mercredi 6 avril 2011

Civilisations: mode d'enquête - La Signification: les psychonévroses

Aubrey Beardsley. Ligeia

CIVILISATIONS: MODE D’ENQUÊTE

Table des Matières:
Introduction
Signification
La circulation des affects : Éros, Thanatos et Imagos.
Les psychonévroses.
La psychopathologie des collectivités.
Le coefficient d’«inattention à la vie».

Les psychonévroses

Les névroses apparaissent chez les individus lorsque le refoulement d’un désir ou de l’hybris laisse une insatisfaction latente qui cherche, par tous les moyens, à se satisfaire. Face au mur de l’interdit l’instinct devient une pulsion partielle, c’est-à-dire une pulsion insatisfaite qui revient, inlassablement, se buter contre un obstacle. Elle prend alors l’allure d’une perversion. Comme le remarquait l’historien allemand Niebhur dans Moral Man and Immoral Society, «L’homme moderne a de plus en plus tendance à se juger moral simplement parce qu’il satisfait ses vices par l’intermédiaire de groupes toujours plus importants». (1) Les perversions favorisent la régression, c’est-à-dire un retour du développement psychique de l’individu à un état antérieur, toujours plus reculé, vers les premières manifestations du désir qui font dire de l’enfant qu’il est un pervers polymorphe. Longtemps, psychiatrie et psychanalyse fortement teintées de moralisme bourgeois définissaient les perversions comme «toute forme de comportement sexuel adulte dans lequel le rapport hétérosexuel n’est pas le but privilégié». (1) C’était un mot politically correct pour remplacer les accents pathologiques des termes «déviation» et «anomalie». La psychanalyse explique l’interférence des perversions dans le développement comme étant une réaction défensive permettant au sujet d’éviter l’angoisse ou de la maîtriser, la source de l’angoisse variant d’une perversion à l’autre. Selon Freud (1916), les perversions sont la négation des névroses, dans la mesure où le pervers met en acte les impulsions que le névrosé refoule. Si l’on inverse la proposition, on en viendrait à affirmer que les névroses sont l’envers négatif des perversions. Voilà pourquoi «la psychiatrie contemporaine classe les perversions comme troubles de comportement en invoquant la raison que les “symptômes” sont le comportement auquel le patient prétend prendre plaisir plutôt que des éléments de gêne qui le font souffrir. Prétendre qu’on prend plaisir à un comportement que la psychopathologie considère comme défensif soulève des questions relatives à l’authenticité du comportement et des relations pervers». (2) En ce qui concerne l’individu, l’homosexualité, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le narcissisme, le sadisme, le masochisme, le fétichisme, la pédophilie et la gérontophilie sont parmi les perversions les plus souvent considérées. Leur refoulement, autant que le comportement hétérosexuel régis par les mœurs et les lois, sont source des névroses. Perversions et névropathies sont donc dans un rapport antagonique, et derrière les névropathies collectives se cachent des perversions manifestes. Il faut donc faire un «travail archéologique», dans le sens où Foucault l’entendait, pour comprendre le développement de ces névropathies parmi les groupes humains.

Les collectivités qui souffrent de psychonévroses sont comme les individus qui en sont atteints; les symptômes sont des manifestations de conflit entre le Moi et le Ça, et dans ce conflit interviennent les perversions. Elles deviennent des sites de fixation de l’obsession issue du refoulement. Les psychonévroses diffèrent de la psychose parce que l’épreuve de réalité demeure inaltérée, c’est-à-dire qu’elles partagent une compréhension intuitive du fait qu’elles souffrent de ces symptômes qui sont en soi sans valeur. C’est-à-dire que les perversions ne portent en soi aucune valeur, aucun sentiment, aucun lien intime. Bref, elles abréactent la tension mais ne réalisent en rien le désir objectif, d’où la répétition du geste pervers qui finit par devenir un trait de personnalité et à effacer l’origine du désir refoulé. Ce qui fait des perversions une régression, c’est précisément que le sujet se réifie, s’aliène à un objet ou à une activité spécifique partiels. L’hétérosexuel autant que l’homosexuel réduisent les objets à leur génitalité ou une quelconque partie de leur corps (les seins, les pieds, les cheveux, ou leur prolongement: soutien-gorge, chaussures, les fameuses tresses coupées qui faisaient l’objet d’un chapitre chez Krafft-Ebing, etc.) Toute la pulsion est portée sur l’objet partiel et ampute ainsi la sexualité de sa fonction de rencontre entre les partenaires. Le fétichisme, le sadisme, le masochisme ou tout autre pulsion partielle deviennent des rites obsessionnels qui donnent à l’objet une figure d’objet transitionnel reprenant sa fonction de défense et d’intégrité du sujet infantile.

Les psychonévroses diffèrent également des perversions parce que ces symptômes sont gênants pour elles et que le Moi, étant intact, vit mal avec ses perversions, ce qui n’est pas le cas chez les psychotiques. Rycroft (3) distingue aussi la névrose de caractère parce que le conflit a produit des symptômes et non des traits de caractère, et les névroses actuelles dans la mesure où le conflit remonte au passé. C’est ainsi qu’on peut dire qu’une aventure homosexuelle ne fait pas nécessairement une personnalité homosexuelle. En définitive, la psychonévrose se subdivise en trois types: l’hystérie de conversion, l’hystérie d’angoisse (phobie) et la névrose obsessionnelle. Elles ont toutes en commun non seulement les caractéristiques citées, mais aussi le fait qu’elles peuvent être accessibles à un redressement idéologique. Malaise dans la civilisation veut donc dire que les cultures atteintes de névroses souffrent de symptômes mais n’ont basculé ni dans la perversion, auquel cas il n’y aurait pas malaise et la dysfonction sociale serait totale, ni basculé non plus dans la psychose, puisqu’elles conservent le «sens des réalités», c’est-à-dire que le principe de réalité se dresse toujours comme un mur infranchissable de l’interdit; un mur qui retient le flux des perversions, un mur qui apparaît souvent comme un mur de lamentations psychiques tant les névrosés ont conscience que le malaise réside en eux et non dans le monde extérieur. Lorsque l’un ou l’autre de ces deux borderlines s’effondre, alors les psychonévroses et les psychopathologies se déchaînent. Côté cour, dans le champ des psychonévroses, se manifesteront les états morbides subis par les collectivités en question sous l’assaut des perversions. Côté jardin, dans le champ des psychopathologies, les états morbides s’inscriront dans la structure psychique des collectivités, les conduisant irrémédiablement à la mort.


L’hystérie de conversion donne des symptômes physiques aux individus qui sentent une perte de fonction correspondant à l’idée qu’ils se font de la façon dont opère leur corps et non aux données objectives de l’anatomie et de la physiologie. On pense aux célèbres cas d’anesthésie hystérique qui firent des cours de Charcot un véritable cirque. De plus, ce symptôme remplit une fonction protectrice chez l’individu atteint. Enfin, son attitude peut aussi bien correspondre à une pose théâtrale qu’à une attitude d’indifférence. (4) Pour une collectivité, une cité, une nation, une civilisation, l’hystérie de conversion confronte l’Idéal du Moi avec sa dysfonction sociale. Dans un tel cas, on surprendrait les institutions à «s’anesthésier» dans le déni du malaise pour théâtraliser, par la rhétorique par exemple (l’exhibitionnisme), ou encore en s’enfermant dans l’attentisme, qui ressemble plus à une indifférence devant la réalité qu’à l’attente d’un moment propice pour saisir l’occasion de dominer le problème (l’hypocondrie).

Nous avons cité plus haut le cas de la société québécoise comme exemple d’une société hystérique de conversion dans la mesure où la rhétorique culturelle et politique lui sert à éblouir l’imago du Moi bon (la stratégie de la théâtralisation: comme l’écrit le cinéaste Denys Arcand, «Il y a un “Festival internationnal” à chaque semaine». (5)), tout en conservant un état attentiste devant les défis historiques qui se présentent à elle (l’adaptation à la Révolution française par le code civil; l’importation de l’industrialisation de la métropole britannique; la démocratisation de l’instruction, le refus de s’impliquer dans le vaste ensemble de l’impérialisme britannique contrairement aux autres colonies - y compris l’Inde, etc.). La rhétorique hystérique qui suivit les deux crises de conscription (l’émeute de Québec en 1917 et le référendum de 1942) amplifia à volonté le malaise devant l’impératif fédéral canadien de participer aux conflits mondiaux. C’est alors que l’exhibitionnisme laissa place à l’hypocondrie comme perversion. Il est vrai que le malaise provenait de cette incongruité des sociétés colonisées qui possèdent à la fois un gouvernement responsable et un chapeau exécutif colonial. Les crises que durent affronter successivement les gouvernements Laurier, Borden et King à Ottawa, entre l’impérialisme véhiculé par les Canadiens anglo-protestants et le nationalisme franco-catholique des Canadiens Français, deux visions alors incompatibles du Canada, sont toujours apparues comme ce symptôme qui n’a jamais empêché le Canada de parvenir à l’auto-détermination étatique sans jamais, toutefois, parvenir à s’assimiler à une conscience nationale canadienne, comparable à celle des Suisses par exemple ou des Américains post-guerre civile. Ce malaise, qualifié des deux solitudes, oppose deux hystéries de conversion qui demeurent, jusqu’à ce jour, la principale névropathologie du Canada. Malgré le fait que l’hypocondrie québécoise se plaint du mépris canadien et l’hypocondrie canadienne de l’exhibitionnisme méprisant et geignard des Québécois, ces perversions, sans conséquences réelles, n’empêchent pas les Canadiens d’affronter le principe de réalité et d’inhiber leurs symptômes pervers devant des enjeux qui dépassent leurs limites paroissiales.

