libéraux devant les Conservateurs de Joe Clark, Massé doit siéger dans l’opposition jusqu’au début de 1980 où, à la suite d’un vote de non-confiance, le gouvernement Clark est à son tour renversé et permet à Trudeau - et à Massé - de revenir du bon côté de la Chambre. Massé est député de Saint-Jean au moment où se tient le référendum sur la souveraineté en mai 1980.

Il disparaîtra 4 ans plus tard, lorsqu’un balayage de conservateurs-nationalistes sous la direction de Brian Mulroney ramène, avec force cette fois, le Parti Conservateur au pouvoir. Un homme d’affaires d’Iberville, André Bissonnette, élu, est nommé Ministre d’État aux petites entreprises, pius aux Transports. Il doit démissionner après une sombre histoire de spéculations et de délit d’initiés en rapport avec la vente de terrains à Oerlikon-Contraves qu’il avait fait venir s’installer à Saint-Jean. Il fut acquitté par un jury mais dut démissionner de son poste en 1987. Clément Couture acheva son mandat et fut
élu en 1988. Après les échecs successifs de l’entente du lac Meech et des négociations de Charlottetown, le comté passa au Bloc Québécois, une aile indépendantiste chargée de défendre les intérêts du Québec aux Communes en élisant Claude Bachand, député de 1993 à 2011 où il est remplacé par le député du Nouveau Parti Démocratique, entraîné par la vague orange derrière Jack Layton, Tarik Brahmi. En 2015, suivant la vague rouge qui déferle sur le Québec, Saint-Jean redevient comté libéral avec Jean Rioux. L’étendue du comté fédéral de Saint-Jean amène plusieurs candidats à briguer la députation sans être nécessairement des habitants de Saint-Jean-sur-Richelieu. Des gens comme Yvon Dupuis, Walter Smith, Paul-André Massé, André Bissonnette et Clément Couture n’habitent pas Saint-Jean, mais la région et cela a sans doute diminuer l’importance que les Johannais attribuaient au comté fédéral, privilégiant davantage le comté provincial car l’avenir du Québec, désormais, doit se jouer dans la capitale provinciale  :

J.-Alcide Côté (1945-1955)
J.-Armand Ménard (1955-1953)
Joseph-Armand Ménard (1953-1958)
Yvon Dupuis (1958-1965)
Paul Beaulieu (1965-1968)
Walter Smith (1968-1979)
Paul-André Massé (1979-1984)
André Bissonnette (1984-1988)
Clément Couture (1988-1993)
Claude Bachand (1993-2011)
Tarik Brahmi (2011-2015)
Jean Rioux (2015-    )



Le mandat de Paul Beaulieu, député de l’Union Nationale. Jean-Paul Beaulieu (le premier prénom n’est jamais pratiquement utilisé) a finalement émergé dans la vie politique provinciale dans la campagne aux élections partielles à la suite de la mort tragique du Dr Alexis Bouthiller :
«Le gouvernement provincial… se plongeait dans les campagnes de Huntingdon, pour le remplacement de James Ross, mort dans un incendie, et de Saint-Jean-Napierville, pour le remplacement du Dr Alexis Bouthillier, mort dans un accident d’automobile. Les femmes exerceraient leur droit de vote pour la première fois dans les élections provinciales. D’après le référendum de la Beauce, les augures les supposèrent sous l’influence du Clergé.

Dans le comté de Huntingdon, les libéraux présentèrent Dennis O’Connor, ancien député fédéral. L’Union Nationale choisit John E. Stewart. Dans le comté de Saint-Jean, les libéraux choisirent Omer Perrier, directeur du Canada-Français et cousin germain du secrétaire provincial. L’Union Nationale représente l’expert comptable Paul Beaulieu, son candidat des élections générales».[43]
Ce n’était pas la première fois, en effet, que Paul Beaulieu se présentait candidat dans le comté de Saint-Jean pour le représenter à l’Assemblée législative. Par 3 fois, au cours des élections générales précédentes, il s’était porté sous la bannière de l’Union Nationale. En septembre 1939, Maurice Duplessis est venu tenir une assemblée pour souligner l’occasion et de nombreuses personnes enthousiastes se présentèrent. Duplessis était alors Premier ministre depuis 1936. Il tenait le Parti bien en main et lui imprimait sa marque profondément conservatrice. Défait par les Libéraux de Godbout en 1940, Duplessis avait plongé dans un enfer aussi bien politique que personnel, aussi, l’élection partielle de 1941 de son jeune candidat a tout pour lui remonter le moral. Il est vrai que le Canada s’achemine vers la conscription et les Libéraux provinciaux paient pour le manque à la parole donnée par leurs cousins fédéraux. Mais le comté n’est pas gagné d’avance et Beaulieu devera se battre pour l’obtenir :

«Saint-Jean, vieille citadelle libérale, est… un comté canadien-français. Duplessis accomplit un effort sérieux en faveur de son candidat, homme de valeur. La présentation donne lieu à une assemblée contradictoire. Paul Beaulieu accepte une joute contre les gros canons du parti Libéral, trop sûrs d’eux-mêmes. T.-D. Bouchard, conspué par une partie de la foule, fait front, force la voix et, les microphones changent la face des assemblées publiques en rendant l’avantage à l’orateur sur ses interrupteurs, même nombreux. Mais Paul Beaulieu, quand il parle, est intarissable. Il se moque de son adversaire, quasiment oublié au troisième rang derrière le déploiement "étranger", et met les discours que T.-D. Bouchard vient de prononcer en contradiction avec une déclaration de Godbout, rapportée par Le Canada du matin même. Il produit un tel effet que Bouchard s’évanouit. On emporte le ministre à l’hôpital. Et la population acclame ce succès d’un "p’tit gars de la place" contre les gros bonnets de Montréal, de Québec et de Saint-Hyacinthe».[44]
L’offensive est menée par Maurice Duplessis, le chef de l’Opposition. Il attaque la question de l’autonomie provinciale, son cheval de bataille, critique le projet de canalisation du Saint-Laurent et surtout la vassalité du Premier ministre Godbout devant le pouvoir fédéral. Godbout vient se défendre, à Saint-Jean même, d’être «mené par le gouvernement fédéral» :
«Godbout se défendait en disant que s’il n’avait pas coopéré avec Ottawa, la province serait maintenant sous occupation et ne possèderait plus aucun droit. Il affirmait que son prédécesseur était un irresponsable qui aurait détruit le Canada et amené la vengeance du Canada anglais sur un Québec déshonoré et sans défense».[45]
Il ajoute :
«"Si j’avais fait comme mon prédécesseur, qui insultait les ministres fédéraux, des révolutions auraient éclaté dans la province de Québec, et les citoyens auraient dû obéir devant la bouche du canon" Les Canadiens français qui se plaignaient de ne pas recevoir leur part, de ne pas être traités avec justice "mériteraient d’être sous le talon d’Hitler"».[46]
De telles déclarations vont s’avérer néfastes pour les Libéraux. Malgré les campagnes de presse, de radio, des discours et déclaration officielles, l’irritation des électeurs contre les Libéraux est au plus haut point : «Des lâchages se produisent dans la bourgeoisie», souligne Rumilly. Le zèle loyaliste du Cardinal Villeneuve de Québec et d’Adélard Godbout ne plaisent pas. À Saint-Jean, donc, la course est chaude. Perrier l’emporte de justesse avec moins de 20 voix de majorité, le 6 octobre 1941 :
«Édouard Asselin, procureur de Paul Beaulieu, demande un recomptage judiciaire. Le juge Alfred Duranleau préside à cette opération, palpitante comme toujours. Les avocats habituels des deux partis - John Ahern et Élie Beauregard pour les Libéraux, Édouard Asselin et Édouard Masson pour l’Union Nationale[47]- surveillent toutes les phases. Le juge rejete des bulletins. La majorité de Perrier tombe à 14 voix, puis à 4. Les avocats libéraux contestent des décisions du juge. John Ahern, se privant de déjeuner, part en hâte pour demander à la Cour d’Appel la suspension du recomptage. Émery Beaulieu, prévenu par téléphone, le devance au Palais. La Cour d’Appel, qui siégeait, conseille aux avocats de s’adresser à Sir Mathias Tellier, juge en chef. Tellier consulte rapidement ses collègues et refuse d’émettre l’ordre sollicité. Le juge Duranleau proclame Paul Beaulieu élu par 9 voix de majorité (6 612 contre 6 603)».[48]
Beaulieu est sans doute celui qui aura fait enrager le plus ses adversaires durant une campagne d’élection complémentaire. Au niveau provincial, comme plus tard au niveau fédéral, il brise la routine libérale du comté. En 1941, il met un terme à un long règne libéral depuis 1867 à la Législative et renouvellera l’exploit aux Communes en 1965.

Paul Beaulieu est né à Saint-Paul de l’île-aux-Noix le 22 janvier 1902, fils de A.-J. Beaulieu, le directeur de l’Académie Commerciale catholique de Saint-Jean. Ce jeune comptable agréé a été éduqué dans les meilleures règles. On l’a vu capitaine de l’équipe de hockey de Saint-Jean, les Canadiens. Le 15 octobre 1941, il est reconnu officiellement député provincial du comté de Saint-Jean, et sera promis au plus brillant poste ministériel depuis Félix-Gabriel Marchand.[49] Selon les experts qui ont analysé le vote, les Libéraux ont conservé le vote rural, mais la ville a assuré la victoire du candidat de l’Union Nationale, ce qui brise un préjugé tenace que seules les zones rurales supportaient Duplessis. Les femmes, à qui Duplessis avait refusé avec vigueur le droit de vote, ce dont Godbout, rendu au pouvoir, leur assura, ont voté pour Beaulieu. Il faut dire que le nouveau député est fort séduisant comparé à l’intellectuel Omer Perrier, d’allure réservée.

À l’ouverture de la session, le 24 février 1942, Beaulieu invoque l’autonomie provinciale en reprochant au gouvernement Godbout de céder les revenus provinciaux et de «se laisser dépouiller par Ottawa». Il avertit, en rapelant l’exemple de l’impôt sur le revenu cédé au gouvernement fédéral en temps de guerre : «Cette source énorme de recettes ne nous reviendra jamais». Dans l’élection partielle du comté de Saint-Jacques, à Montréal, Beaulieu appuie le candidat de l’Union Nationale qui l’emporte. Il n’en reste quand même pas moins que la campagne a été chaude. Il est vrai que la menace de la conscription effraie les électeurs canadiens-français qui en rejetent la faute au Parti Libéral au pouvoir. Paul Beaulieu devient vite un élément indispensable pour l’Union Nationale. Ses qualités de comptable lui permettent de soutenir puissamment la critique du budget libéral : «Paul Beaulieu, expert comptable, fait une brillante critique du budget. Il rappelle ce trait essentiel, passé sous silence par le trésorier : la disparition du chômage a soulagé le Trésor d’un fardeau énorme. Et cependnat, le régime augmente les taxes. Le revenu des taxes est passé de 50 millions en 1939 à 90 millions en 1942».[50]

Devant le plébiscite (qui en fait est un référendum) que le gouvernement fédéral présente à l’ensemble du Canada pour le libérer d’une promesse faite à la Province de Québec, le député Chaloult dépose une motion à la Législative proposant aux citoyens du Québec de répondre NON. Beaulieu appuie la motion du député qui siège comme indépendant, mais celle-ci est défaite par les ministériels. Devant la menace de conscription, Beaulieu poursuit son expertise de l’économie québécoise sous le gouvernement libéral, particulièrement l’industrie de la betterave sucrière que le gouvernement compte subventionner dans la Vallée du Richelieu et dont les premières tentatives se sont montrées désastreuses. Le 17 décembre 1942, Antonio Barrette et Paul Beaulieu président à la naissance de la Jeunesse de l’Union Nationale, dont le but est de disputer la jeunesse au parti du Bloc Populaire. Ce parti de Canadiens-Français fédéralistes, dirigé par les anciens alliés de Duplessis, les membres de l’Action Libérale Nationale Paul Gouin, Théophile Hamel et René Chaloult, mène la lutte aux Libéraux fédéraux, mais il s’invite parfois dans la politique provinciale, ce qui gêne furieusement Duplessis. Le plébiscite est remporté par le OUI et King, libéré de sa promesse, impose la conscription à la largeur du pays. Chaloult revient avec de nouvelles motions jetant le blâme sur le gouvernement fédéral. Le 23 février 1943, 3 heures après le dépôt d’une nouvelle motion Chaloult, Paul Beaulieu dépose une motion complémentaire priant le gouvernement fédéral «de n’adopter aucune mesure pour mettre en force la conscription pour service outre-mer». On aura reconnu-là la vieille marotte d’Henri Bourassa et du Parti Nationaliste durant la Première Guerre. La motion Chaloult est morte-née tandis que celle de Beaulieu, plus tempérée, est acceptée à l’unanimité.

Un peu plus tard, dans la même session, Paul Beaulieu conteste à nouveau le budget du ministère libéral. Le Trésorier Mathewson annonce que les impôts rentrent bien et que les remboursements du crédit agricole s’effectuent sans accroc. Mais Beaulieu donne une autre version :
«Pour l’administration ordinaire de la province, sans travaux importants, sans initiative spéciale, sans secours aux chômeurs, le gouvernement actuel a dépensé chaque année, depuis qu’il est au pouvoir, 35 millions de plus que celui de l’Union Nationale. Malgré cela il a augmenté la dette de la province, suivant ses propres cheiffres, de 35 millions en 3 ans, tout en soutirant du peuple, sous forme de taxes, $ 47 232 000. Le bilan total de son administration se chiffre donc par un déficit de $ 82 680 000…»[51]
1943, c’est aussi l’année où Hector Perrier (cousin germain de Louis-Omer, rédacteur en chef du Canada-Français et candidat libéral défait par Beaulieu), présente un bill sur l’Instruction obligatoire, aux applaudissements nourris des Libéraux. Tous les enfants de 6 à 14 ans sont tenus de fréquenter une école. Les Unionistes, Onézime Gagnon et Antonio Élie, présentent un amendement qualifiant le bill Perrier d’«inopportun et actuellement impraticable, parce que ce bill néglige de pourvoir au règlement indispensable des difficultés financières, éducationnelles et autres, qui paralysent l’action des parents et des commissaires scolaires».[52] Beaulieu critique également le bill Perrier, mais ce dernier se défend. Godbout interrompt les détracteurs unionistes : «Nous ne reculerons pas devant notre devoir, qui est d’imposer aux parents les obligations qu’ils ne comprennent pas». Le bill Perrier est adopté après que l’amendement Gagnon soit rejeté. Entre-temps, ce sont les questions fédérales qui préoccupent l’Union Nationale. Beaulieu participe à une critique des restrictions imposées par le gouvernement fédéral sur l’industrie du papier, mobilisant l’industrie du papier-journal et la fameuse question des betteraves à sucre, dont l’industrie de Saint-Hilaire, équipée à grands frais, n’est toujours pas entrée en opération.

Le scandale de Saint-Hilaire, la façon cavalière dont le gouvernement King conduit le gouvernement Godbout comme s’il était sous tutelle, la crise de la conscription, l’arrestation et la détention du maire de Montréal, Camilien Houde, également député de Sainte-Marie qui a osé protester contre l’application des mesures de la conscription et encouragé la population à résister, sont autant de griefs des Canadiens-Français contre le gouvernement d’Adélard Godbout. L’Union Nationale organise des rencontres publiques à Saint-Lin, à Drummondville, à Saint-Jean même où, toujours, Paul Beaulieu apparaît auprès de son chef et tous deux se montrent aussi virulents contre King et Godbout. En 1944, à la session pré-électorale, le Trésorier Mathewson présente le budget annuel à l’excédent de $ 275 000. De manière beaucoup plus véhémente encore, Beaulieu reprend la critique étoffée du budget déjà énoncé dans les sessions précédentes. Enfin, le parti de Duplessis s’oppose à une mesure d’étatisation de la Montreal Light, Heat and Power Consolidated, mesure votée en majorité par les Libéraux et qui anticipe le mouvement de nationalisation entrepris par le gouvernement Lesage avec René Lévesque moins de 20 ans plus tard.

La campagne électorale s’engage au cours de l’été 1944. La conscription a littéralement scié les jambes du Parti Libéral. Le 23 juillet, Paul Beaulieu dit à ses électeurs de Saint-Jean que le gouvernement Godbout pensait changer la devise de la Province de Je me souviens en Je me soumets. Tandis que Beaulieu emporte le comté, Duplessis redevient chef du gouvernement. Duplessis aurait voulu donner le Ministère du Trésor à Beaulieu, «mais une pression discrète des banques fait choisir un député moins désagréable aux puissances financières». Beaulieu est «énergique, dynamique et efficace, et toujours bien vu de Duplessis». Aussi, est-ce à lui qu’est confié le soin de consolider le Ministère de l’Industrie et du Commerce :
«L’un des plus habiles membres de l’administration, Beaulieu préside lui-même à l’organisation technique de son ministère. Il institua des services capables de répondre aux demandes de renseignements venues de l’extérieur et capable aussi de pourvoir aux nouveaux intérêts industriels du Québec à l’étranger. En fait, il effectuait lui-même des voyages ici et là à travers l’hémisphère occidental, mais surtout aux États-Unis. Ces initiatives donnaient des résultats très satisfaisants. Beaulieu mettait en valeur la proximité des ressources naturelles, les marchés nord-américains, les voies maritimes internationales ainsi que les relations ouvrières paisibles et un gouvernement responsable».[53]
Beaulieu, Ministre de l’Industrie et du Commerce. Beaulieu, pourtant, est un homme rassurant pour les milieux d’affaires : «Paul Beaulieu, ministre du Commerce, plaît aux industriels par ses professions de foi antisocialistes. Il veut entretenir et stimuler le mouvement. Il voit loin».[54] Ainsi, développe-t-il les relations avec des pays d’Amérique latine en servant d’ambassadeur des milieux d’affaires. Onézime Gagnon et Paul Beaulieu font une tournée au Mexique et à Haïti afin d’établir des relations culturelles et commerciales au début de 1945. Maintenant que les rôles sont renversés, Beaulieu ne peut qu’appuyer le budget de Gagnon. L’ex-Trésorier Matthewson, qui a pris la place de Beaulieu dans l’opposition, n’hésite pas à mordre sur les commentaires laudatifs de Beaulieu : «Les ministres de l’Union Nationale condamnent le bilan du gouvernement Godbout devant les électeurs, mais s’appuient sur ce bilan devant les prêteurs».

La guerre terminée, une nouvelle époque de crises s’apprête à déferler sur le monde et à influer sur la politique provinciale. La Guerre Froide et la chasse aux Communistes vont justifier bien des mesures illégales de la part du gouvernement et de la police lors des conflits ouvriers. Au début de l’été 1945 est formée une Commission d’électrification rurale dont fait parti Beaulieu. Plus tard, au cours de ce même été, il crée un Office provincial de l’Artisanat, organisme de coordination entre les artisans, les consommateurs et les services administratifs. Beaulieu prévoit l’ouverture d’une centrale pour la distribution des matières premières aux artisans et aux centres régionaux. En novembre de la même année, une allocation aux mères nécessiteuses est augmentée de $ 10.00 mensuellement. Pour Beaulieu, la pension aux mères nécessiteuses «équivaut à une police d’assurance de $ 15 000 dollars que le gouvernement Duplessis a mise entre les mains de tous les pères de famille, de tous les hommes mariés». À l’issu d’une rencontre fédérale-provinciale en novembre 1945 toujours, un Comité économique est formé comprenant 3 délégués du gouvernement fédéral et 3 autres du gouvernement provincial : Beaulieu, ministre du Commerce et de l’Industrie et Trésorier le temps qu’Onézime Gagnon se remette d’une maladie, fait partie du comité. Le but de ce comité est de siéger entre les conférences fédérale-provinciales et discuter des propositions fédérales et des contre-propositions provinciales sur l’administration de l’économie nationale. Puis, le 21 janvier 1948, Paul Beaulieu propose le fleurdelysé comme drapeau officiel de la Province de Québec qui est adopté après un discours fleuve de Duplessis.

La même année sont déclenchées des élections. La stratégie de Duplessis est simple : associer les Libéraux aux Communistes et profiter de la paranoïa qui sévit sous la Guerre Froide, ce qu’il fait avec une mise en scène à Saint-Jean le 26 juillet. En mai 1952, Duplessis ouvre les élections, s’opposant à un nouveau chef libéral, Georges-Émile Lapalme, mais il est réélu, de même que Beaulieu. Puis encore en 1956 pour un dernier mandat. Duplessis meurt en septembre 1959 pendant que Beaulieu est tout entier à l’organisation de l’Exposition universelle de Montréal pour 1967. Duplessis n’affectionne pas particulièrement cette idée, mais son successeur, Paul Sauvé se montrera plutôt enthousiaste. Beaulieu irait même jusqu’à se battre pour décrocher l’exposition, mais les morts de Duplessis, puis de Sauvé nous amènent aux élections provinciales de 1960. L’usure de l’Union Nationale est remarquable, même si Paul Sauvé a tenté de redresser et d’adapter le parti aux nouvelles condtions du monde contemporain. Beaulieu est défait de même que son parti qui passe à l’Opposition.

Pendant ses mandats, même si le Ministre Beaulieu semble constamment occupé à des tâches provinciales, le député ne délaisse pas son comté pour autant. Il se montre très actif en tant que Ministre de l’Industrie et du Commerce et contribue ainsi à la venue de plusieurs industries dans la région : telles que la Brown-Boveri devenue la Westinghouse, la Saint-Regis Paper portant plus tard le nom de Cyanamid et la construction d’école dont l’École des arts et métiers maintenant appelée l’École professionnelle des métiers, l’École Forget devenue l’École Bruno-Choquette, l’École Félix-Gabriel-Marchand et l’école secondaire Beaulieu nommée ainsi en l’honneur de l’éducateur Alexandre-Josaphat Beaulieu, son père. C’est sous le mandat de Paul Beaulieu qu’a été construit le nouveau pont reliant les deux rives du Richelieu, initialement désigné pont Beaulieu, nom remplacé en 1965 par celui de pont Félix-Gabriel-Marchand.