La névrose phobique se caractérise chez l’individu par une angoisse excessive ou inutile dans une certaine situation spécifique ou en présence d’un certain objet (agoraphobie, claustrophobie, phobie des araignées, des serpents), mais l’angoisse phobique est hors de proportion avec l’objet réel, qui n’est souvent qu’un rêve ou un simulâcre de la perversion qu’ils soutendent. L’attitude du névrosé consiste alors à ne jamais se séparer d’un parent (ou d’une figure parentale) et à fuir devant la présence menaçante d’un danger. Ou encore, paradoxalement, à prendre une attitude contra-phobique en poussant le névrosé à courir au-devant de sa phobie. Cette défense maniaque occasionne des effets de comportement triomphal et un sentiment d’omnipotence du vainqueur face au danger inexistant. En vérité, il semblerait que l’objet phobique (ou la situation) suscite l’angoisse non de son propre chef mais du fait qu’il est devenu le symbole de quelque chose d’autre, une impulsion perverse avant nous dit. Le malaise apparaît davantage comme un conditionnement que comme une maladie issue d’un traumatisme. (6) Si certains psychanalystes rapprochent la névrose phobique de la névrose obsessionnelle, c’est que, souvent, ses «objets phobiques» sont pris dans les superstitions ou les délires religieux.

L’androphobie chez les femmes ou la gynophobie chez les hommes sont des angoisses phobiques qui «démonisent» le sexe adverse. Les épidémies de sorcellerie en Europe et au Massachussets aux XVIe et XVIIe siècles, où les femmes furent placées au centre d’une vaste terreur démentielle, ce qui en conduisirent des dizaines de milliers au tribunal de l’Inquisition, aux supplices puis au bûcher ou au gibet, apparaissent au psychanalyste Lederer comme un véritable sexocide. Cette épreuve demeure l’exemple d’une crise gynophobique passagère suscitée par des pulsions sadiques désinhibées. La rhétorique haineuse, la nécessité de soumettre à la «question» l’âme pécheresse, les examens interminables de l’intimité de leurs corps, enfin la destruction de ce corps par un mode (le bûcher, privilégié en pays catholiques) ou un autre (le gibet, favori des pays protestants), montrent que la gynophobie occidentale du XVIIe siècle dépassait les arguments théologiques ou légaux poussés de l’avant par l’Église et les tribunaux criminels. Dans la seconde moitié du XXe siècle, certains discours féministes ont également «démonisé» le sexe masculin et entraîner des crises d’androphobie parmi des femmes pourtant éduquées; du moins aussi éduquées pour leur époque que les clercs catholiques et protestants et les juges des parlements au XVIIe siècle. Dans ces deux cas, les attitudes sont apparues franchement phobiques. D’un côté, un certain sadisme féminin s’est exprimé par les plus radicales des féministes, allant jusqu’à suggérer la castration des agresseurs sexuels. L’affaire Lorena Bobbitt montra jusqu’où l’androphobie pouvait aller. Dans la nuit du 23 juin 1993, Lorena Bobbitt tranche le pénis de son mari avec un couteau de cuisine pendant qu'ils étaient au lit dans leur maison de Manassas, Virginie. Elle s'enfuit ensuite avec le morceau amputé qu'elle jette par la fenêtre de sa voiture. La police parvient tout de même à retrouver le morceau qui sera recousu par la chirurgie. L’argument défensif de la castatrice consistait à reprocher à son mari de se masturber et de la priver de l’orgasme, bien que le tribunal préféra s’en tenir à la violence du conjoint qui la battait souvent et l’avait obligée à avorter. Reconnue innocente en 1994, elle dut subir une cure de 45 jours dans un hôpital psychiatrique. Plus tard, elle fut reconnue coupable d’agression physique violent contre sa mère. Partie pour partie, John Bobbitt fut acquité d’une plainte d’agression sexuelle sur sa femme. (7) Ce fait divers, plutôt sensationnaliste, permit à des auditrices des télécommunications nord-américaines d’exprimer leur androphobie avec la même hargne que certains auditeurs avaient exprimé leur gynophobie, allant jusqu’à excuser Marc Lépine, l’assassin de quatorze jeunes étudiantes de l’École Polytechnique de l’Université de Montréal le 6 décembre 1989. Dans un cas comme dans l’autre les ressentiments pesaient lourd dans l’émergence d’une pulsion sadique que des événements médiatiques parvinrent à désinhiber, ne serait-ce que le court instant des manchettes à la une. Derrière la peur entre les sexes se profile toujours la peur du sexe.

Les attitudes contra-phobiques ne passent pas inaperçues non plus. Si la fermeture du Japon sur lui-même sous le shogunat des Tokugawa (Tokugawa bakufu) entre 1603 et 1867, peut apparaître comme une attitude phobique devant l’inquiétant accroissement de la navigation occidentale sur ses côtes, la restauration Meiji, en 1868, apparaît nettement comme une attitude contra-phobique. Société fortement et sévèrement hiérarchisée de castes partant du shogun et des samouraïs (ou bushi), suivie de la caste des fermiers, de celle des artisans enfin des commerçants, elle finit par s’épuiser avec les siècles, les taxes collectées par les samouraïs ne cessant de se réduire, la féodalité, comme en Europe, s’appauvrit devant les artisans et les commerçants dont les revenus ne cessaient de s’accroître. Le shogunat apparaît donc comme une institution chargée de résister à l’embourgeoisement de la société japonaise. Il faut dire qu’au départ, le shogunat favorisa le commerce étranger qu’il monopolisa entre ses mains, le commerce extérieur étant autorisé pour les fiefs de Satsuma et de Tsushima. Mais, avec l’arrivée des navires portugais suivis des navires hollandais, anglais et espagnols, les shoguns commencèrent à prendre peur devant la pénétration de l’influence étrangère, surtout des Portugais et des Espagnols qui arrivaient avec leurs jésuites et la religion catholique incompatible avec le culte de l’empereur divin japonais. Ce n’est donc qu’à partir de 1635 que l’isolationisme japonais entra en vigueur avec les lois d’isolation (Sakoku) qui interdirent aux navires nippons d’aller commercer à l’étranger, sous peine de mort de leur équipage, tandis que seuls les navires en provenance de Chine et des Pays-Bas (les Hollandais n’essayant pas de faire du prosélytisme religieux) furent autorisés à s’ancrer à Nagasaki, seul port japonais ouvert aux navires étrangers jusqu’au milieu du XIXe siècle. Les choses en restèrent ainsi jusqu’à ce que se présenta la flotte américaine conduite par l’amiral Perry, qui fit une démonstration avec ses cannonières dans la baïe de Tökyö (8 juillet 1853). Devant l’impératif de s’ouvrir au commerce libéral occidental, le shogunat montra son impuissance à affronter la modernité, qui devenait ainsi, pour la seconde fois de son histoire, une menace inquiétante pour l’intégrité nippone. C’est alors que le jeune empereur Mutsu Hito renversa définitivement l’ordre shogunal et prit le pouvoir effectif. Devant le désastreux effet du colonialisme occidental sur la Chine, l’empereur décida de «moderniser» le Japon avant que les Occidentaux le fassent à sa place, et envoya son élite s’instruire dans les nations occidentales, principalement en Allemagne et en Angleterre. Le Japon s’industrialisa, se militarisa, développa des établissements d’enseignement, s’organisa une diplomatie moderne qui eurent pour effet d’empêcher le Japon de tomber dans la même sénescence que sa voisine chinoise, qui allait même bientôt devenir son objet de proie. Les attitudes successives phobiques et contra-phobiques du Japon devant l’angoisse et la défense devant une puissance étrangère tenue pour hostile et techniquement supérieure, montre que la même névrose phobique peut susciter deux attitudes collectives diamétralement opposées à trois siècles de distance.

Dans ce cas, la réponse contra-phobique révèle deux pulsions partielles qui ont joué un rôle évident dans l’histoire du Japon. Le masochisme du repli sur soi au nom du protectionnisme marque la première réaction à la confrontation avec les Occidentaux du XVIIe siècle. Ici, les valeurs aristocratiques sont promues. Le seppuku des ronins est présenté comme l’attitude de noblesse par excellence devant une humiliation personnelle causée par un pair ou un refus d’obéissance aux ordres impériaux. Apparu au XIIe siècle, il fut officiellement interdit en 1868 avec la révolution Meiji. Il était clair qu’avec le renversement du shogunat s’opérait également un remplacement de perversion, et du masochisme raffiné, les Japonais passèrent à sadisme tout aussi raffiné. Leur visée impérialiste fut encouragée par leur victoire sur l’Empire tsariste en 1905 et le grignottement qu’ils commencèrent à pratiquer sur les côtes chinoises. Le sadisme explosa avec la Seconde Guerre mondiale. Répétant l’attaque surprise de Port-Arthur qui détruisit la flotte russe ancrée dans le Pacifique le 8 février 1905 en bombardant la base navale de Pearl Harbour, à Hawaï, le 7 décembre 1941, les zones occidentales furent rapidement couvertes par le blitzkrieg japonais. Les Chinois en premier, puis les Britanniques, les Canadiens, les Hollandais et les Australiens de Hong Kong et de Singapour furent envoyées dans des camps de concentration où des médecins japonais dévoyés pratiquèrent des tortures raffinées sur leur personne: vivisection, jeûne excessif, réduction à l’esclavage, traitements extrêmes. Comparés aux camps allemands, les camps japonais atteignaient un degré d’horreur qu’on n’avait pas vu depuis des siècles en Occident. Pendant que l’élite aéronavale des kamikazes s’écrasait sur le pont des porte-avions américains, puisant aux sources masochistes de l’attitude shogunale, le gouvernement de Tökyö autorisait la réduction à l’état de sous-humanité les prisonniers de guerre de l’Empire du Soleil Levant. Le masochisme extrême nippon restait le miroir déformant du sadisme extrême. (8)