La députation provinciale depuis 1960. À la défaite de Beaulieu, le comté de Saint-Jean revient au Parti Libéral et Philodor Ouimet est élu député à la Législative le 22 juin. Fils d’Eugène Ouimet, fondateur en 1938 de la Compagnie des Carrières Bernier Limitée, Philodor est né le 24 mars 1909. À la retraite de son père, il reprend l’entreprise en main tout en s’associant avec Philippe Baillargeon. Il a été maire de la paroisse pendant 18 ans et préfet de comté. Il se porte acquéreur du commerce de C.-O. Gervais, quincaillerie de la rue Richelieu en 1963. Pendant que se font les grandes rénovations de l’État québécois avec le gouvernement Lesage, Ouimet est campé dans son rôle de back bencher.

Mais le 5 juin 1966, l’Union Nationale reprend le pouvoir avec le député Jérôme Proulx, enseignant au Collège Militaire Royal. Proulx restera député sous les gouvernements de Daniel Johnson et de Jean-Jacques Bertrand. Proulx a écrit un livre, Le panier de crabes, publié par la maison d’édition socialiste Parti Pris, dans lequel il relate son expérience de politicien et justifie ce qui l’a amené à rejoindre les rangs du Parti Québécois :
«C’est par je ne sais quelle fatalité que je suis entré dans ce monde hallucinant de la politique, en mai 1966; 4 années plus tard, je quittais brutalement ce panier de crabes, expulsé par la viperine propagande des vieux partis.

Ce que je veux raconter, c’est mon passage dans les sinueux corridors du pouvoir, du patronage et de la corruption; ce sont ces longues heures perdues dans les couloirs d’un Parlement anachronique; c’est la fulgurante visite du général de Gaulle et ses implications historiques; ce sont les dernières batailles livrées par le Québec sur le front d’Ottawa par ce grand général sans armée qu’était Daniel Johnson; c’est la burlesque convention UN; ce sont les origines du bill 85, c’est l’odieux bill 63, et enfin mon adhésion toute naturelle au parti de René Lévesque, cheminement logique à tous ces événements».[55]
Il y a un relent du roman d’Arsène Bessette, Le Débutant, dans ce livre-pamphlet de Jérôme Proulx, mais plutôt que de succomber entièrement au désabusement, comme le jeune héros du romancier, Proulx réinvestit son optimisme dans le projet de souveraineté du mouvement dirigé par l’ex-ministre libéral René Lévesque, artisan de la nationalisation de l’électricité. La mort prématurée de Daniel Johnson a laissé l’Union Nationale et le gouvernement du Québec entre les mains d’un homme faible, Jean-Jacques Bertrand, qui ne sait comment résoudre les conflits suscités par les confrontations linguistiques. Son projet de loi 63 qui, tout en faisant la promotion de la langue française, garantit aux parents la liberté de choisir la langue dans laquelle leurs enfants recevront l’enseignement, soulève une sérieuse ontroverse. Contesté, villipendé, le projet de loi force Proulx a traverser la Chambre pour siéger à côté de Lévesque. Durant son premier mandat, Jérôme Proulx voit s’ériger le CEGEP de Saint-Jean en 1968 et l’Hôpital du Haut-Richelieu en 1969. Le bill 63 a brisé les jambes de l’Union Nationale comme la conscription de 1942 avait brisé celles du Parti Libéral. En avril 1970, un balayage libéral traverse le Québec. Proulx perd son siège et, en tant qu’indépendantiste, se voit interdit d’enseigner au Collège Militaire Royal. Il ira donc en exil à Saint-Jérôme, où il en profitera pour rédiger son livre. Il explique ainsi le balayage libéral de 1970 :
«En avril 70, la caste capitaliste s’est jointe à la caste libérale : ils se sont vus, ils se sont reconnus, ils se sont aimés. Ils se sont déclarés fédéralistes, comme ils se seraient déclarés n’importe quoi (pourvu que ce soit payant). Ils ont vu que le sol leur glissait sous les pieds, le contrôle allait leur échapper des mains. Alors la caste anglaise, unie à la caste marchande, a signé alliance avec la caste libérale et d’une voix unanime ils ont dit : "Sauvons la Confédération", ça voulait dire : "Sauvons nos meubles". Et depuis lors, ce nouveau Family Compact gouverne le Québec».[56]
Un jeune enseignant, Jacques Veilleux, est élu député libéral de Saint-Jean. Né en 1939 en Beauce, son parcours est resté jusque-là assez modeste :
«Il fit ses études classiques au Collège Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse où il obtint son baccalauréat ès arts en mai 1959. Il poursuivit ses études en droit et en pédagogie aux Universités d’Ottawa, de Sherbrooke et de Montréal.

De 1961 à 1962, il fut assistant-rédacteur au journal L’Éclaireur-Progrès et il enseigna par la suite durant 9 ans, dont 6 à la Commission scolaire régionale Honoré-Mercier à Saint-Jean. Entretemps, il fut président de l’Association des Enseignants d’Honoré-Mercier de 1967 à 1970».[57]
Veilleux est député du comté lors des tristes événements d’octobre 1970. Le calme revenu, il inaugure la Polyvalente Chanoine-Armand-Racicot en 1971, puis la fusion des Corporations du vieil et du nouvel hôpital. C’est lui qui, à l’instar de son parti, favorise le regroupement des Commissions scolaires du comté, ce qui amène, en 1972, la création de la Commission scolaire Saint-Jean-sur-Richelieu. De plus, Veilleux renfloue les affaires municipales en obtenant un octroi de $ 265 000 pour combler le déficit de la fusion de la Cité et de la paroisse de Saint-Jean. Il est réélu le 29 octobre 1973 par une majorité confortable de 4 678 voix contre son adversaire péquiste Jérôme Proulx, Yvon Dupuis devenu chef du Crédit Social et Roger Garceau de l’Union Nationale. Le balayage de la province par le Parti Libéral est l’un des plus forts jamais vu. 102 des 110 comtés tombent entre leurs mains. Veilleux est nommé adjoint parlementaire du Ministre des Communications en 1973, puis, en octobre 1975, adjoint parlementaire du Ministre du Travail et de la Main-d’œuvre ainsi que responsable du Service de Placement Étudiant du Québec.

La victoire écrasante de 1973 contenait en elle-même la défaite surprise du 15 novembre 1976. Cette journée d’élection voit le Parti Québécois former, pour la première fois, le gouvernement du Québec. Bourassa est évincé du Parlement, tout comme Veilleux est défait dans la circonscription. C’est la vengeance de 1970 dit-on. La veille du triomphe de Jérôme Proulx, Paul Beaulieu décédait. Comment expliquer ce retour en force de Jérôme Proulx? Revenu de Saint-Jérôme, enseignant à la Polyvalente Marcel-Landry d’Iberville, l’ex-député ne cessait d’envoyer des lettres ouvertes publiées dans Le Canada-Français critiquant le député Veilleux et le gouvernement de Robert Bourassa. Supporter par les syndicats et le secteur professionnel dont il est le porte-parole, il récolte les fruits d’une période où l’engagement politique signifiait une certaine quête d’aspirations sociales et nationales.

À la formation du cabinet du Parti Québécois, Jérôme Proulx est nommé whip du parti alors que la population locale s’attendait à ce qu’il soit nommé ministre. C’est une déception pour les Johannais. Après tout, Proulx n’avait-il pas abandonné son siège au gouvernement pour traverser le Chambre et devenir le second député à siéger sous l’étiquette du Parti Québécois? Le premier mandat du Parti Québécois restera sans doute dans les annales du Québec comme le meilleur gouvernement, le plus efficace et le mieux intentionné. Comme une seconde phase nécessaire à l’achèvement de la Révolution tranquille. Il aurait été normal que le tout éclot avec le référendum du 10 mai 1980. Jérôme Proulx y prononça un discours vif et ressenti (Voir en annexe). Malheureusement pour les forces indépendantistes, ce fut le NON qui l’emporta. Puis, c’est le déclin. En 1981, le gouvernement du Parti Québécois est reporté au pouvoir et Proulx se fait réélire dans Saint-Jean. Mais la grâce de 1976 déserte le parti pour toujours. Après le vote des décrets régissant les conventions collectives des employés du secteur publique, décrets votés en rafale la veille de Noël, il en aurait été fait pour un second mandat si le chef du Parti Libéral, Claude Ryan, n’avait suscité un tel rejet de la population québécoise. Nous savons comment ce second mandat du Parti Québécois s’acheva dans la discorde, la paranoïa du chef, René Lévesque, forcé de démissionner et le nouveau discours pantouflard de Pierre-Marc Johnson. À l’élection de 1985, les Libéraux reviennent au pouvoir avec un ancien chef, Robert Bourassa, et un nouveau député pour le comté de Saint-Jean, Pierre Lorrain. Ce dernier est nommé Président de la Chambre (comme jadis Félix-Gabriel Marchand et Philippe-Honoré Roy). Il ne sera député du comté que pour un seul mandat. En 1989, le Libéral Michel Charbonneau lui succède.

Le comté de Saint-Jean retourne au Parti Québécois en 1994 avec l’élection de Roger Paquin. Il sera député sous le gouvernement Parizeau dans un premier temps, jusqu’aux lendemains du référendum de 1995 alors que le chef se retire dans l’amertume et cède la place à la vedette de l’heure, Lucien Bouchard qui fait le saut dans l’arène provinciale après avoir été chef du Bloc Québécois à Ottawa et, après sa démission, l’éphémère gouvernement de Bernard Landry. L’élection d’un premier gouvernement minoritaire dirigé par le Libéral Jean Charest (2003) amène, pour le comté de Saint-Jean, l’élection de Jean-Pierre Paquin. Le député libéral restera en poste jusqu’à l’élection de 2007 lorsque la candidate de l’Action Démocratique du Québec (A.D.Q.), Lucille Méthé, première femme députée du comté de Saint-Jean participe d’un mini raz-de-marée du tiers parti. Comme le gouvernement est toujours minoritaire, Méthé restera seulement un an députée du comté. L’élection du péquiste Dave Turcotte, une première fois en 2008, une seconde fois en 2012 et une troisième en 2014 laisse le comté aux mains du Parti Québécois :

Philodor Ouimet (1960-1966)
Jérôme Proulx (1966-1970)
Jacques Veilleux (1970-1976)
Jérôme Proulx (1976-1985)
Pierre Laurin (1985-1989)
Michel Charbonneau (1989-1994)
Roger Paquin (1994-2003)
Jean-Pierre Paquin (1994-2003)
Lucille Méthé (2007-2008)
Dave Turcotte (2008-    )

Les référendums de 1980 et 1995 dans le comté de Saint-Jean. Les deux référendums québécois, celui de 1980 et celui de 1995, ont été tenus pour décider de l’accessibilité du Québec à la souveraineté étatique tout en maintenant des accords ponctuels, administratifs et économiques, avec le Canada. À la question du référendum du 20 mai 1980 : 
«Le Gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d’en arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l’égalité des peuples; cette entente permettrait au Québec d’acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d’établir ses relations extérieures, ce qui est la souveraineté – et, en même temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l’utilisation de la même monnaie; aucun changement de statut politique résultant de ces négociations ne sera réalité sans l’accord de la population lors d’un autre référendum; en conséquence, accordez-vous au Gouvernement du Québec le mandat de négocier l’entente proposée entre le Québec et le Canada?» 
Nous présentons ici un tableau qui contient les résultats pour l’ensemble du Québec et en particulier pour le comté de Saint-Jean.

OUI (Province): nb. de voix : 1,485,851 (40,44%)/(Saint-Jean): nb. de voix: 13,617 (38,92%)

NON (Province): nb. de voix: 2,187,991 (59,56%)/(Saint-Jean): nb. de voix: 21,373 (61,08%)

TOTAL (Province): nb. de voix: 3,673,842 (98,26%)/(Saint-Jean): nb. de voix: 34,990 (98,49%)

On remarquera que le pourcentage du Oui est inférieur à la moyenne obtenue au niveau de la Province, et, par conséquent, le Non est supérieur à la moyenne provinciale. De plus, la participation au scrutin est supérieure à la moyenne du Québec. Le comté provincial de Saint-Jean-Napierville a donc voté majoritaire et fermement pour le Non lors du référendum de 1980.

Quinze ans plus tard, c’est le tour d’un second référendum. La question posée par le gouvernement de Jacques Parizeau est la suivante : 
«Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995?» 
Les résultats sont les suivants :

OUI (Province): nb. de voix : 2,308,360 (49,42%)/(Saint-Jean): nb. de voix: 25,554 (56,14%)

NON (Province): nb. de voix: 2,362,648 (50,58%)/(Saint-Jean): nb. de voix: 19,967 (43,86%)

TOTAL (Province): nb. de voix: 4,671,008 (98,18%)/(Saint-Jean): nb. de voix: 45,521 (98,17%)

Par rapport au référendum de 1980, 10% de plus de la population québécoise ont voté pour le Oui, mais cette fois-ci, le comté de Saint-Jean dépasse la moyenne provinciale et c’est 16% de plus que le pourcentage de 1980. Conséquemment, le vote du Non a baissé de 10% dans la province et de 18% pour le comté. Par contre, l’expression du vote a été à peine inférieure à celui du Québec, de même que le taux est inférieur à celui du vote exprimé dans le comté quinze ans plus tôt.

Il est vrai que la question de 1995 était moins vague que celle de 1980, où le préambule était très élaboré et le processus paraissait plutôt embrouillé. En 1995, la question référendaire est conditionnelle à une entente tenue quelques mois plus tôt et qui consistait en une série de partages administratifs avec le gouvernement canadien advenant l’indépendance du Québec. Il s’agissait surtout de rassurer la population plutôt que de la semer dans l’inquiétude d’un processus flou pour une réponse tranchée.

Comment expliquer alors la progression de la population du comté de Saint-Jean? Le Saint-Jean de 1980, même s’il avait voté pour le Parti Québécois en 1976, restait un comté de tradition libérale. Entre 1976 et 1980, c’était demander un tour de force périlleux à une population qui avait osé faire confiance à un jeune parti que celui de l’engager à bouleverser sa vision du Canada. En 1995, certes, le Parti Québécois n’est plus un jeune parti, mais les négociations depuis la nouvelle Constitution de 1982, ont laissé des blessures profondes, même parmi ceux qui avaient voté Non en 1980. La volonté de s’approprier son auto-détermination nationale pourrait-elle se confondre avec le fait de s’approprier son auto-détermination régionale? Il s’agit d’un vote «conservateur» dans la mesure où, sentant le sol se dérober sous leurs pieds, les Johannais n’ont plus peur du risque puisque de moins en moins ils exercent de contrôle sur le développement de leur région. Les quinze années qui ont suivi 1980 ont laissé voir la désagrégation du Saint-Jean des beaux jours : la mouvance géographique, la décléricalisation religieuse, la montée de nouvelles cultures contestataires, la paupérisation du centre-ville qui faisait autrefois la fierté de Saint-Jean, capitale régionale, sont dans les esprits de tout le monde. Rien ne fait plus peur quand on a l'impression d'avoir tout perdu. La stagnation économique qui a paralysé la bourgeoisie locale au cours du dernier demi-siècle trouve son correspondant politique dans l’impuissance de la Ville à manipuler les rênes du pouvoir. Si un Paul Beaulieu s’est démarqué par le dynamisme à la fois comme membre du cabinet ministériel et comme député du comté, la plupart des autres députés provinciaux n’ont pas brillé autant que lui. Le personnel politique fédéral ne vaut guère mieux. Alcide Côté peut bien être Ministre des Postes, mais le commandant de la Base aérienne ne le reconnait (ni ne le connaît) pas. Les autres députés fédéraux seront encore moins bien connus. Le ministre Bissonnette, dans le cabinet Mulroney, après avoir été très médiatisé, finit dans la controverse et doit se retirer. Contrairement aux anciens députés formés dans les collèges classiques à user de la rhétorique, les nouveaux technocrates qui figurent comme députés du comté ne rayonnent pas avec le même prestige que jadis. Plutôt que les paroles, ce sont les chiffres qui les intéressent. Et les référendums ont été gagnés par le Parti Libéral fédéral en usant d’une guerre psychologique dont les chiffres étaient les armes mortelles. Cette réduction à l’état de pure silhouette de la députation johannaise, tant au fédéral qu’au provincial, n’est pas spécifique à Saint-Jean. C’est un problème national - tant au Canada qu’au Québec - et lié à une démocratie de masse qui use des stratégies de la publicité pour gagner ses buts. Les députés de jadis gagnaient leurs comtés, aujourd’hui, ce sont les chefs de partis qui les gagnent ou les perdent sur des écrans de téléviseurs, voilà ce qui illustre la profondeur de l’impuissance politique des circonscriptions électorales alors que la démocratie, disait Lincoln, était le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Il est douteux que notre système politique réponde encore à ces trois critères.

Presse et radio locales. La parole politique s’exprime généralement dans les média, et l’évolution technique des média au cours du dernier tiers du XXe siècle à changer beaucoup le rôle que la presse avait été habitué de jouer par le passé dans la vie politique du comté. La publication du Canada Français s’est maintenue jusqu’à nos jours. Perrier meurt en 1958 et son petit-fils, Yves Gagnon devient propriétaire du journal, qu’il dirige seul jusqu’en 1964. Dès lors, le journal se mérite plusieurs prix d’excellence dans le monde de la Presse francophone du Canada. En pleine Révolution tranquille, Le Canada-Français couvre alors toute la région de Saint-Jean, Saint-Luc, Iberville, L’Acadie. Il pénètre dans 67% des foyers et il est lu par 35 000 personnes. Le journal devient donc un canal publicitaire très important pour les commerçants. Le journal, en se faisant presse de masse, augmente son tirage et le nombre de pages au cours des années. Le 30 juillet 1964, Le Canada-Français se proclame pour la première fois L’hebdomadaire du Haut-Richelieu et le 3 septembre suivant, le nom de Franco-Canadien disparaît après un siècle d’existence du bandeau de première page. En octobre 1966, Le Canada-Français devient membre de l’Association des hebdomadaires de langue française du Canada et de l’Audit Bureau of Circulation (ABC). Il participe à la fondation du groupe des Hebdos A-1. Le 4 décembre 1968, il paraît, pour la première fois, le mercredi.

C’est en 1972-1973 que Le Canada-Français tente l’expérience de s’implanter à Longueuil, moins chanceux que le diocèse, il échoue mais subit peu de pertes. Le 16 décembre, les administrateurs du journal signent une première convention collective avec leurs employés : les Travailleurs de l’Information du Canada-Français, affiliés à la C.S.N. et accrédités quelques mois plus tôt. Depuis ce temps et pour la décennie jusqu’en 1980, le journal ne cesse de se mériter des prix d’excellence. Beaucoup doit être attribué à l’associé de Gagnon, Robert Paradis, président du Groupe Le Canada-Français qui remplacera Gagnon à partir des années 70. Des adaptations à la modernité sont progressivement opérées. On commence par ajouter toujours plus de photographies et certaines en couleur. Les pages publicitaires ne cessent d’amplifier le volume du journal. Fini le temps des grandes pages aux colonnes serrées, la forme tabloïde s’impose d’elle-même, comme pour les quotidiens de Montréal. L’équipe dirigée par Renel Bouchard, directeur général, poursuit son développement depuis les années 1980.

Au bout de 120 ans d’existence, Le Canada-Français subsiste comme l’un des plus vieux journaux du pays. Son histoire fait ressortir deux points : la médiocrité des autres journaux régionaux ou locaux ou leur incapacité financière à survivre et la possibilité d’expansion lorsqu’il parvient à s’inscrire comme un véritable monopole régional. La déconfiture de son concurrent, Le Richelieu, permet de souligner la puissance qui porte Le Canada-Français.

En dépit de nombreux obstacles, Le Richelieu maintient un haut standard de qualité tout au long des années 1940. De 1955 à 1969, le journal arbore régulièrement les chroniques et sections suivantes :

a) Un éditorial signé du rédacteur en chef (directeur) sur des sujets de la scène nationale, provinciale et locale.
b) Une courte revue de la presse provinciale.
c) Une page féminine (dirigée pendant la première année par Rina Lasnier).
d) Une page consacrée à l’agriculture.
e) Une page d’information régionale.
f) Périodiquement, une page intitulée «Œuvres et Sociétés» qui renseigne les lecteurs sur les activités religieuses.

Le 21 septembre 1939, pour fêter son cinquième anniversaire, Paul L’Écuyer écrit un virulent éditorial qui se veut un plaidoyer pour Le Richelieu tout en critiquant les autres journaux locaux qui ne seraient pas à la hauteur. Cette politique le sert durant les 20 années qui suivent : au cours des années 1950, il raffle tous les prix d’excellence bien avant que Le Canada-Français ne remporte ses premières mentions. L’Association des Hebdomadaires de langue française lui décerne quelques prix d’excellence tandis que les religieux font publiquement campagne en chaire en sa faveur. De longs articles sont consacrés à des sujets d’envergure nationale et provinciale, tels la coopérative confrontée au capitalisme, l’avenir de la nation canadienne-française, etc.

Durant la décennie des années 60, les éditoriaux se raréfient et laissent place aux nombreux articles de fond et aux nouvelles régionales. Le Richelieu se veut toujours le porte-parole des différents organismes religieux, fidèle à son engagement pris voilà 25 ans. Les organismes sociaux et le secteur économoique sont de plus en plus suivis par le journal. Puis, le 19 mai 1966, les Éditions du Richelieu Inc annonce des transformations importantes au journal. En fait, les Éditions se détachent peu à peu de la publication hebdomadaire, vraisemblablement pour des raisons financières. Les deux entreprises (journal et éditions) sont dorénavant dirigées par des individus distincts. M. Antoine Desmarais est le rédacteur en chef du journal. En mars 1969, les Éditions cèdent le journal à un particulier, M. Jacques Hêtu, homme d’affaires comptable. C’est lui qui inaugure les jours où le journal commence à être distribué gratuitement de porte à porte. Déçu par la débâcle de la publication qui vivote sur son rayonnement régional, il le vend à Jean-Paul Auclair, propriétaire du poste de radio local C.H.R.S. (l’émetteur se trouve à Longueuil). Les bureaux du journal aménagent à la station de radio, rue Saint-Jacques. Dès lors, le journal prend une tangente mercantile par son extension où, toujours distribué de porte à porte, le journal couvre 16 municipalités environnantes, de Chambly à Lacolle et de Carignan à Saint-Césaire. Enfin, Auclair vend le journal à Raymond Blaquière, qui entreprend de soutirer au Richelieu ce qui lui restait de dignité : «Il obtint un succès incontestable; et ce n’est qu’en avril (1977) qu’il décidait d’aller répandre ailleurs son génie, à l’aide des $ 40 000 dollars de profit qu’il s’est procuré en se départissant du journal».[58]

On comprend facilement que les deux derniers directeurs du Richelieu avaient peu de conscience politique puisqu’ils firent rien de moins du Richelieu qu’une sorte de circulaire publicitaire. En avril 1977, les Promotions G. & P. acquierent le journal par l’entremise du Canada-Français. Ainsi donc, en 1977, tandis que Le Richelieu ne survit plus que comme l’ombre de ce qu’il était, la région ne connaît plus qu’une entreprise de presse écrite : celle du Canada-Français, ce qui contrevient assez au principe de la liberté de la presse. Certes du temps où l’Union Nationale était au pouvoir, son journal, Le Richelieu recevait des prix d’excellence; lorsque les Libéraux sont revenus au pouvoir, ce fut au tour du Canada-Français à recevoir les mentions. Ce n’était pas qu’une affaire de soutien partisan, c’était aussi la difficulté, pour un comté, de soutenir deux journaux, la concurrence conduisant toujours au monopole, et le mieux outillé, tant par la qualité de sa présentation que par ses diverses équipes rédactionnelles se trouvait être Le Canada-Français. 

Mais la presse écrite n’est plus le seul moyen de communication publique. À côté du journal s’installe un premier poste de radio diffusant dans la région les nouvelles locales et provinciales, CHRS 1090, est entré en ondes en 1956 par Radio-Iberville Lte, avec une puissance de 1 050 watts, ne diffusant que le jour et libre de tous réseaux. En 1965, la puissance est augmentée à 10 000 watts de jour seulement, quelques années plus tard, elle déménage ses studios dans la Ville de Jacques-Cartier qui fusionnera avec Longueil en 1969. Vient alors une suite de changements de nom : Radio Rive-Sud (CHRS) en 1974; Radio-Diffusion Michel Mathieu Inc en janvier 1984, puis la station retourne à Saint-Jean-sur-Richelieu en 1985. Le 26 août 1986, CHRS est autorisé à changer de fréquence pour le AM 1040 avec une puissance de 10 000 watts le jour et 1 000 watts la nuit. En 1990, Diffusion Power achète CHRS qui éprouve des difficultés financières. Le poste devient alors CFZZ et la station est officiellement relancée le 24 mai 1991. Le 4 septembre 1992, CFZZ obtient l'autorisation de passer de la bande FM à la fréquence 104,1 MHz avec une puissance de 560 watts et devient donc Z-104 Le rocker sympathique. La puissance est augmenté à 1 350 watts en 1995. En 200, Corus Québec fait l'acquisition de Diffusion Power. Le 21 juillet 2005, le CRTC approuve la demande de Corus d'échanger ses stations, incluant CFZZ, avec les stations CFOM-FM Lévis et celles du réseau Radiomédia d'Astral Media pour la somme de $11 millions. CFZZ rejoint le réseau Boom FM la même année. Le 16 mars 2012, Bell Canada (BCE) annonce son intention de faire l'acquisition d'Astral Media, incluant le réseau Boom FM, pour $ 3 38 milliards. La transaction est refusée par le CRTC mais Bell dépose une nouvelle demande le 4 mars 2013 qui est approuvée le 27 juin suivant. Le 10 janvier 2013, Boom FM congédie quatre animateurs de CFZZ et CFEI et diffuse sa programmation entièrement en réseau à partir de Saint-Jean ou Saint-Hyacinthe.

Puis, il y a la télévision communautaire qui s'installe au tournant des années 1970. Aujourd'hui, c'est TVHR (Télévision du Haut-Richelieu) qui diffuse une programmation qui dessert l'ensemble de la région.

Déclin de la pratique religieuse. Il n’y a pas jusqu’aux activités religieuses qui, de par le passé, entretenaient de forts investissements dans l’économie et la culture locales, a subir des revers durant ce dernier demi-siècle qui nous sépare de la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1946, aux lendemains de la guerre, le Diocèse de Saint-Jean regroupait 46 paroisses et une population de 78 000 âmes. L'exode vers les banlieues à partir des anciens centre-villes entraînait le morcellement des juridictions ecclésiastiques traditionnelles. C'est sous l'épiscopat de Mgr Gérard-Marie Coderre, successeur de Mgr Forget en 1951, que le premier exode est le plus important. Par exemple, en 1948, 400 familles trouvent la distance à parcourir trop grande pour se rendre à la Cathédrale, ils entreprennent donc des démarches qui aboutissent à la fondation de la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes. Avant cette date, la paroisse est une desserte : le prêtre va y célébrer les messes sans toutefois y résider. Tout comme au début, avant la création de la paroisse Saint-Jean. L'abbé Isidore Provençale est le curé fondateur. De même, le 1er août 1956 la paroisse Saint-Gérard-Majella est fondée à son tour. De 1956 à 1962, les messes sont célébrées à la salle de l'école Sainte-Jeanne-d'Arc. Pendant ce temps, on construit l'église dont l'architecture est sans doute la plus avant-gardiste de la paroisse. La première messe y est célébrée à l’occasion de la messe de Minuit, le soir du 25 décembre 1963, par le curé fondateur Rolland Rémillard, qui y restera curé pendant plus de 20 ans. En 1957, la paroisse Saint-Lucien est fondée par le curé Benoît Legrand. C'est la forte augmentation de la population dans le quartier ouest de la ville qui nécessite cette nouvelle paroisse. Suite à des demandes répétées des futurs paroissiens de Saint-Lucien en vue d'obtenir une paroisse, le Diocèse accepte d'ouvrir cette dernière. Entre 1957 et 1959, le culte se fait chez les Sœurs du Saint-Sacrement - sur la rue des Trinitaires. Mgr Coderre bénit l’église en 1959. La paroisse Saint-Eugène est fondée le 24 août 1958, toujours en raison de la forte croissance de la population autour de Saint-Jean. Pierre Lanctot en est le curé-fondateur et avant la fin des travaux de l’église, il récite les offices à l’école Saint-Patrice - l’actuelle école Dr-Alexis-Bouthillier. La dernière paroisse consacrée est celle de Sainte-Marie de la Visitation, fondée en 1989. Une salle de location dans un petit centre d’achat lui sert de première église.

On se souviendra que depuis 1934, la vieille paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste est devenue la Cathédrale par l’établissement de l’évéché du Diocèse de Saint-Jean. Les grandes cérémonies diocésaines y sont célébrées. Pour cette raison, l’église doit subir des améliorations en 1953 lorsqu’on la repeint dans des teintes pastelles : «Les derniers changements datent de 1966, pour le renouveau liturgique. En raison de la nouvelle liturgie, on changea la disposition de l’autel. On déplaça le trône de l’évêque pour le placer tout au fond du chœur, et on enleva les 2 rangées de banc qui se trouvaient dans le chœur. Le toit de la cathédrale fut repeint en 1970».[59] La cathédrale avait vu son second presbytère, érigé en 1881, loger les bureaux de l'évêché de 1934 à 1968, année de leur relocalisation à Longueuil. Un nouveau presbytère jouxtant la cathédrale est construit en 1957. Wilfrid Charbonneau est curé de 1934 à 1952, suivi de Eugène Martineau, de 1952 à 1968. Ces deux prêtres sont issus de la génération qui étudia au Collège de Saint-Jean et qui, par après, y exercèrent les fonctions de professeurs, puis de supérieurs. Ainsi, l’abbé Martineau est professeur en 1932, puis directeur du nouveau Séminaire en 1945. Les élèves le sunomment (affectueusement?) la noune! En 1941, sur une population d’environ 13 645 âmes, 12,997 sont catholiques, ne restent que 649 âmes à appartenir à d’autres confessions. De 1968 à 1970, Roger Cyr succède à Martineau. Il avait été vicaire de la paroisse avant d’accéder à la cure. De 1970 à 1978, Pierre Lanctot, le curé-fondateur de Saint-Eugène, lui succède. Diplômé de la Faculté des Sciences Sociales de l’Université Laval, M. Lanctot connaît une brillante carrière comme aumônier de syndicat et dans les mouvements d’action catholique. En 1978, Jean-Louis Auger est curé de la Cathédrale. Il a fait une carrière comme professeur de mathématiques au Séminaire de Saint-Jean, puis au CEGEP Saint-Jean-sur-Richelieu. Après avoir quitté cette institution, il devient vicaire à Saint-Bruno de 1971 à 1973, puis à Saint-Rémi de  1973 à 1978 pour finir à Saint-Jean, en avril 1978, après un stage de recyclage de quelques mois à Lyon. En 1977, la population de la paroisse Cathédrale s’élève à 5 200 âmes partagées en 1 200 familles. En 1980, l’abbé Paul Deland lui succède comme curé de la Cathédrale. En décembre 2012, 11 anciennes paroisses de Saint-Jean-sur-Richelieu et de Saint-Blaise (Jean XXIII, Notre-Dame-Auxiliatrice, Saint-Blaise, Saint-Edmond, Saint-Eugène, Saint-Gérard-Majella, Saint-Luc, Sainte-Marguerite-de-Blairfindie, Sainte-Marie-de-la-Visitation et Sainte-Thérèse-sur-Richelieu et Saint-Jean-l’Évangéliste (la Cathédrale) fusionnent pour devenir la Paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste, une immense paroisse de 64 500 âmes! En 2010, Pierre Archambault, curé à Saint-Basile-le-Grand, devient curé de cette immense et impossible paroisse.


La région de Saint-Jean produits de nouvelles œuvres et voit s’inaugurer de nouvelles congrégations. En 1952, c’est la fondation du Service social diocésain. En 1953, de l’Union des œuvres appelée à coordonner les mouvements et organismes diocésains. On en profite également pour lancer la première souscription de la Fédération des œuvres de charité de Saint-Jean. En 1954 s’établit à Saint-Jean un couvent de Contemplatives, la Maison des Servantes du Saint-Sacrement, sur le boulevard des Trinitaires. D’autres prélats ont fait leurs marques dans la région. Ainsi l’abbé Jean-Paul Davignon, né dans notre ville en 1914 et aumônier dans le Corps d’aviation Royale Canadien stationné à Saint-Jean en 1942. Le 24 novembre 1947, Mgr Armand Chaussé, qui avait occupé la fonction de Supérieur au Collège de Saint-Jean de 1928 à 1941 et au Séminaire à partir de 1943, meurt dans un accident de voiture survenu à Laprairie le 24 novembre 1947. Il est également chanoine titulaire au chapitre de la Cathédrale. En avril 1969, dans des circonstances similaires, le chanoine Armand Racicot meurt à son tour. Il avait été animateur d’œuvres telles l’O.T.J., l’A.C.C. ainsi que professeur de sociologie à l’École d’Arts et Métiers et aumônier des syndicats de 1945 à 1950. Les vingt dernières années du chanoine Racicot s’étaient déroulées dans sa nouvelle ville de Longueuil, alors frappée par l’exode des Montréalais sur la Rive-Sud.

Des 78 000 âmes de 1946, la population desservie par le Diocèse de Saint-Jean en 1966, atteint 304 388 âmes; en juin 1991, de 608 692 âmes, dont 529 385 catholiques; en juin 2006 de 706 278 âmes, dont une estimation de 607 410 catholiques (derniers chiffres de Statistiques Canada). En 1962, suite aux décrets du concile de Vatican II, les diocèses catholiques du monde doivent se soumettre à l’aggiornemento décidée par les Pères conciliaires. À Saint-Jean, c’est la mise en place de l'office diocésain de l'éducation pour la pastorale et la catéchèse dans les écoles. Pastorale est le nouveau mot chargé d’effacer la mauvaise réputation laissée par l’enseignement du catéchisme tridentin. Aussi, voit-on, en 1965, la fondation du Conseil diocésain de pastorale; puis, en 1966, le diocèse est divisé en zones pastorales. À ce programme de pastorale, il faut tout de même un soutien stratégique et en 1967, le Conseil diocésain d'administration financière entre en fonction Comme le Diocèse couvre toute la Rive Sud du fleuve Saint-Laurent à la rivière Richelieu, son pôle démographique passe de Saint-Jean à Longueuil. Le 3 février 1955, Mgr Forget, premier évêque de Saint-Jean meurt. Son coadjuteur, Mgr Gérard-Marie Coderre avait été désigné depuis 4 ans :
«Tout comme à Joliette (ville d’origine de Mgr Coderre), j’ai fondé le Service Social diocésain, avec le Dr Marcoux et l’avocat Jacques Cartier. Il était urgent de répondre aux besoins des pauvres.

Dans le même ordre d’idée, durant la même période sont nés le Pavillon de l’Enfance, le Centre Mgr Forget pour les délinquants et la Semaine de la Charité. Le fonctionnement de ces organismes devait être par la suite confié à des corporations privées ou encore à des clubs sociaux, avant de passer par la suite sous la tutelle du gouvernement. "Mais peu importe, le mouvement était lancé"».[60]
Le Diocèse de Saint-Jean apparaissait comme le couronnement de l’Âge de Prestige au moment où le crépuscule tombait sur la région. En 1968, la chose se confirme par le regroupement des services administratifs du diocèse de Saint-Jean à Longueuil. Depuis quelques années déjà, Mgr Coderre se rendait souvent à Longueuil agiter le goupillon sur une nouvelle école, une nouvelle église et même sur la nouvelle station de Métro (31 mars 1967). Contrairement à Mgr de Laval qui passa par le premier fort de Saint-Jean, Mgr Coderre n’avait plus le temps de se promener et décida-t-il ce transfert administratif. Avec l’exode des Montréalais, la population de Longueuil monte à 246 780 âmes tandis que celle de Saint-Jean stagne à 47 862. Ainsi, avec le mobilier administratif, Mgr Coderre s’embarque en 1969 vers le nouveau Centre Diocésain, rue Sainte-Foy :
«Même après plusieurs années, Mgr Coderre parle avec une certaine nostalgie du déménagement des bureaux de l’évêqué sur la Rive-Sud, changement qui était devenu une nécessité pour la bonne administration du diocèse.

"J’ai posé ce geste par acquis de conscience. La situation était devenue intenable. Il y avait des fois où j’allais 3 fois sur la Rive-Sud dans la même journée. J’ai même accepté le don d’une maison à Brossard. J’allais m’y reposer le midi, plutôt que de revenir à Saint-Jean. La première année qui a suivi ce déménagement, j’ai fait 10 000 milles de moins que l’année précédente"».[61]
À Mgr Coderre succède, en 1978, Bernard Hubert, ancien curé de Saint-Jérôme. À la fin de cette même année, Mgr Hubert annonce une véritable révolution au sein de la vie communautaire que même le journal La Presse en fait sa une quotidienne : les bingos seront abolis comme sources de recettes dans toutes les paroisses du diocèse! C’est un geste d’une grave conséquence si on considère l’importance de ces rassemblements pour le financement des fabriques de paroisses toujours sans le sous. Il faut considérer également qu’au même moment, la pratique religieuse baisse, parmi les catholiques, de 65% à 27% entre 1961 et 1971.[62] La décléricalisation, amorcée avec la Révolution tranquille, mais aussi avec l’aggiornemento de Vatican II en 1962-1963, entraîne l’effondrement du principal support culturel des Québecois - avec la langue française. La première perdue, la seconde n’en prit que plus d’importance. C'est ce qui fait dire à Louis O. Régnier qu'il n'appréciait guère le pape Jean XXIII :
«Je ne l'aimais pas beaucoup, glisse-t-il en parlant de Jean XXIII. Je trouvais qu'il avait fait trop de changements brusques dans l'Église; les prêtres ne portent plus la soutane, la messe du dimanche n'est plus obligatoire.

Nous n'avions pas été élevés dans cette mentalité. Nous étions habitués à saluer un prêtre sur la rue, même si nous ne le connaissons pas. Avec les réformes apportées par ce Pape, comment vouliez-vous reconnaître un prêtre sur la rue».[63]
Beaucoup de Johannais pensaient comme lui. Quoi qu’il en soit, 20 ans plus tard, en 1980, la population diocésaine atteint le chiffre du demi-million et deux ans plus tard, le diocèse se donne le nouveau nom de Saint-Jean-Longueuil et l’église Saint-Antoine de Longueuil devient cocathédrale, ce qui annonce une diminution des offices cérémoniaux célébrés à Saint-Jean. Jusqu’en 1982, en effet, Saint-Jean-l’Évangélise demeurait la paroisse Cathédrale du Diocèse Saint-Jean-de-Québec, mais en 1982, le Diocèse, devenant Diocèse Saint-Jean-Longueuil, se donna une seconde co-cathédrale. En 1996, Mgr Hubert meurt en fonction et est remplacé par un Clerc de Saint-Viateur, Jacques Berthelet puis, en 2010, par un Sulpicien, Lionel Gendron, cinquième évêque de Saint-Jean-Longueuil.

Après le règne de Duplessis, qui s’en était pris entre autres aux Témoins de Jéhovah avec presque la même obsession qu’envers les communistes inexistants, certaines sectes religieuses viennent s’épanouir dans la région. Les Témoins de Jéhovah, bien entendu. Trois familles de pionniers arrivent en 1940 et traversent la période des persécutions. À la fin des années 1970, plus de 200 âmes sont regroupées en une soixantaine de familles se rassemblant dans la petite salle du groupe située sur la rue Bernier. À la fin du XXe siècle, des familles d’immigrants venus surtout du Maghreb viennent s’établir dans le quartier nord où se construisent des résidences sur les terrains où la Singer a été  progressivement démantelés. Vivant en familles, pratiquant l’Islam, il est difficile de bien saisir la relation qui existe entre la ville et ces nouveaux arrivants.

Des écoles : petites et grandes. La prolifération des paroisses nécessite la multiplication des écoles. Principalement, les pré-maternelles et les écoles primaires pour les deux sexes. Parfois, des écoles secondaires - telles l’école Beaulieu, l’école Mgr Roy, etc. - sont fondées pour contenir les débordements d’élèves des cours supérieurs. D’autres écoles, par contre, disparaissent, ainsi l’Académie Commerciale catholique de Saint-Jean, puis le Couvent des Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, sur la rue Laurier sont démolies au cours des années 1950-1960. Ces dernières aménagent dans l’édifice qui abritaient l’Évêché avant 1969. Les écoles primaires sont réparties par paroisses catholiques, le tout administré par la Commission scolaire de Saint-Jean-sur-Richelieu qui, avec les fusions de commissions à la fin du siècle, prendra le nom de Commission scolaire des Hautes Rivières pour s'étendre sur une grande portion de la Montérégie. À Saint-Jean, elles étaient, encore là comme partout ailleurs, divisées en deux bâtiments nettement séparés, construits généralement proches l'un de l'autre, une école pour garçons, l'autre pour les filles, toujours érigées proche de l'église paroissiale. Étant de la paroisse Saint-Edmond, j'allais à l'école Forget (construite au cours des années 1950), à l'époque où Bruno Choquette, le futur maire et dont l'école porte désormais le nom, était directeur, alors qu'à côté, c'était l'école Félix-Gabriel-Marchand, fondée en 1932 (ancien annexe du Collège Notre-Dame). Une clôture grillagée séparait les deux cours de récréation. Les manuels scolaires provenaient encore des Congrégations religieuses et étaient rédigés par des membres du clergé. Un manuel provincial était publié à Saint-Jean par les Éditions du Richelieu : le Recueil biblique (1960) - j'avais été l'acheter à l'endroit même où on l'imprimait -, inspiré d'un texte français adapté (avec illustrations) pour les écoles du Québec: l'imprimatur était de Gérard-Marie Coderre, l'évêque de Saint-Jean. Les autres manuels ignoraient tout de Saint-Jean, sauf le manuel de Géographie des Frères Maristes de 4e-5e années, où le nom de Saint-Jean apparaissait dans la leçon sur la Plaine du Saint-Laurent. On y énumérait les principaux centres de la rive-sud en commençant par Jacques-Cartier, ville fusionnée depuis avec Longueuil et qui dominait la plaine par le nombre de sa population (45 000) alors que Saint-Jean venait en second: «(29 000 h.) 40,000 avec Iberville, évêché, collège militaire, industries variées: machines et appareils électriques, tissus, produits chimiques…» (1960) Le tout accompagné d'une vue aérienne de la ville centrée sur …la Singer. L'école Beaulieu, avec laquelle l'école Forget partageait la même cour, était une école secondaire laïque à une époque où la scolarité n'était pas obligatoire passé le primaire. Petites écoles de deux étages où le terraseau et le stuc donnaient un aspect terne alors que Beaulieu, avec ses panneaux de verre colorés bleus, portait le nom de l'ancien principal de l'Académie commerciale de Saint-Jean à laquelle l'école succédait, mais aussi en l'honneur de son fils, le député Paul Beaulieu, qui avait déposé à l'Assemblée Législative du Québec le projet de loi érigeant le fleurdelysé drapeau national des Québécois. Lorsque nous déménageâmes, je dus poursuivre ma scolarité à l'école Notre-Dame-Auxiliatrice (siège aujourd’hui de la Commission scolaire des Hautes-Rivières). Il suffisait de changer de paroisse pour changer de type d’écoles, mais partout la ségrégation des sexes restait la même. Alors que les écoles Forget et Marchand présentaient, comme l'école Beaulieu, une architecture «contemporaine», l'école Notre-Dame-Auxiliatrice, construite en 1953 et ouverte en 1954, respectait l'architecture des vieilles écoles prêtes à accueillir la masse des élèves pauvres de la paroisse. Cette différence dans la conception d'écoles à quelques années de distance, montre à quel point quelque chose était en train de changer dans les mentalités de l’institution autant que dans celles de la population. Alors que la direction de l'école relevait des Frères Maristes d'Iberville, l'administration de Forget et Beaulieu était entièrement laïque. La ville se laïcisait, ouvrait la voie à une nouvelle image d'elle-même qui se voulait, selon les mots de Rimbaud, absolument moderne. À l'idée d'une Révolution tranquille inaugurée par l'«équipe du tonnerre» des Libéraux élus en 1960, il faudrait commencer à mesurer les forces sous-terraines qui travaillaient à accélérer une modernisation trop lente tant sur laquelle pesait un gouvernement et des édiles vieillis. Nous nous détournions lentement, peut-être avant le reste du Québec, de nos lointaines racines françaises en regardant ce qui se passait d'un peu plus près en-deçà du 45e parallèle.