La névrose universelle est sans doute la plus connue des névropathies de civilisation depuis que Freud l’a identifiée à la névrose obsessionnelle chez les individus. C’est la plus inhibitrice des névroses. Elle «intellectualise» Éros et Thanatos, détournant les pulsions libidinales et destrudinales vers des solutions de remplacement à la satisfaction des buts. Jadis les religions, aujourd’hui davantage les idéologies militantes, jouent un rôle identique d’inhibition de l’action à travers des rites itératifs: rituels, prestation de serment, vision manichéenne où les figures bonnes sont alignées devant les figures mauvaises, comme dans une partie d’échecs, pour un combat apocalyptique. La procrastination, le devoir de mémoire, le ruminement des ressentiments développent des attitudes régressives, plus négatives qu’effectivement défensives. Le radicalisme tend parfois à faire déborder de l’inhibition hystérique à l’exhibition amplifiée. Le fondamentalisme biblique et islamique se traduisent en praxis terroristes ou culpabilisantes pour leurs membres mêmes. Érotisation de la pensée, destrudinalisation de la rhétorique, la névrose universelle prête donc souvent le flanc à une interprétation littérale de ses appels, d’où la facilité de passer rapidement de la psychonévrose à la psychose pure et simple. Il n’y a pas jusqu’à la science, la technique, la philosophie qui peuvent servir autant d’instruments d’inhibition (de l’Éros comme de Thanatos) et ne pas se voir immunisés aux effets délétères de la névropathie. Le voyeurisme et le fétichisme sont les perversions qui apparaissent comme les plus fréquentes derrière les cas généralisées de névrose universelle.

Nous pouvons considérer l’hypernormalisation comme un symptôme de névrose universelle, surtout déployée dans les anciennes civilisations de la Haute-Antiquité: l’Égypte, Sumer-Akkad, Assyrie-Babylonie, la Perse achéménide, la Chine des Han sont des modèles de système où l’intégration des individus est parfaitement, sinon totalement réussie. Ce seraient des sociétés totalitaires avant le temps, celles relevant de ce que Wittfogel appelle despotisme oriental. Héritière bâtarde des thèses de Montesquieu (le despotisme asiatique) et de Marx (le mode de production asiatique), la thèse de Wittfogel présente l’extrême concentration de l’État à la tête des sociétés de la Haute-Antiquité à partir du fait commun de l’organisation hydraulique. Le Nil, l’Euphrate et le Tigre, l’Indus, le Hoang-Ho de même que le lac Tenochtitlàn et les terrasses des Andes, ont nécessité, au cours de leur aménagement respectif, la formation de bureaucraties d’État, donc l’investissement politique et social dans une «superstructure» qui incarne «le sens de l’unité» retrouvée. «L’une des variantes du pouvoir total, le despotisme hydraulique, ne tolère aucune force politique si ce n’est la sienne. En ce sens, il réussit sur le plan institutionnel en arrêtant le développement de telles forces; et il réussit sur le plan psychologique en décourageant l’aspiration de l’homme à une action politique indépendante. En dernière analyse, le gouvernement hydraulique est un gouvernement par intimidation. L’homme n’est pas une fourmi. Pas davantage une pierre. Une politique qui entretient l’optimum de propagande du souverain sème la confusion dans l’esprit populaire, mais n’élimine jamais un sentiment de frustration et de mécontentement. Incontrôlés, ces sentiments peuvent amener à une rébellion. C’est pour maîtriser cette dangereuse tendance que le régime hydraulique a recours à l’intimidation. La terreur découle inévitablement de la résolution prise par les dirigeants de préserver leur propre optimum de rationalité et non celui du peuple». (9) Ce portrait peu amène des sociétés de la Haute-Antiquité semble illustrer l’une de ces rétroprojections historiques déjà mentionnées des sociétés totalitaires contemporaines sur un lointain passé qui fait fi des témoignages de toute la vie sociale passée à l’exception de l’organisation étatique.

Or, toutes ces sociétés ont leurs spécificités. La civilisation issue du Nil n’est ni celle développée autour de l’Indus, ni celle qui a aménagé le limon du Hoang-Ho. Les terrasses des Andes ou la Mésopotamie sont des organisations économiques qui nécessitent des systèmes politiques centralisés dans des contextes d’aménagement différents. Bref, le Grand Inca n’est pas identique à un roi assyro-babylonien. Rien dans les bas-reliefs égyptiens ou babyloniens nous présente une population intimidée, sinon les esclaves capturés par les rois ou les pharaons revenant d’une guerre heureuse avec des soldats vaincus. Au contraire, les scènes peintes sur les murs des monuments religieux et restaurés présentent une vie égyptienne calme et heureuse, bourgeoise dirions-nous. Ce n’est pas l’intimidation, contrairement à ce que Wittfogel pense, qui maintient ces sociétés dans un ordre obéissant aux Pharaons et aux Rois: c’est le conformisme social qui agit, et ce conformisme en appelle à une hypernormalisation. Elle tient non seulement la société soudée et unie, mais fonde la civilisation dans une harmonie qui ne tolère aucune distanciation. Akhenaton, pharaon lui-même, l’apprendra à ses dépens en voulant effacer le culte traditionnel d’Amon, le dieu soleil honoré par un clergé riche et puissant, cadre de la bureaucratie égyptienne. C’est le fétichisme, et en particulier le fétichisme religieux - en Égypte le culte des morts; en Chine confucéenne, le culte des ancêtres; l’astrobiologie interprétée par les prêtres au sommet des ziggourats babyloniennes; le culte de Pachacamac, fils du soleil et de la lune et créateur de l’homme dans la civilisation andine, etc. - qui est la perversion par laquelle s’exprime le désir refoulé des sociétés antiques.

Dans l’hypernormalisation, le Surmoi écrase littéralement le Moi sous les rites, le goût artistique, les formes littéraires, le culte des divinités et, par le fait même, l’auréole des puissants. Qu’importe les querelles de dynasties, les coups d’État et les renversements d’empereurs et de rois, les successeurs n’entendront rien changer aux structures de la sociétés ni aux valeurs de la civilisation. Les vraies rébellions seront celles qui fractureront l’unité de la civilisation: les «guerres civiles». Comme le mesure Pierre Mannoni: «Il est frappant de constater, lorsque l’on prend un peu de recul par rapport aux habitudes culturelles dans lesquelles on baigne, combien sont exigeantes les prescriptions du groupe à l’égard des individus. Le code des valeurs, notamment sous les aspects des “bonnes” mœurs, s’impose implacablement et ne souffre guère les exceptions ou les échappatoires. L’axiologie a beau nous rappeler que les valeurs sont relatives aux lieux et aux époques, cela n’atténue en rien leur exigence où et quand elles s’appliquent». (10) Et Mannoni parle ici de nos sociétés. Que dire alors de ces antiques civilisations qui ne reconnaissaient nulle individuation de leurs membres? C’est ainsi que la genèse de l’individualité en a été retardée d’autant. À peine émergera-t-elle dans la civilisation hellénique. Dans des civilisations orientées autour de l’aménagement d’un territoire exigeant une centralisation des pouvoirs et des institutions, des valeurs et des liens interpersonnels, l’hypernormalisation dépasse les bornes du simple consensus ou de la convention sociale. Ce sont des sociétés d’ordre où l’ordre s’impose de l’intérieur, sans avoir recours à cette intimidation de la part des dirigeants que suppose Wittfogel, sauf en cas de troubles qui marquent, généralement, le passage d’un état de développement à un autre; ces périodes que l’on appelle anomie. Le passage du Haut-Empire égyptien au Moyen-Empire procède non de la faillite du système, mais de son succès qui permit à une féodalité de s’organiser en rébellion ouverte et abattre un État en rompant l’unité même de la civilisation pour une période de deux siècles. De même, les invasions Hyksos romperont le Moyen Empire avant qu’une génération de nouveaux pharaons reprenne, avec assurance, le pouvoir et édifie la grande période du Nouvel Empire à partir de 1580 av. J.-C.

L’hypernormalisation a aussi son antithèse: l’hyperthymie. Ici, c’est le Moi qui prend sa revanche et entend s’imposer au Surmoi, ce qui crée chez lui un sentiment d’exaltation et de triomphe après une dure période d’oppression et d’aliénation. L’exaltation peut même déborder vers l’extase dans des sociétés religieuses ou fortement sous la coupe d’une idéologie. L’hyperthymie ne marque pas nécessairement une étape de libération de l’individualité, et reste un conformisme qui s’exprime avec autant d’exaltation qu’il s’était normalisé dans la phase d’hypernormalisation, durant une période particulièrement exigente de renonciation aux moindres satisfactions libidineuses ou destrudinales. Nous n’avons qu’à repasser les actualités filmées aux lendemains des différents territoires européens libérés après l’occupation nazie en 1944-1945 pour constater combien l’hyperthymie est aussi conformiste que l’hypernormalisation. Certaines de ces foules qui accueillent le général de Gaulle en tant que libérateur avaient, peu d’années auparavant, accueillie avec autant d’exaltation le maréchal Pétain en tant que protecteur et défenseur de la France vaincue par un ennemi qui exigeait l’hypernormalisation. Voilà pourquoi on dira plus tard que sous l’Occupation, tout le monde était Résistant! Dans tous ces cas, antiques ou contemporains, la névrose universelle puise dans son répertoire de stratégies les moyens de défense devant l’angoisse collective, tantôt des dieux, tantôt des ennemis militaires; tantôt des esprits des fleuves, tantôt des rhétoriques étrangères menaçantes.

Les névroses traumatiques surviennent après un choc subit par une collectivité et qu’il faut perlaborer, c’est-à-dire lui trouver une solution culturelle afin de surmonter les effets morbides. Les symptômes apparaissent donc peu après quelque expérience inattendue et se manifestent «comme des actions stéréotypes ou “accès” au cours desquels sont répétées des parties du vécu traumatique, soit des rêves stéréotypés répétant ce qui a été vécu, soit les deux. La névrose traumatique diverge des autres névroses par le fait que ses symptômes, y compris les rêves traumatiques ne sont pas justiciables d’une interprétation. En d’autres termes, la névrose traumatique n’a pas de signification inconsciente. Toutefois, elle a une fonction: permettre au patient d’assimiler rétrospectivement un vécu inattendu en s’y confrontant pour ainsi dire à nouveau jusqu’à perlaboration. Les névroses traumatiques se guérissent d’elles-mêmes ou deviennent chroniques ou se transforment en psychonévroses. Ce dernier cas n’est susceptible de se produire que si les symptômes offrent des avantages (donnent droit à une pension ou, dans le cas d’un soldat, rendent inaptes au service actif)». (11) On aura compris ici que ce n’est pas une perversion qui est sous-jacente à la névrose, mais bien un choc qui est la réalisation même de la perversion. L’agression, le viol, la menace de mort sont des chocs qui sans créer une structure psychonévrotique tracent parfois le sillon dans lequel elle peut naître. D’où la remarque cynique à la fin, qui s’adresse aux victimes qui bénéficient financièrement, socialement ou moralement, du traumatisme subit par une pension ou une autre gratification quelconque.

C’est pourtant en étudiant cliniquement les cas de soldats revenus du front de la Grande Guerre que Freud, en est venu à traiter les cas de névrose traumatique et à suggérer l’existence de la pulsion de mort, l’action de la destrudo qui, en répétant obsessionnellement le trauma vécu, creusait le sillon de la psychonévrose des victimes. Or, lorsqu’on a devant soi un panorama assez complet de l’histoire de l’humanité, nous serions légitimés de penser que c’est bien là la névrose la plus universellement répandue. La définition d’un événement historique possède en soi tout ce qui l’identifie à un choc traumatique pour ceux qui en ont été les témoins, sinon les victimes survivantes. Jusqu’à quel point il serait démontrable d’affilier la névrose universelle (ou obsessionnelle) à la névrose traumatique?

D’autres troubles du comportement des collectivités méritent donc qu’on s’y arrête. La symbolisation est un processus primaire qui régit la pensée inconsciente. Elle passe par le déplacement ou la condensation. Le déplacement consiste à transférer une image mentale à une autre. Les imagos sont autant d’aiguilleurs qui, comme on l’a vu, déplacent les figures issues des membres de la famille sur les institutions d’une société sans qu’il n’y ait nécessairement de correspondance de l’une aux autres. La symbolisation est donc une pensée inconsciente qui s’impose comme une vérité subjective. La condensation, à l’opposée, fusionne, associe des images différentes afin d’obtenir une image composite. Les contes, les récits, les légendes et même un certain type d’historiographie jouent facilement de la condensation. Dans le cas de l’histoire, c’est le travail pervers des anachronismes que de condenser des événements, des personnages ou des périodes historiques différents. Alors que le déplacement maintient la spécificité des images, les figures et les institutions demeurant nettement séparées objectivement mais se retrouvant unies par une figure de départ et une institution d’arrivée, la condensation opère un travail d’osmose qui rendent les objets indistincts l’un de l’autre. Marc Ferro a donné un exemple célèbre avec un épisode de l’histoire polonaise. En 1795, lors de la révolte menée par Kosciuzko contre les Russes pour l’indépendance de la Pologne, le général Souvorov s’empare de Varsovie et ordonne la destruction du faubourg de Praga et du massacre de ses habitants. Sous le Pacte de Varsovie, alors que l’URSS impose sa puissance sur la Pologne, les récits scolaires «oublient» le massacre de Praga pour le faire réapparaître dans «la répression anti-ouvrière» perpétrée à Praga par le général Pilsudski le 12 mai 1926, lors de l’insurrection qui éclata en cette occasion: «Les combats durèrent trois jours, firent 400 morts et plus de mille blessés…» (12) Deux événements de nature et de dates différentes sont condensés en un seul endroit: Praga. La condensation ouvre ici sur l’hypersymbolisation. L’intérêt était idéologique et politique, sans doute, mais c’est le niveau Symbolique qui confondait la Psyché.

Si la symbolisation est la grammaire de l’inconscient, en autant qu’on accepte l’hypothèse de Lacan qui dit que l’inconscient fonctionne comme un langage, l’hypersymbolisation devient une tendance névropathe à investir et à surinvestir de symboles des faits, des événements, des données empiriques. La Toute-Puissance ou l’état satanique deviennent des paratonnerres de symboles. L’évhémérisme antique était la voie par laquelle un héros de taille humaine se voyait élevé vers l’Olympe des dieux à cause de ses qualités et de ses hauts faits merveilleux. Il en va de même du culte des saints dans le catholicisme. La panthéonisation des figures révolutionnaires en France révolutionnaire et le culte de la personnalité sous Lénine, Staline, Mao Tsé-toung et autres petits dictateurs d’États paroissiaux contemporains, répondent en écho au rêve de Jules César d’être divinisé de son vivant, Divus Julius, qui mit un comble à ce que pouvaient endurer les vieux sénateurs républicains et conduisit au meurtre du dictateur. L’hypersymbolisation repose donc sur la perversion narcissique, c’est-à-dire un narcissisme qui ne connaît plus de borne, intoxiqué sans doute par ses victoires et la chance qui lui a permis d’atteindre les hauts sommets de sa Cité ou de son Empire. Comme les faits réels sont plutôt innocents (le passage du Rubicon, petite rivière se franchissant sans gros efforts, se couvre d’une parole célèbre Alea jacta est), il faut une propagande capable de surinvestir le symbole affectif (positivement ou négativement).

L’hypertrophie ou l'hypotrophie atteignent davantage les valeurs sociales plus que les symboles inconscients. Certaines valeurs sont hypertrophiées durant les étapes charnières d’une histoire. Une collectivité tend à exagérer une ou plusieurs valeurs qui constituent son code moral. Le patriotisme s’amplifie jusqu’au chauvinisme; le socialisme jusqu’au communisme; l’individualité jusqu’à l’individualisme, etc. La valeur-source, en s’amplifiant, tend à réduire toutes les autres valeurs et à les soumettres à son seul impératif. L’hypertrophie des valeurs complète l’hypersymbolisation. On a cité en introduction la vertu dans le système idéologique de Rousseau et de Robespierre. Le rigorisme des rites catholiques a causé l’incompréhension mutuelle entre l’Église catholique et les Chinois au XVIIIe siècle. Dans le Bref Dominus ac Redemptor, daté du 21 juillet 1773, le pape Clément XIV justifie la fin des missions catholiques en Chine par ces mots: «L’approbation donnée par la Société [de Jésus] à certains usages ou préceptes regardés comme scandaleux et nuisibles à la saine doctrine et aux bonnes mœurs, et conséquemment proscrits par le Saint-Siège. Il s’agissait de conserver la pureté et la sainteté des dogmes chrétiens qui avaient déjà beaucoup reçu d’altérations, dont la suite nécessaire avait produit une infinité de troubles dans plusieurs États catholiques…» (13) Les rites chinois qui teintaient de métissages culturels la célébration eucharistique apparaissaient, aux yeux de la curie romaine, comme indigne de la conception occidentale exclusive du catholicisme tel qu’interprétée par le concile de Trente. Ici aussi, le narcissisme exprimé dans le triomphalisme de l’Église romaine se révèle comme la perversion à l’origine de l’hypertrophie des valeurs.