Pendant ce temps, la Commission scolaire de Saint-Jean se développe sous la succession de ses présidents : Mathias Choquette (1937-1950); Gustave Signori (1950-1951); L. Maurice Lorrain (1951-1958); Moïse Lebeau (1956-1959); F. Raymond Lefebvre (1959-1960); le Dr Vial Lavoie (1960-1962), F. Raymond Lefebvre pour un second mandat (1962-1964), Gustave Signori, encore (1964-1965), J.-A. Bélanger (1965-1966), Gustave Signori, pour une troisième fois (1966-1972), René Picard (1972-1978) et Gérald Cloutier en 1980, etc. Au niveau supérieur, l’intensification de la laïcisation entraîne, le 24 janvier 1962, 14 commissions scolaires à se réunir afin de former la Commission scolaire régionnale Honoré-Mercier. Cette centralisation fait partie du programme d’éducation et d’administration des gouvernements libéraux, de Lesage à Bourassa. En 1964 est fondé le Ministère de l’Éducation qui contrôle désormais les structures et les contenus de l’enseignement. 


Le 19 octobre 1939, on se souviendra que le Collège de Saint-Jean avait été la proie des flammes. C’était alors qu’on avait entrepris la construction du Séminaire, à la limite sud-ouest de la ville. En septembre 1941, 235 élèves inauguraient le nouveau collège. Le 28 juin 1942 avait lieu la cérémonie de la bénédiction du nouvel établissement, présidée par nul autre que le Cardinal Villeneuve de Québec. Dirigé par des clercs séculiers, le Séminaire ne cessa de voir sa population étudiante grimper au cours des années pour atteindre le chiffre de 471 au début de 1958. Cette hausse de la clientèle et des services ne cessera d’entraîner la construction de rallonges qui déformeront l’aspect général du bâtiment. Comme les cours secondaires devaient ouvrir soit sur le monde des métiers, soit sur l'enseignement post-secondaire, le séminaire de Saint-Jean, tenu depuis 1942 par les clercs séculiers préparaient au niveau universitaire. Le 12 avril 1961, un DC-3 du Department of Transport of Canada, immatriculé CF-GXE s'écrasa à environ 500 pieds du Séminaire. L'avion blanc, jaune et gris s'était écrasé sur le ventre, tombant à l'intersection des rues Montcalm et du Séminaire. L'avion frôla une maison au coin des rues Chaussé et Séminaire et glissa jusque devant l'entrée principale du bâtiment. L'hélice gauche fut complètement arrachée, l'aile gauche pliée. Au Séminaire, les travailleurs s'employaient à la construction de l'auditorium. Jusqu’à la réforme Parent et la cession des lieux d’enseignement religieux au gouvernement, y furent formés des membres de la future élite professionnelle de la région. Le 12 juin 1968, l’ancien Séminaire devient officiellement le Collège d’enseignement général et professionnel (CEGEP) Saint-Jean-sur-Richelieu.



L’école Beaulieu servait de cours supérieurs laïcs depuis le début des années 1960 jusqu’à ce que, dans le pur style des édifices d'enseignement américains, soit ouverte la polyvalente Chanoine-Armand-Racicot, construite en 1971, logeant des concentrations d’étudiants jamais vues provenant aussi bien des secteurs professionnels que généraux, l'enseignement secondaire se modernisait au rythme des intérêts économiques du Québec. Dans ces lieux devait s'appliquer la réforme éducative du Rapport Parent issu de la Révolution tranquille et mise en application par le nouveau Ministère de l'Éducation, le vieux rêve de Félix-Gabriel Marchand enfin réalisé après soixante-dix ans d'attente, par le Ministre Paul Gérin-Lajoie. Pour sa part, l’ancienne École des Arts et Métiers - devenue le Pavillon Rheault - conserve sa vocation stricte d’enseignement professionnel et de métiers.

Ancien et nouvel hôpital de Saint-Jean. Le bâtiment des années 30 de l'hôpital de Saint-Jean est devenu au fil des années trop petit pour la clientèle desservie. En 1943, le personnel de l’Hôpital de Saint-Jean est constitué d’un aumônier, de 31 religieuses - dirigées par Sœur Alice Laverdure -, 14 médecins, 30 gardes-malades et 60 employés des deux sexes. En 1967, la Communauté des Sœurs Grises se voit plus ou moins contrainte de vendre les lots sur lesquels sont construits l’hôpital, l’ancienne maison du Dr Bouthillier - alors pavillon des infirmières - et le terrain connexe pour la somme symbolique de $ 1.00 (15 décembre). Avec les années 1960, il faut penser en termes d'hôpital régional. L'hôpital va donc subir deux transformations majeures. Gérée jusque-là par la Congrégation des Sœurs Grises, la Révolution tranquille fait passer la gestion de l'ancien hôpital sous la gouverne de l'État. La porte de l'urgence se situait au fond de la cour et donnait sur un corridor étroit, où il aurait été hasardeux d'y installer des civières. Surchargé de matériels, avec des cubicules d'examens incommodes, le tout baignant dans une odeur d'éther à donner mal à la tête ou au cœur, cet hôpital, où l'on payait encore pour se faire soigner, logeait des dizaines de patients dans des salles proches de la promiscuité. Construit, précisément sur le Boulevard du Séminaire nord, le Centre hospitalier du Haut-Richelieu répond aux exigences standardisées de l'époque (sa ressemblance avec l'hôpital Charles-Lemoyne de Longueuil), de la même manière que les polyvalentes de la Province se ressemblaient l'une l'autre. Ouvert en 1969, le nouvel hôpital condamnait l'ancien à devenir maison de retraite pour personnes âgées. En 1975, la maison Bouthillier sert de Département de Santé Communautaire de l’Hôpital du Haut-Richelieu et est occupé par le Service des Soins Préventifs. Le 22 juin 1964, entre Saint-Luc et Saint-Jean, est bénie le terrain sur lequel s’érigera le futur Centre Familial Thérèse-Martin qui prend la relève de l’Orphelinat de Saint-Jean. Le 16 août 1964, religieuses et enfants quittent le 170 rue Longueuil pour aménager dans le nouveau Centre. Le 30 juin 1977, les Petites Franciscaines de Marie quittent la région et l’Orphelinat qui est transformée en centre d’accueil pour personnes âgées.

Scènes de la vie criminelle de Saint-Jean. Saint-Jean n'est pas une ville violente. Il y eut des crimes sordides, comme n'importe où ailleurs, mais la propension à la violence contre la personne est un phénomène assez récent. En 1945, deux sœurs, les sœurs Tougas sont assassinées. Le juge Roland Tremblay raconte ainsi ce fait divers atroce :
Le samedi 1er septembre 1945, la population de Saint-Jean est en émoi, sous le choc de la nouvelle de l'assassinat de deux concitoyennes dignes et respectables.

Les deux demoiselles Tougas, Léone et Marie-Anne, sont trouvées mortes dans leur domicile de la rue Collin entre la rue Saint-Jacques et Saint-Charles.

Le meurtre a été commis durant la nuit du vendredi 31 août 1945 au samedi 1er septembre 1945 à l'aide d'une barre de fer soit l'axe d'une machine à laver qui a enfoncé le crâne de chacune des victimes à 7 ou 8 reprises.

Monsieur J. Ovila Samson est soupçonné être l'auteur de ce crime.

Il est utile de relater les faits comme ils sont rapportés au factum de Me Stanislas Poulin, procureur de la couronne pour la Cour du Banc du Roi en appel  :

«Des personnes avaient entendu un cri dans la nuit (témoins Dame Balthazard, Mademoiselle Domingue et Dame Garneau). Ces deux personnes ont été assassinées au moyen d'un instrument contondant. Elles portaient sur la tête 7 ou 8 blessures chacune, soit un enfoncement du crâne, chaque blessure étant suffisante pour causer la mort (témoin le Docteur Fontaine).


L'accusé fréquentait les victimes avant le drame.

Ovila Lapointe a reçu une lettre, lettre signée A. Samson, et que le docteur Fontaine dit être de l'écriture de ce dernier.

Cette lettre établit des rapports évidents entre l'accusé et les victimes.

L'accusé demeurait alors chez G. H. Gouin. Il a veillé le soir du 31 août à l'entrepôt de ce dernieer. Il y avait là une barre de fer, étant un axe de machine à laver, sur le secrétaire. Cette barre de fer est disparue ces jours-là.

Vers la fin de la veillée l'accusé est sorti de l'entrepôt avec Gouin pour entrer à la maison, mais il est retourné à l'entrepôt, et lorsque le fils de Gouin y est retourné lui-même, l'accusé qui en sortait s'est alors arrêté près d'une auto sous le prétexte d'attacher son soulier.

La barre de fer placée sur le secrétaire par Bernard Gouin lui-même est disparue ces jours-là. Elle est semblable à celle qui est produite comme exhibit dans la cause.

Le lendemain matin, Samson prend le train pour Sherbrooke, conduit par Gouin. Il y porte son habit chez un nettoyeur à Sherbrooke, l'habit est étiqueté et placé dans les tablettes pour être nettoyé après le congé du samedi après-midi, du dimanche et du lundi, Fête du travail. Cet habit est identifié. Cet habit de même que le mouchoir de l'accusé porte des taches de sang humain. La barre de fer produite dans la cause porte aussi des taches de sang.

On est allé chercher l'habit chez le nettoyeur avec l'accusé qui l'a reconnu, et a déclaré que c'était son habit, et ceci après avoir été mis en garde par le détective Labbé ainsi que le témoignage du constable Pelland.

La barre de fer n'ayant pas été retrouvée, l'accusé s'offre d'aider à la chercher. Cette barre de fer est retrouvée alors que l'accusé était présent et le Lieutenant Haney demande à l'accusé si c'est la barre de fer qui a servi au crime, l'accusé répond que c'est bien cela».

J. Ovila Samson, un menuisier de Saint-Jean, vivait séparé de sa femme et de ses enfants.

La preuve a révélé au procès :

«Q. Monsieur Gouin l'accusé demeurait chez vous?

R. Oui.

Q. Est-ce que sa femme demeurait avec lui chez vous?

R. Non.

Q. Savez-vous où demeure sa femme?

R. Non.


R. Il m'avait dit ceci: "…je suis aller à Sherbrooke pour rencontrer mon avocat pour en finir, ou quelque chose comme cela, ma femme m'a laissé 7 fois, je l'ai reprise 6 fois, c'est suffisant".


C'est ainsi que les policiers se sont rendus à Sherbrooke dès le samedi 1er septembre 1945 à la chambre d'hôtel de Samson pour son arrestation comme témoin important.

Une première mise en garde lui fut faite à l’effet qu'il n'avait pas l'obligation de parler, qu'il avait droit à un avocat mais que s'il parlait tout serait pris par écrit et pourrait servir contre lui au procès.

Samson n'a pas parlé, les policiers l'ont amené au quartier général de la police à Montréal et vers 23 heures, il fut de nouveau mis en garde.

Vers 2 heures le dimanche matin, Samson était fatigué et on le laissa se reposer mais il fit part à un policier qu'au matin il parlerait.

À 11 heures le dimanche 2 septembre 1945, une troisième mise en garde lui est faite et la conversation s'engage.

À 15 heures la confession commence à être rédigée après une quatrième mise en garde.

Samson est formellement accusé du meurtre de Léone et de Marie-Anne Tougas.

Lors de sa comparution, le magistrat lui demande s'il a retenu les services d'un avocat.

Il répond : «Je n'ai pas besoin d'avocat, je suis coupable».

Le magistrat n'enregistre pas cette déclaration et fixe une date pour l'enquête préliminaire.

Cette enquête est pour vérifier s'il y a matière suffisante pour justifier la tenue d'un procès par jury, ce qu'on appelle un procès aux assises.

Samson est envoyé à son procès devant jury qui eut lieu sous la présidence de l'Honorable Jean-Louis Cousineau.

Le verdict de culpabilité fut rendu le 26 octobre 1945 avec sentence de mort à être exécutée le 11 janvier 1946.

Lors de ce procès, outre la preuve des faits relatés plus avant, la confession de Samson fut produite et la preuve par témoin fut faite de la réponse qu'avait faite Samson devant le magistrat.

Le juge Cousineau dans sa directive aux jurés n'avait pas non plus été tendre en disant:

"Je n'ai aucune pitié pour cet accusé, aucune sympathie pour lui, il ne vivait pas avec sa femme, la Providence a voulu dans ses vues insondables protéger la mère de ses enfants. C'est heureux pour sa femme qu'il ne vivait pas avec, c'est peut-être elle qui serait la victime aujourd'hui, je n'ai aucune pitié, aucune sympathie pour l'accusé".

Samson a décidé d'en appeler du verdict le 9 novembre 1945 et a retenu les services de Me Stan Déry alors avocat à Saint-Jean et de Me Jean Drapeau, avocat de Montréal qui fut célèbre quelques années plus tard pour d'autres motifs que ce procès.

Comme la Cour d'appel ne siégeait pas avant le 15 janvier 1946, une première requête fut accordée le 22 novembre 1945 reportant l'exécution de la peine de mort au 12 avril 1946 et une deuxième fois l'exécution de la peine de mort fut reportée au 12 juillet 1946.

La Cour du Banc du Roi en appel a entendu l'affaire le 26 mars 1946 et jugement fut rendu le 11 mai 1946 rejetant l'appel.

Samson avait soulevé trois motifs de ce droit:

1- La confession qu'il avait signée devait être rejetée du dossier;
2- La preuve par témoins de la réponse qu'il avait faite au magistrat n'aurait pas dû être admissible;
3- Les directives du juge aux jurés donnaient ouverture à un nouveau procès.

Devant la Cour d'appel, Samson a retiré son dernier moyen et la Cour d'appel a rejeté les deux premiers.

Pour la Cour d'appel, la confession avait été faite d'une façon tout à fait libre et volontaire sans promesse ni menace après quatre mises en garde.

Quand à la preuve testimoniale de la réponse de Samson au magistrat, il s'agissait d'un fait dont avaient été témoins le greffier de la cour Me Roland Sabourin et un journaliste présent dans la salle d'audience ce jour-là.

Samson a été pendu à la prison de Bordeau où il était détenu. 
Les crimes sont souvent d'ordre conjugal ou familial, d'où qu'on y retrouve beaucoup de femmes comme victimes. Certes, il y a des crimes qui relèvent des guerres de gangs, telle le meurtre de Guylaine Charette, âgée d'à peine 20 ans, abattue d'une balle à la tête, le 3 mai 1989, par deux membres des Hells Angels qui visaient probablement le propriétaire jamaïcain du bar où elle travaillait. Malgré le témoignage du propriétaire sur son lit de mort, les deux accusés furent acquittés, ce qui est quand même étonnant! Plus sordide le meurtre de Lucille Morin, âgée de 68 ans, assommée de 10 coups de fer à repasser dans son appartement, le 8 août 1991, apparemment là aussi par une connaissance, mais qui se solda par aucune arrestation. Pauline Berthiaume-Bouthillette, 63 ans, propriétaire d'un bar, tuée chez elle d'un coup à la tête, le 20 juin 1995, par Florian Girouard, 36 ans, ex-motard qui voulait violer une danseuse de son bar. La victime avait la poitrine nue; Girouard a prétendu l'avoir déshabillée simplement pour vérifier ses signes vitaux. Il fut reconnu coupable d'homicide involontaire. 

Le crime le plus spectaculaire et le plus horrifiant fut sans doute celui qui coûta la vie à Ginette Roger (42 ans), lorsque son mari, Marcel Samson (44 ans) força la porte de Coup d’elle, centre d'hébergement pour femmes où elle s'était réfugiée, le 10 juin 1999 et l'abattit de 7 coups de pistolet. Le 30 mai 2002, Aline Robidoux, 26 ans, est battue à mort et poignardée par son conjoint, Luc Daigle, 28 ans, qui la battait depuis longtemps et qu'elle venait d'informer de sa décision de le quitter définitivement. Déjà la DPJ avait enlevé ses 5 enfants à Aline Robidoux après qu'elle ait laissé Daigle revenir chez elle malgré une ordonnance de non-communication. L'assassin a même demandé à un ami de l'aider à disposer du corps tronçonné à coups de couperet de boucher de sa femme. Accusé de meurtre prémédité et de profanation de cadavre, Luc Daigle a prétendu avoir été inconscient de ses actes après avoir étranglé sa femme en «légitime défense», se décrivant même comme victime d'une femme «agressive» qui lui avait «fait vivre un enfer psychologique» durant 8 ans, notamment en le «privant» de la garde de leurs 3 enfants. Il a été condamné à un minimum de 12 ans de prison. Ce type de procès, spectaculaire, dramatique, sensationnel, s'est multiplié depuis le début du XXIe siècle. Terminons cette chronique sinistre du meurtre du petit Jean-François Parenteau, âgé de 2 ans, tué d'un coup de poing à l'estomac le 23 juin 2002 par Marc Bourdages, 19 ans, partenaire depuis quelques semaines de la mère de la victime, rencontrée par une agence de rencontres et chez qui il venait de s'installer. L'autopsie a montré que Bourdages avait battu et mordu l'enfant à plusieurs reprises dans les journées précédant le décès. Il a prétendu que l'enfant s'était étranglé avec sa gomme à mâcher. En plaidant coupable à une offre d'accusation réduite d'homicide involontaire, Bourdages a évité une narration des sévices infligés et obtenu une sentence de 5 ans et 2 mois.

On ne peut maintenant passer sous silence le meurtre de l'adjudant Patrice Vincent (53 ans), fauché par une fourgonnette avec un collègue dans le stationnement d'un centre d'achat situé sur le Boulevard du Séminaire le 20 octobre 2014. L'auteur de l'attentat, Martin Couture-Rouleau (25 ans) qui se faisait appeler Ahmad, était un converti fanatique à l'islam. Ce jeune homme, mal dans sa peau, se pensait appellé à participer au djihad qui se tient en Syrie où il n'avait pu se rendre combattre parce que les autorités gouvernementales lui avaient retiré son passeport. Rouleau fonça sur les deux soldats avant de s'enfuir par le boulevard du Séminaire. Les policiers de la ville et de la Sûreté du Québec ne tardèrent pas à le rattraper, sa fourgonnette faisant un tonneau dans un fossé, il sortit en brandissant un poignard, ce qui incita les officiers à l'abattre sur-le-champ. L'adjudant Vincent, qui faisait partie du 438e Escadron tactique d'hélicoptères basé à Saint-Hubert. Pour le gouvernement conservateur, qui venait d'envoyer une première division aérienne en direction de la Syrie, ce geste isolé s’inscrivait dans la définition d’un acte terroriste. Deux jours plus tard, un autre partisan du djihad islamique tua un soldat à Ottawa avant d'aller se faire abattre à l'intérieur du parlement fédéral.

Appétit sportif des Johannais. Les divertissements sont nombreux à Saint-Jean. On pense aux excursions de collèges ou de couventines, telle cette promenade en traîneaux du 16 janvier 1943 lorsque les élèves de l’Académie commerciale Marcoux (angle Saint-Charles et Champlain) se rendent jusqu’à la Gaieté Françaiseé Pour les gens d’un autre âge qui se piquent de faire partie de la Défense nationale, sans aller combattre toutefois sur les champs de bataille, il y a des parties d’huîtres comme celle de ce samedi 12 décembre 1942 quand les membres de la division Saint-Edmond du Comité de Protection civile se font poser par Pinsonnault. Vêtus de sombre, ils portent des bérets et des brassards marqués C.P.C.

Mais les principaux divertissements demeurent le sport. Il prend une dimension sociale où compétitions et esprit d’équipe forment les cadres les plus importants de la culture. Mieux que n’importe quel syndicat ou campagnes politiques, l’équipe sportive cimente les co-équipiers vers un but commun. Mieux que les arts et lettres, qui exigent un travail intellectuel austère et qui isolent les individus, le sport cultive l’esprit grégaire des participants comme des amateurs. La symbiose industrielle rassemble ainsi patrons et ouvriers qui se retrouvent dans une même équipe contre un adversaire aussi tenace et acharné. Le sport, c’est la métaphore de l’économie capitaliste, de ses dimensions et de son credo. L’Ozite Corporation a bien compris la leçon : «la compagnie stimule chez ses employés l’enthousiasme pour les sports en y apportant son aide financière, offrant ainsi à chacun le sens de participation et de détente, tout en nouant avec ses employés une liaison amicale. Pour autant de raisons, le travailleur se sent chez lui, donnant le meilleur de lui pour le progrès de l’entreprise dont il fait partie».[64]

Dès les années 1940, le sport est consacré dans notre région comme le divertissement par excellence. Activité relativement peu coûteuse à l’époque, il sert à exulter les frustrations de la vie quotidienne. Une voiture noire de marque Chevrolet 1958 des garages Lasnier & Galipeau parcourt les rues de la ville en annonçant les différentes manifestations. De son porte-voix, pour ceux qui s’en souviennent, résonne encore dans nos oreilles le fameux : Baseball, ce soirrr au stade municipal… Le stade municipal en question, c’est d’abord le centre sportif de la Cathédrale, au coin des rues Mercier, Saint-Georges et Laurier (site de l'ancienne poterie MacDonald et du Collège), centre où l’on se rend pour s’amuser au Club Ado, jouer au badminton ou danser au Café-campus. Cette bâtisse vétuste disparaît au début des années 1970 pour laisser place au groupe de logements à loyers modiques. C’est là qu’est le centre d’organisation des loisirs dans la municipalité pour les bénévoles du Diocèse : terrains de jeu, scoutisme, baseball mineur, etc. Le Centre sportif est l’œuvre d’anciens sportifs comme Philippe Trahan, Alcide Côté, F. Raymond Lefebvre, Gaston Poutré…

La formation de baseball de Saint-Jean est de fort bon calibre et fait partie de la ligue Starr. Son nom est prédestiné : Les Canadiens de Saint-Jean. Dès 1944, elle remporte le championat de la ligue en plus de se mériter le titre de champion de l’Est du Canada. Peu après, Saint-Jean quitte la ligue Starr pour rejoindre les rangs de la puissante ligue provinciale. Eddie Saint-Clair, ex-receveur des Braves de Boston de la ligue nationale compte parmi les vedettes. À partir de 1949, le baseball prend de l’ampleur commerciale, surtout lorsque le joueur vedette de la place, ClaudeRaymond, entre dans la ligue mondiale (c’est-à-dire américaine) de baseball.[65]

Le hockey, la boxe - toujours au stade Poutré jusqu'en 1950 - sont d’autres sports qui attirent les foules et les jeunes amateurs ou désirant devenir professionnels. Un peu moins violent, mais qui rassemble autant d’adeptes sont les parties de quilles. Durant la saison 1940-1941, l’équipe de quilles du Garage Grégoire de Saint-Jean est l’équipe championne de la ligue commerciale de quilles de Saint-Jean. En 1949, le Club social (quilles) de Saint-Jean remporte le championnat de l’Est du Canada.[66]

Entre 1960 et 2016, de nombreuses équipes de toutes sortes et opérant dans tous les sports ont défilé dans notre ville. Les unes à la suite des autres, elles ont remporté des championnats qui seraient trop fastidieux d'énumérer. De moins en moins elles sont organisées par des entreprises commerciales ou industrielles, mais celles-ci acceptent de les sponsoriser. C’est dans le parascolaire que se forment aujourd’hui les équipes de jeunes joueurs. Le programme sport-éduc a permis à un certain José Théodore de manquer ses cours et devenir un très bon gardien de but au hockey. Au moment où Saint-Jean devient la 29e ville en importance au Québec par sa population et qu’elle a peine à émerger hors de l’anonymat, les équipes sportives ne sont plus les seules qu’à porter fièrement le nom de leur ville. Des circuits régionaux sont organisés et le Stade municipal (dont l'édifice devait être détruit par un incendie le 26 novembre 1964 et non reconstruit) recevait des activités de tous ordres. Aujourd'hui, les Lynx de Saint-Jean sont jugés parmi les meilleures équipes de ligues junior majeures de hockey du Québec, tandis que les Celtix, une équipe de soccer, s’illustre dans la foulée du succès que remporte ce sport importé d’Europe, d’Amérique du Sud et du monde arabe. Le centre sportif, devenu depuis, non sans prétention, le Colisée Isabelle-Brasseur (1980) en l’honneur d’une patineuse de vitesse née à Kingsbury mais ayant grandi à Saint-Jean et vit maintenant avec sa famille au New Jersey, montre que la modestie et le sport ne sont pas synonymes.

La vie culturelle d'après-guerre. La vie culturelle n'a jamais manqué dans la ville. Il y a toujours eu des disquaires à Saint-Jean, même si on trouvait des disques populaires dans les grands magasins du genre Woolworth (coin Saint-Jacques et Richelieu) et United (entre Richelieu et Champlain). Le Carrousel, établi tour à tour dans deux édifices de la rue Saint-Jacques, a la réputation d’être le «disquaire» en ville dans les années 1950-1970. Saint-Jean Possède 3 cinémas qui opèrent également 2 salles ou ont 2 programmes pour le prix d’un. L’Impérial sur la rue Richelieu, juste à côté de la Corticelli, le cinéma Cartier (qui devait devenir un temps la Boîte à Films, spécialisée dans le cinéma de répertoire dans les années 1970) et le Capitol qui appartenait à une chaîne américaine. Le Séminaire, puis le CÉGEP de Saint-Jean ont eu, suite à l’influence du célèbre frère Bonneville, leur ciné-club chargé de présenter des films d’anthologie différents de ce qu’offre le cinéma commercial. Si la vie culturelle de Saint-Jean, depuis 1940, ne présente plus l’aspect grand-bourgeois qu’elle avait à la fin du siècle dernier, lorsque les divertissements semblaient réservés à l’élite, elle présente aujourd’hui une vie culturelle beaucoup mieux démocratisée.

À partir de 1960, lorsque les boîtes à chansons fleurissent partout dans les capitales régionales, Saint-Jean a La Pointe aux Cafés, qui marquera par sa longévité (elle fermera ses portes qu'en 1997) une ère stimulante pour les jeunes générations en quête de lieux pour faire valoir leurs talents. Tout cela, bien entendu, c'était avant l'ère du cocooning devant le téléviseur où les Blockbusters des centres d'achat fournissant des vidéos blue rays ou autres you tube de consommation de masse. D'autre part, jamais la ville n'a cessé d'avoir des chorales, des troupes de théâtre amateur ou d'étudiants, des ligues de Génies en herbe ou d'improvision, ni de recevoir des tournées de spectacles de grandes vedettes ou organisées par les membres mêmes de la communauté, à la Centrale Catholique (j'y ai vu le passage du Capitaine Bonhomme en 1965!) ou à l'auditorium du CÉGEP.

Il a déjà été fait mention du Festival Johannais. Ce festival n’était pas une manifestation folklorique d’esprit de clocher, mais plutôt une activité comme toutes les rues commerciales en organisent : vente-trottoirs, scène de spectacles pour interprètes et compositeurs, animateurs publics, etc. Afin d’équilibrer l’affluence de la clientèle vers les centres d’achat, la rue Richelieu se fait ainsi remarquer par une semaine spectaculaire, transformée en rue piétonière. Le premier festival souligne le 125e anniversaire de la ville et débute le 1er mai 1974 pour se terminer à la fin de l’été, le 14 septembre. Toutes les autres fêtes qui suivirent, au cours des années immédiates, se borneront à une seule semaine. La force d’attraction du nouveau centre-ville, en périphérie, réussit à venir à bout du festival. C’est une mode qui n’a d’ailleurs rien de spécifiquement johannais. En 1979, Saint-Luc plagie Saint-Jean en organisant un Festival Savanois.

La bonne société a toujours ses Chevaliers de Colomb, ses clubs huppés où se retrouvent les mêmes individus Richelieu, Optimiste, Keewanis, Lions, etc. Les présidents, les secrétaires et trésoriers, les aumôniers vont souvent les mêmes d'un club à l’autre, organisant des activités de financement pour une bonne cause à $ 50 le couvert, avec des maîtres de cérémonie venus maintenant de la télévision ou des vedettes de sports ou de cinéma. À l’opposée les traditionnelles chorales de paroisses perdent leur attrait. Encore, vers 1930-1940, on pouvait retrouver des chorales dans presque chaque paroisse et l’organisation de même que la direction équivalaient à des emplois à temps pleins. Recruter les membres, voir au choix des pièces, aux arrangements, aux répétitions… elles sont indispensables aux grandes cérémonies religieuses ou patriotiques. Le même Fernand Charest qui essaie de mettre sur pied le Festival Johannais fonde, en 1952 le Chœur du Richelieu et en 1969, le Festival de Musique du Haut-Richelieu. Le goût de la musique classique surgit l’espace de quelques semaines en automne 1978 avec les Nocturnales concerts d’orgue mensuel organisé par M. Gilles Trahan et donnés à la Cathédrale de Saint-Jean, après le coucher du soleil.

D’autres tentatives d’ériger des spectacles succombent devant la venue de tournées qui viennent faire leur rodage avant d’être présentés sur les grandes scènes de Québec et de Montréal. Gaspard Raymond essaie même d’organiser une première audition avec ses Futures étoiles de Saint-Jean, expérience qui s’étendra durant 10 ans. Aucune de ces tentatives de réanimer l’activité théâtrale ne remplace toutefois le cinéma et le téléviseur. Du moins avec des compétitions d’improvisations ou des chorales scolaires, la vie culturelle trouve-t-elle dans les institutions d’enseignement un endroit pour éclore.

Les littérateurs de Saint-Jean, nés ou ayant travaillé à Saint-Jean sont nombreux. Jean-Marie Poupart, l’un des premiers auteurs québécois de romans policiers dans les années 1960, a enseigné au CÉGEP de Saint-Jean ainsi que Jacques Boulerice; Marcel Colin, auteur d’une monographie de paroisse, Saint-Edmond la généreuse, a enseigné la philosophie au même endroit. Il est l’un des co-fondateurs, dans les années soixante-dix, avec Jean-Yves Théberge et Marie Gruslin de la maison d’éditions locale, Mille-Roches, en l’honneur de la source des rapides du Richelieu. Mille-Roches se spécialise dans le livre historique et des romans, à l’instar de Boréal Express. En poésie, les Johannais lettrés découvrent Jean-François Crépeau, Gilles Gemme en critique littéraire; Roger Alexandre et Charles-Yvon Roy en arts plastiques, Gerry Boulet est incontestablement une voix, de même que Gilles Rivard, trop tôt disparu, emporté par un cancer. Mais la culture ne s'arrête pas d’apporter de nouveaux talents à chaque génération qui font la réputation de la place.

Faut-il considérer comme une consolation aux malheurs que subit Saint-Jean autour de la première décennie du nouveau millénaire, cette fantaisie d’une nouvelle version du jeu de Monopoly que la compagnie Hasbro met sur le marché où la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu se retrouve sur la case du groupe bleu foncé (anciennement Place du Parc), l’une des plus coûteuse? Ce choix aurait été décidé après une consultation tenue durant 6 semaines sur le WEB pour une édition canadienne du jeu de société. Près d’un million de vote auraient été enregistrés. Des cartes Chance et Caisse commune modernisées, inspirées des événements culturels canadiens, nous disent que «les joueurs peuvent s’envoler lors du Festival des Montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu». Ce jeu, apparu en 1935, a un prestige mondial, mais c’est Montréal et Toronto que l’on retrouve sur les planchettes des villes internationales. Dans la détresse, il arrive, en effet, que les choses les plus insignifiantes se révèlent d’une grande consolation.

Car dans le processus de mimétisme de la créativité qui affecte ce dernier demi-siècle, la présomption qui a mené à l’impuissance politique et à la stagnation économique a entraîné également, dans la vie socio-culturelle, une suffisance que la réalité ne cesse de trahir continuellement. Avec Maurice LeSieur, Saint-Jean se croit en droit de s'avouer : «ne plus rien demander au Seigneur. Il m'a tout donné, je n'ose plus rien exiger de lui. Je n'ai pas demandé à devenir riche, j'ai demandé à réussir. Je crois que j'ai été exaucé. Quoi demander de plus?».[67] Pourtant, la vanité de posséder le Diocèse tant attendu est affectée quand le pôle d’attraction fait déménager les bureaux administratifs de Saint-Jean vers Longueuil. Une paroisse de Longueuil est même désignée comme co-cathédrale avec celle de Saint-Jean! Les marchands du centre-ville suscitent un Comité pour la Sauvegarde du Patrimoine dans la lutte qui les oppose à Westcliff, mais ils ne font rien pour rénover et entretenir les bâtiments historiques de Saint-Jean. Les artisans culturels mettent sur pied des activités locales qui sont désertées pour des spectacles importés de l’extérieur qui font recettes, tandis que la ville devient un banc d’essai pour des spectacles, souvent médiocres, en rodage. Ce n’est pas ce qu’on peut trouver de plus dynamique dans une cité après avoir eu, dans des moments moins riches, une maison d’Opéra et s’être battu pour avoir un Collège classique. Une certaine stagnation qui n'était pas non plus dans les demandes de Maurice LeSieur s'est imposée avec le temps :
«Pour moi, insiste-t-il, il est ne chose par-dessus tout qui était importante : l'honneur du nom. J'y ai toujours tenu dans toutes les choses que j'ai faites, dans tous les mouvements dans lesquels j'ai milité. Le nom, c'est ce que nous avons de plus important, peu importe ce qu'il nous arrive. On doit toujours garder son honneur sauf».[68]
Or, tout est-il perdu fors l'honneur? Évidemment non. L'honneur appartient à une mentalité qui n'est plus la nôtre, comme on le voit quotidiennement avec les selfies téléchargés sur les réseaux sociaux.

Vieillesse saturée et jeunesse désabusée, le trauma de la Singer résonne encore dans l'esprit des Johannais. Le gout du gigantisme, du clinquant, des fausses promesses détourne de l’appréciation de ses propres ressources et de son propre savoir-faire. Pour les consommateurs, le cocooning; pour les créateurs, l’exil. Après tout, Saint-Jean de doit-elle pas, elle aussi, faire son entrée dans la mondialisation?

La crise du verglas, janvier 1998. Trois ans après le référendum, en janvier 1998, c’est la fameuse crise du verglas. Du lundi 5 janvier au vendredi 9, la pluie verglaçante ne cesse de tomber sur le sud-ouest du Québec, le réseau d’électricité d’Hydro-Québec flanche. Les pylônes s'effondrent les uns après les autres sous le poids de la glace. Les branches des arbres tombent sur les maisons et dans les rues. Or, Saint-Jean est situé à l’aboutissement d’un long réseau de transport électrique qu’il faut redresser et rebrancher de relais en relais. Le Premier ministre Lucien Bouchard et le Président d’Hydro-Québec, André Caillé, sont obligés de décréter l’état d’urgence. Les citoyens de la zone dite le «triangle infernal» ou le «triangle noir» sont évacués de leurs domiciles et conduits dans des refuges, soit à la Polyvalente Armand-Racicot, soit au Collège militaire. Là, de jour en jour, de semaine en semaine, durant tout le mois de janvier, ils recevront un chèque de $70.00 par semaine pour couvrir les frais supplémentaires qui ne sont pas fournis par la sécurité civile. Seules les gens qui ont pu se sauver à l’étranger ou loger chez des amis ou parents à l’extérieur de la zone noire ont pu éviter ce long «enfermement» pendant que les monteurs de lignes s’activaient à raccorder le réseau. Saint-Jean avait subi peu de catastrophes naturelles, et si on omet le grand incendie de 1876, son existence n’avait été ponctuée que de petits incidents certes dramatiques pour ceux qui en étaient victimes, mais jamais sur une échelle aussi grande de la population.

La crue du Richelieu, avril 2011. En avril 2011, en l’espace d’une semaine, se déversant du lac Champlain, sa source, la fonte rapide des neiges des hauteurs des montagnes du New York et du Vermont gonfle les eaux du Richelieu au point d’envahir les deux rives. La municipalité de Saint-Jean, s’étendant très loin vers le sud, englobe des villages comme Saint-Blaise ou Saint-Paul de l’Île-aux-Noix, ce qui augmente la quantité de citoyens victimes de la crue des eaux. Une crue jamais vue de mémoire d’hommes. Les riverains ont dû quitter avec précipitation leurs demeures et durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, ont dû attendre avant de réintégrer leurs domiciles dont certains étaient, à toutes fins pratiques, à démolir. Des poissons du Richelieu se retrouvent loin dans les terres agricoles, transportés par la crue. Les citoyens, travaillant jour et nuit, érigent des barrages de sac de sables aidés par les soldats canadiens, mais l’eau ne cesse d’envahir la ville, voire en passant par les égouts, et refluer jusque dans les foyers. Même le pont Gouin - du jamais vu -, doit être fermé de peur de voir l’eau le submerger. La bande du canal surnage et la Place du Quai est innondée. Il est difficile, tout comme en 1998, de chiffrer le montant des dégâts. Le bilan fait mention de 1 000 personnes évacuées et 3 000 sinistrés.

Poétique spatiale 1940. L’espace géographique qui délimite la ville de Saint-Jean, au sortir de son Âge de Prestige, est borné par la rivière et le croisement des deux lignes de chemins de fer : celle du Canadien Pacifique au nord, et celle du Canadien National au sud.. Vue du ciel, l’aire spatiale offre l’image d’un triangle, voire d'un cerf-volant. L’axe en longueur est la rue Saint-Jacques, qui va du Boulevard du Séminaire jusqu’au pont Gouin; l’axe en largeur, assez court s’identifie à la rue Richelieu. L’axe de la rue Saint-Jacques est celui où l’on trouve les services; celui de la rue Richelieu, les commerces et les industries.

La rue Richelieu, communément appelée la grand’rue, est l’artère commerciale principale. Au début des années 1940, elle est celle sur laquelle on trouve le cinéma Capitol et l’Hôtel du Canada, près du viaduc du Canadien Pacifique qui accueille les visiteurs venant le long de la Rivière par la rue Champlain, et qui se termine vers le Yacht Club par-delà le viaduc du Canadien National. Au-delà de ces 2 limites, ce sont les quartiers de riches, au Sud, et les quartiers de pauvres, au Nord. L’église Saint-Edmond avec sa nef rococo et l’église Notre-Dame-Auxiliatrice avec sa nef sombre et basse. Autour des trois paroisses, le sol n’a pas encore été déboisé. Des savanes séparent Saint-Jean de Saint-Luc. Certains grands bourgeois de la ville font construire de magnifiques demeures face à la rivière jusqu’à Sainte-Thérèse, près du Centre des Sœurs de l’Immaculée-Conception et la Villa des Pères Jésuites. Ainsi, Vernon Longtin demeure au coin des présentes rues Saint-Denis et Champlain, tandis que la famille Savoy demeure sur la rue Notre-Dame, près de la rue Champlain. Bien des familles de la petite bourgeoisie lorgnent avec envie ces belles demeures, possessions des vendus aux «Anglais».

Donc, une ville entre les deux viaducs centrée sur l’axe en largeur : Champlain, rue résidentielle; Richelieu, rue commerciale, dans le prolongement l’une de l’autre. Les voies ferrées se dressent alors comme des invitations faites à la population de les franchir, d’aller au-delà, de poursuivre ce qu’on appelle aujourd’hui, l’étalement urbain. Mais avant tout - temps de guerre oblige - l’évasion vers le lointain. L’appel du train ne s’adresse pourtant pas à la population pauvre, enfermée par obligation dans ses usines, mais à de jeunes bourgeois qui rêvent de voir ce qui se fait ailleurs, mais sans pour autant émigrer comme les Québécois du XIXe siècle.


C’est la raison pour laquelle les deux cinémas de Saint-Jean sont forts achalandés. Ils offrent un moyen d’évasion par procuration en attendant de pouvoir disposer suffisamment d’argent pour quitter la ville. Tous ne peuvent pas bénéficier d’un père riche, comme Rina Lasnier. Le Ouimetoscope, «propriété de M. Oscar Thuot, cinéma qui logeait dans l’édifice actuel du Canada-Français, avant de déménager à côté de chez C.-O. Gervais et ensuite tout près de la salle des Chevaliers de Colomb. "Il en coûtait 2 sous pour aller aux petites vues"».[69] Ce Ouimetoscope, qui est devenu le cinéma Capitol, présentait des films français avant que le cinéma américain envahissent les écrans après la victoire de 1945. Plutôt que ces films français bavards et intellectuels, le public se pâme davantage devant les danses et les chansons de Nelson Eddy et Jeannette MacDonald, dont le plus célèbre des 8 films qu’ils ont tournés ensemble reste Sweethearts. Comme partout en Amérique, le cinéma est devenu le lieu d’évasion, non seulement des ouvriers et des ouvrières, mais aussi de la bourgeoisie. Entre le cinéma et l’hôtel - ou la taverne, plutôt -, bien des rêves n’ont jamais réussi à s’éloigner des 2 tracs et de la rivière.