À l’opposée, d’autres valeurs peuvent se trouver momentanément hypotrophiées. Devant des situations particulières, les valeurs les plus conformistes sont suspendues, temporairement ou définitivement, selon les chocs traumatiques subis par une collectivité. L’Habeas Corpus est une loi votée par le Parlement britannique en 1679, dans la foulée de la Révolution de 1641, interdisant la détention d’un individu sans une charge d’accusation précise, ce qui avait pour but de limiter l’exercice du pouvoir exécutif (le Roi) et judiciaire (les tribunaux) en s’emparant et en détenant un individu à son corps défendant. Cette loi est devenue plus qu’une loi: c’est un principe d’édification morale sensé mettre la société politique au service de la société civile. L’Habeas Corpus est devenu un des principes de base de la déclaration des droits de l’homme. Pourtant, dans des cas précis, et pas toujours glorieux, l’Habeas Corpus a été hypotrophié jusqu’à la suspension. Les Américains, qui l’ont inscrit dans leur Constitution en 1787, l’ont suspendu dans le cas de l’affaire Dred Scott par exemple, lorsque la Cour Suprême a invalidé la liberté que réclamait un esclave noir fugitif sous le seul prétexte qu’en tant qu’esclave, Dred Scott n’était pas reconnu «légalement» comme une personne. Avec le déclenchement de la Guerre civile, en 1861, le président Lincoln, considéré comme une figure dominante de l’histoire de la démocratie américaine, a fait suspendre l’Habeas Corpus au nom d’une doctrine dite d’emergency, l’état d’urgence issue du nouvel état de guerre depuis que le port de Charleston avait été bombardé par les canons sudistes. Cet état d’urgence, suspendant l’Habeas Corpus, attribuait au président «le pouvoir de prendre des mesures qui relèveraient normalement du congrès ou même des États» à condition d’en rendre «compte au congrès et au peuple dès que les circonstances le permettront, et que la constitution recevra à nouveau son interprétation normale aussitôt après que les circonstances exceptionnelles auront disparues». Lincoln s’attribuait ainsi, en tant que chef des armées et du pouvoir exécutif de l’Union, l’autorité dictatoriale de disposer des individus. Il contrebalança l’effet négatif de sa décision en appelant à la mobilisation militaire sans contrainte. Concevant le paradoxe de la situation, le Juge en chef de la Cour Suprême, devant qui Lincoln avait prêté serment quelques temps plus tôt, le vieux juge Taney, qui avait tranché dans l’affaire Dred Scot en faveur des requérants sudistes, enjoignait le président «de ne pas violer les lois mêmes qu’il avait juré de protéger. “Faut-il que toutes les lois, à l’exception d’une seule, ne soient pas appliquées, répliqua Lincoln quelque temps plus tard, en faisant allusion à l’habeas corpus, et que le gouvernement lui-même parte en morceaux, de crainte que cette loi-ci ne soit violée?». (14)

La suspension de l’Habeas Corpus était acceptable compte-tenu de l’état de guerre civile qui déchirait l’intégrité de la jeune République américaine. L’hypotrophie des valeurs contenues dans l’Habeas Corpus et la Constitution américaine provenait de la crise politique et militaire intérieure. Mais il est des cas où l’hypotrophie fut purement le produit d’un état de fièvre obsidionale et de panique gouvernementale. Dans l’histoire canadienne, l’Habeas Corpus, établi en 1785 par le gouverneur Haldiman, subit une première menace lorsque la Chambre d’Assemblée Législative, inquiète de l’impact que pourrait avoir la Révolution française sur des menées séditieuses, autorisa sa suspension éventuelle en 1793. Mais c’est contre les députés et journalistes du Canadien, Bédard, Taschereau et Blanchet, que le gouverneur Craig fit emprisonner et détenir sans procès durant deux ans que la loi d’Habeas Corpus fut foulée du pied. Au cours des Insurrections de 1837-1838, le gouverneur Colborne suspendra également l’Habeas Corpus. Mais là où l’hypotrophie atteint un degré d’abaissement, c’est lorsque le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, dans le contexte de la crise d’octobre 1970 au Québec et invoquant la loi sur les mesures de guerres, votée au cours de la Première Guerre mondiale, fit suspendre l’Habeas Corpus, donnant aux forces policières et militaires la liberté de procéder à des arrestations arbitraires et des détentions sans mises en accusation. Ici, c’est l’incompétence des gouvernements (provincial et fédéral) à mâter une affaire de terrorisme, qu’on tenait d’ailleurs comme relevant de la pure criminalité, qui démontre jusqu’où un effet de panique peut s’emparer d’une minorité dirigeante incertaine de ses bases, qui fait arrêter des centaines de personnes sous la fabulation d’un soulèvement «appréhendé»! L’analyste ne verra là que la fragilité des valeurs, même les plus nobles, même reconnues par les Constitutions les plus libérales, peuvent demeurer l’enjeu d’une affaire de société politique versus la société civile. L’hypertrophie comme l’hypotrophie des valeurs, mélange de fétichisme et de narcissisme, sont des phénomènes psychiques qui marquent le net triomphe de la société politique sur la société civile, du pouvoir brut sur les subtilités du droit et des lois.

Sans qu’une civilisation soit entièrement sous la gouverne, momentanément ou de façon plus structurelle, d’une psychonévrose, il est évident qu’aucune collectivité ne peut empêcher des perversions de se diffuser dans ses mœurs et cela, malgré la sévérité des lois et des peines. Les cultures sont généralement porteuses de psychonévroses dont les effets sont plus ou moins majeurs selon les circonstances. Lorsque le borderline côté névrose s’effondre, les perversions s’engouffrent dans la Psyché de la collectivité. L’homosexualité, par exemple, se retrouve sous les mœurs guerrières indo-européens de la Haute-Antiquité jusqu’aux invasions du IVe siècle de l’ère chrétienne. Contrairement à un Éden gay, la Grèce archaïque avait ritualisé l’homosexualité sous des formes strictes. L’éphébie grecque trouvait son pendant dans la pratique des initiations germaniques, ce qui stupéfiait un observateur romain comme Ammien Marcellin: «Nous avons appris que les Taïfales sont un peuple honteux, tellement scandaleux par leur vie obscène faite de libertinage que chez eux les adolescents sont liés à des hommes adultes dans une union d’un genre indicible, cela, pour consumer la fleur de la jeunesse dans les pratiques répugnantes qu’ils ont chez eux. Ajoutons que lorsque l’un d’entre eux, devenu adulte, est capable de capturer seul un sanglier, ou de terrasser un ours énorme, il est libéré de cette union de débauche». (15) C’était pourtant là le modèle militaire aristocratique du Bataillon Sacré de Thèbes. Dans une société prise entre la «décadence romaine» et l’«Antiquité tardive» où l’homosexualité était un vice condamné par les lois et les principes de la nouvelle religion chrétienne, Ammien projetait sur les vieux rites initiatiques guerriers la réprobation morale qu’il entretenait envers les «pervers» qui s’autorisaient de la lecture du Satiricon.

L’exhibitionnisme est une perversion qui consiste au plaisir d’être regardé, de se montrer, de se faire valoir… Sa fonction névrotique consiste à prouver que l’on obtient satisfaction en contraignant quelque «objet» à réagir. Elle est une défense maniaque contre la dépression ou la crainte de perdre son identité. La caractéristique de la civilisation minoenne, plus que toute autre, c’est l’exhibitionnisme du corps de ses membres. Ce qui reste de ses œuvres d’art nous présente l’exhibition du corps des Crétois sans procéder par un déplacement quelconque vers un thème mythologique ou une illustration patriotique comme on le fera si souvent dans l’art occidental. «Si la race n’a pas une stature imposante qui donne l’impression de la force musculaire, elle rachète ce défaut par la souplesse nerveuse. C’est vraiment un beau type d’homme qu’on voit sur tant de fresques de Cnosse. La démarche est gracieuse. Habitués aux exercices gymniques, grands amateurs d’athlétisme, les Crétois des temps préhistoriques voulaient paraître svelte… ils se serraient tant qu’ils pouvaient au moyen d’une forte ceinture. Aussi la taille mince était-elle un trait caractéristique de la race», écrit Gustave Glotz. (16) Après avoir imité un temps la pratique du tatouage commune aux civilisations ornant le bassin de la Méditerranée orientale, une réaction s’est fait sentir au début de la période historique, «cette hâte à se débarrasser des marques qui défiguraient les visages est un indice précoce de sens esthétique», ajoute Glotz. «Le type physique de la femme pas plus que celui de l’homme, ne rappelle en quoi que ce soit les traits et les formes de l’art grec. Le fameux profil au nez prolongeant le front est inconnu. Du front vertical le nez se détache brusquement, souvent un peu cabossé, plus souvent encore insolemment retroussé du bout. L’œil est grand ouvert. La bouche bien fendue présente des lèvres charnues et vermeilles. Une rangée d’accroche-cœurs barre le front; de petites boucles pareilles à des anglaises tombent par devant sur les oreilles; la masse des cheveux, retenue par un bandeau, est divisée en longues mèches qui flottent librement sur les épaules et dans le dos. Poitrine saillante, taille fine, hanches cambrées, le corps est tout en lignes onduleuses. Les irrégularités même de ce type lui donnent une grâce hardie, un charme piquant et voluptueux, ce je ne sais quoi de sémillant qui a valu à un personnage de fresque le nom de “Parisienne”». (17) L’influence de l’art égyptien sur l’art crétois est incontestable, mais la dynamique des jeunes hommes culbutant au taurobole contraste avec la staticité aussi bien des fresques égyptiennes que des statuettes de la Grèce. L’ample développement des costumes féminins opposé au dépouillement de la vêture masculine (qui se ramène plus souvent à un simple pagne) confirme l’intérêt esthétique. La civilisation minoenne se donnait à voir, aimait se contempler dans les fresques
peintes sur les murs du palais de Cnossos, pratiquait déjà l’éphébie à travers la kryptie où l’on trouve les premiers témoignages de la pédérastie initiatique. Comment cette thalassocratie, qui régnait commercialement sur tout les bassins de la mer Égée et de la Méditerranée orientale, en serait-elle venue à craindre un ennemi au point de s’exhiber en vue de se rassurer et de se défendre contre une menace qui nous reste encore inconnue. De plus, les fresques crétoises ne sont pas hantées par l’effroi qui habite la plupart des fresques romaines de l’Empire. L’exhibitionnisme n’est pas que narcissique, elle se manifeste avec une ouverture et une joie juvénile qui contraste même avec l’exhibitionnisme morbide de notre époque.

Parlant voyeurisme, il est important de rappeler ce qu’en dit Rycroft. «Forme d’activité sexuelle préférée par le sujet est de regarder les parties sexuelles ou les activités des autres». (18) Nous pensons ici à ce que dit Foucault du panoptikon qui était la stratégie centrale de l’enfermement au XIXe siècle. Comment l’État pouvait-il avoir l’œil sur tout et sur tous. Depuis le roman de politique-fiction 1984 de George Orwell, l’idée de l’œil d’Horus transféré dans le front de Big Brother par les mécanismes de la télé-vision, le fantasme étatique du panoptikon semble se réaliser avec la multiplication des caméras de surveillance qui, du vol à l’étalage au repérage d’activités terroristes sont en train de réduire la civilisation occidentale aux paramètres de son pire cauchemar totalitaire. Le panoptisme, comme l’appelle Foucault, est une structure de coercition des masses issue de la pensée de Jeremy Bentham, ce grand névrosé de la statistique. En étendant son regard aux extrémités de la terre, le voyeurisme entend fermer le monde, alors que l’exhibitionnisme anticipait de l’ouvrir par la nudité et l’esthétique. «Cet espace clos, écrit Foucault, découpé, surveillé en tous ses points, où les individus sont insérés en une place fixe, où les moindres mouvements sont contrôlés, où tous les événements sont enregistrés, où un travail ininterrompu d’écriture relie le centre et la périphérie, où le pouvoir s’exerce sans partage, selon une figure hiérarchique continue, où chaque individu est constamment repéré, examiné et distribué entre les vivants, les malades et les morts - tout cela constitue un modèle compact du dispositif disciplinaire». (19) Ce que surveille, finalement, l’œil de Big Brother, c’est l’éventuelle désinhibition qui ferait d’une société close une société ouverte, ce qui met la société au défi. Au panoptisme des autorités, les individus s’exhibent. Sur le Web, certes, mais dans la rue, dans les parcs. Des dealers de drogue n’hésitent même plus à défier l’œil qui les surveille du haut d’un lampadaire. Une dialectique des perversions voyeurisme/exhibitionnisme est propre à notre époque et cultive un narcissisme tout aussi pathologique.

L’attitude des Byzantins, obsédés par le regard des autres et qui, sous la dominations des Basileus syriens entreprirent l’iconoclastie des œuvres religieuses, pratiquait régulièrement l’énucléation. Plusieurs tsars, que le Fatum avait abandonné, eurent ainsi les yeux crevés par leurs successeurs et rivaux. Dans les familles royales mêmes, face aux jalousies fraternelles, l’usage de l’énucléation n’était pas rare. Cette pratique donna naissance à un Basileus, Basile II, dit «le tueur de Bulgares, [qui] célébra sa victoire de la manière la plus terrible. Les prisonniers - qu’on prétend avoir été 14.000 - furent aveuglé, un homme sur cent ne fut qu’éborgné et chargé de ramener les autres à leur tsar à Prilep. En voyant arriver ce cortège terrifiant, Samuel [le tsar bulgare] s’évanouit. Deux jours plus tard le vaillant tsar mourait (6 octobre 1014). (20) Supplice qui se répéta à plusieurs reprises dans l’histoire des Balkans. Dans Kaputt, Malaparte raconte que, reçu par le dictateur croate Ante Pavelic, dit «le boucher des Balkans», il vit sur son bureau un objet qui l’intrigua énormément. «Ante Pavelic, écrit-il, souleva le couvercle du panier, et me montrant ces fruits de mer, cette masse d’huîtres gluantes et gélatineuses, il me dit avec un sourire, son bon sourire las: “C’est un cadeau de mes fidèles oustachis; ce sont vingt kilos d’yeux humains”». (21)

L’énucléation est l’une des tortures conformistes des mœurs byzantines transmises à la civilisation orthodoxe russe. Elle reste la terreur de Big Brother. Perdre la vue, ne palper que des mains dans une obscurité sombre, c’est le cauchemar de tout État, le voyeurisme étant à la fois leur perversion et la source de leur angoisse paranoïde. C’est la stabilité et le contrôle du pouvoir politique qui se trouverait ainsi mis en danger. Comme l’écrit, avec son vocabulaire heideggerien, Peter Sloterdijk: «Dévoiler la figure de l’obéissance à soi-même au cœur de la subjectivité des Temps modernes, c’est montrer comment les “sujets” s’arment pour devenir des agents capables d’agir en se conseillant eux-mêmes, en se persuadant eux-mêmes, en se donnant eux-mêmes le signal de l’inhibition des actes - ou bien en se le procurant chez des tierces personnes. La subjectivisation est donc inséparable de la prise de pouvoir et des entraînements qui l’accompagnent. En soulignant ce point, nous rejetons le malentendu propagé par la Théorie critique, consistant à interpréter la subjectivité moderne comme une agence de contrôle de soi - en termes psychanalytiques: comme une agence de la névrose obsessionnelle. Le sens réel du devenir-sujet ne peut être compris qu’à partir de l’armement et de l’autodésinhibition de l’acteur - c’est-à-dire, d’une certaine manière: par son hystérisation. Un acteur moderne ne retrouve pas sa forme tant qu’il n’est pas soutenu par un exercice spécifique d’autoconsultation et d’autopersuasion. Lorsqu’il a recours à ce type de prestations, il ne s’agit pas en règle générale de connaissance théorique en tant que telle, mais de l’utilisation de connaissances au profit d’objectifs pratiques. De l’autoconseil et de l’autopersuasion doit finalement résulter l’autodéshinibition». (22) Quoi qu’il en soit de sa critique de la psychanalyse, le fait demeure que l’inhibition et la désinhibition est affaire de contrôle politique des corps. L’œil de Big Brother est là pour nous dire où et quand se vêtir et se dévêtir. Quand la nudité est rentable et quand elle est un scandale aux yeux des biens-pensants.

Le fétichisme est un rite religieux associé généralement aux peuples dits primitifs. Dans l’optique de la Psyché, le fétiche est un objet doté «d’une signification sexuelle et en l’absence duquel il est incapable d’excitation sexuelle. Un fétiche sexuel est soit un objet inanimé soit une partie non sexuelle d’une personne; les objets inanimés sont typiquement les vêtements, les chaussures, les bas ou les cheveux. On peut dire des fétichistes qu’ils considèrent que leur fétiche est “habité par un esprit”, puisque le fétiche est clairement associé à une personne sans en être une, et qu’il possède des “pouvoirs magiques” puisque sa présence leur donne la puissance qui autrement leur fait défaut. Le fétichisme est l’exemple classique d’un processus psychique primaire qui influence le comportement puisque (a) le fétiche a de multiples significations qui découlent d’autres objets par le moyen de la condensation, du déplacement et de la symbolisation et (b) le fétichiste se comporte comme s’il s’agissait en fait de ces autres objets et il n’est pas plus troublé par l’incongruité ou l’absurdité qu’un dormeur quand il rêve». (23) Nombre de pratiques fétichistes survivent ou ressuscitent dans les civilisations plus avancées. Un cas de fétichisme connu de tous, c’est la torture infligée aux pieds des femmes chinoises. Ce fétichisme, rattaché aux pratiques superstitieuses d’une civilisation qui n’a pas de religion supérieure (le confucianisme et le taoisme sont des philosophies et le bouddhisme Mahayana est une réification d’une philosophie importée de l’Inde et associé à des cultes locaux traditionnels).

Selon l’expert en la matière, Robert Van Gulik, c’est le poète Li Yu qui aurait introduit la coutume de bander les pieds des femmes. Quoi qu’il en soit, la coutume se serait installé dans la période intermédiaire entre la dynastie des T’ang et celle des Song (XIIe siècle): «Depuis la dynastie Song, les pieds pointus et d’une petitesse excessive ont figuré comme un article indispensable dans la liste des attributs d’une belle femme, et peu à peu, on a vu se constituer autour d’eux tout un folklore du pied et de la chaussure. On en vint à considérer les petits pieds comme la partie la plus intime du corps féminin, comme le symbole même de la féminité, et comme le centre le plus puissant de son sex-appeal. Les figurations érotiques des époques Song et suivantes font voir des femmes complètement nues, dont la vulve apparaît dans tous ses détails; mais je n’ai jamais vu d’image, et il n’en existe pas à ma connaissance, qui montrât à découvert les pieds bandés d’une femme. Cette partie du corps féminin est strictement tabou. Tout ce que les artistes ont pu se permettre, c’est de représenter une femme qui commence à enrouler ou dérouler les bandelettes de son pied. De là, le tabou s’étendit aux pieds nus des femmes qui ne les bandaient pas, exception faite pour les images des divinités féminines, telles que Koan-yin, ou à l’occasion d’une servante. Ainsi les pieds d’une femme devenaient son principal attrait sexuel. L’homme les touchait avant le commerce sexuel, et cet attouchement devenait même le préliminaire traditionnel. C’est sous cette forme invariable que presque tous les romans érotiques, depuis l’époque Ming, décrivent les premières avances…» (24) Ce fétichisme avait son prix, celui de la déformation anatomique du pied de la femme: «Il suffira de dire ici que l’on entoure de bandelettes serrées les pieds d’une fillette des son jeune âge. Le gros orteil est recourbé; les quatre autres sont repliés contre la plante du pied. On augmente la pression graduellement, jusqu’à obtenir un angle aigu du tarse et du métatarse. […] Le pied se fait tout cheville, à peu de chose près, que l’on peut enfermer dans une chaussure exiguë. Ces chevilles hypertrophiées, on les dissimula sous des jambières dont le style varia considérablement selon les siècles…» (25) Cette coutume ne fut abandonnée que progressivement au cours du XXe siècle. Manifestement, la mutilation anatomique du pied des femmes apparaît comme une stratégie de défense masculine contre sa gynophobie. L’utilisation d’un fétichisme, celui sur les cheveux, semble avoir été utilisé par les conquérants mandchous au XVIIe siècle, en vue d’établir un signe humiliant à l’égard de la majorité Han. En 1616, l’empereur Fou-lin, qui prit le nom impérial de Chouen-tche, «un adolescent névropathe», promulgua la loi de 1645 obligeant les Chinois, en signe de vassalité, à porter la natte et à s’habiller comme les conquérants. La fierté nationale s’en trouvait blessée. Les mariages entre Chinois et Mandchous furent interdits et une dualité de gouvernement établie. Dans tous les postes, le Chinois était doublé d’un Mandchou dont bien entendu l’autorité était prépondrante». (26) Chouen-tche (Fan Wencheng dans le langage moderne) avait imposé le port de la natte (bianzi) sous peine de mort à l’ensemble de la population, ce qui provoqua des suicides, puis des émeutes dont certaines furent réprimées par des massacres. Cette coiffure traditionnelle parmi les gens des steppes exigeait de raser le devant de la tête, à la manière tartare et à porter les cheveux tressés en une longue natte pendante. Avec les siècles, le signe d’humiliation devint un signe de fierté, et c’est en voulant les humilier que les Américains coupaient la natte tressée des coolies chinois venus travailler à la construction des chemins de fer en Californie au XIXe siècle. Au fétichisme positif des pieds bandés des femmes semble répondre le fétichisme négatif de la toque tressée des hommes.