Saint-Jean possède 4 hôtels réputés et bien fréquentés : le Saint-Jean, le Windsor, le Canada (futur Fontainebleue) et le Richelieu. Souvent, les chambres louées servent de lieux de rendez-vous ou, plus vulgairement, de lieux de passes. Leurs propriétaires vivent grassement en cette période de crise. Les débauches sont plus ou moins tenues cachées, mais le public qui fréquente ces lieux reste quand même restreint. Des grands bonnets de la ville, mais aussi de l’étranger - ainsi un lieutenant-gouverneur - et des prostituées de luxe. On a vu que le Tower’s hotel était le plus fréquenté par ce genre de clientèle. La population, moins portée au scabreux, préfère se rencontrer dans les comptoirs-de-glace pour y prendre des milk-shakes. Celui en face de l’Hôtel Richelieu, un autre situé à l’endroit où se dressera le restaurant Le Louvre, et la pharmacie Régnier servent les fameux sundys et les cornets de crème glacée qui offrent d’autres plaisirs que ceux de la chair.


Les magasins et les commerces nous sont connus : Gervais quicaillier; Harbourg ameublement; Payette lingerie. Quelques Juifs sont propriétaires de lingeries et de merceries sur Richelieu. Tout à côté, il y a déjà les quinze-cents : Woolworth, United (depuis, People’s avant d’être complètement rasé). Et les banques, la Commission des liqueurs - toujours très fréquentée lors du temps des fêtes -, la laiterie Lebeau, le garage Lasnier & Galipeau, appartenant au père et à l’oncle de la poétesse Rina Lasnier : «En même temps, [Roméo Gaudette] "faisait du taxi" pour Lasnier et Galipeau. Ici, il faut s’entendre. Il n’y avait pas de service de taxi comme c’est le cas aujourd’hui. Lasnier et Galipeau vendait des automobiles, des Ford, des A.M.F. (un produit Studebaker), des Metz, voitures sans transmission, des Maxwell. En plus ils offraient un service de voitures avec chauffeur. Et le jeune Gaudette était un de ces chauffeurs».[70] Il n’est donc pas étonnant que le divertissement préféré du samedi après-midi soit de faire la grand’rue.

Il y a bien le club de la Légion fréquenté par les anglophones avant que les soldats ne reviennent du front après 1945. Et aussi la bande du canal, véritable cour à hangars où on l’on joue à l’argent sans se faire remarquer. Saint-Jean tourne le dos à la rivière comme la morale tourne le dos à la contrebande et aux jeux illégaux, aux trafics douteux et aux passes qui ressemblent à des viols, le tout héritage du temps où Dorchester avait le Jackwood greffé au flanc. La Place du Quai s’est construite par le prolongement de terrains sur la rivière afin qu’ils servent de hangars aux grands entrepôts. Le pont Gouin n’a pas encore sa valeur touristique, il n’est qu’un pont utile et déjà trop étroit.

Aux deux extrémités de la rue Richelieu, il y a déjà deux horreurs industrielles : la Corticelli et la Pirelli partir de 1953). Tous les jours, à 7 heures du matin, même les matins où il fait déjà une chaleur suffocante ou les matins poudrés par une tempête de neige en rafales avec une température de -20°, les ouvriers s’engouffrent dans ces deux molochs. On ne bénéficie pas encore des vacances payées à Saint-Jean, en 1940. Comme il faut bien vendre ce que l'on produit, Singer a établi un bureau de vente sur la rue Richelieu.

Les Ameublements LeSieur sont situés en face de l’Hôtel Saint-Jean. Les Ameublements Langlois, dans les anciens entrepôts Cousins (plus tard site du Greenberg’s). L’imprimerie Payette est située à l’endroit où s’établira la librairie. Que des noms de commerçants, des détaillants maintenant : Payette, Lebeau, Langlois, Goyette - un autre marchand de meubles -, LeSieur, Dorais, Lasnier et Galipeau… Encore au cours de ces années, ils habitent généralement au-dessus de leur boutique ou tout à côté. Il faudra attendre les années 1950 pour qu’ils aillent s’établir plus loin, dans des quartiers cossus du sud de la ville ou du nouveau Village suisse. Certains parviendront même à résider près des Longtin et des Savoy, insigne honneur de reconnaissance sociale. Pour le moment, les rues Richelieu, Champlain et Jacques-Cartier nord sont les lieux de résidence de cette classe moyenne aisée. Par-delà Jacques-Cartier, et de plus en plus vers le nord, ce sont les logements loués aux ouvriers.

Près du viaduc du Canadien National, il y a l’aqueduc et le Parc Laurier, pas très loin, des petites montagnes où, l’hiver, les enfants font de la traîne-sauvage. Le parc est en fait très peu fréquenté. Pour cause, on l’associe au milieu anglophone qui se tient tout près, au Yacht Club. Et puis, il y a les casernes, également toutes proches.

Le Yacht Club est très anglais. Un tiers de ceux qui le fréquente sont anglophones et les deux autres tiers, francophones. À part la haute bourgeoisie d’affaires et d’industriels, les deux groupes se mélangent peu. Les Johannais vont s’étendre sur le quai, où il y a de petits restaurants et une salle de danse. C’est dans le plus parfait esprit américain que savoir nager et c’est l’une des premières choses à apprendre lorsqu’on entre dans la haute sphère de la société johannaise. Nager, plonger, canoter, au cours des années 30, faisait plutôt pauvre; par contre, la chaloupe symbolise le riche monde snob comme aujourd’hui les yachts en fibre de verre. Mais la nature conserve sa beauté. Il y a de magnifiques saules pleureurs qui servent de lieux de rendez-vous lors des promenades galantes pour les jeunes amoureux. Malheureusement, ils sont souvent trop pauvres pour penser fréquenter le Yacht Club : $ 5.00 pour l’abonnement d’été alors que la serveuse, qui travaille 6 à 7 soirs par semaine de 7 heures du matin à 7 heures du soir, ne gagne que $ 6 à $ 10 dollars pour la semaine. De plus, le clergé dénonce la frivolité de l’endroit. C’est donc, encore, un autre monde à part. Saint-Jean est parsemmé de mondes à part tout au long de son histoire : les casernes, la Singer, le Yacht Club, puis le Collège Militaire…

Pourtant, le Yacht Club, dont l'édifice typique est démoli dans les années 1950 à peu près au même moment où il se francise en devenant le Club nautique, apparaît comme le marche-pied de ce monde d’évasion tant il se situe à l’écart du centre-ville et qu’il est prêt des voies ferrées menant aux États-Unis. Les enfants aux mains blanches de la grande bourgeoisie s’y essaient de briller et ils réussissent. Mais les ouvriers aux mains noires de la Cable, Conducts & Fittings (Pirelli) ne doivent pas y penser, eux qui travaillent juste à côté. Les bourgeois de la classe moyenne, tels les LeSieur, se font construire des chalets de villégiature, il s'inscrivent au club de golf, très chic mais tout aussi anglophone, qui reçoit déjà les Longtin et les Savoy. Tout ce territoire a été arraché à la nature selon Roméo Gaudette qui «se rappelle aussi que la rivière Richelieu débordait tous les printemps et inondait le terrain où passe aujourd’hui la rue Jacques-Cartier. "En face du club de golf, il a fallu y ajouter de la roche avant de faire la rue". M. Gaudette se souvient également de la première rue pavée à Saint-Jean. Elle appartenait à un M. Brunet».[71] Mais il y a, fort heureusment, les Gaietés Françaises, qu’il ne faut pas confondre avec ce petit magasin de confiseries situées un temps sur le coin nord-ouest des rues Saint-Charles et Richelieu et que l’on voit sur une photographie datant de 1935. Elles sont très populo les Gaietés Françaises, situées non loin de l’école protestante Saint-Patrick. On y trouve des tables à pique-nique et la plage y est encore très boueuse, sans aucun luxe d’aménagement. C’est le «yacht club» des pauvres.

Sur la rue Champlain, on retrouve la Centrale électrique derrière le cinéma Capitol et la boulangerie Bissonnette. Un peu plus loin, face à la Place du Marché, on y retrouve le bureau de Eaton's où il est possible de venir commander les produits qu'on retrouve dans l'un ou l'autre des catalogues saisonniers. Sur la rue Jacques-Cartier, il y a le Bureau de postes, lieu de rencontre, entre 4 et 5 heures, de la population locale qui vient chercher son courrier dans les casiers postaux - cela avant que les facteurs en face la distribution à domicile. On y mémère beaucoup.

Il y a également chez Boulais, sur Saint-Jacques, un véritable centre de distribution où l’on dit y trouver tous les journaux disponibles au Canada! On y achète beaucoup de magasines illustrés, surtout le Life, magazine américain bourré de photos. On y retrouve aussi le Times, et la plupart des gazettes sont anglophones. Y compris les petits journaux jaunes, que le client dissimule entre les gazettes du jour et les journaux sportifs qui ont la cote. Comme le dit Maurice LeSieur, la population tient à l'honneur de son nom! Sur la même rue ouvre dans les années 1950 le cinéma Cartier, entre Champlain et Richelieu. À quelques pas l’une de l’autre, les deux librairies, Choquette et Richelieu, le Salon funéraire LeSieur, parallèle à la Cathédrale, l’Académie commerciale de Saint-Jean, exclusivement laïque et où on y enseigne de la première à la neuvième année et dont le directeur est A.-J. Beaulieu, père du député provincial. L’enseignement des maîtres laïcs est aussi bon que celui des clercs. À la Cathédrale, le curé en chaire, le dimanche, parle contre les lieux de dépravations : les hôtels, les cinémas, les lieux de baignade en plein air. Il sent bien l’invasion de l’American Way of Life qui déferlera à la fin de la guerre. Pour distraire les ouvriers des influences politiques dangereuses, comme les idées communistes ou syndicales, on construit pour eux la Centrale Catholique, à l’architecture religieuse, mais qui contient le théâtre où s’arrêtent les troupes itinérantes. On y retrouve également la bibliothèque publique. Le tout pour stimuler sainement les jeunesses catholiques. Plus loin, il y a encore d'autres commerces et les Autobus Boulais, l’hôtel Saint-James (un tripot reconnu dit-on), l’électricien Lebeau, etc. jusqu’à la traverse de chemins de fer du Canadien National. Le Boulevard du Séminaire n’est pas encore vraiment défriché et au-delà, il y a le Nouveau cimetière vers lequel nul n’est pressé d’y arriver.

On ne peut passer sous silence la Place du Marché où les samedis sont particulièrement bruyants. Les cultivateurs viennent de l’arrière-pays y vendre le fruit de leurs récoltes. On y retrouve la taverne Poutré et l’Hôtel National. C’est à la Place du Marché qu’à tous les printemps on se procure le sirop d’érable; l’automne, les pommes amenées par les pommiculteurs de la région de Saint-Grégoire. Tout à côté, il y a les édifices publics : le coin des pompiers et de la police. Les enfants sont terrorisés à l’idée d’approcher ces lieux que les grands disent être interdits. On retrouve, toutefois, un terrain de jeux très fréquenté et situé dans l’actuel stationnement de l’Hôtel de Ville. Et, bien sûr, l’Orphelinat…

Passer le magasin Boulais, ce sont déjà les quartiers résidentiels, plutôt pauvres, de la rue Saint-Charles et de la rue Saint-Jacques. On retrouve encore des rues huppées sur Jacques-Cartier et Longueuil. Outre les deux églises protestantes, que les catholiques appellent les mitaines, il y a l’inquiétant petit cimetière à côté de l’église Saint-James où les racines des arbres commencent déjà à soulever les tombes funéraires. On remarque rarement les pasteurs protestants. Sur la rue Longueuil, nous retrouvons surtout les édifices hospitaliers : les nombreux cabinets de médecins, la maison Thibodeau où est installée un temps l’Unité Sanitaire dans laquelle on innocule les jeunes contre les maladies infantiles qui font la crainte des familles.

La rue Saint-Charles est pour lors, passé la grande allée des superbes résidences d’avocats et de notaires, la rue la plus pauvre de la ville. C’est l’époque où la Singer étouffe la population ouvrière de la ville. Le clergé encourage la Singer à ce point que dans l’esprit des gens, Singer = industrie. Bien que les grèves soient plutôt choses rares, celles de la Franco et surtout de la Singer laissent des souvenirs amers.

Un soir de 1939, le Collège de Saint-Jean a flambé. En 1940, on érige le nouveau Séminaire des prêtres séculiers. C’est un édifice à l’architecture à la fois moderne et religieuse. Le site est encore loin du centre-ville - près de 3 milles de marches sur des terrains non déblayés. Les joueurs de baseball du Collège sont appelés les Puckés, probablement à cause de leurs casquettes et de leurs visières. Le Clergé paie volontiers des ouvriers pour qu’ils envoient leurs enfants doués au Séminaire. Encore plus loin, derrière le Séminaire, près du Grand-Bernier est érigée la fameuse Base d’aviation.

Au-delà, on peut toujours penser à Montréal ou Plattsburg, la Baie Missisquoi ou le lac Champlain : des lieux féériques pour les enfants. Il faut une heure pour aller de l’Hôtel Saint-Jean, site du terminus local, à Montréal, dans ces grosses autobus aux sièges recouverts de cuirettes sur lesquelles on transpire. Le soleil qui plombe la tôle chauffe les voyageurs. Des enfants sont malades. Il faut, une fois quitter la zone de Saint-Jean, traverser la savane de Saint-Luc, longer les fermes qui jalonnent le vieux Chemin Saint-Jean, passant par le rang de la Bataille et atteindre finalement Laprairie, puis longer le fleuve jusqu’à Longueuil pour traverser le pont Jacques-Cartier et de là se rendre au terminus de l’est, au coin des rues Berri et de Montigny. La rue Sainte-Catheriene paliera au désir de se promener sur la 45e Avenue ou Broadway. À Plattsburg, à partir des années 1950, la ville offrira un attrait pour les Johannais : les premiers centres d’achat et les drive-way.

C’est après la guerre, en effet, que commencent les exodes de la jeunesse vers les États-Unis. Les tracks ne font plus peurs. Les jeunes qui ne sont pas revenus des champs de bataille où sont restés en Allemagne pour empêcher les Soviétiques de déborder vers l’Europe de l’Ouest servent d’inspiration. L’un d’eux, Jean Raymond, jeune homme originaire de Saint-Jean dont la photographie paraît dans la revue Les ailes canadiennes-françaises, a été sergent de section et mitrailleur. Il a été tué au cours d’un raid sur Duisberg. Tout ce qu'a été cette tuerie de masse à fait naître chez les survivants, comme en 1920, une fureur de vivre. Commencent alors les grands exodes saisonnier vers les États-Unis. Le rêve de la Floride est apparu bien avant la migration des Graybirds. Ceux-ci ne font que perpétuer une tradition qui remonte à l’après-guerre. Comme l’américanisation pénètre les imaginaires à travers le cinéma, les gazettes, les posters, la musique et bientôt le rock’n roll, l’Amérique, c’est la jeunesse; le Québec, la vieillesse. Saint-Jean doit s’américaniser pour éviter un nouvel exode de ses enfants. Le dilemme est cornélien.

Le clergé est toujours aussi omniprésent dans la vie des Johannais. Mgr Forget, comme tous les évêques, s’approprie très vite ses paroisses. Il pronoce des sermons à n’en plus finir, ainsi lors de la visite du roi George VI et de la reine Elizabeth en 1939. Quelques années plus tard apparaît un saint local, un Jésuite qui loge à la Villa et où les (riches) dévots viennent se confesser. Le R. P. Chai (orthographe douteux).

Entre les curés, les avocats, les notaires, les médecins, la pègre et les ouvriers d’usine, il y a deux marginaux notoires. D’abord, Marcel Raymond, écrivain et botaniste prestigieux, spécialiste des Carex. Mis à la porte de son collège, Marcel Raymond est affilié au Jardin Botanique de Montréal ainsi qu’aux Cercles dramatiques. C’est lui qui fait venir à Saint-Jean Ludmilla Pitoëff et Fernandel. Critique littéraire, Marcel Raymond sera l’auteur de plusieurs appréciations sur le théâtre québécois avant de dépérir et de sombrer dans l’alcoolisme. D’autre part, il y a Rina Lasnier, jeune fille qui va au Collège des Dames de la Congrégation, rue Laurier, récite des poèmes de sa composition à ses jeunes sœurs, assisent sur le quai du Yacht Club, qui suscitent des commentaires les plus désagréables et lui conseillent d’écrire des romans, puisque c’est à la mode.

Certes, la radio est déjà fort bien implantée dans les demeures johannaises. On y entend aussi bien le Chapelet en famille que les joutes de hockey du Canadien de Montréal et les radio-romans précédés des mesures de l’Automne, de Glazounov (Un homme et son péché) et Greensleves (Le Survenant). Commanditées par des compagnies de savon, comme aux États-Unis, ces séries, d’une grande beauté lyriques puisque les textes sont écrits par les auteurs originaux, Claude-Henri Grignon et Germaine Guèvremont, sont des vins anciens versés dans une outre nouvelle. Les séries à vocations nationales et culturelles feront éclater la radio qui s’américanisera presque entièrement dans la suite du siècle, refoulant les radio-romans le matin, à l’heure où les ménagères font leurs travaux domestiques.

Évidemment, tout n'est pas très jolis à Saint-Jean même si la ville essaie de se donner un air paisible et tranquille. Des Johannais garderont longtemps de mauvais souvenirs, de l’Orphelinat, par exemple. Si les religieuses conservent un souvenir attendri de ces belles années, les orphelins, eux, rendus à l’âge adulte, éprouvent beaucoup d’amertume à leur égard. Combien se rappelle de ces orphelins, tous vêtus de gris avec de longs bas noirs que les religieuses - effrayantes - font circuler dans les couloirs du rez-de-chaussée de l’Orphelinat, les yeux fermés en récitant le chapelet? Et si l’un d’entre eux a le malheur d’ouvrir les yeux, les religieuses lui déposent une poche noire sur la tête. Après 4 sacs, l’enfant est enfermé en pleine noirceur dans un cabaneau. Le rituel est régulier, à tous les après-midi, 4 heures. Les orphelins sont séparés des enfants externes devant lesquels ils défilent, longs, maigres, vêtus pauvrement et d’un goût morbide. Même à l’extérieur, des bruits circulent sur les mauvais traitements et donnent aux enfants des familles la hantise de se voir soudainement privés de leurs parents. Quoi qu’il en soit, nombre d’orphelins, devenus adultes, garderont des religieuses le souvenir de ces folles, prétentieuses et se fiant aux collectes organisées par des groupes sociaux de la ville de Saint-Jean.

Il faut bien prier pour les péchés d’une population qui, comme toutes les populations du monde, ne vit pas plus saintement que les autres. Ces Johannais qui blasphèment comme des chartiers, qui courent le bordel minable de l’Hôtel du Parc, sur De Salaberry en face du Parc Marchand; ces Johannaises qui se consacrent en prières, soumises et silencieuses qui se veulent les artisans de la rédemption de leurs maris ivres ou violents. Le mois de Marie (mai) est l’occasion de cérémonies renouvellées qui ont lieu à 8 heures le soir, à la Cathédrale. La Fête-Dieu mobilise toute la ville qui suit l’Évêque portant bien haut le Saint-Sacrement. Pour le moment, la religion catholique règne sans partage sur toutes les consciences et les disputes politiques ne prêtent plus à inquiétude, comme avant la guerre. Certes, il y a bien la radio, et bientôt la télévision qui sèmront des idées charnelles peu spirituelles. La société de consommation n’a pas encore l’emprise qu’elle ne tardera pas à se donner sur les corps et les consciences des Québécois.

En attendant, les parents amènent leurs enfants, le dimanche après-midi, après la messe, au Cirque itinérant, dont les tentes sont montées sur le terrain actuel du Stade municipal. Les employés de la ville ouvrent la borne-fontaine à l’angle des rues Frontenac et Laurier afin de laisser échapper l’eau pour abreuver les éléphants. Les plus vieux se rendent au stade Poutré ou assistent à des courses automobiles sur l’ancien terrain d’Exposition, dans le quartier sud-ouest de la ville. Les adolescents préféreront sans doute le cinéma. Oui, la jeune génération commence à croire que ses rêves à elle sont possibles et qu’il est plus que grand temps de franchir les frontières ferrées.

Et la rivière Richelieu continue à être très belle, même si l’activité intense du commerce de jadis l’a désertée. Elle est retournée à sa beauté originelle. Elle est l’un de ces fleuves dont on disait qu’ils arrosaient l’Éden.


Poétique spatiale 1960. Cette intransigeance morale et religieuse qui s’imposait depuis plus d’un siècle cède soudainement, comme un barrage devant les eaux furieuses qui balaient tout sur son passage. La pratique religieuse tombe de 65% à 27% durant la décennie. Révolution inimaginable vingt ans plus tôt. La sérénité déserterait-elle la ville? Les voies ferrées ne signifient plus rien puisque la ville elle-même les a débordées. Les yeux se tournent d’abord vers le nord :
«Au mois de juillet 1957, le Premier ministre de la province, l'Hon. Maurice Duplessis, annonçait la construction d'un nouveau pont reliant Saint-Jean et Iberville. Le coût de ces travaux furent entièrement à la charge de la province. Le choix du site a retardé la réalisation de ce projet… il est assez élevé pour laisser passer les navires, lorsque la canalisation du Richelieu se réalisera; il a environ 2 000 pieds de longueur et une voie carossable de 48 pieds de largeur et un trottoir de 5 pieds de largeur de chaque côté. Il possède une capacité de chargement de 40 tonnes par voie.

L’hon. René Lorrain a signé, au mois de juillet 1958 un contrat concernant cette construction dont le coût a été estimé à environ 7 millions. Les travaux commencèrent en juillet 1958.