Sadisme et masochisme sont des pulsions partielles courantes qui en viennent à dominer la circulation individuelle des affects chez les individus. Ressentir un plaisir de nature sexuelle à violenter physiquement, psychologiquement ou moralement une autre personne ou encore à subir soi-même une violence ou une souffrance, physique et/ou morale, sont parmi les fantasmes les plus partagés dans un monde où la négociation de la vie en société entraîne des privations et des ressentiments inouïs. Dans la mesure où le sadisme, en tant que perversion, opère un déplacement et assure une sécurité factice, on pense aux sacrifices humains. Si ceux-ci semblent avoir été pratiqués dans nombre de sociétés primitives, les civilisations ont rapidement érigé en tabou l’interdit de tuer ou torturer son prochain pour le plaisir. Il se peut que la chose se soit imposée d’elle-même après le tabou du cannibalisme, l’une s’inscrivant dans le prolongement de l’autre. Les Grecs et les Romains, qui demeuraient stupéfaits devant les sacrifices d’enfants dans la culture phénicienne et plus tard dans son héritière carthaginoise, de même que les premiers Espagnols qui accompagnèrent Cortez au Mexique, se montrèrent révulsés devant les sacrifices humains accomplis par les prêtres aztèques indiquent, par ces attitudes réprobatrices, que le sacrifice humain était inacceptable aux yeux de la civilisation et qu’ils ne pouvaient que rester des attributs propres aux barbares et encore mieux, aux sauvages.

Depuis que des archéologues ont découvert un «lieu saint», dit topheth en souvenir du lieu voisin de Jérusalem où les premiers Hébreux opéraient des sacrifices humains, les sacrifices d’enfants ne font plus de doute dans la vie des Carthaginois. «C’est là ce qu’on nomme habituellement le sanctuaire de Tanit et on y a retrouvé ensevelies des milliers d’urnes funéraires contenant les ossements brûlés d’enfants; on y a trouvé également des stèles de formes diverses dont la plupart portaient des inscriptions placées là pour signaler le dépôt des urnes. Cette découverte ne permet plus aucun doute quant à la réalité des sacrifices humains et particulièrement des sacrifices de jeunes enfants que nos auteurs attribuent aux Carthaginois». (27) (Il est vrai que récemment, des archéologues ont considéré sans fondement cette hypothèse et indiqué qu'il s'agissait là d'enfants mort-nés.) Importés des cités phéniciennes d’où ils provenaient, les marchands qui érigèrent Carthage à la pointe de la Tunisie actuelle, semblent pourtant avoir poursuivi le sacrifice humain jusqu’à la toute fin de leur culture. Les sacrifices étaient à l’origine offerts à Baal-Hammon seul, et c’est de Diodore de Sicile (vers 310 av. J.-C.) que nous devons la relation concernant le sacrifice de 500 enfants nobles, qui révèle le fanatisme des Carthaginois: «En 310, lors de l’invasion d’Agathocle, quand les troupes du tyran de Syracuse menacèrent leur capitale, les Carthaginois, frappés de stupeur, imputèrent cette catastrophe à leurs négligences envers Kronos-Ba’al Hammon. “Ils estimèrent que Kronos leur était hostile. En effet, eux qui auparavant sacrifiaient à ce dieu les meilleurs de leurs fils, s’étaient mis à acheter secrètement des enfants qu’ils nourrissaient puis envoyaient au sacrifice. Après enquête, on découvrit que certains des enfants immolés avaient été sacrifiés à la place d’autres. Considérant ces choses et voyant l’ennemi campé devant leurs murs, ils éprouvaient une crainte religieuse à l’idée d’avoir ruiné les honneurs traditionnels dus aux dieux. Brûlant du désir de réparer leurs errements, ils choisirent 200 enfants des plus considérés et les sacrifièrent au nom de l’État. D’autres, qui étaient accusés, se livrèrent d’eux-mêmes; leur nombre atteignit trois cents. Il y avait à Carthage une statue de Kronos en bronze, les mains étendues, la paume en haut, et penchées vers le sol, en sorte que l’enfant qui y était placé roulait et tombait dans une fosse pleine de feu” (xx, 14, 4)» (28) Alors que, peu à peu, les rites substituèrent aux sacrifices humain le sacrifice d’un animal (comme nous l’avons vu dans le cas du sacrifice d’Isaac), Carthage était en voie de subtiliser de plus en plus des animaux aux rites sacrificiels des enfants, mais les interminables guerres puniques livrées à Rome auraient eu pour effets de ranimer les sacrifices humains jusqu’au moment où Caton prononça son fameux Delanda est Carthago.

C’est un peu la même chose qui se passa à Tenochtitlán, l’actuelle ville de Mexico. La différence est que la rigueur et l’étendue des pratiques sadiques se transformèrent en pratiques masochistes. L’antique société mexicaine pratiquait une quantité de rites les plus complexes les uns que les autres. «L’adjonction de sacrifices humains à la plus banale cérémonie d’actions de grâces fait un terrible contraste avec l’esprit dans lequel ces pratiques rituelles étaient accomplies. De toute façon, les comportements sociaux et religieux ont pour but de préserver la vie des humains et d’assurer leur bien-être, même si les méthodes employées s’écartent sinistrement de cet idéal. Il s’ensuit que l’idée de sacrifier des biens précieux en offrandes propitiatoirs devait aboutir au sacrifice d’un bien inestimable entre tous, la vie humaine, cette vie que nous cherchons ardemment à préserver. Aussi les cas de sacrifices humains continuent-ils à surgir dans les systèmes relgieux du monde. Notre propre civilisation garde encore le concept du martyre, volontaire ou non, considéré comme un acte de vertu. L’admirable exemple du Sauveur transpose sur le plan du plus haut spiritualisme cette idée du sacrifice pour le bien de l’humanité». (29) C’est la dynamique entre la guerre et le sacrifice humain qui, à la différence de Carthage, culture marchande, spécifie le cas aztèque. «Une bonne part de la prospérité de la tribu ayant pour origine la conquête militaire, le sacrifice le plus normal était celui des cœurs des adversaires, c’est-à-dire un des biens les plus difficiles à acquérir, puisqu’il fallait une victoire pour fournir des prisonniers. Mais cette victoire, d’autre part, ne pouvait résulter que de la faveur divine. Ainsi le sacrifice conduisait à la guerre, et la guerre au sacrifice, en un cycle sans fin, de proportions sans cesse croissantes. […] L’offrande qui avait le plus de valeur était donc celle d’un prisonnier de guerre, et plus le captif était un guerrier brave ou de rang élevé, plus l’offrande était précieuse. Les esclaves étaient réservés aux cérémonies secondaires, et, quant aux femmes et aux enfants, ils étaient plus rarement immolés, et, seulement dans des rites de fertilité, pour favoriser la croissance des plantes par l’effet de la magie sympathique. Le cannibalisme rituel était parfois pratiqué, dans l’idée qu’en consommant la chair d’un être, on s’appropriait ses vertus; mais c’était là un rite et non un vice. La saignée personnelle était un autre moyen de s’assurer la faveur des dieux et chacun s’infligeait d’horribles pénitences, se mutilant avec des couteaux ou se passant à travers la langue une ficelle garnie d’épines d’agave. Plus le rang social qu’on occupait était élevé, plus on était versé dans l’observance des pratiques rituelles, donc plus rigoureux était le jeûne auquel on devait s’astreindre, plus sévères les pénitences ou les tortures qu’il fallait s’imposer par dévotion». (30) Un document postérieur à la conquête espagnole rapporte que vingt mille personnes furent sacrifiées ainsi lors de la dédicace du temple de Mexico, reconstruit et amplifié. L’effet le plus traumatisant pour les conquistadors espagnols eut lieu après la défaite dite de la noche triste, lorsqu’en voulant s’emparer de Moctezuma, les Aztèques se révoltèrent et coururent sus à la poursuite des étrangers. Ils en capturèrent un certains nombres - 600 selon le bilan de Cortez - qui furent offerts en sacrifices à Huitchilobos. (31)

Il est difficile de dire à quel point ces sacrifices humains permettaient aux pulsions sadiques et masochistes de s’extérioriser sous la convention sociale du rite propitiatoire. L’inhibition était toutefois bien suspendue. L'historien des Aztèques,Vaillant a beau jurer qu’il n’y avait aucun «vice» dans les pratiques sacrificielles des Aztèques, s’en remettant au «cycle naturel» de la guerre et du sacrifice, il est difficile de concevoir que ce rite n’ait pas été complètement désexualisé. On a qu’à s’en remettre au témoignage de Casanova lors de l’exécution de Damiens, l’écartèlement publique, où les badauds avaient loué des balcons et où des femmes en profitaient pour faire des fellations sous le coup du spectacle sanglant. L’horreur qui frappait Diodore de Sicile devant les sacrifices d’enfants comme celui qui soulevait l’intolérance des prêtres catholiques espagnols au Mexique sont des témoignages à distance. Ils nous transmettent un état d’âme postérieur aux événements auxquels souvent ils n’ont pas assistés et à l’intérieur d’une propagande (une syracusienne, l’autre espagnole catholique) qui justifie la légitimité de la guerre à mener contre les barbares (carthaginois) et les païens (aztèques). D’un autre côté, le climat d’angoisse qui régnait autant chez les uns que chez les autres montre à quel point le recours aux perversions sadiques et masochistes s’inscrivaient dans la pratique magique obsessionnelle de circonvenir les événements menaçants - invasions et défaites - par des rituels à des dieux considérés comme de grands dévoreurs d’enfants et de cœurs vaillants. L’auto-castration carthaginoise et la castration des vaincus agissaient comme des substituts au sacrifice intime de soi ou de l’autre. Toute la névropathologie réside dans cette culpabilité ressentie par les Carthaginois devant la menace que représente Agathocle et par les Aztèques devant ce que représente Cortez. La ligne de démarcation entre la névrose et la psychose dépend souvent d’un degré d’angoisse entre le fait de se sentir mal à cause de la réalité et de se sentir bien une fois toutes les menaces maîtrisées entre nos mains.

Ce qu’il est important d’observer, c’est combien le rite sacrificiel n’appartient plus à un individu, patriarche ou chef de clan, mais à l’État ou à son représentant religieux. Le rite se «banalise» dans le sens où Hannah Arendt parle de la banalité du mal dans le cas Eichmann. Tuer un enfant est plus difficile à supporter qu’en tuer 500. De même, arracher d’une poitrine encore vivante le cœur d’un vaillant combattant authentifie la bravoure et les vertus d’héroïsme sensées apporter par le sacrifice. Par sa monopolisation de la pratique individuelle de la violence, l’État s’approprie les semences du sadisme et du masochisme. Il peut, comme les États nationaux occidentaux, opérer ce que le polémologue français Gaston Bouthoul appelle un infanticide différé. «La première [observation], c’est que cette augmentation constante de la proportion d’hommes disponibles pour la guerre paraît être en proportion inverse du taux de mortalité infantile. Celle-ci atteignait jusqu’à 70% des nouveau-nés de 0 à 1 an dans la plupart des villes européennes au milieu du XVIIIe siècle. Aujourd’hui on soigne admirablement les nouveau-nés. Mais on sait ce que l’on en fait lorsqu’ils atteignent l’âge d’homme. C’est ici qu’apparaît de façon éclatante la notion d’infanticide différé. Cette correspondance quasi constante, depuis trois siècles, est trop frappante pour ne pas être soulignée, quelle que soit l’interprétation que l’on en propose». (32) Ceci est confirmé par les civilisations qui n’ont appris que tardivement à contrôler les naissances. Alors que l’Occident pratique depuis près d’un demi-siècle une régulation des naissances, la paix n’a jamais aussi bien régné entre les nations-sœurs, tandis que dans les civilisations extra-occidentales qui ont bénéficié des apports de la médecine moderne sans que les mœurs s’adaptent à la limitation volontaire des naissances, la natalité explosive et la survie des nouveau-nés est accompagnée, également, d’une fort bassin d’enfants qui ne trouvent pas à se placer dans la société, ce qui les prédispose à devenir précocement soldats et à alimenter les partis en guerre civile. La thèse de Bouthoul se trouve confirmé autant par la limitation des naissances en Occident que par le natalisme des religions non-occidentales.

Une autre façon de dominer la violence, c’est en la monopolisant tout en la retournant contre soi. Les Églises, en voulant dominer les pulsions (libido comme destrudo) jouent la violence contre le sexe. En encourageant la procréation au nom du diktat divin et des lois de la nature, elles reconnaissent implicitement que les inégalités sociales ne prédisposent pas à une juste répartition des richesses. La communion chrétienne s'est ainsi transformée de la répartition en distribution des pains. Aussi, encouragent-elles le sacrifice, la privation, la faim et la souffrance physique et morale au nom de la foi, du salut post-mortem et de la résignation à la volonté divine. La souffrance, au lieu de devenir une source d’humilité devient, au contraire, une source d’orgueil et de puissance. En partant du dépouillement volontaire, l'ascète s'autorise une plus grande maîtrise de soi et de ses pulsions (alors que c’est tout le contraire) et, par le fait même, une autorité supérieure sur les autres membres de la communauté. Le masochisme chrétien, comme le masochisme musulman ou le masochisme bouddhiste nourrissent le fanatisme sadique des États en croisade ou en djihad.

Dans les deux cas, le sadisme de l’État et le masochisme de l’Église universelle, les psychonévroses obsessionnelles désinhibent tout en désexualisant la pulsion partielle pour la soumettre au service de l’ordre sociétal. L’État prépare inconsciemment l’infanticide différé de ses citoyens par une guerre (civile ou extérieure), alors que l’Église cultive la soumission et l’obéissance. Le viol des foules est précédé par le viol des consciences et la pédophtorie, c’est-à-dire la violence sexuelle portée sur les enfants, devient une véritable institution agréée par les autorités; une pédophtorie d’État. Ici, c’est du côté psychopathologique que le borderline vient de céder⌛
Notes:

(1) Cité in F. A. Hayek. La route de la servitude, Paris, P.U.F., Col. Quadrige, 1985, p. 104
(2) C. Rycroft. Dictionnaire de la psychanalyse, Hachette, Col. Marabout Université, #MU374, 1972, p.181
(3) C. Rycroft. ibid. p. 182.
(4) C. Rycroft. ibid. pp. 199-200.
(5) C. Rycroft. ibid. p. 120.
(6) D. Arcand. Hors champ, Montréal, Boréal, Col. Papiers collés, 2005, p. 147.
(7) C. Rycroft. op. cit. pp. 185-186.
(8) Article Wikipedia.
(9) Cf. J.-L. Margolin. Violences et crimes du Japon en guerre, Paris, Armand Colin, rééd. Col. Pluriel, 2007.
(10) K. Wittfogel. Le despotisme oriental, Paris, Éditions de Minuit, Col. Arguments, 1977, pp. 170-171.
(11) P. Mannoni. La psychopathologie collective, Paris, P.U.F., Col. Que sais-je? # 3167, 1997, pp. 13-14.
(12) C. Rycroft. op. cit. pp. 162-163.
(13) M. Ferro. Comment on raconte l’Histoire aux enfants, Paris, Payot, 1981, pp. 218-219.
(14) Étiemble. Les Jésuites en Chine, Paris, Julliard, Col. Archives, #25, 1966, p. 279.
(15) S. B. Oates. Lincoln, Paris, Fayard, 1984, p. 291.
(16) Cité in B. Sergent. L’homosexualité initiatique dans l’Europe ancienne, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1986, p.150.
(17) G. Glotz. La civilisation égéenne, Paris, Albin Michel, Col. L’Évolution de l’humanité, #9, 1937, pp. 74-75.
(18) G. Glotz. ibid. p. 80.
(19) C. Rycroft. op. cit. p. 257.
(20) M. Foucault. Surveiller et punir, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des histoires, 1975, p. 199.
(21) G. Ostrogorsky. Histoire de l’État byzantin, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1956, pp. 335-336.
(22) R. Villeneuve. Le Musée des supplices, Paris, Éditions Azur-Claude Offenstadt, 1968, p.40.
(23) P. Sloterdijk. Le Palais de cristal, Paris, Maren Sell Éditeur, rééd. Pluriel, 206, pp. 87-88.
(24) C. Rycroft. op. cit. p. 103.
(25) R. Van Gulik. La vie sexuelle dans la Chine ancienne, Paris, Gallimard, Col. Tel, #17 , 1971, p. 275.
(26) R. Van Gulik. ibid. p. 278.
(27) W. Eberhard. Histoire de la Chine, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1952, p. 278.
(28) B. H. Warmington. Histoire et civilisation de Carthage, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1961, p. 189
(29) F. Decret. Carthage ou l’empire de la mer, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, #H30, 1977, p. 143.
(30) G. C. Vaillant. Les Aztèques du Mexique, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1951, pp. 205-206.
(31) G. C. Vaillant. ibid. pp. 206-207.
(32) S. de Madariaga. Hernan Cortès, Paris, Calmann-Lévy, rééd. Livre de poche, Col. historique, #1184/1185/1186, 1953, p. 442.
(32) G. Bouthoul. Les Guerres, Paris, Payot, Col. Bibliothèque scientifique, 1951, pp. 262-263.

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