Le pont terminé, tous et chacun voulurent lui imposer un nom. Parmi ceux qui furent suggérés, les uns voulaient le nommer Beaulieu, selon le nom du père du ministre de l’Union Nationale de ce nom, résidant à Saint-Jean, d’autres désiraient celui de Marchand, ministre du parti libéral à Québec de 1879 à 1900, citoyen aussi de notre ville sœur. Celui de Beaulieu fut affiché sur le pont mais, un beau soir, l’affiche disparut… Pendant plusieurs années, le nouveau pont ne possède aucun nom…»[72]
Comme ce nouveau pont donnait accès à l’autoroute des Cantons de l’Est, il ne fut pas piétonnier, et durant les 7 années à venir, il demeura le pont neuf. Pour les Johannais, ce nouveau pont est une merveille. Encore loin du centre-ville, il est fait pour les grands voyages en auto. Ils se rendent au milieu du pont Gouin avec l’espoir de l'apercevoir. Ils peinent à distinguer les piliers blancs sur lesquels repose le tapis. Et puisque le pont ne vient pas vers la ville, c’est la ville qui se rendra jusqu’au pont! Avec le passage au pouvoir des libéraux, c'est le nom de Félix-Gabriel-Marchand qui s'imposera. Lors de l’inauguration, le 28 février 1966, le pont sera complètement intégré par la ville :
«Sept années après sa construction le nouveau pont fut enfin nommé Félix-Gabriel-Marchand. Le ministre provincial des Travaux publics l’inaugura officiellement le dernier jour de février 1966 et il a été bénit par M. le curé Roger Bouvier, de Saint-Athanase.

Étaient présents Paul Larocque, petit-fils de F.-G. Marchand, et Félix-Gabriel Marchand, arrière petit-fils de l’ex-premier ministre du Québec. L.-N. McMillan, maire de Saint-Jean, Philodor Ouimet, député du comté de Saint-Jean et autres descendants de F.-G. Marchand, ainsi que le député Laurent Hamel, Armand Goyette, maire d’Iberville, plusieurs conseillers des villes sœurs et les maires de la région».[73]
Le pont Marchand est plus que le nouveau pont qui relie deux villes sœurs; c’est le pont de la Vallée du Haut-Richelieu.

La mouvance de la ville toujours plus vers le nord, toujours plus vers l’ouest, toujours plus vers le sud, a entraîné la fondation de nouvelles paroisses, de nouvelles églises, de nouvelles écoles. En 1966, c’est le Boulevard du Séminaire qui est en voie de colonisation. En 1972, c’est au tour du Parc Industriel, qui devient la nouvelle frontière de la ville à l’ouest. L’expansion et le peuplement vont à un rythme jamais connu jusqu’alors et qui ne tient pas à une croissance économique de la ville. Le boom d’après-guerre livre enfin ses résultats. La population dépasse l’enclos triangulaire de 1940. La population urbaine repousse la population agricole. C’est la nouvelle population rurale non agricole qui s’impose et crée la banlieue du centre-ville de Saint-Jean et qui va finir par renverser le rapport satellitaire. Il suffit de jeter un coup d’œil sur ce tableau pour le voir :


Ce mouvement continue d'étalement urbain équivaut à un exode qui pourrait être considéré comme une véritable révolution telle que décrite par le philosophe Lewis Mumford à la même époque :
«Ce large mouvement d'émigration vers les résidences de banlieue provoqua la formation d'un type de collectivité nouveau, caricature de la cité historique aussi bien que de l'asile suburbain : des multitudes d'habitations uniformes, inexorablement alignées, un peu en retrait des voies de communications toutes semblables, dans de grands espaces dépeuplés d'arbres; leurs habitants appartiennent à une même classe sociale, ont des revenus identiques, avec peu de différences d'âge; ils regardent aux mêmes heures les mêmes programmes de télévision, se nourrissent des mêmes aliments pré-cuisinés et sans goût, tirés de frigidaires identiques; tous se ressemblent comme s'il avaient été construits sur le même prototype dans les usines de la métropole. Le résultat paradoxal de ce grand exode suburbain est la formation d'un milieu uniformément dégradé, d'où toute évasion est devenue impossible. La même évolution inexorable qu'ont connue les banlieues des États-Unis, menace toutes les banlieues du monde, et la recherche de divers moyens susceptibles de la contrarier est des plus urgente».[74]
Plutôt que de contrarier le mouvement, celui-ci a été encouragé. L'extension de la banlieue - la déliquescence disions-nous en préface -, oblige la ville à dépenser pour aménager des parcs, des garderies à proximité; veiller à ce qu'un réseau de transport en commun parcours toutes les grandes artères à proximité de ces ruches de bungalows ou de boîtes à condos et ceci n'empêche nullement la prolifération des automobiles personnelles qui nécessitent la construction d'un réseau routier efficace pour accéder à la métropole. Le pont Marchand s'insère dans ce réseau. L'exemple de l'échangeur du Boulevard Pierre-Caisse, où se concentrent commerces et centre d'achat est un surgeon de ce mode de développement urbain. Par le fait même, il oblige le déplacement du centre-ville. La conséquence en est la banalisation du milieu, comme le démontre encore une fois Mumford et qui s'applique à la gouvernance de Saint-Jean-sur-Richelieu depuis 40 ans se traduisant par une «fuite devant les responsabilités civiques et la nécessité d’une organisation collective».[75] Le cordon ombilical, qui tenait jusqu’alors les paroisses éloignées comme Saint-Edmond ou Notre-Dame-Auxiliatrice au centre-ville de Saint-Jean, ne peut plus satisfaire cette mer de quartiers uniformes aux maisons standardisées, d’où la justification de centres d’achat toujours plus vastes et toujours plus diversifiés. Les résidents des anciennes terres agricoles sont désormais des consommateurs de produits manufacturés made in China. Ce qui était un rêve futuriste de la cité nouvelle pour les bourgeois de 1960, une dilatation de la forte densité de population sur une superficie quasi illimitée, a mené à la création de l’isolement en ville :
«Dans la banlieue, les pires malheurs pouvaient arriver sans que personne au monde en soit informé et n'en prenne souci, sauf parfois en lisant une rubrique de faits divers. La banlieue ressemblait à une sorte de musée des illusions. La domesticité y oubliait sa condition. L’individualisme y prospérait, sans souci d’un embrigadement généralisé. Ce milieu favorable aux jeux des enfants en adoptait les vues enfantines, sacrifiant la réalité à la recherche du plaisir».[76]
La fuite dans l’espace équivaut à la fuite des responsabilités face à la condition sociale urbaine. La banlieue promet de vivre individuellement parmi la collectivité, l’image donnée d’un Montréal où chacun se mêle de ses affaires en ignorant son voisinage, ce qui était particulièrement impossible avec toutes ces maisons appuyées quasi les unes sur les autres au centre-ville de Saint-Jean. Ce qui reste de la vie sociale est vécue par procuration par la radio et la télévision, et maintenant les jeux vidéos et les écrans maisons. Chacun des blocs à condos apparait comme une maison dans une globe de verre que l’on secoue pour que la neige s'élève de terre et retombe sur la maison. Avec le baby boom d’après-guerre, les jeunes familles trouvaient dans la banlieue l’espace idéal pour élever leurs enfants :
«La banlieue, avec ses agglomérations dispersées parmi les champs et la verdure, constituait, surtout à l’origine, un milieu particulièrement favorable au développement des enfants, où ils pouvaient jouer, gambader sans surveillance. Des terrains de jeux entouraient les écoles, avec cours de tennis, terrains de football, de baseball, de boules, de cricket. En 1865, dans son journal, Emerson prenait note de cet avantage : "Au lieu d’une bonne police, il nous faut des collines et de grandes prairies à proximité d’un village, où nos garçons pourront librement dépenser un excès de vitalité et d’humeur vagabonde". L’exemple de la banlieue contribua à faire reconnaître qu’il était indispensable de réserver dans chaque cité cet espace consacré aux jeux.

Mais ceux qui s’éloignaient de la cité pour bénéficier d’un unique avantage oubliaient trop vite que cleui-ci ne représentait qu’une partie de tout un ensemble : tous les âges de la vie prenaient ainsi l’enfance pour modèle. Ils bénéficiaient d’assez de loisirs pour que le jeu leur parût la tâche la plus sérieuse de l’existence. Parcours de golf, soirée à la piscine, club sportif, cocktail party remplaçaient les occupations plus sérieuses. En s’opposant aux inconvénients de la cité, la communauté de banlieue se spécialisait dans le divertissement. Bientôt il n’y eut plus d’autre choix offert au citadin que le travail forcé ou le plaisir obligatoire, au détriment de la liberté et de la vitalité. Ces deux modes d’existence se mêlèrent étroitement, et dans la ville comme dans les banlieues, les sports et les divertissements de masse, la production et la consommation façonnèrent un environnement artificiellement standardisé».[77]
Ce que ces gentilles familles oubliaient, c’est que le divertissement aussi doit se planifier, se gérer, s’administrer et les liens forcés du travail, même lorsque l’ordinateur domestique permet de le transporter à la maison de banlieue, vient gâcher le plaisir qu’on y attendait. Des problèmes aussi incroyables que la proximité d’une école ou l’adduction d’eau - problèmes typiquement urbains - les rattrapent dans leur fuite. En faisant du Boulevard du Séminaire et du Carrefour Richelieu le nouveau centre-ville, non seulement l’ancien centre-ville devenait-il un satellite de ces nouvelles artères, mais toute la région n’était plus que le satellite de Montréal et de la Rive-Sud. Tout cela n’a pourtant pas écourté la durée du trajet en autobus qui était celui de 1940! Le chemin de croix du Boulevard Taschereau ralentit la circulation entre les deux points.

Devant ce nouvel aménagement du territoire qui néglige le Vieux-Saint-Jean pour fournir à la banlieue toutes ses exigences de propriétaires fonciers infantilisés, il est important de se demander quel est le degré d’autonomie, c’est-à-dire l’ensemble de ces qualité (qui) procure à une agglomération ou à un secteur une importance relative par rapport aux autres villes. À cette question, le Rapport PLURAM déjà cité soumet les principales villes de la Vallée du Richelieu à 5 indicateurs qui permettent d’évaluer le degré d’autonomie de ces villes.

Le premier indicateur est le rapport emploi/population qui indique dans quelle mesure la main-d’œuvre peut trouver un emploi sur place. Plus le rapport est faible, plus le comté dépend d’une autre région pour l’emploi :
«À cet égard, le comté de Laprairie et le comté de Chambly dépendent de Montréal pour une bonne partie de leur emploi, leur rapport étant respectivement de 0.181 et 0.194. Dans le comté de Richelieu le rapport est très élevé, 0.358, de même qu’à Saint-Jean, 0.411. Le faible taux du comté d’Iberville indique une certaine dépendance non pas de Montréal, mais de St-Jean. Les comtés de Verchères et Rouville ont des taux voisins de 0.25. Ils sont moins dépendants à l’égard de Montréal. Quant à St-Hyacinthe, 0.386 et Missisquoi, 0.411, ils sont tournés vers leurs villes principales qui offrent un fort taux d’emploi».[78]
En 2014, le taux de dépendance de Saint-Jean à Montréal est encore plus étroit, et l’on a qu’à remarquer qu’il existe désormais, matin et soir, une heure de pointe sur le Boulevard du Séminaire pour les Johannais qui vont et reviennent de travailler de la métropole. Saint-Jean ne nourrit donc plus les Johannais.

Le second indicateur est un indice que l’I.N.R.S. a établi dans son étude sur la région sud. Il indique le rapport entre le nombre de services offerts dans une agglomération et la population desservie. Il inclut les équipements éducatifs, hospitaliers, sociaux et les services gouvernementaux :
«Parmi les 4 grosses agglomérations, Sorel et St-Jean sont les mieux équipées et de là moins dépendantes de Montréal pour la plupart des services ou réciproquement moins dépendantes parce que mieux équipées».[79]
Ce qui veut dire aussi que les Johannais qui vivent et travaillent à Saint-Jean ont plus de chance de le faire dans un quelconque service public que dans l’entreprise privée.



Ainsi donc, plus l’indice d’équipement par agglomération en relation avec la population de ces agglomérations est élevé, plus la région est autonome. Saint-Jean, avec une population de 47 862 habitants, comprenant l’ensemble de la région aujourd’hui fusionnée, l’indice d’équipement est de 164.9 pour une distance de 25.2 minutes de Montréal. La distance par rapport à Montréal est un autre indicateur du degré d’autonomie. Plus une ville est éloignée de la métropole, plus elle a avantage à se donner les services qu’il est trop loin d’aller chercher à Montréal. Mais dans ce cas, le nombre de la population joue une influence primordiale. Ainsi, Saint-Jean-Iberville et Belœil-Saint-Hilaire sont à des distances équivalentes et pourtant Saint-Jean possède un indice d’équipement deux fois plus élevés que Belœil-Saint-Hilaire. Il faut dire que la population de notre région est le double de celle de ces deux dernières villes.

L’étude de l’I.N.R.S. permet de faire resortir un phénomène d’attraction exercée par quelques agglomérations sur leur région immédiate. À Saint-Jean, l’indice est de 178.9. De toute la Vallée du Richelieu, seulement Sorel et Saint-Jean peuvent desservir leur zone d’influence, leur indice d’équipement étant supérieur à leur indice d’influence. Saint-Jean n’est donc plus une métropole régionale, mais un centre pourvoyeur d’équipement urbain à une vaste étendue résidentielle qui ne peut se les payer. Souvent aussi, parce qu’elle n’en a pas besoin. Plus instruite, plus riche, la bourgeoisie qui vit en région a moins besoin des équipements urbains (les parents possèdent des livres ou se font creuser une piscine dans leur cours).

Enfin, le dernier mais non le moindre des indicateurs est le taux de croissance annuelle moyen de l’emploi par comté. Dans la décennie 1961-1971 et dans la décennie 1971-1981, il est possible de suivre l’évolution des emplois dans le secteur secondaire et le secteur tertiaire comme contre-coup du débordement de Montréal sur la Rive-Sud, c’est le cas de Chambly, par exemple. Saint-Jean conserve un taux relatif d’économie puisque son taux de 2.1 en 1961-1971 est conservé pour la décennie suivante de 1971-1981. La croissance est donc nulle et le parallèle Sorel/Saint-Jean est rompu, puisque Sorel connaît un taux de croissance élevé. «Il est vrai que Sorel est sur le St-Laurent et St-Jean est à l’intérieur des terres».

Pour conclure, le Comité pour l’aménagement de la Richelieu identifient 3 noyaux : Belœil-St-Hilaire, Chambly-Richelieu et St-Jean-Iberville qui forment la limite est d’un vaste polygone de croissance qui part du fleuve. Saint-Jean est encore le plus autonome des 3 noyaux à cause du quasi-vide du reste des comtés de Saint-Jean et Iberville. C’est ce quasi-vide qui s’est rempli après 1981 et qui a ramené Saint-Jean au même niveau de satellisation que les autres noyaux. Les sages conseils des membres du comité n’ayant pas été suivis, la déliquescence de la ville a donc été jusqu’au bout de sa logique :
«Certaines contraintes devront être opposées au développement urbain tel qu’il se dessine d’ici 1986 et tel qu’il risque de se faire au-delà de cet horizon. Il faudra en premier lieu limiter l’extension des agglomérations et en second lieu organiser le développement urbain dans les limites fixées. Ainsi on corrigera les deux principaux inconvénients du développement actuel, à savoir l’occupation de vastes territoires et le désordre.

L’extension urbaine devrait donc être limitée dans le territoire qui comprend la super-agglomération de Longueuil-Laprairie et les trois agglomérations de la Richelieu centrale (c’est-à-dire Belœil-St-Hilaire, Chambly-Richelieu et St-Jean-Iberville). Ce territoire possède des espaces libres suffisants pour accueillir entre 4 et 5 fois le développement urbain escompté en 1986. Il est possible de limiter tout développement en dehors de ce territoire».[80]

Les conséquences psychologiques de ce déplacement de la géographie urbaine de Saint-Jean ont été, c’est le moins que l’on puisse dire, dévastatrices. En une période d’environ 30 ans, de nombreux édifices qui remontaient aux lendemains du Grand Feu de 1876 furent laissés à l’abandon ou tout simplement détruits. Au lieu de considérer son passé comme un capital solide, les édiles de Saint-Jean ont baissé les bras, s’abandonnant à la chute à laquelle menait leur présomption. La phase majeure de cette déconstruction marque la décennie 1970, au moment où le Boulevard du Séminaire se positionne comme artère essentielle, à la fois axe routier et commercial et que les commerçants et industriels de la rue Richelieu abandonnent les affaires où acceptent le beau risque de se loger dans un quelconque centre d’achat de la périphérie. Le Canada-Français, en 1985, parle déjà de démolir le pont Gouin, trop cher juge-t-on à entretenir. Idée qui persiste et est toujours envisagée par certains. On lève les yeux vers le ciel pour voir passer les Montgolfières afin de ne pas voir de haut les immenses terrains vagues sur lesquels jadis étaient érigées l’Iberville Fittings ou toute autre usine. Tout le pan est de la rue Richelieu, entre Saint-Jacques et Saint-Charles, qui avait été reconstruit en 1876 a été complètement abattu pour créer une aire visuelle avec le parc Alcide-Marcoux. C’est un bien pour un mal, sans doute, mais les exemples inaugurés par des villes comme Boston et Montréal ont inspiré aux urbanistes de Saint-Jean le goût de redonner le droit de regard sur la rivière qui était obstrué jusqu’alors. Les rénovations du pont Gouin, même elles n’améliorent pas la fonctionnalité du pont lui ont donné une beauté et un style qu’il n’avait pas avant. Déconstruire le pont Gouin, serait pire qu’un crime, ce serait une faute - pour employer l’expression de Talleyrand. De même, c’est in extremis que furent sauvées les deux gares de Saint-Jean lorsque les deux grandes compagnies de chemins de fer ont enlevé les rails (et démoli le viaduc du Canadien National au sud de la rue Richelieu). Devenus des aires inoccupées, ces espaces ont vite été acheté par des promoteurs immobiliers qui y ont fait ériger des résidences de condos et d’appartements. Ici, c’est la banlieue qui, faisant ressac, retourne vers la ville, avec son esprit et sa médiocrité. Si la plupart des résidences luxueuses sur la rue Champlain, face à la rivière, ont survécu au pic des démolisseurs ou aux rénovations sauvages, les résidences construites sur l’emplacement de l’ancienne Villa des Pères Jésuites est tout à fait conforme aux rêves des édiles de la grande bourgeoisie de Johannais du premier XXe siècle. Il est douteux, toutefois, que ces rêves se soient démocratisés pour autant.

Des fêtes de quartiers remplacent les grandes cérémonies qui avaient lieu jadis dans le centre-ville. Sur la rue Richelieu, à la Place du Marché, des terrasses en plein air, des spectacles d’animation, des activités pour les enfants ressemblent à ce que l’on trouverait à Mont-
réal sur la rue Saint-Laurent ou sur l’avenue du Mont-Royal. On y trouve un temps une franchise du Vieux-Duluth… dans un centre d’achat! Les vieux bâtiments qui ont survécu aux pics des démolisseurs se retrouvent maquillés, comme dans tous les centre-villes de la Province, en attraction touristique. Mais rien, toutefois, qui distinguent de la standardisation nord-américaine. On ne fait pas un détour, lorsque l’on vient de l’extérieur, pour une terrasse du centre-ville de Saint-Jean. On s’y arrête si l’on passe. C’est à des fins de consommation locale que ces attractions sont organisées. Au-delà de ce noyau dur du Vieux-Saint-Jean, les quartiers demeurent extrêmement pauvres. Il n’y a pas jusqu’à la revue Urbania qui, au début de 2014, présentait la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu comme une véritable zone sinistrée. Toute la Province s’en aperçoit et il semblerait que les seuls à ne pas le voir, ce sont les Johannais eux-mêmes, et surtout leurs dirigeants économiques et politiques. Le déni est devenu la façon de justifier un non-investissement dans la restauration de la ville et la résurrection de son entrepreneurship par lequel les ancêtres du XIXe siècle avaient érigé leur ville sur le bord de la Rivière des Iroquois.

Conclusion. Le destin d’une ville - comme celui d’une nation, d’un pays, d’un empire ou d’une civilisation -, est soumis à des lois strictes liées à la démographie, à l’économie, aux institutions politiques et juridiques et aux schèmes culturels. Lorsque le déclin s'amorce, instinctivement, la population s'en ressent aux niveaux psychologique et social. Deux options sont alors possibles. Un redressement qui s’avère nécessaire pour que le maximum de pouvoirs de décision sur nos richesses demeure entre nos mains et que nous puissions exporter des richesses produites à Saint-Jean et qui rapporteront à l’ensemble de la population, comme on l'a fait tout au long du XIXe siècle, ou encore s’endormir sur nos lauriers en nous comptant chanceux de ne pas être devenu un arrondissement de Montréal. C’est à travers cette dernière attitude que la présomption conduit à la chute. Le trauma de la Singer, tout au long du XXe siècle, a instillé une personnalité à la ville de Saint-Jean qui a fini par cultiver sa propre idolâtrie en prenant pour acquis que cette personnalité s'étalait par-delà commencement et fin. Or, ce que nous avons appelé cette mémoire gelée est incontestablement le barrage psychologique qui abreuve cette déliquescence de la ville. Stérilisation, impuissance, stagnation, la Némésis de la Créativité reste le meilleur diagnostic du problème posé par le lent déclin de Saint-Jean-sur-Richelieu, déclin qui n'a cessé de s'accélérer malgré le déni de générations d'édiles locaux :
«Tandis que "s'endormir sur ses lauriers" peut être considéré comme une manière passive de succomber à la Némésis de la Créativité, cette attitude négative n'atteste pas une absence de faute morale. Une sotte passivité envers le présent naît d'une infatuation du passé dont ressort le péché d'idolâtrie. L'idolâtrie peut en effet se définir : une adoration intellectuellement et moralement aveugle, pour une créature à la place du Créateur. Elle peut prendre la forme de l'adoration d'une personnalité, ou encore d'une société à quelque phase éphémère du mouvement incessant du défi et de réponse qui est l'essence même de la vie […] l’idolâtre qui commet l’erreur de traiter une personnalité morte non comme un marchepied mais, comme un piédestal, se détournera lui-même de la vie, aussi nettement que le dévot stylite s’isolant du reste du monde, sur sa colonne».[81]
Cette attitude a été celle de l’édile johannaise de 1940 à 1960 et elle l’a transmise en héritage à ses enfants. Comme toutes les petites villes nord-américaines qui subissaient l’après-coup de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre Froide, Saint-Jean s’était donnée une poétique spatiale qu’elle croyait immuable, parfait reflet de ce qu’avait toujours été son histoire : une petite ville triangulaire, disposée entre la rivière et les voies ferrées, avec ses grosses usines, ses petits commeres et ses professionnels. Tout cela ne pouvait changer, puisque c'était le Saint-Jean historique. Or, 20 ans plus tard, cette poétique était complètement chamboulée, mais les dirigeants continuèrent à faire comme si rien n’avait changé car, comme le disait Lavoisier pour la nature, à Saint-Jean, rien ne se perd ni rien ne se crée.

Il n’y a pas de «Johannais» type, pas plus qu’il n’y a de Québécois, de Canadiens ou d’Occidentaux types, à moins d’user de la typologie comme une métaphore ou une figure de rhétorique. Pourtant, le fait de partager une même poétique de l’espace durant des générations; d’être le produit d’un développement diachronique sur une longue durée (ici plus de trois cents ans) et de partager des intrigues qui se sont inscrites dans autant de mémoires (vives ou mortes, peu importe) parmi la population, crée une conscience collective qui, mesurée à cette échelle, donne son sens à l'unité de la Ville de Saint-Jean comme elle le ferait pour une nation ou une civilisation. Par la ténacité (rappelons-nous l'apologétique de Gustave Lanctot) et le courage dont font preuves les citoyens de Saint-Jean, aujourd’hui comme en 1876 et en 1998, et comme tout au long de leur Histoire; par cet héritage, qu’ils ont trop eu tendance à brader sans retenu en échange de vaines promesses; par la capacité qu’ils ont encore de voir sortir de leur sein des travailleurs acharnés, dotés de caractère, doués de talents et d’intelligence et s'investir dans une confiance commune inébranlable devant les défis nouvaux, dans le vieil âge aujourd'hui comme dans la jeunesse des habitants qui vinrent s’établir à proximité d’un fort pourri, entourés de palissades précaires, il y a une continuité évidente. En ce sens, nul n’est tenu d'entonner un requiem sans espoir

 

ANNEXE

Discours de Jérôme Proulx, député provincial, le 19 mars 1980 devant l’Assemblée nationale

L’intérêt à relire le discours de Jérôme Proulx réside dans l’appel non seulement à la conscience nationale, mais aussi à la conscience historique propre à l’histoire même de son comté. Proulx comprenait bien que les deux consciences, la locale et la nationale, étaient interreliées et ne pouvaient que se développer mutuellement. Il ne comprenait toutefois pas qu'elles pouvaient se combattre.

Journal
des
Débats

Le mercredi 19 mars 1980
Vol. 21 — No 95

M. le Président, ce débat prend une importance capitale puisqu'il permet à tous les parlementaires que nous sommes de nous exprimer sur notre avenir collectif et que des centaines de milliers de personnes nous écoutent avec un intérêt remarquable et de plus en plus soutenu. C'est un temps d'arrêt où, sans oublier nos problèmes quotidiens, on se met à réfléchir en profondeur à notre avenir à tous. Tout ce que je vais citer au début a pour objet de démontrer la légitimité et la pertinence historique de la question débattue, laquelle n'est pas née d'une génération spontanée car elle est le fruit d'une longue réflexion politique.

C'est comme député de l'Union Nationale ayant à sa tête Daniel Johnson que, le 1er décembre 1966, j'entrai pour la première fois ici à l'Assemblée dite législative. M. Johnson, ce grand intuitif, était-il un fédéraliste? Comme la question est souvent posée, je me permets de vous dire que lorsque je l'ai rencontré pour la première fois au début de mai 1966, alors qu'il m'invita à me présenter comme candidat dans Saint-Jean, je lui ai dit: "M. Johnson, je suis un souverainiste". Et lui de me répondre: "Eh bien, Jérôme, vous savez, votre place est avec nous." Pendant les vingt-huit mois de son mandat, j'ai toujours senti que j'avais ma place dans son parti. Que disait-il ici même, au parlement, à la même place qu'occupe le député d'Argenteuil [Claude Ryan, chef libéral de l'Opposition], le 17 janvier 1963 : "Parce qu'il n'a pas été observé  ni dans sa lettre ni dans son esprit, le pacte de 1867 est devenu désuet. Chacune des deux parties en cause a le droit de reprendre sa liberté et de négocier un nouveau contrat, si c'est encore possible. Le temps est venu pour les représentants mandatés des deux nations de se réunir et de chercher ensemble librement sur un pied de parfaite égalité, quelles sont les institutions politiques qui conviendraient le mieux aux réalités canadiennes de 1963." Un peu plus loin, il affirmait : "Cessons une fois pour toutes de rêver d'une impossible unité. C'est l'union qu'il faut désormais chercher, l'union dans la liberté, l'harmonie dans le respect des souverainetés nationales, l'alliance des deux communautés ayant des titres égaux à l'autodétermination". "Il faudra qu'avant 1967 une nouvelle constitution donne au Québec non seulement la souveraineté nécessaire pour lui permettre de se réaliser pleinement, mais aussi la reconnaissance pratique de son titre de partenaire égal. Ou bien nous serons maîtres de nos destinées dans le Québec et partenaires égaux, ou bien ce sera la séparation complète." Le 5 août 1965, dans une conférence à Couchiching, il affirmait à nouveau: "Les  Canadiens français sont convaincus qu'il n'y a de véritable association que dans l'égalité et que l'interdépendance doit être le produit de libre négociation, sans quoi il n'y a plus que dépendance et servitude."



Quand j'adhérai à l'Union Nationale, en 1966, ce parti reflétait substantiellement dans son programme la pensée de Daniel Johnson. J'ai à la mémoire cette scène où lui-même révisait chaque phrase, chaque mot, chaque virgule de son programme, avant de l'envoyer à l'impression. Il savait en bon politicien que les écrits, cela reste. Certaines personnes, aujourd'hui, regrettent certains écrits. Voici ce que disait ce programme: "Les Canadiens français forment une nation. Toute nation a droit à l'autodétermination, ce qui implique qu'elle se donne les instruments nécessaires à son épanouissement, soit un Etat national, un territoire national, une langue nationale qui ait priorité sur les autres. C'est pourquoi l'Union Nationale s'est identifiée à l'idée d'une nouvelle alliance entre nos deux communautés culturelles pour qu'elles s'épanouissent librement chacune dans le sens de ses aspirations profondes et qu'elles participent ensemble dans l'égalité à la gestion de leurs intérêts communs."



Ce programme disait plus loin: "Comme prélude à un nouveau pacte entre deux nations égales et fraternelles, convoquer une assemblée constituante mandatée par le peuple québécois pour réviser et compléter la constitution interne du Québec en incluant une formule d'amendement qui consacre la souveraineté du peuple québécois et son droit d'être consulté par voie de référendum sur toute matière qui met en cause la maîtrise de son destin". Nous sommes ici, en 1966. Ce texte ressemble singulièrement à celui de M. Adélard Godbout qui, en 1948, 18 ans plus tôt, disait: "Le Parti libéral provincial discutera d'égal à égal avec Ottawa. Les libéraux se proposent de résoudre la question des ententes du Québec avec le gouvernement fédéral selon la manière libérale, c'est-à-dire par le recours à un référendum, le vote des citoyens." Je me suis donc fait élire, en 1966, avec ce programme de l'Union Nationale, cette pensée, cette idée première, l'existence de deux peuples, de deux nations égales en droit. Pour nous, c'est là le fond des choses. Il est ici un peuple, une nation qui a près de quatre siècles d'existence et qui aspire à la maîtrise complète de ses affaires et de son destin. Daniel Johnson a défendu ses thèses, ses idées à deux conférences extrêmement importantes : celle de Toronto, en novembre 1967, et celle d'Ottawa, en février 1968. M. Johnson avait préparé la conférence de Toronto, nommée Confédération de demain, à Saint-Jean même, chez les Jésuites, à un caucus spécial tenu les 16, 17 et 18 novembre 1967. Je vois le député de Saint-Henri qui me sourit. En même temps, pendant la même fin de semaine, se tenait à la maison des Dominicains, à Montréal, une autre réunion singulièrement importante dont on n'a aujourd'hui que peu de détails historiques, où M. René Lévesque, avec près de 250 personnes, jetait les bases du mouvement de souveraineté-association. "Tôt ou tard, cela deviendra un parti politique", prophétisait M. Lévesque, à l'issue de ce congrès. Treize ans après, ce mouvement prenait le pouvoir et devenait le gouvernement légitime.


La question québécoise, M. Johnson l'a posée clairement, carrément. Il l'a défendue brillamment, comme un vrai chef de nation, et cela à deux conférences importantes et qui, comme d'habitude, n'eurent pas de suite concrète parce qu'il était seul, sans mandat spécifique, sans mandat venant de toute la population, sans appui du peuple. Entre-temps, il préparait le Québec à un monde nouveau, il créait le ministère des Affaires intergouvernementales, il ouvrait le monde à la francophonie, il installait des maisons du Québec dans plusieurs pays, il préparait à Paris un satellite qui parlerait français, il créait la Société d'habitation du Québec et SIDBEC et, enfin, il invitait le général de Gaulle dont la visite symbolisa un tournant historique dans notre histoire. Pendant ce temps, il fut la cible et un peu la victime de cet odieux chantage économique. D'autant plus odieux qu'il venait de Québécois, ce chantage, ce terrorisme économique qui dure depuis 1966, depuis 14 ans, et qui s'est répété en 1970, en 1973 et en 1976; chantage qui, toutefois, n'a pas empêché le Parti québécois de prendre le pouvoir en 1976 et n'empêchera pas le Québec de gagner le référendum au printemps de 1980. Ce chantage économique de bas étage était entretenu par les petits politiciens de l'époque et des gens de la haute finance. C'est ce même chantage qui continue de plus belle aujourd'hui avec le Conseil du patronat, avec le comité Pro-Canada et certains politiciens, ces mercenaires de la peur, ces "vieux brûlots" de l'espérance.



(Des Voix: Bravo! Bravo!)



Le 25 septembre 1968, Daniel Johnson nous quittait subitement, sans avoir pu réaliser son grand rêve, sans n'avoir jamais pu concrétiser son programme et ses ambitions politiques, parce que le destin en avait décidé autrement. M. le Président, je suis revenu ici à l'Assemblée nationale en décembre 1976. Dix ans après, exactement. Avec les mêmes objectifs, avec la même détermination et avec la même volonté. Je suis venu ici une deuxième fois parce que je crois en notre peuple et que j'ai foi en l'avenir, me joignant ainsi à des centaines de milliers de Québécois et de Québécoises qui n'ont jamais cessé de marcher, de travailler et de lutter pour la libération de notre peuple, et cela depuis des siècles. Ce que nous voulons, encore et toujours, c'est une nouvelle entente fondée sur l'égalité de deux peuples, entente qui nous garantirait la pleine souveraineté politique. C'est pour moi une question claire, simple, limpide, parce que la même question que nous posons et discutons depuis des dizaines d'années est la même, M. le Président.



Ce mandat de négocier que demande le gouvernement sera soumis pour la première fois de toute l'histoire à une consultation populaire. C'est que tous les gouvernements précédants n'ont jamais eu de mandat spécifique pour négocier cette entente nouvelle. C'est ce référendum qui nous fut refusé le 15 mars 1865 et le 8 juin 1866, alors que le député libéral Antoine-Aimé Dorion demandait avec insistance que la nouvelle Confédération soit soumise à une consultation populaire. Ce fut alors deux fois battus par le gouvernement de l'époque.



Je voterai oui à cette question pour donner au gouvernement le mandat de négocier une entente nouvelle entre les deux peuples fondateurs. C'est pourquoi je demanderais aux électeurs du comté de Saint-Jean de donner un mandat clair au gouvernement pour qu'il puisse négocier un pacte nouveau. C'est un pas de plus qu'il nous faut faire et il faut le faire avec confiance, en repoussant la peur qui accompagne tout naturellement les grandes décisions. C'est le premier pas qui est toujours le pas le plus long à faire. Nous sommes, électeurs du comté de SaintJean, un comté d'une incroyable richesse historique. Du voyage de Champlain en 1609, du Régiment de Carignan-Salières, de la construction des forts Saint-Jean et Lennox, en passant par la dernière bataille en 1759, ce furent les invasions américaines de 1775 et de 1812, les troubles de 1837/38 où déjà les patriotes réclamaient un gouvernement responsable; c'est la fondation de la paroisse L'Acadie en l'honneur des Acadiens qui revenaient et remontaient de leur triste déportation. C'est, chez nous, un territoire truffé de monuments historiques. Il fut l'endroit de choc et le carrefour de plusieurs civilisations : amérindienne, française, britannique, américaine, canadienne et québécoise.



Vous vous devez d'être du grand rendez-vous du printemps 1980. Il nous faut, tous ensemble, faire ce pas, vaincre la peur et faire appel à ce qu'il y a de plus digne et de plus grand chez vous, dire oui à l'avenir, dire oui au Québec, parce que nous sommes des êtres responsables, parce qu'il nous appartient, à nous, de régler nos problèmes et non pas aux autres. Il n'appartient ni à M. Lougheed, ni à M. Bennett, ni à M. Davis, ni à personne de venir s'interposer dans nos affaires et de s'adonner à un chantage indécent. Un oui, c'est pour nous et pour nos enfants qui vont nous perpétuer et dans le temps et dans l'espace. Un non, c'est pour les autres, à ceux qui sont étrangers à notre peuple, à notre nation, à nos vrais intérêts dans tous les sens, économiques, culturels, nationaux et personnels même. La peur, l'omniprésente peur ne manquera pas d'être à cet historique rendez-vous, mais le peuple québécois saura lui imposer silence pour n'écouter que l'appel de son destin. Le jour du référendum sera un grand jour dont nous aurons souvenance toute notre vie durant.



En 1940, M. Godbout accordait aux femmes du Québec le droit de vote. Elles devenaient ainsi souveraines politiquement et pouvaient discuter d'égal à égal avec les hommes. C'est à Saint-Jean et dans un autre comté que les femmes ont voté pour la première fois au Québec le 6 octobre 1941, lors d'élections partielles élisant M. Jean-Paul Beaulieu qui fut ministre pendant seize ans.



(Des Voix: Bravo!)



C'est donc un comté extrêmement historique. Aux femmes de Saint-Jean et à toutes les femmes du Québec, je demande de nous donner un mandat clair pour négocier d'égal à égal, afin que tous et toutes ensemble, nous puissions donner naissance à un Québec nouveau, à un Québec fraternel, à un Québec ouvert aux autres et ouvert au monde.



(Des Voix: Bravo!)


[1] P. Vincent. op. cit.
[2] A. J. Toynbee  L'Histoire, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des Idées, 1951, p. 306.
[3] J.-D. Brosseau. op. cit. pp. 238-239.
[4] L. Messier. Un souffle de fierté, in Le Canada Français, 12 janvier 1977.
[5] S.a. Saint-Jean, Iberville, Saint-Luc, p. 223.
[6] Cité d’un communiqué de presse émit par le Comité pour la Sauvegarde du Patrimoine à l’intention du Ministre des Affaires municipales du Québec, M. Guy Tardif, et rapporté dans Le Canada Français, 27 juin 1979, p. 6.
[7] Cités in Le Canada Français, 4 juillet 1979, p. 10.
[8] Le Canada Français, 20 juin 1979, p. 6.
[9] Le Canada Français, 4 juillet 1979, p. 11.
[10] Cité in Le Canada Français. 4 juillet 1979, p. 8.
[11] Ibid. p. 10.
[12] Ibid. p. 10.
[13] Ibid. p. 11.
[14] In Le Canada Français, 20 juin 1979, p. 68.
[15] Ibid. p. 68.
[16] Ibid. p. 68.
[17] R. Lafontaine. Non! Le Canada Français, 27 juin 1979, p. 4.
[18] Musée du Haut-Richelieu. De fil en aiguille : la compagnie Singer à Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Jean-sur-Richelieu.
[19] S.a. Saint-Jean, Saint-Luc, Iberville, p. 120.
[20] D. Simard. op. cit. p. 57.
[21] S.a. Saint-Jean, Saint-Luc, Iberville, p. 268.
[22] S.a. Saint-Jean, Saint-Luc, Iberville, p. 333.
[23] Comité pour l’aménagement de la Richelieu. Schéma intégré d’aménagement et de développement des loisirs. Vallée de la Richelieu, PLURAM (Société Pluridisciplinaire et Planification, d’urbanisme et d’aménagement, 1973, p. 127.
[24] S.a. Saint-Jean, Saint-Luc, Iberville. p. 36.
[25] S.a. Saint-Jean, Saint-Luc, Iberville. p. 263.
[26] Ibid. p. 264.
[27] A. Duguay. op. cit. # 1.
[28] A. Duguay. ibid. # 2.
[29] A. Duguay. ibid. # 2.
[30] A. Duguay. ibid. # 2.
[31] Le Canada Français, 11 juillet 1979, p. 29.
[32] S.a. Saint-Jean-Saint-Luc-Iberville, p. 25.
[33] D. Vallée. op. cit. p. C-3
[34] Rapport PLURAM. op. cit.
[35] Rapport PLURAM. ibid.
[36] J. Castonguay. op. cit. p. 159.
[37] J. Castonguay, in Saint-Jean : 125ème, p. 71.
[38] S.a. Saint-Jean-Saint-Luc-Iberville, p. 78.
[39] M.-O. Trépanier, in Le Canada Français, 11 juillet 1979, p. 6.
[40] Rapport PLURAM. p. 177.
[41] Rapport PLURAM. p. 179.
[42] C. Black. Duplessis t. 2 : le pouvoir, Montréal, Éditions de l’homme, 1977, pp. 128-135.
[43] R. Rumilly. Histoire de la Province de Québec, t. XXXIX : La Guerre de 1939-1945 t. 2 : le Plébiscite, Montréal, Fidès, 1969, p. 131.
[44] R. Rumilly. ibid. p. 132.
[45] C. Black. Duplessis, t. 1 : L’ascension, Montréal, Éditions de l’homme, 1977, p. 388.
[46] R. Rumilly. op. cit. t. XXXIX, p. 133.
[47] «Masson, qui était probablement le plus rusé des organisateurs de l’Union Nationale, rejetait un bulletin libéral à la fois, réduisant graduellement la majorité de Perrier. Il fut établi que certains bulletins avaient été marqués à l’avance en faveur du libéral». C. Black. op. cit. t. 1, p. 389.
[48] R. Rumilly. op. cit. t. XXXIX, p. 133.
[49] Si l’on omet le parachutage du Premier ministre Lomer Gouin pour sauver le comté en 1912.
[50] R. Rumilly. op. cit. t. XXXIX, p. 227.
[51] Cité in R. Rumilly. Histoire de la Province de Québec, t. XL : La guerre de 1939-1945, t. 3 Le Bloc Populaire, Montréal, Fides, 1969, p. 141.
[52] Cité in R. Rumilly. ibid. p. 168.
[53] C. Black. op. cit. t. 2, p. 443.
[54] R. Rumilly. Histoire de la Province de Québec, t. XLI : La guerre de 1939-1945, t. 4 : Duplessis reprend les rênes, Montréal, Fides, 1969, pp. 38-39.
[55] J. Proulx. Le panier de crabes, Montréal, Parti-Pris, 1971, p. 7.
[56] J. Proulx. ibid. p. 25.
[57] S.a. Saint-Jean, Saint-Luc, Iberville. p. 331.
[58] C. Poulin. Le Richelieu (1935-1977),. p. 70.
[59] M. Lanciault. op. cit. p. 214.
[60] D. Simard. Gens d’Ici : Mgr Coderre, in Le Canada Français, 12 septembre 1979, pp. 88.
[61] D. Simard. ibid.
[62] P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert, P. Ricard. Histoire du Québec contemporain, t. 2: Le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal, 1986, p. 592.
[63] D. Simard. Gens d'ici : Louis O. Régnier, in Le Canada Français, 14 février 1979, pp. 20 à 24.
[64] S.a. Saint-Jean, Saint-Luc, Iberville, p. 264.
[65] Cf. D. Simard. Une paroisse et ses institutions, # 1, p. 31.
[66] Cf D. Simard. ibid. p. 26.
[67] Cité in D. Simard. op. cit. p. 59.
[68] Cité in D. Simard. ibid. p. 59.
[69] D. Simard. Gens d’ici : Roméo Gaudette, in Le Canada Français, 18 avril 1979, p. 69.
[70] D. Simard. ibid.  p. 69.
[71] D. Simard. Ibid. p. 69.
[72] Y. Labelle. Monographie d’Iberville, Iberville, Champagnat, p. 245.
[73] Y. Labelle. ibid. p. 266.
[74] L. Mumford. La cité à travers l'histoire, Paris, Seuil, Col. Esprit, 1964, p. 609.
[75] L. Mumford. ibid. p. 614.
[76] L. Mumford. ibid. p. 618.
[77] L. Mumford. ibid. pp. 619-620.
[78] Rapport PLURAM. p. 121.
[79] Rapport PLURAM. p. 121.
[80] Rapport PLURAM. p. 126.
[81] A.-J. Toynbee. op. cit. p. 340.

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